Actualités : Des courbes de pressions hémodynamiques à l’échocardiographie

Publié le 24 mai 2022 à 18:14

Approche physiopathologique de l’analyse de la fonction diastolique

Contexte
Jusque dans les années 90, le cathétérisme cardiaque a longtemps été le gold-standard et le seul examen permettant une évaluation hémodynamique fiable des patients.

Par la suite, l’avènement de l’échocardiographie a permis de s’affranchir de nombreuses explorations hémodynamiques invasives (1) en particulier pour l’évaluation de la fonction systolique, diastolique et des pressions de remplissage ventriculaire gauche.

En 2019, la mesure invasive des pressions intra-cardiaques reste néanmoins nécessaire dans certaines situations :

  • Bilan pré-opératoire des valvulopathies (2).
  • Diagnostic et suivi des patients atteints d’hypertension pulmonaire.
  • Bilan et suivi des cardiopathies congénitales.

Enregistrement des différentes courbes de pressions
Bien que les cavités cardiaques droites et gauches soient de morphologies très différentes, les courbes de pression enregistrées dans les cavités homologues (oreillettes, ventricules et artères efférentes) sont comparables.
Le raisonnement est donc similaire concernant les différents accidents visibles sur les tracés à l’exception des niveaux de pressions, plus bas dans les cavités droites (Figure 1).

Courbe de pression atriale gauche

  • Onde « a » : suit l’onde P de l’ECG et correspond à la systole mécanique de l’oreillette.
  • Creux « z » : fermeture de la valve mitrale. Les courbes de pressions atriales et ventriculaires se séparent.
  • Onde « c » : d’amplitude inférieure à l’onde « a », reflet de la contraction iso-volumique (CIV) du ventricule avec refoulement de la valve mitrale vers l’oreillette.

Le sommet de l’onde « c » correspondant à l’ouverture de la valve aortique. Correspond au segment ST sur l’ECG.

  • Creux « x » : début de l’éjection ventriculaire attirant la valve mitrale vers l’apex du ventricule. Cela crée une distension atriale et donc une dépression partiellement compensée par l’arrivée sanguine depuis les veines pulmonaires. Correspond à l’onde T sur l’ECG.
  • Onde « v » : fin d’éjection ventriculaire : l’arrivée sanguine dans l’oreillette est supérieure à la distension créée par l’attraction de la valve mitrale vers le ventricule. Le sommet de l’onde « v » correspond au croisement des courbes de pressions atriales et ventriculaires avec l’ouverture de la valve mitrale (traduisant la fin de la relaxation isovolumique ou RIV). Correspond sur l’ECG à l’intervalle T-P.
  • Creux « y » : à la fin de la relaxation du ventricule pendant laquelle le remplissage est rapide suivie d’une remontée brutale traduisant la fin du remplissage rapide du ventricule.
  • La fin du diastasis ou remplissage lent est situé entre le creux « y » et l’onde « a ».

Courbe de pression ventriculaire gauche

  • Phase de contraction ou systole :
    > CIV (phase pré-éjectionnelle) : augmentation rapide de pression à cavité ventriculaire close (depuis la fermeture de la valve mitrale à l’ouverture valve aortique). Elle est approchée à l’ETT par le dP/dT (mmHg/s), facteur pronostique des patients porteurs d’une insuffisance cardiaque à FEVG altérée lorsqu’il est diminué, reflet des forces de fermetures mitrales.
    > Phase éjectionnelle divisée en 2 parties :
    - Une première partie jusqu’au pic de la courbe correspondant à la pression artérielle systolique.
    - Puis diminution brutale de la pression jusqu’à fermeture la valve Ao (ouverture à fermeture valve Ao).
  • Phase de relaxation ou diastole :
    > RIV : de la fermeture de la valve aortique à l’ouverture de la valve mitrale. Mesurée en ETT en coupe 5 cavités, doppler pulsé à la jonction mitro-aortique.
    > Remplissage ventriculaire peut être lui-même divisé en 2 parties. Une première : à partir du sommet de l’onde « v » qui correspond à l’ouverture de la valve mitrale : la pression ventriculaire décroit rapidement (d’autant plus que la relaxation est bonne) correspondant au remplissage rapide, passif. Elle ré-augmente brièvement jusqu’à un plateau contemporain de la phase de remplissage lent qui se termine avec l’onde « a », remplissage actif par l’oreillette.

Courbe de pression aortique
La fermeture de la valve aortique est suivie de l’incisure catacrote. Celle-ci correspond à l’aspiration des sigmoïdes aortiques par le ventricule gauche lors de sa relaxation.

Puis, suivi de l’onde dicrote : onde de retour venant des points de réflexion de l’arbre artériel et dont la précocité et l’amplitude dépendent de la rigidité artérielle (plus cette onde est précoce et de niveau élevé et plus la rigidité artérielle est importante).

Enfin, décroissance progressive jusqu’à l’éjection suivante, due aux propriétés élastiques de l’aorte qui restitue une partie de la pression emmagasinée pendant la systole.


Figure 1 : Courbes de pression ventriculaire gauche, aortique et atriale gauche.

Approche hémodynamique par l’échocardiographie
Toutes les notions précédentes peuvent être évaluées ou approchées par l’échocardiographie.
Évaluer la dysfonction diastolique et les pressions de remplissage ventriculaire gauche Il faut se rappeler que la fonction diastolique ventriculaire gauche est un terme générique qui rassemble plusieurs étapes (dans l’ordre) :

  • La relaxation ventriculaire gauche entraînant une 1ère phase de remplissage passif.
  • La distensibilité correspondant à la rigidité diastolique et à la phase de diastasis (où les courbes ventriculaires et atriales gauches sont superposées).
  • La systole atriale entraînant une 2nde phase de remplissage active.

Ces différents paramètres sont intriqués entre eux et l’échodoppler ne saurait les individualiser. En réalité, elle permet seulement une approche binaire des pressions ventriculaires : augmentées ou normales, évaluant le niveau de pression télédiastolique ventriculaire gauche (PTDVG). Au cathétérisme, la limite supérieure retenue est habituellement 15-16 mmHg pour la PTDVG.
Le point de PTDVG correspond au croisement entre la courbe ventriculaire et atriale gauche au moment de la fermeture de la valve mitrale.
Les troubles de la fonction diastolique ont pour conséquence l’augmentation du point de PTDVG.
Toute dysfonction systolique VG s’accompagne d’une anomalie de la relaxation mais pas forcément d’une augmentation des pressions de remplissage, cette dernière traduit une dysfonction plus avancée ou décompensée.
En échocardiographie : (en incidence apicale 4 cavités, doppler pulsé, au-dessus de l’entonnoir mitral), on utilise en 1er lieu le « profil » mitral :

  • L’onde E : sa vitesse et son temps de décélération reflètent le gradient de pression entre l’OG et le VG en début de diastole (la relaxation, remplissage passif). Influencée par la précharge, la relaxation et la contraction précédentes.
    > Une anomalie de relaxation entraîne une diminution du gradient de pression OG-VG et une diminution de l’amplitude de l’onde E.  > A l’inverse lors d’une élévation des PRVG en protodiastole, le gradient OG-VG est plus important et s’annule plus rapidement : la vitesse de l’onde E augmente avec un temps de décélération mitral court.
    > Lorsque la pression intra VG diminue lentement, le temps de décélération de l’onde E s’allonge.
  • L’onde A : sa vitesse reflète le gradient de pression OG-VG en fin de diastole (systole atriale, remplissage actif). Influencée par la compliance du VG, le niveau de pression intra VG lors de la contraction auriculaire, la charge de l’oreillette gauche et la fonction contractile de l’oreillette.
    > Lors d’une augmentation de la précharge auriculaire, on observe une augmentation de l’amplitude de l’onde A mitrale car la systole auriculaire prend une place plus importante en raison d’une mauvaise relaxation du VG et donc d’un remplissage protodiastolique retardé et/ou ralenti.
    > L’amplitude de l’onde A diminue avec l’augmentation de la post charge auriculaire, c’està- dire avec l’augmentation de la pression ventriculaire gauche en fin de remplissage. Le remplissage devient ou redevient prédominant en protodiastole (profil mitral restrictif).
    > Une onde A diminuée voire nulle peut également s’observer en cas d’oreillette atone (ex : après réduction de FA, amylose cardiaque…).

En pratique clinique, on retiendra :

  • Chez le sujet âgé (> 65 ans), l’âge entraînant physiologiquement un trouble de la relaxation, le remplissage occupe principalement la télédiastole : la vitesse de l’onde E et le ratio E/A diminuent, à l’inverse de celle de l’onde A et le temps de décélération mitral augmente.
  • A contrario, chez le sujet jeune, la majorité du remplissage ayant lieu en protodiastole, l’onde E est prédominante.

Les travaux d’Appleton (3) ont pu individualiser 3 profils mitraux. Il faut comprendre que ces 3 profils correspondent à 3 situations différentes qui pouvaient être auparavant évaluées selon l’aspect des courbes de cathétérisme cardiaque comme le montre la figure centrale.

  • Profil mitral de type 1 ou trouble de la relaxation (E/A <1, TDE >220ms) correspondant à une dysfonction diastolique modérée : flux normal chez la personne âgée (>65 ans). Un tel flux se rencontre chez des patients peu ou pas symptomatiques.
  • Profil mitral de type 2 (E/A= 1-2 et TDE 150-200ms)
    > Normal chez le jeune.
    > Ou pseudo normal chez la personne plus âgée (> 65 ans). Il correspond à des troubles de la relaxation avancés et donc une dysfonction diastolique moyenne : l’amplitude de l’onde A diminue par augmentation de la pression ventriculaire gauche en fin de remplissage (élévation de la post-charge auriculaire). Dans ce cas, il est utile de recueillir d’autres paramètres pour évaluer les PRVG : doppler tissulaire à l’anneau mitral, le volume de l’oreillette gauche et les pressions pulmonaires.
  • Profil mitral de type 3 ou restrictif (E/A>2 et/ou TDE < 150ms) : dysfonction diastolique sévère et signe une augmentation des PRVG en présence d’une dysfonction systolique du VG. Toutefois ce profil est normal chez le jeune adulte.
    Chez un même patient, à l’occasion d’une évolution de la pathologie sous-jacente, sous l’effet d’un traitement ou de modifications hémodynamiques aiguës : l’aspect du flux transmitral peut alors varier.

En pratique : Dans le cadre d’une dysfonction VG (FEVG < 45-50 %).

  • Un profil mitral restrictif, signe une élévation des PRVG.
  • Un profil trouble de la relaxation : en faveur de PRVG normale.
  • Devant un E/A entre 1 et 2 : nécessité d’utiliser d’autres paramètres pour évaluer les PRVG.

Mesures supplémentaires pour l’évaluation des pressions de remplissage et de la fonction diastolique
Le doppler tissulaire à l’anneau mitral latéral et septal (en fin d’expiration) et le rapport E/e’ : le doppler tissulaire à l’anneau mitral ne reflète pas le flux transmitral, mais justement la relaxation du ventricule gauche avec l’onde e’.
Cela permet donc d’analyser le flux transmitral en tenant compte de la relaxation réelle du ventricule gauche.
Donc l’élévation du rapport E/e’ permet d’analyser la POG car à trouble de relaxation équivalent (e’), une élévation de l’onde E et donc du rapport E/e’, traduit l’élévation de la pression dans l’oreillette gauche et donc du gradient OG-VG.

  • Onde s’ : traduit le mouvement de l’anneau vers l’apex en systole (amplitude corrélée à la FEVG).
  • Onde e’ : protodiastolique négative, associée avec la relaxation ventriculaire
  • Onde a’ : télédiastolique négative influencée par la contraction de l’oreillette et la pression télédiastolique du VG. Une augmentation de la contractilité entraîne une augmentation du pic de l’onde A’ alors que l’augmentation de la pression télédiastolique VG entraîne une diminution du pic de l’onde A’.

En pratique clinique, on retiendra : le rapport E/e’ joue un rôle central dans l’évaluation des PRVG.

  • E/e’ < 8 est associé à des PRVG normales.
  • E/e’ > 15 en cas de dysfonction systolique VG en faveur d’augmentation des PRVG.
  • E/e’ > 14 en cas de FEVG préservée en faveur d’augmentation des PRVG.
  • Zone grise entre ces valeurs (d’autres paramètres sont nécessaires).

Le flux veineux pulmonaire

  • Onde S systolique positive est produite par la relaxation de l’OG et la contraction du VG entraînant l’attraction de la VM vers l’apex. Toute augmentation de la pression de l’OG diminue l’amplitude de l’onde S.
  • Onde D diastolique positive comme l’onde E sont variables selon les variations des pressions de remplissage et de la compliance.
  • Onde A négative diastolique est influencée par la précharge auriculaire, la contractilité auriculaire et la pression télédiastolique du VG.

Les valeurs dépendent de l’âge. Les sujets normaux de moins de 40 ans ont une onde D prédominante, avec l’âge l’onde S augmente, l’onde D diminue et le rapport S/D reste supérieur à 1. La vitesse de l’onde A augmente avec l’âge mais n’excède jamais 35cm/s sinon cela traduit une augmentation des PRVG.

Un autre paramètre à partir du flux veineux pulmonaire existe, à savoir la fraction systolique de S calculée par :
ITV onde S / (ITV onde S + ITV onde D).

  • Si le rapport est < 40 %, cela traduit une élévation de la PTDVG.

En pratique clinique, on retiendra :

  • Une diminution de la compliance de l’OG et une augmentation des PRVG, diminuent la vitesse de l’onde S et augmentent la vitesse de l’onde D, inversion donc du rapport S/D.
  • En cas d’élévation des pressions de remplissage ventriculaire gauche, la vitesse et la durée de l’onde A augmentent et donc majoration de la différence Ap-Am (> 30 ms, quelle que soit la FEVG est en faveur d’une élévation des PRVG).

Le volume de l’oreillette gauche (ml/m2) est mesuré en Simpson Biplan. Il est le reflet d’une élévation prolongée des PRVG.

On retiendra qu’un volume > 34 ml/m2 est en faveur d’une augmentation des PRVG.

  • L’évaluation des pressions pulmonaires, est approchée par l’estimation de la pression artérielle pulmonaire systolique grâce à la vitesse maximale de l’insuffisance tricuspide et le diamètre de la veine cave inférieure (PAPs = 4xVmaxIT 2 + POD). Cette formule, dérivée de l’équation de Bernoulli, n’est valable qu’en l’absence de sténose pulmonaire ou d’insuffisance tricuspide laminaire.

Il existe une corrélation significative entre la pression artérielle pulmonaire systolique et les PRVG en l’absence de pathologie pulmonaire.

On retiendra qu’une VmaxIT > 2,8m/s est en faveur d’une augmentation des PRVG.

Consensus américains et européens
En 2016, les sociétés européennes et américaines d’échocardiographie ont synthétisé l’évaluation des pressions de remplissage ventriculaire gauche et de la fonction diastolique dans les schémas suivants.
L’évaluation de la fonction diastolique doit faire partie intégrante d’une échographie cardiaque de base tout comme l’évaluation des pressions de remplissage qu’il faut savoir dissocier (4).

Figure de synthèse

Références bibliographiques

  1. Green P et al. Echocardiographic assessment of pressure volume relations in heart failure and valvular heart disease: using imaging to understand physiology. 2016.
  2. 2017 ESC/EACTS Guidelines for the management of valvular heart disease | European Heart Journal 2017.
  3. Appleton CP et al. Relation of transmitral flow velocity patterns to left ventricular diastolic function: New insights from a combined hemodynamic and Doppler echocardiographic study. J Am Coll Cardiol. 1988.
  4. Nagueh SF et al. Recommendations for the Evaluation of Left Ventricular Diastolic Function by Echocardiography: An Update from the American Society of Echocardiography and the European Association of Cardiovascular Imaging. J Am Soc Echocardiogr. 2016.
  5. Échocardiographie en pratique. Ariel Cohen, Laurie Dufour Soulat, Yann Ancedy, Alexandre Bedet, Marion Chauvet et al. 2017.

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°10

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