Actualités : Dépistage organisé du cancer du sein

Publié le 22 oct. 2024 à 11:03
Article paru dans la revue « UNIR / Radio Actif » / RADIOACTIF N°49

Le cancer du sein est un important problème de santé publique puisque près de 800 000 françaises vivent au quotidien avec un cancer du sein ou un antécédent de ce cancer et plus de 61 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2023 [1] dont 38 000 dans le cadre du programme national de dépistage organisé des cancers du sein [2]. Ce dernier a été mis en place en 2004 dans son organisation actuelle et fête donc ses 20 ans cette année. Cette mise au point sur cette action, ses résultats, ses avantages sans oublier de parler des inconvénients inhérents à ce type d'action nous amènera à parler des nécessaires adaptations du programme en lien avec les évolutions technologiques et les contraintes en termes de ressources humaines et financières.

Historique et Mise en Place du Dépistage Organisé (D.O.C.S)

Les travaux menés dans le monde au début des années 1970 au moyen d'essais randomisés ont montré une diminution de la mortalité de 30 % en proposant une mammographie tous les 2 ou 3 ans aux femmes asymptomatiques entre 40 et 69 ans [2]. Les premières expériences françaises ont débuté en 1985 puis se sont étendues à plus de 30 départements au milieu des années 1990. Mise en place sous l'impulsion des radiologues, l'organisation en avait été confiée à des structures de gestion (SG) départementales financées par l'Assurance Maladie et avec le soutien des conseils généraux et de partenaires associatifs tel la Ligue contre le cancer. En 2019, la régionalisation a transformé ces SG en Centres Régionaux de Coordination des Dépistages (CRCDC) qui ont gardé une structure administrative de type associatif et regroupent au sein d'une même entité plusieurs antennes départementales héritières des SG. Les CRCDC ont pour mission d'inviter les femmes entre 50 et 74 ans tous les 2 ans, à partir des fichiers de la sécurité sociale. Ils s'assurent de la réalisation de la mammographie et colligent le résultat par l'intermédiaire de la Fiche Nationale de lecture remplie par le radiologue qui interprète la mammographie, dénommé premier lecteur (L1). En cas d'anomalie confirmée, le CRCDC va suivre le dossier et récupérer les résultats de la surveillance, des biopsies et au cas échéant de la chirurgie. Les CRCDC sont également en charge de la communication vers les femmes mais aussi vers les professionnels de santé et du retour des résultats aux femmes, aux médecins traitants et aux gynécologues. Du fait de la spécificité française dans les années 1990 du suivi clinique des femmes par les gynécologues médicaux et du suivi mammographique réalisé principalement dans des structures libérales de proximité, il a été décidé de mettre en place un système de D.O. décentralisé à partir des structures existantes plutôt que dans des centres « experts », option retenue dans la quasi-totalité des autres pays développés. Ce choix conditionne le protocole de dépistage actuel qui présente des intérêts mais aussi des difficultés notamment dans l'évaluation comparative de notre système avec ceux en vigueur dans d'autres pays, notamment européens.

Le protocole français

Le protocole initial proposé en 1996 (Mammotest) prévoyait dans un souci d'efficience économique, un examen mammographique comprenant une incidence unique (Oblique externe) sans examen clinique ni communication entre le radiologue et la femme mais avec une seconde lecture (L2) des clichés.

Avec un taux de participation moyen de 33 % sur les 32 départements participants, lié à une impression de « sous qualité » comparativement à l'offre classique proposée en dépistage individuel (DI) sur prescription médicale, cette organisation devait être repensée dans le contexte Français.

Il a été proposé dès 2002 d'offrir une prise en charge identique pour toutes les femmes de la tranche d'âge (50-74 ans). Le protocole actuel comprend donc un examen clinique systématique réalisé par le radiologue interprétant l'examen et une mammographie avec 2 incidences par sein (Face et Oblique externe). Il offre la possibilité de réaliser de façon immédiate un bilan de diagnostic immédiat (BDI) en cas de découverte d'une anomalie (clichés supplémentaires, échographie mammaire, prélèvements). Pour pouvoir être premier lecteur (L1), le radiologue doit avoir effectué une formation spécifique au dépistage et s'engager à effectuer 500 mammographies par an. En 2004, le DOCS a été généralisé à l'ensemble du territoire français (DOM et TOM également) avec obligation d'une deuxième lecture centralisée au CRCDC. Ainsi, seules les mammographies interprétées par le L1 comme normales (ACR 1) ou bénignes (ACR 2) sont relues par un deuxième radiologue appelé second lecteur (L2). Cette seconde lecture concerne plus de 96 % des mammographies réalisées et permet de retrouver entre 6 et 10 % de cancers non détectés par le L1. Des critères de qualité sont définis en L2, notamment sur le taux des dépistages positifs, aussi dénommé taux de rappel (TR), acceptable (3 %) et le taux de Clichés Techniquement Insuffisant (CTI) (1 %).

Le choix des 2èmes lecteurs est basé sur le volontariat, la disponibilité, l'expérience et la formation. Une équipe restreinte de lecteurs expérimentés est recommandée avec comme seule obligation de lire 2 000 mammographies par an dont au minimum 1 500 en tant que L2, chiffre très inférieur aux recommandations européennes préconisent entre 5 et 10 000 lectures annuelles. Une formation obligatoire délivrée par l'association FORCOMED, inscrite dans le cahier des charges du Journal Officiel 6), a été mise en place dès 2002 pour les radiologues L1 puis en 2009 pour les L2.

Les avantages de notre système de DO

Les femmes de la tranche d'âge bénéficient, outre la gratuité de la mammographie (l'échographie et les éventuels prélèvements restant pris en charge de façon habituelle), d'un accès libre à tout site d'imagerie ayant été agréé, le plus souvent à proximité immédiate de son lieu de vie et en maintenant le lien avec son radiologue habituel, si elle le souhaite. Par ailleurs, l'invitation à réaliser une mammographie se fait à partir des données de l'Assurance Maladie ce qui assure une couverture complète des femmes en âge de dépistage, gage d'équité d'autant plus important dans une période de déserts médicaux et de difficulté d'accès aux soins.

Le BDI est une spécificité du programme français qui permet de diminuer de façon très importante le taux de rappel (TR) des femmes. Celui-ci correspond au nombre de femmes ré convoquées pour un examen complémentaire suite à une anomalie suspectée par le L2. En France, 1 % des femmes sont rappelées contre 6 à 7 % en moyenne dans les organisations centralisées sans BDI (quasi-totalité des dépistages organisés dans le monde).

Pour garantir une qualité optimale et constante dans le temps, dès la mise en place du dépistage, il a été mis en place un système de Contrôle Qualité (CQ) des mammographes et de la dose d'exposition aux rayons X délivrée. Ce CQ semestriel (par un organisme externe), hebdomadaire et quotidien (par le radiologue), indépendant des constructeurs, a permis initialement de remplacer les appareils les moins performants. La L2 a également comme objectif, en sus de détecter des cancers non vus par le L1, de s'assurer de la qualité des mammographies en termes de positionnement et de qualité d'image. Ces procédures ont permis d'améliorer très nettement la qualité des clichés, des procédures et des équipements, au bénéfice de l'ensemble des femmes qui nécessitent un bilan mammographique.

La mise en place de cette action de santé publique organisée et réglementée par un cahier des charges publié au Journal Officiel et mis à jour [2], donc formellement opposable, assure aux femmes mais aussi aux financeurs une assurance de qualité sur l'ensemble du territoire et de façon constante dans le temps.

Les performances du DO français

L'évaluation des résultats du DO de cette action de santé publique est effectuée annuellement par Santé Publique France (SPF) et l'Institut national du cancer (INCa) grâce au travail effectué par les CRCDC.

La participation globale en 2022-2023 est de 46,5 % soit 5,05 millions de participantes sur les 10,8 millions de femmes de la classe d'âge invitées tous les 2 ans. Si on intègre les femmes réalisant un dépistage individuel (sur ordonnance), estimé entre 10 et 15 % de la classe d'âge, le taux de couverture mammographique reste en deçà des préconisations de bonne pratique européenne qui recommande un taux de participation supérieur à 70 %. Elle diminue depuis 6 ans, ce qui est problématique, pour des raisons multiples mais très probablement en lien avec les polémiques récurrentes dont nous discuterons plus loin. Bien évidemment, ces résultats globaux ne reflètent pas l'importante hétérogénéité du taux de participation au DOCS qui varie de moins de 30 % dans certains départements (Paris) à plus de 62 % (Indre et Loire).

Par contre, les données officielles publiées en 2024 par Santé Publique France (SPF) confirment la qualité du programme [2]. En 2019-2020, 38 773 cancers ont été détectés dans le programme correspondant à un taux de 7,8 Cancers pour 1 000 Femmes (21 ‰ en cas de première mammographie et 7 ‰ en cas de dépistage subséquent) avec 14 % de lésions in situ, taux stable dans le temps. 37 % de ces cancers sont de taille inférieure à 10 mm et 80 % ne présentent pas d'envahissement ganglionnaire.

Le taux de dépistage positif avant BDI est de 7 %, taux qui tombe à 3,3 % après le bilan diagnostic. Mais le véritable taux de rappel de notre système de dépistage correspond à celui des femmes « positives » après la L2, évalué à 1 % puisque seules ces participantes  doivent revenir compléter le bilan chez le radiologue L1.

L'évaluation de l'impact du dépistage organisé sur la mortalité des cancers du sein est bien évidemment plus difficile à appréhender au vu des multiples paramètres influençant cette donnée (amélioration des traitements, du respect des critères qualité, du parcours de soin et de la surveillance). La diminution globale de mortalité est estimée à 1,3 % par an sur les 20 dernières années [4], 18 % étant attribuable à la mise en place du dépistage organisé [5] . Mais il est indispensable d'insister sur les bénéfices à plus court terme, notamment en termes de diminution des stades avancés de cancers [6] entraînant de facto une diminution du taux de mastectomie totale et de chimiothérapie [7] . Il faut également communiquer auprès des pouvoirs publics sur ces résultats et sur les économies très importantes générées par ces traitements moins onéreux (en termes financiers mais aussi de reprise du travail) qui sont à mettre en face des coûts liés à l'organisation du système de dépistage.

Les inconvénients de la mammographie : éléments de la controverse

Depuis plusieurs années, des polémiques incessantes concernant l'efficacité des programmes de dépistage organisé du cancer du sein sont rapportées dans la presse médicale mais aussi « grand public » [8, 9]. Les détracteurs du dépistage arguent de l'absence de baisse de la mortalité globale et de la stabilité des tumeurs de grande taille (stade T2 et plus), ce qui a été totalement invalidé dans les publications françaises suscitées [4, 6]. Les « anti-dépistages » insistent également sur les risque de faux négatifs engendrant des cancers d'intervalles (cancer survenant entre 2 dépistages), de faux positifs (anomalie détectée mais ne correspondant finalement pas à un cancer après surveillance ou prélèvement), de cancers radio-induit par l'exposition répétée aux Rayons X, et du surdiagnostic (cancer histologiquement prouvé mais qui n'aurait pas été détecté ou létal durant la vie de la femme) qui induit un traitement inutile (sur traitement). Ces arguments sont récurrents depuis la première méta-analyse de la Cochrane Collaboration en 2001 [8] et ont fait l'objet de nombreuses mises à jour [9] et réponses des pro-dépistages. En 2010, pour tenter de mettre fin aux polémiques, les instances britanniques ont fait analyser de façon indépendante les 8 essais randomisés repris par la Cochrane Collaboration [10].Les résultats publiés dans le Lancet Journal a conclu à une diminution de 20 % de la mortalité spécifique pour un taux de sur diagnostic estimé à 11 %, 10 ans après la fin de l'action de dépistage [14]. Ces résultats ont été corroborés par la publication de l'EUROSCREEN en 2012, qui à partir d'étude de cohortes, d'incidence-mortalité et de Cas-Témoins montrait une diminution de la mortalité de 25 à 38 % [11].

Les faux négatifs sont estimés à 15 % des cancers totaux et sont de causes multiples : « raté » du radiologue, défaut de qualité des clichés mais dans près de 60 % des cas, ces cancers détectés dans les 2 ans suivant un dépistage sont apparus entre les 2 dépistages ou étaient a posteriori visibles mais sur des signes trop subtils pour être détectés.

Les faux positifs, événements non négligeables en termes d'anxiété générée par les surveillances ou de morbidité pour les actes de biopsies réalisés, sont estimés à 20 % pour une femme réalisant son dépistage biennal pendant 20 ans. Par contre, les dernières modélisations du risque de cancers radio-induits (au demeurant de même pronostic que les autres cancers) rapportent un bénéfice par rapport au risque de 150 à 300 vies sauvées pour un décès par cancer radio-induit [12].

Il est absolument indispensable de reconnaître et de communiquer de façon claire et honnête auprès des femmes et des professionnels de santé sur ces inconvénients qui doivent être considérés comme des effets indésirables, non du système de dépistage organisé mais de la mammographie. Pour les éviter, il n'y a pas d'autre alternative que de refuser toute mammographie et de revenir à l'examen clinique ou l'autopalpation. Mais il faut accepter le fait que la tumeur sera alors détectée cliniquement à un stade plus tardif avec un impact sur la mortalité et la morbidité des traitements [6, 7].

Les évolutions potentielles du dépistage

Améliorer le test de dépistage : Tomosynthèse – Échographie – IRM

Tomosynthèse

La tomosynthèse (TMS) est un développement de la mammographie numérique qui permet au moyen d'une exposition du sein par rayons X d'obtenir, par un processus de reconstruction informatique, des coupes millimétriques du volume mammaire. Appelée par excès « mammographie 3D », cette évolution technologique semble avoir le potentiel pour remplacer le classique mammographie en raison d'une amélioration de la sensibilité de détection sans dégradation de la spécificité. L'augmentation de la dose délivrée à la femme est le principal inconvénient de cette technique si elle est associée à la mammographie 2D classique. Pour pallier ce problème d'exposition aux rayons X les constructeurs ont mis au point une image de « mammographie synthétique » souvent dénommée « 2Ds », image reproduisant le classique cliché de mammographie mais obtenue par reconstruction informatique à partir des multiples acquisitions de la tomosynthèse.

La Haute Autorité de Santé en 2023, à partir d'une revue de la littérature et d'une méta analyse [14], a recommandé l'utilisation de la TMS et de l'imagerie synthétique en remplacement de l'image 2D pour limiter la dose d'exposition. Elle préconise cependant de maintenir les clichés 2D le temps que l'ensemble des constructeurs soit en mesure de prouver l'absence d'infériorité des clichés 2Ds sur les clichés classiques. La TMS n'est donc actuellement toujours pas officiellement autorisée en dépistage organisé mais elle peut l'être lors du BDI ou lors des mammographies de suivi, ce qui engendre des incompréhensions chez les femmes. Il faut rappeler qu'en 2024, aucun pays n'a pour le moment intégré cette technique en dépistage organisé de façon généralisée.

L'utilisation de la TMS de façon systématique en DOCS pourrait remettre en cause l'organisation de la L2. En effet, certains travaux ont montré qu'une simple lecture des coupes de TMS associée à celle des 2D ou de l'image synthétique était non inférieure à celle de la L2 classique. Un article récent issu de la région Auvergne apporte des éléments intéressants au niveau Français [15]. Sur 2 périodes consécutives, les auteurs ont comparé les performances d'un protocole classique en 2D (13 048 femmes) avec celles d'une mammographie en 2D sur l'incidence de Face et en 3D+2Ds en oblique (8 639 femmes). Le taux de détection était supérieur dans le bras avec TMS (9,7 ‰ versus 6,9 ‰). Dans cette série, le taux d'échographie était significativement augmenté dans le bras TS+2Ds, de même que le nombre de femmes mis en surveillance rapprochée (ACR3) et le nombre de biopsies réalisées. Aucun cancer n'a été détecté en L2 avec la TS versus 2 cancers pour le protocole 2D pour un taux de rappel identique (0,1 %). Ces résultats, les seuls actuellement publiés dans le cadre de notre organisation, sont de fait intéressants mais le caractère monocentrique de cette étude rétrospective, réalisée dans un centre expert présentant une faible puissance statistique ne permet cependant pas de tirer des conclusions définitives.

Échographie mammaire en complément après mammographie normale

Moqué par les autres pays pour son organisation atypique, notamment la possibilité de réaliser dans le cadre du BDI, une échographie en cas d'anomalie ou de seins denses, le programme français paraît aujourd'hui plus en phase avec des données récentes de la littérature. Un travail prospectif multi site réalisé aux USA chez des femmes présentant des seins de densité élevée avec des facteurs de risques associés (32), avait montré que l'échographie augmentait le taux de détection de cancer de 3,7 ‰ avec en contrepartie une diminution de la spécificité liée à une multiplication par 2 du taux de rappel et par 3 du nombre de surveillance rapprochée et de biopsies. Le taux de détection supplémentaire engendré par l'échographie était de 4,4 ‰ avec plus de 90 % de cancers invasifs majoritairement de stade 1 [16].

Un travail publié en juillet 2024 a montré que dans les seins denses, l'échographie avait des performances supérieures à la mammographie même associée à une IA [17]. Elle permettait une augmentation du taux de détection de cancer de 2,2 ‰ (5,6 ‰ versus 3,4 %) avec comme pour les autres études une diminution de la spécificité (78 vers 95 %) engendrant biopsies et surveillance supplémentaire.

Il existe une alternative qui pourrait en partie solutionner la problématique du temps médical avec l'échographie automatisée du sein. L'acquisition des données est effectuée par un manipulateur (durée moyenne 15 mn) puis les images sont lues par le radiologue sur une station de travail (temps moyen 5 mn). Les travaux publiés sont souvent de faible qualité, mais il existe une étude observationnelle multicentrique qui a inclus 15 318 femmes aux USA [18] présentant une mammographie normale avec une densité mammaire élevée. 30 cancers ont été découverts par cette technique sur les 2 407 femmes ré convoquées après une échographie positive sur les 13 107 femmes sans anomalie détectée en mammographie. L'apport en termes de détection était donc de 1,9 % mais avec un quasi doublement du taux de rappel (28 % versus 15 % respectivement). Cette technologie ne semble donc pas encore mature notamment au vu de limites techniques (exploration du prolongement axillaire souvent aléatoire), d'autant plus qu'elle se conçoit sans doute mieux dans un système centralisé, non médicalisé que dans notre configuration actuelle.

Place de l'IRM

L'IRM est la technique la plus performante en termes de détection de cancers comme cela a été montré sur une petite partie des patientes de l'étude de BERG ou comme cela est parfaitement reconnue chez les femmes à très haut risque de cancer du sein. Pour les femmes à risque standard, l'utilisation de cette modalité ne semble pas concevable en raison notamment d'un taux de faux positif variant entre 10 et 25 %, des contraintes d'une injection de produit de contraste, de la disponibilité des appareils et du coût de ce dépistage. Cependant, la mise au point de protocole « abrégé » en IRM mammaire, durant moins de 5 mn, avec des résultats en sensibilité et spécificité globalement comparable au protocole classique pourrait révolutionner le dépistage par imagerie [19]. Par ailleurs, en cas de seins très denses (densité de l'ACR), un travail hollandais le « Dense Breast Trial » a montré l'intérêt de l'IRM en dépistage, avec une amélioration significative du taux de détection de cancer [20]. L'EUSOBI préconise donc le recours à cette technique qui n'est cependant pas utilisée même aux Pays-Bas en raison du taux de faux positif très élevé. Il faut également noter que dans l'étude sus-citée, l'échographie n'était pas utilisée !

Mieux sélectionner les patientes : Dépistage personnalisé

Dans les programmes actuels de dépistage par mammographie, entre 990 et 995 femmes sur 1 000 participantes sont dépistées de façon annuelle ou biennale sans que l'on ne découvre de cancer, mais une partie non négligeable d'entre elles subit les effets indésirables décrits précédemment. Quelle que soit la technique d'imagerie utilisée, la très grande majorité des femmes sera invitée à réaliser un examen qui au final sera normal.

Dans le cadre souhaitable d'une médecine personnalisée fondée sur le risque personnel, de multiples pistes sont actuellement à l'étude, principalement à partir d'analyses sanguines. L'analyse du risque personnel basée sur les antécédents personnels et familiaux, de biopsies antérieures, de lésions histologiques frontières voire de la densité mammaire est déjà effective dans le cadre des modèles utilisés (GAIL, TILER-CUZIK) dans le cadre des consultations onco-génétiques.

Cependant, cela ne concerne qu'une minime partie de la population éligible au dépistage du cancer du sein (5-15 %). Nous manquons cruellement d'outils simples et robustes permettant d'évaluer de façon fiable le risque personnel de la femme qui nous fait face, ce qui rend la préconisation faite par l'INCa dans ses propositions de « rénovation du dépistage » de mieux personnaliser le dépistage comme un vœu pieux.

D'autres travaux portent actuellement sur l'identification de biomarqueurs de risque de cancer du sein à partir de la génomique et notamment des polymorphismes. À ce titre, une étude Européenne, MyPEBS, coordonnée par UNICANCER vient de finaliser l'inclusion des 55000 patientes prévues. L'objectif est de proposer un suivi par imagerie adapté au niveau de risque, celui-ci étant défini à partir des critères du BSCS (antécédents familiaux, de biopsie et de l'évaluation de la densité mammaire) associés pour les femmes du bras « étude » à un test salivaire pour analyse de 305 polymorphismes de l'ADN. La stratégie de dépistage ira d'une mammographie tous les 4 ans pour les très faibles risques à la stratégie actuelle d'un suivi par IRM et mammographie annuelle pour les « très hauts risques ». 55 000 femmes de 40 à 70 ans ont été incluses depuis 2019 dans 5 pays européens dont 20 000 en France dans 30 départements. L'objectif est de démontrer la non infériorité de la stratégie de dépistage stratifiée en termes d'incidence de cancer de stade 2 et plus à 4 ans comparativement à la stratégie standard. Les résultats ne seront malheureusement disponibles qu'en 2028, au terme des 4 ans de suivi 5 [21].

Améliorer l'organisation du programme actuel

L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié en 2022, 22 recommandations pour améliorer l'efficience du programme [22].

Sur les problématiques purement administratives ont été proposées, une clarification de la gouvernance, des missions des CRCDC et une reprise des invitations au dépistage par la CNAM, seule cette dernière a été mise en place début 2024.

D'un point de vue plus radiologique, le point principal concerne la dématérialisation des examens mammographiques notamment pour la L2. Aujourd'hui 100 % des mammographies effectuées dans le cadre du D.O. sont numériques mais la seconde lecture s'effectue toujours sur des clichés imprimés, lus sur des négatoscopes classiques. Cette lecture pourrait s'effectuer de façon beaucoup plus rapide et peut être de façon moins coûteuse en dématérialisant la L2, ce qui ne pose pas de problème technique majeur, comme le prouve les expériences de divers pays européens (Luxembourg, Suisse, Italie). Malgré plusieurs expériences menées en France depuis 2016, aucune décision n'a été prise au niveau national. Le remplacement à terme des clichés 2D par la TMS augmente de façon significative le volume de données à transférer ce qui ne doit pas être sous-estimé. Cette dématérialisation s'intègre aussi dans le plan national de « MaSantéNumérique » et pourrait notamment utiliser un système préconisé de « box » interconnectées entre chaque unité de production de mammographie et les CRCDC.

Utiliser l'intelligence artificielle (IA)

Les solutions de diagnostic automatisé par l'IA s'améliorent d'années en années. Dans le cadre du DOCS, la place de l'IA peut s'envisager de façon plurielle du remplacement du radiologue en L2 voire même en L1 pour tout ou partie des examens mammographiques à une solution d'aide du radiologue pour améliorer les performances de celui-ci (radiologue « augmenté »). Cette implémentation est cependant très dépendante des modalités d'organisation de chaque pays. En France, l'obligation de l'examen clinique, du BDI et de la communication du résultat de l'examen à la patiente par le radiologue limite le recours à l'IA comme solution de lecture autonome (« standalone process » des anglosaxons). Ce scénario permet, dans les travaux publiés, de se passer de l'interprétation du radiologue pour 30 à 70 % du volume de mammographies considérées comme normale par l'IA [23].

Par contre, l'utilisation de IA pour ne proposer qu'une seule lecture aux examens labélisés comme normaux par l'IA semble plus prometteurs et surtout plus adaptée à notre organisation. Ainsi dans l'étude randomisée MASAI [24], l'IA permettait d'augmenter le TDC de 20 % sans augmenter le taux de rappel et diminuait de 44 % le nombre d'examens à relire en L2.

Une autre possibilité serait d'utiliser l'IA en remplacement d'un des 2 radiologues de la seconde lecture. Dans une étude prospective récente, Dembrower et al, ont montré une augmentation du TDC de 4 %, sans augmenter le taux de rappel, avec un gain de 50 % des lectures [25].

Enfin de nombreux travaux ont montré une amélioration de la performance du radiologue quand il était « aidé » par I'IA permettant une augmentation des taux de détection de cancers avec la plupart du temps un petit gain de temps de lecture notamment lors de l'utilisation de la tomosynthèse, technique qui génère beaucoup d'images à lire.

Une revue de la littérature récente faite le point sur les solutions actuellement testées sur des volumes importants et dans différentes organisations en insistant aussi sur des problèmes éthiques et de responsabilité qui se posent avec les systèmes sans lecture humaine [26].

Conclusion

Le dépistage organisé du cancer du sein, déployé sur l'ensemble du territoire français en 2004, fête cette année ses 20 ans d'existence. Ce programme de santé publique de prévention secondaire a démontré sa pertinence et ses performances en respectant totalement les critères Européens d'un dépistage. Malheureusement, depuis plusieurs années la participation des femmes diminue ce qui minore de fait l'efficacité du programme. Il faut donc continuer à promouvoir ce dépistage et à communiquer sur ses bénéfices et notamment sur les avantages immédiats en termes de morbidité diminuée pour les femmes et de coût pour la société. Des évolutions technologiques et organisationnelles sont indispensables et sont réclamées par les radiologues. Elles doivent être mises en place de façon rapide mais de façon contrôlée et évaluée.

Pr Luc CEUGNART
Pôle d'imagerie.
Centre Régional de lutte contre le Cancer Oscar
Lambret - LILLE.
Président de la Société Française de Sénologie et Pathologie Mammaire (SFSPM)

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Publié le 1729587810000