Différentes carrières et expériences professionnelles du chirurgien dentiste

Publié le 21 Nov 2024 à 16:07
Article paru dans la revue « UNECD - Union Nationale des Etudiants en Chirurgie Dentaire » / UNECD N°9

Chirurgien-dentiste réserviste : quand expertise et engagement se rencontrent au service de la nation.

Faire partie de la réserve opérationnelle est peu connu dans le monde des chirurgiens-dentistes. Dans cet article, nous vous faisons part de l'expérience de notre doyen de faculté d'odontologie de Brest, Pr Sylvie Boisramé, réserviste du service de santé des armées depuis plus de 15 ans.

Pr Boisramé est directrice de l'Unité de Formation et de Recherche d'Odontologie de Brest, Université de Bretagne Occidentale, de la faculté d'odontologie de Brest, cheffe de pôle Organes des Sens du CHU de Brest et Professeur des Universités Praticienne Hospitalière en Chirurgie Orale.

 

Notre Doyen lors de la remise de médaille.

En quoi consiste l'exercice d'un chirurgien-dentiste réserviste ?

C'est apporter sa contribution à l'Armée Française de différentes façons : soit dans son domaine d'expertise professionnelle soit dans un autre domaine : par exemple, en tant qu'étudiant, on peut faire une réserve dans la gendarmerie et effectuer des contrôles routiers, donc pratiquer un métier sans rapport avec notre domaine d'expertise professionnelle. Ça dépend de ce que l'on souhaite.

Me concernant, j'ai décidé d'apporter ma contribution sur mon domaine d'expertise professionnelle. On sait que l'armée a besoin de chirurgiens-dentistes, on connaît l'histoire de la France et des gueules cassées, on sait l'importance de la chirurgie orale dans la prise en charge des patients polytraumatisés de guerre. Je trouvais intéressant d'apporter ma contribution à la Nation en apportant quelques jours de ma vie par an dans la réserve opérationnelle.

Combien de fois par an êtes-vous appelée pour y aller ?

En devenant réserviste, on signe un Engagement à Servir dans la Réserve (ESR) : avec un minimum de 10 jours par an à faire pour la nation, que l'on peut faire dans son domaine d'expertise ou autre.

Certaines personnes s'investissent davantage, allant jusqu'à 50 jours par an, en fonction du temps qu'elles souhaitent dédier à la réserve.

Exemple : Un de mes collègues chirurgien-dentiste généraliste en ville et réserviste depuis plus longtemps que moi, a fait plusieurs OPEX terre c'est-à-dire des opérations extérieures (Mali, Sénégal, où il était dans un cabinet dentaire pour soigner les militaires français et la population locale) en plus d'apporter sa contribution sur le territoire national.

À la différence des autres pays, l'armée française s'engage aussi à fournir des soins à la population locale, ce qui permet de rencontrer des pathologies maxillo-faciales spécifiques, comme des maladies tropicales rarement observées en France.

Est-ce que vous avez déjà été appelée en mission ? être amené à partir ?

Chaque année depuis mon engagement, je suis sollicitée pour partir. La différence entre le fait d'être chirurgien-dentiste d'active et réserviste c'est le contrat qu'on signe avec l'armée. Être personnel d'active, on ne peut pas refuser une mission, contrairement aux réservistes, qui ont cette liberté.

 

 

À l'époque, avec mes enfants en bas âge, ma carrière hospitalo-universitaire en construction et ma thèse de sciences en bactériologie en cours, je n'avais pas la possibilité de partir et je refusais donc les missions.

Initialement j'avais pour projet à la fin de ma mission de cheffe de pôle de partir en OPEX, raison pour laquelle j'ai fait ma deuxième semaine de formation spécifique à la réserve à Coëtquidan en octobre 2022 pour partir fin 2023/2024. Mais les événements en ont décidé autrement et je me suis retrouvée à postuler pour le décanat universitaire.

Vous n'avez pas encore réellement fait de mission ?

Je n'ai pas encore fait d'opération extérieure ni de terre ni de mer. Il existe également des opérations intérieures (Guyane, où l'armée française effectue des missions de surveillance, notamment face aux activités illégales des chercheurs d'or).

Il y a aussi la possibilité d'aller à bord du bâtiment Charles de Gaulle où les chirurgiens-dentistes de réserve se relaient au niveau du cabinet dentaire à bord. Je me suis toujours dit qu'avant d'être trop âgée, étant en capacité de le faire, je ferai une opération mer et une terre. C'est quelque chose que j'aimerais réellement mener à bien. Ce sont des missions qui durent environ 2 mois en moyenne.

Vous pouvez intervenir au niveau local par exemple à Brest ?

J'interviens sur Brest plusieurs fois par an au bloc opératoire de l'HIA (Hôpital d'Instruction des Armées). C'est essentiellement des avulsions de dents de sagesse, car les jeunes militaires partent en OPEX, et étant stressés, leur système immunitaire est mis à mal et le risque de faire un accident d'évolution des dents de sagesse est plus présent. On est donc plus radical lorsqu'il s'agit de jeunes militaires qui doivent partir, par rapport à leurs germes de DDS. C'est la raison pour laquelle on est amené à les avulser plus fréquemment.

Pourquoi avez-vous rejoint la réserve ?

Quand mon père était jeune, il a été pris en charge pour sa santé par la Légion Étrangère lors de son service militaire en coopération. Il a ainsi gardé ce corps d'Armes à l'honneur. Quand j'étais petite par exemple lors du 14 juillet, il fallait être absolument devant la télé pour regarder le défilé, etc.

Après, ma vie a fait que j'ai rencontré des personnes dans l'armée comme mon ex beau-père plongeur démineur dans l'Armée et aussi notre ancien doyen de l'UFR Odontologie, Dr Alain Zerilli. Réserviste et expert médico-légal, il a fait plusieurs missions militaires de reconnaissance comme à la suite du Tsunami en 2003. Cela m'a réellement intéressé et je lui ai demandé si je pouvais faire comme lui. Il m'a mis en relation avec le directeur général du HIA Clermont Tonnerre, et j'ai ainsi pu signer mon engagement en 2007. Parallèlement, j'ai mis en place une option pour les étudiants en odontologie “Odontologie et Armées” avec des cours communs avec l'option Médecine des armées et une journée spécifique pour : Odontologie et armées.

Est-ce que c'est possible d'être dans la réserve peu importe où nous sommes en France ?

Chaque faculté ne propose pas cela. Ici, nous avons des étudiants qui ont fait l'optionnel et ont souhaité s'engager dans la réserve et sont ensuite partis dans d'autres endroits de France. Ils ont été mis en lien avec des antennes à proximité. Quand on est réserviste, on peut être dans les hôpitaux des armées, mais aussi par exemple être aussi dans un centre médical d'aptitude (CMA).

Ça permet de sortir de son cabinet, de voir autre chose. On peut s'engager durant les études ou bien plus tard, en soit n'importe quand.

Comment pouvons-nous entrer dans la réserve ?

Il faut entrer en lien avec les responables de la réserve militaire. Ici à l'Université de Bretagne Occidentale, c'est assez simple car il y a des référents sécurité défense mais nous avons la proximité de l'HIA (Hôpital d'Instruction des Armées) aussi. En dehors, il faut se rapprocher d'une antenne militaire ou d'un CMA (centre médical d'aptitude) et voir comment on peut contribuer à la réserve. Ils sont à la recherche de réservistes un peu partout en France avec cette possibilité de faire autre chose que leur métier d'expertise.

 

Notre Doyen en Formation.

Qu'est-ce que ça vous a apporté dans votre quotidien, personnellement et dans votre pratique en tant que chirurgien-dentiste ?

Déjà sur le plan personnel c'est faire partie d'une famille, créer du lien avec des gens qui ont parfois des histoires de vie plus complexes. Au niveau professionnel et personnel ; cela apporte du cadre, ce que j'applique aussi pour vous, étudiants. Ça forge aussi sur l'idée qu'on est tous différents mais qu'on peut tous constituer un corps si on a la même envie de progresser en aidant les plus faibles, en créant une harmonie au sein du groupe, tout ça dans un cadre où on peut naviguer mais sans taper les bords ! Ça donne également une rigueur d'esprit, de travail, de pensée avec ce côté humaniste dont on perçoit les valeurs seulement lorsqu'on est dedans. Ces valeurs que sont la probité, l'honneur, l'appartenance à une nation, à un corps et de vouloir bien faire. Souvent on perçoit le monde militaire comme rigide et monomaniaque mais c'est beaucoup plus complexe et plus enrichissant.

Est-ce que vous avez tout le temps des formations ?

On ne peut pas partir en mission si on n'est pas à jour dans les compétences et les connaissances. C'est comme le monde civil, il faut se former toute sa vie quand on est dans les professions de santé.

Si demain je décide de partir en OPEX je serais obligée de refaire une formation avant de partir pour assurer ma propre sécurité et celle de mon groupe vis-à-vis de ce qui peut se passer. Certaines sont valables 1 ou 2 ans. Par exemple, demain, si je pars en mission je suis obligée de repasser la formation pour valider mon port d'armes.

Une anecdote dans le cadre de votre réservation ?

Ma dernière formation ! Elle a été très dure pour moi mais j'étais avec un de mes étudiants qui était dans la même expérience que moi. Nous sommes partis marcher avec besace de 20 kg, casque, réplique de fusil d'assaut dans les fourrés en conditions réelles. Nous sommes descendus sous terre par une échelle dans un boyau de 80 cm de large, dans le noir. En bas, on ne sait pas du tout ce qui se trouve sous nos pieds, on sent seulement de l'eau. On se retrouve à ramper dedans, très serrés sur plusieurs mètres. Il y avait une femme psychiatre, plus âgée derrière moi, et une autre femme devant qui a été prise de panique et impossible d'avancer. J'avais mon casque dans son postérieur et là je lui ai dit « donne-moi ta besace ! je te pousse ! Tu vas y arriver, regarde la lumière au bout du tunnel, avance ! » et elle y est arrivée. En sortant elle pleurait, était désolée et je lui ai dit « non tu devrais être contente, tu vois t'as réussi même si ça n'a pas été facile tu l'as fait bravo ».

Ça resserre les liens, c'est vrai que quand on était sous terre j'étais au bout de ma vie ! et je me suis dit « oh non ce n'est pas le moment de rester coincés », en plus on respirait très mal dedans. On se rend compte que quand on pense ne plus en pouvoir, on en a toujours sous le coude ! C'est le mental qui nous fait avancer, c'est pareil dans les études. On peut toujours un peu plus, c'est le mental qui nous drive.

Que diriez-vous à un étudiant pour l'inciter à s'engager dans la réserve ?

On apporte sa contribution que ce soit dans la marine nationale, l'armée de terre, de l'air, le service de santé des armées. C'est un corps, c'est un petit engagement pour un grand bonheur. On peut aussi arrêter si besoin : je suis engagée depuis 2007, mais il y a un moment durant lequel je me suis arrêtée, j'avais ma thèse, mes enfants en bas âge, et c'était compliqué de tout gérer. J'ai fait une petite parenthèse et j'ai repris après. Aujourd'hui je suis hyper fière et j'essaie d'apporter ma contribution au niveau universitaire en mettant à jour et en poursuivant cet optionnel d'Odontologie des Armées grâce à mes frères et sœurs d'armes d'active et de réserve.

Les expériences de vie sont enrichissantes mentalement et humainement, on rencontre de belles personnes avec des vies et des anecdotes différentes. On gagne en maturité, on a l'opportunité de faire énormément de choses. 

L'armée paraît très rigide car il y a un cadre mais c'est aussi très humain, c'est ma deuxième famille. Je sais que si demain j'ai un souci, j'irai vers eux car ils me connaissent. Des liens forts se créent dans les formations militaires car même si c'est dur, marcher en étant équipé avec une besace de 20kg, la nuit, pendant des heures, il y a la notion de corps qui se crée. Les plus forts aident les plus faibles, car c'est la question d'unité dans le groupe ce qui est vraiment important.

Dans les OPEX, votre rôle se limite uniquement à celui du chirurgien-dentiste ou bien à un spectre plus large, en tant que professionnel de santé ?  

Plus en tant que professionnel de santé. On peut intervenir lors de différents types de catastrophes, naturelles ou non comme lors du tsunami de 2003 ou lors du crash du concorde près de Paris.

En tant que chirurgien-dentiste, on ne va pas forcément faire de l'omnipratique. On peut faire du tri de patient, aider à la logistique. Notre ancien doyen avait été appelé lors du tsunami et faisait le tri des dossiers médicaux et dentaires qu'il récupérait des États-Unis, d'Allemagne, de France en comparant les dossiers ante mortem et en faisant l'examen buccodentaire des corps sans vie retrouvés. Au soleil et à la chaleur, ou après toute catastrophe, souvent ce qui restent ce sont les dents. Grâce à la formule dentaire on sait si la dent est par exemple tombée juste après la mort ou si elle a été enlevée il y a longtemps. Il comparait alors ce qu'il voyait en bouche et le dossier et c'est comme ça qu'ils identifient les corps.

Dans certaines situations particulières en OPEX, le chirurgien-dentiste peut être souvent amené à assister le chirurgien orthopédiste pour poser des plaques/visses car en tant que chirurgien dentiste, il est habitué à utiliser des instruments, etc. PS : La nourriture française est très bonne ! parfois il y a des échanges avec les autres armées.

Interview du Professeur Sylvie BOISRAMÉ
par Léonie JACQ et Suzanne LAPLANTE
Étudiantes en 4ème année à la faculté d'odontologie de Brest

Publié le 1732201622000