Dans ce numéro nous proposons une analyse de décisions judiciaires qui concernent tous les obstétriciens. Elle apporte un éclairage didactique sur la complexité judiciaire des décisions qui nous concernent. Les comprendre nous permet de mieux collaborer avec nos défenseurs au cours de nos mises en cause.
Nous remercions pour ces décisions commentées Maître Georges LACOEUILHE et Maître Hannah CHEREAU*, Avocats au Barreau de Paris.
B. de ROCHAMBEAU
De l’intransigeance croissante des juges en matière d’information
L’arrêt rendu par la 1 ère Chambre Civile de la Cour de Cassation le 25 janvier 2017 (n°RG 15-27.898) ne concerne pas des faits propres au domaine gynécologique ou obstétrique, mais sa solution de principe a vocation à s’appliquer à l’ensemble des domaines affectant la responsabilité médicale.
En l’espèce, il s’agissait d’une patiente qui, à la suite du diagnostic d’une sténose carotidienne droite, bénéficiait d’une artériographie à l’issue de laquelle il présentera la complication suivante : hémiplégie des membres inférieur et supérieur gauches.
La patiente assignait en responsabilité les praticiens concernés (chirurgien et radiologue) ainsi que l’Office National d’Indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales (l’ONIAM), aux fins d’obtenir de l’ONIAM une indemnisation de l’accident médical non fautif survenu, et des praticiens, une indemnisation en raison du défaut d’information préalable sur le risque d’hémiplégie lié à la pratique d’une artériographie.
Les praticiens ont été condamnés par les juges du fond en raison de ce défaut d’information, au titre, d’une part, d’une perte de chance d’éviter le dommage, si la patiente avait été dûment informée et avait choisi de se soustraire en conséquence à l’artériographie, et d’autre part, au titre d’un préjudice moral d’impréparation au risque survenu.
L’ONIAM était condamné à réparer la part du dommage corporel non réparée par les praticiens.
Néanmoins, les deux praticiens décidaient de former un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision de condamnation prononcée en appel, en faisant valoir que le défaut d’information ne pouvait être indemnisé sous le prisme de ces deux modalités de réparation : perte de chance (réparable sous la forme d’une fraction du préjudice corporel) et préjudice moral distinct (réparable par l’allocation d’une somme fixe, déterminée souverainement par les juges du fond).
Aux fins d’appuyer le bien-fondé de leur pourvoi, les deux praticiens avançaient en premier lieu que cette indemnisation à deux titres du défaut d’information procédait d’une violation du principe juridique fondamental de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles.
En effet, la réparation de la perte de chance liée au défaut d’information est classiquement prononcée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, tandis que la réparation du préjudice moral d’impréparation est traditionnellement justifiée sous le prisme de la responsabilité délictuelle.
En second lieu, les praticiens faisaient valoir que l’indemnité réparant la perte de chance d’éviter le dommage, provoquée par le défaut d’information, englobait déjà le préjudice d’impréparation, de sorte que la cour d’appel avait procédé à une double-indemnisation injustifiée du même dommage.
C’est sans compter la sévérité de la Cour de Cassation qui rejeta le pourvoi au motif suivant :
“Mais attendu qu’indépendamment des cas dans lesquels le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, qui, dès lors qu’il est invoqué, doit être réparé ; qu’il en résulte que la cour d’appel a retenu, à bon droit et sans méconnaître le principe de réparation intégrale, que ces préjudices distincts étaient caractérisés et pouvaient être, l’un et l’autre, indemnisés”. Ce faisant, la Cour de Cassation entérine la possibilité que le défaut d’information fasse l’objet de deux modalités de réparation différentes (perte de chance et préjudice d’impréparation) mais va même au-delà de la question posée par les praticiens…
En effet, la Cour de Cassation, en indiquant que le préjudice moral d’impréparation doit “dès qu’il est invoqué (…) être réparé” choisit, non sans danger pour les praticiens, la voie d’une réparation systématisée de ce dommage…
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/101_25_35940.html
* Maître Georges LACOEUILHE et Maître Hannah CHEREAU, Avocats au Barreau de Paris AARPI LACOEUILHE-ROUGE-LEBRUN
72 av. Victor Hugo - 75116 PARIS T. 01 47 42 01 01 Fax 01 47 42 42 00
Un dossier médical bien tenu : un impératif pour pouvoir se défendre
L’arrêt rendu par la Cour de(n°RCassationle13juillet2016 G 15-20.268) revêt deux intérêts distincts : le contrôle de l’expert judiciaire, et la nécessité d’un dossier médical bien tenu.
Les faits sont simples : le 24 mars 1989, une parturiente accouchait par voie basse d’un enfant présentant une dystocie des épaules dont il conservera d’importantes séquelles.
Devenu majeur, l’enfant assignait en référé expertise le gynécologue obstétricien ayant suivi la grossesse et procédé à l’accouchement par voie basse.
Un expert était désigné, et déposait un rapport d’expertise peu favorable au praticien.
En effet, une indication de césarienne aurait pu être posée dans le cadre du suivi de grossesse compte tenu du diabète de la patiente, de sa prise de poids durant la grossesse, et des données relatives à la hauteur utérine et au fœtus.
Il relevait encore que cette indication aurait pu être proposée en début de travail, si, du reste, un examen clinique avait bien été réalisé par le praticien à ce moment-là pour envisager une éventuelle macrosomie fœtale.
L’Expert fustigeait, légitimement, dans son rapport, le caractère lacunaire du dossier médical du praticien, qui ne relatait pas les comptes rendus de consultations de suivi de grossesse, ni au jour de l’accouchement, son examen clinique pré travail.
En lecture de ce rapport d’expertise, l’enfant (majeur) assignait par la suite le praticien aux fins d’obtenir une somme provisionnelle à valoir sur l’indemnisation de son dommage corporel.
En s’appuyant sur ce rapport d’expertise, il faisait valoir que la responsabilité du gynécologue obstétricien n’était pas sérieusement contestable au regard de fautes liées au suivi de la grossesse, mais aussi compte tenu du choix d’un accouchement par voie basse au lieu d’une césarienne, et d’un défaut d’information sur l’alternative possible d’accouchement par césarienne.
La demande de l’enfant né en 1989 était accueillie par le juge des référés, puis confirmée par la Cour d’Appel.
Le gynécologue obstétricien formait alors un pourvoi devant la Cour de Cassation, qui, dans son arrêt, décidait de casser et annuler l’arrêt rendu au motif suivant :
“Attendu que, pour accueillir la demande de provision, l'arrêt retient, en se fondant sur les constatations des experts, que Mme Y... présentait une grossesse à risque, compte tenu de son diabète, qu'il existait, au vu de la seule échographie structurée à vingt-trois semaines d'aménorrhée, des mensurations et données en faveur d'une macrosomie fœtale, qu'il n'a été noté sur le dossier de consultations, pauvre en renseignements, ni indication sur cette complication et sur la conduite à tenir lors de l'accouchement, ni aucune discussion avec la patiente sur cette macrosomie et sur les avantages et inconvénients des deux modes d'accouchement, et qu'une césarienne aurait dû être réalisée, soit en tout début de travail, soit lorsque la patiente était à dilatation complète en l'absence d'engagement ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, quelles étaient les données acquises de la science à la date de l'accouchement, alors que M. Z... faisait valoir que l'expert, gynécologue-obstétricien, s'était référé à des publications postérieures à 1989 et s'était fondé sur l'état des connaissances à la date de son rapport, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;” Ainsi, la Cour de Cassation a contredit la décision au seul motif que l’Expert désigné s’était vraisemblablement, comme le soutenait le gynécologue mis en cause, fondé sur des données de la science, non acquises au jour des faits, mais acquises au jour des opérations d’expertise.
On apprécie le contrôle qu’exerce ici le juge sur l’application des références scientifiques par l’expert.
Cette solution, heureuse au cas d’espèce, éclaire néanmoins sur l’exigence des juges quant à la tenue du dossier médical, élément aussi fondamental dans le suivi des patients que dans la prévention du risque médico-légal…
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032903206&f astReqId=17676813&fastPos=13
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°108
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