De Passage… « Pourquoi tu as choisi cette spécialité ? »

Publié le 16 May 2022 à 23:48

 Question classique de nos externes en devenir, qui s’interrogent sans cesse sur leur propre futur…

La vocation médecine est rarement innée. Chacun charrie son histoire personnelle comme un vieux baluchon, plus ou moins gros, plus ou moins bien organisé… Il y a ceux qui baignent dedans depuis la plus tendre enfance (Maman est cardio et Papa réa… je suis une rebelle, je serai dermato !), ceux qui cherchaient une profession à but lucratif (il y avait plus simple et plus rentable : ils se sont trompés), ceux qui se sont toujours dédiés à l’altruisme (le camarade de primaire qui vous léguait la moitié de son goûter), et ceux que la maladie a privé d’un être cher, un peu trop tôt – un peu trop vite, nourrissant le besoin de rendre la monnaie de sa pièce à cette fichue destinée !

J’ai choisi de faire médecine. Comme vous, j’ai choisi d’aider à la vie.
Je débute mon 4e semestre, l’échographie commence à bien rentrer dans ma petite tête, mes dernières extractions fœtales étaient plutôt satisfaisantes, ma clé USB « spéciale blouse » est remplie d’ordonnances pré-faites et certificats précieux aux urgences… mais voilà, je pars pours 6 mois au pays de la chirurgie digestive ! Terrain hostile… mais obligatoire !!

1er jour, mon corps s’adapte : j’ai l’estomac qui pèse une tonne, et la gêne permanente qu’il provoque, me rappelle douloureusement son existence.

Staff Chir du matin, il est 8h. Quelques regards curieux s’attardent sur nos minois de nouveaux. Ça parle péritonite et anastomose latéro-latérale mécanique (en théorie non compatibles, mais notre tout récent chef a osé, et c’est passé). Les images de scann défilent sur un écran géant, je plisse les yeux jusqu’à les avoir remplis de larmes, mais niet, je ne vois pas cette fichue appendicite rétro-cæcale (jusqu’au signe de la flèche bien sûr : lorsque le chirurgien montre la lésion avec la souris c’est évidemment plus simple).

Puis viens le temps des 1ères visites matinales (très matinales). 7h30. Même le chariot des classeurs infirmiers semble endormi.

Je découvre dans les 1ers lits, M. Z. jaune comme un coing, Mme R. blanche comme la craie, et Mme X. érythrosique à en faire pâlir mon éreutophobie… Une véritable palette de couleurs ce service !

Je me perds dans les régimes, les soins de stomie et irrigations, les compensations hydro-électrolytiques… Les ventres ronds de mes habituelles patientes me manquent déjà cruellement.

Mon 1er bloc, et c’est le grand saut. Combien j’adore cette atmosphère qui plane au-dessus des champs opératoires ! L’odeur du bistouri électrique, l’anatomie en temps réelle, la dérision lorsque la réalité est trop grave…

Les 1ères blagues m’arrachent des éclats de rire. Je rebondis. J’ai l’amour de la répartie. Je dois nommer les segments hépatiques sous peine d’ôter un vêtement (de mon choix, quelle chance) à chaque erreur. C’est un sans-faute. Je ne me découvrirai pas d’un fil, et ça tombe bien nous sommes fin avril !

Les gardes s’enchaînent. Rien à envier à la salle de naissance. Mon CHU, de part sa localisation géographique parisienne, est un refuge idéal pour le « je n’ai jamais vu cela ». Les urgences générales sont une illustration de La tour de Babel… Chaque avis est une expédition : Il faut être rapide (pour ne pas être capturé par les familles désespérées), efficace (M. 1 : hospit, Mme 2 : écho, M. 3 : RAD….), et parfois imaginatif (Quel est cet objet à l’ASP ? Mais comment peut-on avoir ce genre de plaie abdominale ?? Est-ce qu’il a fait ça TOUT SEUL ??)

Ces gardes sont parfois des instants privilégiés, propices au partage d’un dîner inter équipe (Là, les anesth et chir savent s’entendre), d’un apéro improvisé face au Sacré Cœur, d’une séance de bavardage sur un banc solitaire, de confidences au clair de lune.

Il y a des nuits où ma seule pause est un bout de tabac incandescent juché entre mes doigts. Des nuits où je me demande ce que je fais là. Des nuits où je m’enroule dans le vieux drap jaune de l’APHP comme s’il s’agissait d’une couette en plumes d’oie le corps tout courbaturé. Des nuits où je retrouve, M, une aide-soignante qui m’a connu bébédoc apprenant à palper les 9 quadrants abdominaux, et qui me voit à présent pousser un patient jusqu’aux blocs pour pratiquer en urgence une cure de hernie étranglée … Des nuits blanches où ce sont les scialytiques qui nous sortent de la torpeur au-dessus d’un ventre. Des nuits où l’on me réveille pour un somnifère (le comble de la bêtise). Des nuits où j’erre dans les sous-sols lugubres et étouffants de moiteur, après avoir orienté Mme C vers le palliatif et qu’elle m’ait dit « merci »….

Viennent les déclics, les 1ères petites habitudes, et les réflexes chirurgicaux. Je suis sûre que vous voyez EXACTEMENT de quoi je parle ! Nous retenons progressivement le nom des infirmières (ouf), les codes d’accès divers et variés (après une nuit à la porte de la chambre de garde à jouer les Arsène Lupin), les tics (et tocs) chirurgicaux de chacun de nos chefs, et le fonctionnement de toute chose.

Trois semaines de stage, et je suis devenue économinette (la concurrence ne courrait pas les couloirs du CHU il faut dire)… C’est toujours plaisant d’entendre demander la permission pour décrocher un DECT ou quitter la table, de tourner la roue dans un concert de couteaux frottant les assiettes parce qu’une règle a été bafouée, de taper en cadence sur la nappe la « battue » de notre Hôpital…

Arrivent rapidement la 1ère appendicectomie, cholecystectomie, résection de l’épiploon, anastomose mécanique ou tour Eiffel… les 1ère fois….

Malheureusement, le soleil a souvent son escorte de nuages : c’est aussi l’apprentissage du palliatif, du cancer chez le sujet jeune, des suites post-op’ compliquées, des interventions où ça ne va pas dans le sens souhaité, de l’impatience… C’est apprendre ses limites, accepter son impuissance.

Les histoires tristes ne sont pas si fréquentes en Obstétrique, et figurez-vous que le badge « interne » est un bouclier bien médiocre à ces attaques de détresse !

Le médecin exerce certainement la plus belle mais aussi la plus hideuse des professions. Notre malédiction à tous : rester humain en oubliant parfois son humanité, pour soigner au mieux. Nous n’avons aucun super-pouvoir, aucune arme secrète, rien de plus que celui qui se trouve face à nous dans le lit, si ce n’est quelques instruments dans nos poches, les connaissances de nos années d’études, et le goût du soin. Le soin.

La chirurgie viscérale fut un douloureux mais nécessaire rappel à mes engagements. Elle a renforcé mon obsession pour le travail d’équipe. Elle a ajouté quelques pierres (blanches) à ma construction personnelle. Elle m’aura enseignée d’autres parades à certaines situations jusqu’ici inconnues, bien différentes de mon quotidien d’obstétricien.

Chaque semestre, nous sommes nombreux à porter le costume d’interne hors-filières. Une opportunité de progression supplémentaire, car on ne peut que s’améliorer lorsque l’on repart de 0. Pour le service nous apparaissons comme des novices, mais aussi un regard extérieur, un point de vue différent… parfois enrichissant… In fine, les attaches sont les mêmes quelle que soit la spécialité, et le départ sera, toujours aussi douloureux. Ainsi soit-il, nous sommes des êtres de passage.

Florie PIROT
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°11

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