Droit et Gynécologie, Décisions administratives et judiciaires : Accouchement

Publié le 14 May 2022 à 01:17

Nous avons choisi de vous présenter des commentaires d’arrêts de juridictions administratives et judiciaires provenant du cabinet d’avocats de Maître Olivier LECA qui a l’amabilité de collaborer avec notre revue. Il éclaire de façon différente et complémentaire l’information que nous devons apporter à nos patientes.

Dr BOYER de LATOUR
Dr de ROCHAMBEAU

Accouchement : Qualification d’acte de soins et appréciation du risque ayant entraîné le dommage

Maître O. LECA*

Si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent logiquement un acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.
Nous le savions déjà puisqu’il était jugé en début d’an- née que le non-respect du devoir d’information du professionnel de santé lors d’un accouchement causait à celui auquel l’information était due, lorsque l’un de ces risques s’est réalisé, un préjudice moral distinct des at- teintes corporelles subies résultant d’un défaut de préparation à l’éventualité que ce risque survienne.
Cass. 1re civ., 23 janvier 2019 n°18-10706
Dans cette affaire, l’ONIAM cherchait à se tenir loin de son obligation de prise en charge au titre de la solidarité national, en soutenant que le préjudice de la plaignante était survenu à l’occasion, non pas d’un acte médical mais d’un acte naturel.
Plus précisément, c’est au cours d’un accouchement, en raison d’une dystocie des épaules de l’enfant à naître, qu’un gynécologue obstétricien avait effectué des manœuvres d’urgence obstétricales.
Le nouveau-né ayant présenté une paralysie du plexus brachial droit ; la mère, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, a assigné l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) en indemnisation. L’expertise n’avait mis en évidence de faute du praticien, et l’ONIAM était donc invité à mettre à exécution son régime de réparation.
L’Office se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui contestait l’imputabilité directe et certaine du dommage aux actes médicaux réalisés et reconnaissait le caractère anormal du dommage au regard du risque pris.
La décision de la Cour de cassation est d’abord intéressante concernant l’imputabilité du dommage, à un acte de soins.
Sur ce point, elle retient que les experts avaient retenu que :
• l’enfant ne présentait pas, au cours de sa vie in- tra-utérine et au moment précis de sa naissance, d’anomalies qui auraient pu interférer sur la paralysie obstétricale et sur le déroulement de l’accouchement ;
• La dystocie des épaules est une complication à risque majeur pour l’enfant, telle la lésion du plexus brachial, et que, pour faire face à la dystocie, les manœuvres les plus fréquemment utilisées sont celles qu’a réalisées le praticien ;
• ces manœuvres, au cours desquelles une traction est exercée sur les racines du plexus et sur la tête fœtale, ont engendré la paralysie du plexus brachial, sans faute du praticien.
La Cour de cassation conclut dont que la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que les préjudices subis par l’enfant étaient directement imputables à un acte de soins, ouvrant ainsi droit à réparation par l’ONIAM.
Cass. 1ère civ. 19 juin 2019 n°18-20883
Il est de fait tout à fait normal que l’acte dit naturel de l’accouchement par voie basse retrouve sa qualification d’acte de soins, dès l’intervention d’un professionnel de soin.
Ce qui était anormal dans cette affaire, c’est bien le dommage subi par l’enfant.
Aux termes de l’article L. 1142-1 II, l’ONIAM ne doit réparer au titre de la solidarité nationale, que les dommages qui « ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution pré- visible de celui-ci et présentent un caractère de gravité ». En l’espèce, la Cour d’appel, après avoir énoncé que le risque issu des manœuvres en cause - soit la paralysie du plexus brachial - est notablement moins grave que le décès possible de l’enfant, reconnait que « si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1% et 2,5% de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité et donc que l’anormalité du dommage était caractérisée ».
Les critères d’imputabilité directe et d’anormalité du dommage étant remplis, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’ONIAM.
Ce volet de la décision peut être rapproché de la décision du Conseil d’Etat ci-dessous commentée.

La mise en œuvre de la solidarité nationale : la probabilité de 3% de risque d’AVC post-opératoire est faible et considérée comme anormale

Maître O. LECA

Le raisonnement est identique à celui de la Cour de cassation, sans toutefois que nous puissions dégager un critère seuil de la qualification d’anormalité du dommage.
Pour le Conseil d’Etat, doit être considérée comme faible, et justifie donc la mise en œuvre de la solidarité nationale, la probabilité de 3% de risque d'un accident vasculaire cérébral (AVC) lors du remplacement d'un défibrillateur chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé, comme c'était le cas de l'intéressé.
CE, 4 février 2019 n° 413247
Dans cette affaire, un patient avait subi le 28 janvier 2011 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen une intervention en vue de remplacer le défibrillateur cardiaque implantable dont il était porteur.
Il avait ensuite été victime d’un AVC avec des séquelles entraînant un déficit fonctionnel évalué à 90%. Estimant que ces dommages étaient liés aux conditions de sa prise en charge au CHU de Caen, le patient a, après rejet par celui-ci d’une demande préalable d’indemnisation, saisi le tribunal administratif en se fondant notamment sur une expertise réalisée à la demande de son assureur.
La cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif, rejeté les demandes indemnitaires dirigées contre le CHU et, estimant que les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique n'étaient pas remplies, mis hors de cause l’ONIAM.
CAA Nantes, 9 juin 2017, n° 14NT01651
Le patient et la CPAM ont formé un pourvoi en cassation.
Le Conseil d’État accède à leur demande en tranchant les faits, plus que le droit.
En retenant qu'une telle probabilité n'était pas une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique.

Absence de lien de causalité entre la prise d’antirétroviraux pendant la grossesse et les troubles du comportement de l’enfant

Maître O. LECA

Dans un arrêt du 18 mars 2019, le Conseil d’État se prononce sur l'éventualité d'un lien de causalité entre la prise d’antirétroviraux pendant la grossesse et les troubles du comportement de l’enfant.

CE 18 mars 2019 n°418458
Dans cette affaire, la mère d’un enfant atteinte du VIH et qui avait absorbé des antirétroviraux au cours de sa grossesse, a été suivie dans un Centre hospitalier.
Au cours de son développement, l’enfant de cette dernière a présenté des troubles du comportement autistiques. Après deux expertises, elle a saisi le juge administratif d’une requête tendant à la condamnation du centre hospitalier à réparer les préjudices subis par elle-même et son fils.
Les juges du fond ayant rejeté sa requête, un pourvoi en cassation a été formé.
CAA Bordeaux, 28 déc. 2017, n° 15BX03099
En vain, car le Conseil d’Etat retient que la Cour d’appel n’a commis aucune erreur de droit.
Il doit d’abord être rappelé que par une lettre du 4 juin 1999, adressée à l’ensemble des médecins en activité, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avait bien demandé que les femmes séropositives au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) soient informées du fait que l’absorption de médicaments antirétroviraux pendant la grossesse exposait l’enfant à naître à un risque accru de développer des atteintes mitochondriales provoquant des troubles neurologiques.
De plus, il était acquis que le Centre hospitalier avait bien connaissance de ce que la patiente prenait un traitement antirétroviral en raison de sa séropositivité au VIH, et celui-ci n’établissait pas lui avoir délivré une telle information. Cependant le Conseil d’Etat relevait qu’au vu des conclusions de l’expert neurologue, d’une part, que les troubles autistiques manifestés par le fils de la requérante ne permettaient pas de caractériser une maladie mitochondriale et, d’autre part, qu’il n’était pas établi scientifiquement que la prise de médicaments antirétroviraux pendant la grossesse aurait exposé l’enfant à naître à un risque accru de développer de tels troubles. Fort logiquement, aucun défaut d’information fautif, ni même lien de causalité entre l’absence d’information et la prise de médicaments antirétroviraux, avec l’existence des troubles chez l’enfant n’avait pu être caractérisé.
Le Centre hospitalier était donc dégagé de toute responsabilité.

Indemnisation du préjudice moral résultant des circonstances de l’annonce du décès d’un patient

Maître O. LECA

Le 12 mars 2019, le Conseil d'État fait franchir un nouveau cap à l’obligation d’information des professionnels de soins vis-à-vis de leur patient, et de leur famille.
Il procède en effet, à une distinction entre le préjudice moral résultant des circonstances de l’annonce par un centre hospitalier du décès d’un patient, du préjudice d'affectation découlant de son décès.
CE 12 mars 2019, n°417038
Dans cette affaire, un patient a été admis au service des urgences d’un centre hospitalier à 23h30, puis une infirmière a constaté son décès le lendemain à 7h45.
Reprochant au centre hospitalier des défaillances dans la prise en charge du patient ainsi que dans les conditions dans lesquelles son décès leur a été annoncé, son épouse et ses deux fils ont saisi le tribunal administratif de Marseille d'une requête tendant à la condamnation de l'établissement à la réparation de leurs préjudices. Par jugement du 22 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 9 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé la famille contre ce jugement. Un pourvoi est formé par cette dernière.
Le Conseil d’Etat prend une décision favorable à la famille.
Le retard par le centre hospitalier dans l’annonce du décès d’un patient à sa famille cause nécessairement un préjudice à cette dernière.
Il s’agit d’une souffrance morale distincte du préjudice d’affection éprouvée par l’épouse du défunt ainsi que ses deux fils, du fait du manque d’empathie de l’établissement et du caractère fautif de cette annonce.
Le préjudice moral résultant des circonstances de l’an- nonce du décès doit donc être indemnisé.

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°117

Publié le 1652483857000