Actualités : Dr Antoine LEMAIRE, médecin de la douleur à valenciennes

Publié le 04 juin 2025 à 15:29
Article paru dans la revue « AIGM / Gynéco Med » / AIGM N°4

La prise en charge de la douleur est un enjeu majeur pour le bien-être de nos patientes. Trop souvent sous-estimée ou banalisée, elle est pourtant omniprésente à plusieurs niveaux en gynécologie.

Dr Antoine LEMAIRE
Chef du pôle de cancérologie et spécialités médicales
Centre Hospitalier de Valenciennes (CHV)

Pour nous en parler, nous recevons le Dr Antoine LEMAIRE, spécialisé en médecine de la douleur et palliative, chef du pôle de cancérologie et spécialités médicales du Centre Hospitalier de Valenciennes (CHV). Il a participé au développement d'une consultation douleur entièrement centrée sur la gynécologie, installée au sein même du service de chirurgie gynécologique et de gynécologie médicale de l'hôpital. En facilitant les échanges multidisciplinaires, cet écosystème participe non seulement à sensibiliser aux mécanismes et étiologies de la douleur, mais également à organiser un meilleur parcours pour les patientes.

Par ailleurs, précurseur dans le développement de la photobiomodulation, technique employée en cancérologie dans des centres experts, il nous fera part de ses intérêts en gynécologie.

Quel a été votre parcours professionnel de l'internat à aujourd'hui ?

Dr Antoine LEMAIRE.- Médecin généraliste de formation, je me suis surspécialisé en médecine de la douleur par le biais d'un DESC Médecine de la douleur et médecine palliative.

En parallèle de cela, j'ai également un DU soins palliatifs, un DU maladies chroniques graves, à la fois de l'adulte et de l'enfant et avec un versant éthique, un DU hypertension artérielle et un DU de journalisme médical.

Quelles pathologies gynécologiques êtes-vous amené à rencontrer en consultation douleur ?

Dr A. L.- Le champ est vaste ! Pour catégoriser, il y a les douleurs d'ordre carcinologique et les autres douleurs.

En cancérologie, que ce soit sur le versant sénologique ou pelvien, les patientes peuvent avoir reçu de la chirurgie, de l'hormonothérapie, de la radiothérapie, des chimiothérapies… toutes potentiellement pourvoyeuses de douleurs locales (ex. syndrome myofascial, cystite radique).

Ces symptômes sont très souvent associés à d'autres entités comme les douleurs musculo-squelettiques liées à l'hormonothérapie, les neuropathies chimio-induites ou encore le chemo-brain (troubles de la mémoire et de la concentration post-chiomiothérapie). On ne se limite donc pas uniquement au traitement de la douleur gynécologique locale.

Hors cancérologie, on est surtout confrontés à des tableaux d'endométriose et à des pathologies vulvovaginales (vulvodynie, vaginisme, dyspareunie…).

Enfin, on rencontre parfois des diagnostics différentiels, des douleurs projetées entre autres.

En dehors des antalgiques de palier I ou II et des anti-inflammatoires, la prescription de médicaments anti-douleur en consultation de gynécologie reste limitée. À quel moment faudrait-il savoir rediriger vers un spécialiste de la douleur ?

Dr A. L.- Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que les médicaments ne représentent qu'une partie de la stratégie antalgique. Plus la médecine progresse, moins leur place est importante, face à des douleurs qui sont souvent multifactorielles : par exemple, les syndromes myofasciaux se prennent en charge par de la rééducation, les douleurs neuropathiques par des médicaments anti-neuropathiques ou bien par des techniques particulières type TENS (neurostimulation électrique transcutanée)…

Quant au paracétamol, les anti-inflammatoires ou encore les opioïdes faibles, ils sont utiles pour la gestion des crises douloureuses mais moins pour les douleurs chroniques.

En pratique, dès l'instant où vous vous retrouvez dans l'impasse avec les stratégies de première intention, que ce soit sur le plan diagnostique ou thérapeutique, il faut passer la main : soit à des gynécologues formés à la douleur, soit à des médecins de la douleur formés à la gynécologie.

En recevant vos patientes, avez-vous le sentiment que certaines douleurs sont négligées ou banalisées ?

Dr A. L.- Oui, c'est encore une constante en 2025 ! Je vois tout de même une amélioration dans les pratiques, surtout dans des écosystèmes comme celui de Valenciennes où une consultation douleur a été implantée au sein du service de gynécologie.

Il n'est pas rare que l'on soit surpris par des errances diagnostiques ou thérapeutiques : en redécryptant certaines trajectoires, on se dit que si un spécialiste de la douleur était intervenu à tel moment avec telle technique, on n'en serait probablement pas là aujourd'hui. Ce qui est étonnant, c'est qu'après avoir essayé traitement sur traitement, certaines patientes se voient dire qu'elles n'ont rien puisque tous leurs examens sont normaux, et que tout est dans leur tête. Alors qu'en fin de compte, elles présentent un tableau authentique, nosologique, qui est passé à la trappe.

Donc il faut être vigilant, mais c'est pour moi tout l'intérêt des gynécologues formés ou du moins sensibilisés, à la douleur : vous êtes au premier plan pour faire le chef d'orchestre à ce niveau et orienter si besoin les patientes vers une consultation plus spécialisée, le plus tôt possible dans leur parcours.

Parlons photobiomodulation maintenant. En quelques mots, comment fonctionne cette technique ?

Dr A. L.- On utilise de la lumière rouge et de la lumière infra-rouge, qui seront absorbées par les chromophores de nos mitochondries. L'activité des mitochondries peut être moins bonne dans certains climats, inflammatoires par exemple. L'énergie lumineuse intervient en optimisant leur fonctionnement, en leur permettant de restaurer un cycle de Krebs normal avec production d'ATP en quantité suffisante pour la cellule. In fine, cela permet de lutter contre le stress oxydatif, contre les mécanismes de l'inflammation à l'origine des douleurs, ou encore de favoriser la cicatrisation, notamment des fibres nerveuses.

C'est une technique simple, sans effets secondaires, mais qui doit être utilisée correctement et avec des protocoles ultra précis, un peu comme le font les radiothérapeutes, avec des notions de dosimétrie.

Dans quelles indications cette technique a-t-elle été validée et comment l'utilisez-vous en gynécologie à Valenciennes ?

Dr A. L.- Les recommandations internationales concernent surtout des indications liées à la cancérologie, et ce depuis des années, comme la mucite, la radiodermite (en prévention et en traitement) ou la neuropathie chimio-induite. Elle est aussi utile dans d'autres champs de la cancérologie sur lesquels je ne vais pas m'attarder.

On a eu l'idée de la déployer en gynécologie en se faisant la remarque qu'une muqueuse, que ce soit la muqueuse orale ou la muqueuse vaginale, reste une muqueuse, avec énormément de similitudes entre les deux.

Dans les centres experts comme le nôtre, c'est finalement devenu un traitement assez pertinent dans beaucoup de tableaux douloureux ou nécessitant une cicatrisation. Par exemple, des douleurs intravaginales sur un processus cicatriciel avec muqueuse inflammatoire ; l'endométriose et les douleurs nociceptives viscérales ; certaines neuropathies, etc.

Quelles sont les perspectives d'avenir de cette technique ?

Dr A. L.- Les perspectives sont énormes car par de simples LED ou des lasers de basse intensité, on peut se passer de médicaments et ainsi de leurs effets secondaires. Les équipements nécessaires ont un certain coût mais une durée de vie extrêmement importante, ce qui fait qu'en implémentant tôt cette technique dans nos stratégies thérapeutiques, on pourra soigner des patients à moindre coût.

En outre, c'est une technique qui permet d'apaiser des symptômes que les médicaments ou les techniques interventionnelles classiques ne peuvent soigner. L'exemple de la mucite : aujourd'hui, on n'a toujours pas de consensus sur les soins de bouche à faire, alors qu'avec la photobiomodulation, on guérit nos patients. Idem pour la radiodermite, idem pour les fibroses dermiques.

L'avenir est donc très prometteur. C'est une technique qui a beaucoup été développée par la médecine aérospatiale, notamment la NASA, et maintenant, c'est la médecine du sport qui s'en saisit complètement (en traitement des contusions cérébrales, dans la préparation et la récupération musculaire…). Aujourd'hui, on est à la croisée des chemins où, paradoxalement, la photobiomodulation s'expand dans la sphère domestique mais avec des équipements que l'on peut acheter sur Amazon et qui ne sont pas validés, voire qui sont dangereux. Il y a énormément de potentialités, et c'est désormais à la médecine de s'en emparer : c'est en train de se produire en cancérologie, et il faut continuer à le faire de façon très rigoureuse, scientifique, et que cela soit adossé à de la recherche clinique.

Pour finir, de manière générale, si vous aviez un message à faire passer aux gynécologues, quel serait-il ?

Dr A. L.- Ne vous limitez pas à des analyses qui soient ultra-thérapeutiques et ne tombez pas dans la routine : ayez une vision assez large, sur la médecine de la douleur ou sur d'autres champs, même si vous soignez des pathologies précises. Sachez vous remettre en question, n'hésitez pas à faire appel à d'autres collègues, à vous ouvrir sur d'autres voies et façons de faire si vous êtes devant des tableaux que vous ne comprenez pas. Et gardez une curiosité scientifique, notamment en lisant de la littérature, car la médecine évolue vite.

La santé des femmes est une priorité en termes de santé publique, et la gynécologie médicale est une spécialité à part entière qu'il faut à tout prix maintenir et développer. Son champ d'action est vaste et passionnant. C'est un beau métier pour lequel il faut être motivé, trouver du sens et en faire ce qu'on a envie d'en faire.

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