Nous vous proposons de développer le sujet des douleurs et en particulier des douleurs chroniques à travers ce dossier dédié. Les douleurs chroniques touchent de nombreuses personnes et ont des conséquences majeures au quotidien. Or, cette thématique est trop peu évoquée.
Déjà qu'est-ce qu'on appelle douleur(s) ?
La douleur est définie comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle.
On estime qu'un quart de la population mondiale souffre de douleurs.
Les femmes sont statistiquement plus touchées que les hommes avec 37 % de femmes douloureuses contre 28 % pour les hommes.
Une explication de ce phénomène se situe dans le fait que le système hormonal féminin est dominé par les œstrogènes et la progestérone qui défendent moins bien face à la douleur que la testostérone qui domine le système hormonal masculin.
Quelle est la différence entre une douleur aiguë et une douleur chronique ?
Une douleur est dite aiguë si elle dure moins de 3 mois alors qu'elle sera considérée comme chronique au-delà de 3 mois.
Les mécanismes et conséquences de ces deux types de douleur sont fondamentalement différents.
La douleur aiguë est un signal d'alerte, signe qu'une autre pathologie est sans doute en train de s'exprimer. Il convient donc de chercher et traiter la cause pour enrayer la douleur.
Les douleurs chroniques sont des douleurs perdurant malgré le traitement de la cause sous-jacente ou bien lorsque la cause sous-jacente ne peut pas être traitée.
Il y a alors un dérèglement du circuit de la douleur avec des alternances entre des phases dites de pallier (où la douleur est en "fond continu") et des phases d'acutisation où la douleur est beaucoup plus forte sur une période généralement plus courte.
L'une comme l'autre de ces 2 phases ont des conséquences majeures sur le quotidien et à long terme entraînent un handicap.
Qu'est-ce que ça représente au quotidien de vivre avec des douleurs chroniques ?
D'un point de vue familial ou social, la douleur contraint régulièrement à renoncer à des événements positifs de vie, aussi bien les vacances, partager des sorties ou moments entre amies ou en famille. Ce renoncement à des événements est malheureusement imprévisible et rend l'organisation difficile, on ne peut pas "prévoir" une crise douloureuse à tel ou tel moment. Cela conduit à l'isolement et parfois à l'incompréhension des proches vis-à-vis de la condition de la personne malade. Cet isolement peut aussi être renforcé par une forme d'auto-protection envers les remarques ou rejet des proches qui conduit la personne malade à s'isoler d'elle même préventivement pour éviter les remarques.
D'un point de vue professionnel, il est parfois nécessaire de renoncer à son ancien métier, se reconvertir voire d'être en arrêt maladie prolongé ou en invalidité et de ne pas ou peu pouvoir exercer un quelconque métier ou des études.
En conséquence directe de cet aspect professionnel, les difficultés sont aussi d'un point de vue financier avec une perte du revenu et de très faibles aides au handicap ou pension d'invalidité
Il est en effet nécessaire de devoir choisir entre les aides qui ne peuvent se cumuler qu'à hauteur de 900 euros maximum et ne les dépasseront donc que très rarement et les dépenses financières pour le suivi médical avec parfois des dépassements d'honoraires ou des soins non remboursés (traitements médicamenteux, séances de suivi psychologiques, matériel médical).
D'un point de vue psychologique, les douleurs peuvent entraîner des troubles anxieux ou des troubles dépressifs. Ceci a un effet vicieux majeur car la dépression ou l'anxiété vont également augmenter le niveau de douleurs.
Quelles sont les difficultés dans la prise en charge de la douleur ?
Biais d'évaluation de la douleur
L'évaluation de la douleur est sujette à de nombreux biais
Pour commencer, il existe de nombreuses échelles d'évaluation de la douleur. Certaines sont une "notation" de la douleur par les patientes de façon visuelle ou orale. On a également des évaluations selon des signes physiques (position, grimaces, etc.). Certaines cherchent enfin à caractériser le type de douleur (brûlure, déchirure, arrachement, etc.).
La première source de biais est une minimisation du côté des patientes : il est en effet bien difficile de se représenter ce qu'est une douleur "insupportable" si on ne l'a jamais expérimenté, chaque référentiel est individuel, nous n'avons pas tous les mêmes douleurs "maximales" ressenties. De plus, la peur du jugement pousse souvent à ne pas noter la note telle qu'on la ressent réellement par peur de la stigmatisation et d'être jugé "fragile" ou "douillette".
La deuxième source de biais peut survenir côté soignantes qui ont tendance à diminuer l'intensité déclarée par les patientes si ceux-ci n'ont pas l'air de "souffrir assez". Il n'est pas rare qu'une patiente quantifie sa douleur à 10 et que celle ci soit rabaissée "il n'a pas une tête à avoir une douleur à 10 c'est un 6 ou 7".
Ceci est encore aggravé pour certaines patientes qui sont cataloguées du fait du biais raciste que constitue le "syndrome méditerranéen" selon lequel les patientes provenant du bassin méditerranéen auraient tendance à en rajouter (ce qui bien entendu est entièrement faux).
Possibilités limitées en termes d'antalgie
Les antalgiques sont en nombre limité. De nombreuses "marques" existent et de nombreuses associations mais ce sont souvent les mêmes molécules de départ à savoir le paracétamol, les anti-inflammatoires, le nefopam, le tramadol, la codéine et les dérivés morphiniques
De nombreux-ses patientes présentent des intolérances au tramadol, à la codéine voire aux deux.
Les morphiniques et leurs dérivés ont aussi leurs profils de tolérance assez limités.
Les anti-inflammatoires ne sont pas adaptés à tous tes et il existe des contre-indications (notamment digestives ou rénales pour les plus connues).
On se retrouve donc rapidement avec peu d'alternatives au paracétamol qui convient le plus souvent seulement pour les douleurs légères à modérées.
Il existe enfin des antalgiques atypiques comme les anti-neuropathiques (qui sont utilisés dans les maladies touchant les nerfs) ou encore les patchs de lidocaïne ou les dérivés du piment mais ceux-ci sont de prescription hospitalière voire de Centre d'Evaluation et de Traitement de la Douleur (ou CETD) donc difficile d'accès.
Des techniques non médicamenteuses existent également comme la rééducation, les stimulations électriques, les techniques manuelles eux aussi souvent gérées par les CETD.
Les CETD sont, quant à eux, trop rares, ce qui rend les délais pour y consulter extrêmement longs.
Les patientes présentant des douleurs chroniques se retrouvent donc rapidement devant une impasse thérapeutique.
Insuffisance de formation des soignantes et fausses croyances
L'enseignement de la gestion, l'évaluation et le traitement de la douleur auprès des soignantes est au mieux lapidaire, au pire inexistant.
Les solutions apportées par les soignantes sont donc parfois inappropriées par méconnaissance de tous les champs des possibles.
Les douleurs sont malheureusement souvent trop peu prises en compte par certaines soignantes. Quant aux conséquences au quotidien des douleurs, elles sont encore plus méconnues des soignantes.
Il existe également une stigmatisation des patientes qui vivent avec des douleurs chroniques. Ces patientes sont souvent moins écoutées, ou accusées de "simuler" ou d'aggraver leurs douleurs. Ces phénomènes sont d'autant plus importants pour les femmes.
Ces patientes peuvent aussi être victimes de stigmatisation du fait de leur consommation de médicaments. Iels sont vues comme des "junkies" ou des "accros" aux médicaments. Les soignantes et les institutions sanitaires cherchent à en faire des prescriptions les plus courtes possibles afin de limiter au maximum le risque de mésusage ou d'addiction ce qui rend le quotidien des patientes douloureux-ses chroniques encore plus lourd en termes de charge administrative.
Nos propositions pour faire changer les choses
Améliorer la formation des soignantes concernant les différentes thérapeutiques aussi bien médicamenteuses que non médicamenteuses mais également sur les ressources disponibles et les moyens de les mettre en œuvre.
- Sensibiliser les soignantes sur les fausses idées reçues concernant la douleur (risque addictif, syndrome méditerranéen, comportements toxicophobes, etc.) et mettre la prise en charge de la douleur bien plus au centre des prises en charge. Avoir mal représente un problème en soi et doit être traité avec les médicaments nécessaires sans minimisation de celle-ci et ou de ses impacts.
- Augmenter de manière conséquente les projets et budgets de recherche dans le domaine de la douleur afin d'apporter des innovations thérapeutiques aux patientes présentant des douleurs chroniques.
- Œuvrer pour la création de plus de CETD, lutter contre l'idée que ces centres ne sont "pas rentables" et sensibiliser les soignantes, administratives et gouvernants à l'aspect primordial de la prise en charge de la douleur.
- Dans ces centres, importance de la prise en charge globale et des conséquences de ces douleurs : ne pas négliger les antalgiques classiques, mais aussi proposer de manière plus générale les techniques comme la rTMS ou la tDCS. Avoir plus de moyens pour recruter des psychologues/psychiatres spécialisées en douleur
- Augmenter le nombre de postes de médecins de la douleur, par conséquent augmentation du nombre de places en DU/FST douleurs.
- Créer des urgences douleurs sur le modèle de celles existant pour les céphalées.
- Limiter les obstacles à l'obtention des antalgiques notamment de palier II et III, via une meilleure formation des pharmacien-nes, et via l'allongement des ordonnances pour les patient-es avec traitement au long cours.
- Élargir la prescription de TENS à d'autres médecins (spécialistes ou généralistes) que les médecins de la douleur.
Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°34