Dexmedetomidine - Une solution à la confusion en post-operatoire ?

Publié le 18 Nov 2024 à 15:16
Article paru dans la revue « AJG / La Gazette du jeune gériatre » / AJG N°37

Dexmedetomidine on Postoperative Delirium and Intraoperative Hemodynamic Outcomes in Elderly Hip Surgery; A Randomized Controlled Trial Dexmedetomidine for Postoperative Delirium (1).

De plus en plus de sujets âgés deviennent éligibles à des prises en charge chirurgicales qu'elles soient en urgence ou programmées. En orthopédie, le cas le plus fréquent est celui de la fracture de hanche touchant des patients “gériatriques_» encore plus âgés, comorbides et polymédiqués.

Ces éléments entraînent ainsi une proportion de plus en plus importante de patients présentant un syndrome confusionnel dans les suites opératoires. Cette confusion, pluri-factorielle, est responsable d'une morbidité majeure (durée d'hospitalisation prolongée, récupération altérée, déclinneuro neurocognitif…) et d'une hausse de la mortalité. Ainsi, prévenir au maximum la survenue de ce “delirium_» devient un enjeu capital à inclure dans nos pratiques gériatriques.

La dexmedetomidine (DEX) est un agoniste sélectif du récepteur alpha 2 et présente des propriétés d'anxiolyse, de sédation, d'antalgie et des capacités neuro-protectrices. Depuis quelques années, il a été démontré par plusieurs études l'impact bénéfique de son utilisation sur la prévention de la confusion post-opératoire (POD). Cependant, son utilisation doit rester prudente, du fait d'une instabilité hémodynamique réactionnelle (hypotension, bradycardie).

L'objectif principal de cette étude est donc d'étudier l'impact d'une dose minimale de DEX dans les suites d'une chirurgie de hanche et évaluer si cette faible posologie, inférieure aux doses habituellement prescrites, permet de limiter la POD chez ces sujets âgés.

Méthodes

Il s'agit d'un essai en bras parallèle monocentrique randomisé contrôlé en double aveugle : groupe intervention recevant la DEX et groupe contrôle recevant une solution saline placebo (NSS). La période d'inclusion s'est étendue d'octobre 2022 à juin 2023, au sein d'un centre de référence en Thaïlande.

Les patients inclus étaient des patients âgés d'au moins 65 ans, dans l'attente d'une chirurgie de hanche sous anesthésie rachidienne.

Étaient exclus tous patients ayant déjà reçu la molécule dans le passé, présentant une pathologie neuro-cognitive connue, un accident vasculaire cérébral (AVC) antérieur, une maladie de Parkinson ou une épilepsie sous-jacente, une pathologie neuro-psychiatrique ou des troubles du rythme cardiaque (conduction, maladie de l'oreillette).

De même, les patients pour lesquels une anesthésie générale avait été nécessaire, ou présentant une défaillance hémodynamique, rénale ou hépatique sévère ont été exclus.

Les données recueillies au cours de cette étude étaient :

• En pré-opératoire_: Données démographiques, diagnostic et indication opératoire retenue, comorbidités, traitements habituels, paramètres biologiques, état neurocognitif (Mini-Mental State Examination -MMSE- et Confusion Assessment Method -CAM-).

• En péri-opératoire_ : Durée opératoire, spoliation sanguine, transfusion, infiltration.

• En post-opératoire_: Durée d'hospitalisation, complications post-opératoires immédiates et à distance, calcul du score de sédation et évaluation cognitive par calcul du score MMSE, en unité de réveil, à 24, 48 et 72h post-opératoire (évaluation réalisée à un instant T soit chaque matin).

Le critère de jugement principal était la survenue d'une POD selon 2 juges à partir de la CAM à 24, 48 et 72h. Les analyses ont été réalisées en intention de traiter, avec un risque alpha défini bilatéralement à 5 %.

Résultats

200 patients ont été randomisés en 1:1 entre le groupe DEX et NSS. Il n'y a eu aucun perdu de vu ni aucune interruption opératoire. L'âge moyen était de 78 ans (±8.8) pour le groupe DEX et 80.4 ans (±7.8) pour le groupe NSS, sans autre différence statistiquement significative sur les caractéristiques de base.

L'incidence de la POD était significativement diminuée dans le groupe DEX comparé au groupe NSS (RR = 0.45, 95%CI = 0.28-0.73, pinférieure à0.001), et cette différence restait significative à tous les temps d'études (en unité de réveil, à 24h, à 48h et à 72h).

Concernant le score de sédation, il n'y avait pas de différence significative entre le groupe DEX et NSS (RR = 0.67, 95%CI = 0.25-1.80, p=0.425).

Cependant, des paramètres péri-opératoires semblaient se distinguer entre ces deux groupes, avec une bradycardie péri-opératoire (FC médiane de 75.9 vs 80.8 bpm, p=0.015) et une hypotension artérielle post-opératoire immédiate (TA systolique de 115.8 vs 120.6 mmHg, p=0.29) significativement plus importantes dans le groupe DEX.

Enfin, il n'existait pas de différence significative concernant les évènements hémodynamiques nécessitant une intervention médicale étudiée (bradycardie, tachycardie, hypotension, hypertension, hypoxémie).

Conclusion

Cette étude met en évidence que la DEX, bien qu'administrée à faible posologie, pourrait réduire l'incidence de POD, et ce jusqu'à 72h dans les suites chirurgicales.

L'avis du jeune gériatre

La POD reste un enjeu majeur pour nos patients âgés, souvent source d'échec dans leur reprise d'autonomie.

Bien qu'elle soit parfois expliquée par un facteur pour lequel une intervention thérapeutique est réalisable (rétention aiguë d'urine, algie, troubles sensoriels non appareillés, infection, etc.), il n'est parfois identifié aucune cause évidente.

Cette étude semble mettre en avant une molécule qui, à dose adaptée, limiterait le risque de POD chez nos sujets âgés, mais néanmoins au sein d'une population bien ciblée (absence de comorbidité neurocognitive notamment) et pour une durée de suivi très courte (durée de séjours moyenne aux alentours de 7-10 jours, même si la majeure partie des POD arrivent en post-opératoire immédiat). Cette population, en pratique courante, reste pourtant la plus à risque de confusion post-opératoire (2). En termes de conséquences hémodynamiques, elles semblent relativement limitées selon cette étude, même si un des facteurs prédictifs désormais connus de POD est l'hypotension péri-opératoire (3).

Cette étude illustre bien que des progrès sont à venir dans la prise en charge du « delirium » post-opératoire.

 

Pour l'Association des Jeunes Gériatres
Dr Floriane BRIL
Docteur Junior de DES de Gériatrie
Hôpital Antoine Béclère

Références

1. Choovongkomol C, Sinchai S, Choovongkomol K. Effect of a Single-dose Dexmedetomidine on Postoperative Delirium and Intraoperative Hemodynamic Outcomes in Elderly Hip Surgery; A Randomized Controlled Trial Dexmedetomidine for Postoperative Delirium: Dexmedetomidine for Postoperative Delirium. Siriraj Med J. 2024;76:80–9. doi: 10.33192/ smj.v76i2.266653.

2. Daiello LA, Racine AM, Yun Gou R, et al. Postoperative Delirium and Postoperative Cognitive Dysfunction. Anesthesiology. 2019;131:477–91. doi: 10.1097/ALN.0000000000002729.

3. Maheshwari K, Ahuja S, Khanna AK, et al. Association Between Perioperative Hypotension and Delirium in Postoperative Critically Ill Patients: A Retrospective Cohort Analysis. Anesth Analg. 2020;130:636–43. doi: 10.1213/ANE.0000000000004517.

Publié le 1731939385000