Coup d’œil en radiologie - Lésions hémorragiques hépatiques

Publié le 19 Mar 2024 à 15:26
Article paru dans la revue « AJCV / Digest’Times » / AJCV N°1


Interview du Pr Maxime RONOT

Radiologue à l’Hôpital Beaujon

Propos receuillis par Eloïse PAPET, interne au CHU de Rouen

Eloïse Papet.– : Bonjour à tous, bonjour à toutes, aujourd’hui pour notre article de radiologie nous allons nous entretenir avec le Professeur Maxime Ronot, qui exerce à l’hôpital Beaujon dans le service de radiologie et qui est spécialisé en imagerie hépato-bilio-pancréatique et en radiologie interventionnelle abdominale. Nous avons choisi comme sujet : « Que faire face à une lésion hémorragique hépatique ? ». Si vous le voulez bien, pour commencer, parlons du diagnostic. Lorsqu’un patient arrive aux urgences et qu’on lui diagnostique une lésion hépatique hémorragique, quels sont les diagnostics à évoquer ?

Pr Maxime Ronot.– : Avant tout Eloïse, je tenais à te remercier pour cette invitation. Maintenant, ta question. De manière tout à fait pratique, un patient ou une patiente se présente aux urgences pour des symptômes très variables qui vont de la douleur vague (mais, je crois que c’est important, souvent brutale) à des formes plus inquiétantes évocatrices d’hémorragie, et c’est le scanner qui nous sert à identifier des lésions hémorragiques hépatiques (j’imagine que c’est en partie la raison de ma place ici). Les causes de saignement hépatique sont nombreuses mais aujourd’hui nous parlons des lésions focales. Et je crois que pour simplifier, il faut comprendre que ce sont les lésions hépatocytaires, et pour être plus exact, les tumeurs hépatocytaires, qui sont susceptibles de saigner. Elles peuvent être bénignes (adénomes) ou malignes (carcinome hépatocellulaire). Cela reste toutefois des évènements relativement rares : on estime que 3-15 % des CHC et 10-20 % des adénomes présentent un saignement symptomatique. Attention, les hyperplasies nodulaires focales, même si elles sont hépatocytaires, ne saignent pas (ce ne sont pas véritablement des tumeurs). J’ajoute que, contrairement à ce que l’on pourrait lire parfois, les hémangiomes non plus ne saignent pas. Dans de rares cas, des lésions non hépatocytaires peuvent saigner, comme les angiomyolipomes ou les angiosarcomes, ou certaines métastases, mais ce sont des raretés. Enfin, bien sûr, les kystes hépatiques simples de grande taille sont susceptibles de saigner, surtout chez les femmes après 50 ans. Mais c’est un sujet différent.

E.P.– : Alors, comment fait-on la différence entre ces lésions ?

Pr M.R.– : Faire la différence, à la phase aiguë, est souvent difficile du fait de la présence d’hématomes intra/extra hépatiques, sous capsulaires, voire d’un hémopéritoine. Il arrive même qu’aucune lésion ne soit visible. Ce que je vais dire est très banal, mais ce qui compte surtout pour évoquer une lésions plutôt qu’une autre, c’est le contexte clinique. Caricaturalement, lorsque l’on est face à une femme jeune, sans antécédent, le diagnostic de tumeur bénigne – et donc d’adénomes – est facilement évoqué. En revanche, si c’est un homme plus âgé, disons de 50 ou 60 ans, surtout dans un contexte de trouble chronique de l’usage de l’alcool ou de maladie hépatique connue, l’hypothèse maligne est évidemment plus probable. L’imagerie ensuite, parce qu’elle aide aussi.

Nous recherchons des signes en faveur d’une hépatopathie chronique avancée comme une dysmorphie hépatique, un foie bosselé, des signes d’hypertension portale, ou de l’ascite. Enfin, parfois, il existe des signes indiscutables de malignité, comme une extension vasculaire tumorale (porte ou veineuse hépatique).

E.P.– : Quels sont alors les paramètres à évaluer d’après vous ? Et quelles sont nos options thérapeutiques ?

Pr M.R.– : Il faut d’abord bien distinguer une phase aiguë, qui est celle de l’urgence, de l’hémorragie proprement dite, et une phase plus tardive où on s’occupera de la lésion. À la phase aiguë, il existe schématiquement trois traitements possibles : médical conservateur (surveillance, transfusion si nécessaire), endovasculaire (embolisation guidée par l’image) et chirurgical. Disons que l’histoire des lésions hépatiques hémorragiques est celle de la place croissante des traitements conservateurs et endovasculaires, et de la diminution du recours à la chirurgie. En effet, on a bien montré que, la plupart du temps, la présentation clinique de ces lésions est bruyante mais les patients ne sont pas choqués et le saignement ne met pas en jeu leur pronostic vital. Je dirais même que l’objectif est de ne pas abuser du traitement endovasculaire et de privilégier l’approche conservatrice autant que possible, car le saignement et les hématomes entraînent une augmentation de la pression au sein du parenchyme hépatique et une diminution du flux porte. Une embolisation artérielle, qui prive encore un peu plus le foie d’apport sanguin, augmente donc le risque de syndrome du compartiment hépatique et d’ischémie hépatique qui peut être catastrophique. On proposera donc une embolisation surtout dans les cas où il existe un saignement actif sur le scanner, ou s’il existe des arguments pour une rupture de la capsule hépatique. J’ajoute que les carcinomes hépato-cellulaires nécessitent plus fréquemment une embolisation que les lésions bénignes. Et puis, mais là tu es plus compétente que moi, dans les cas de choc ou d’échec ou d’impossibilité de ces traitements, il reste une place importante pour la chirurgie d’hémostase.

E.P.– : Oui. J’en profite pour ajouter que si une prise en charge chirurgicale est nécessaire, il faut réaliser une packing péri-hépatique qui consiste en une laparotomie médiane écourtée avec mise en place de champs stériles en sous-hépatique afin de comprimer le parenchyme.

Pr M.R.– : Et je rajoute que parfois, une embolisation complémentaire peut même se discuter au cas par cas et en complément au décours de la chirurgie d’hémostase. Mais, tu n’as pas parlé du clampage pédiculaire. Il n’a pas sa place ?

E.P.– : Si, bien sûr, mais pas systématiquement. Il est réalisé en cas d’impossibilité d’arrêter l’hémorragie malgré le packing. J’ai une autre question. Quel examen faut-il réaliser à distance de l’épisode aigu et quand ?

Pr M.R.– : Ta question porte donc sur l’après, une fois la phase aiguë passée. Dans les cas de lésion maligne ou supposée telle, il faut orienter rapidement le patient vers un circuit oncologique (avec la prise en charge habituelle, biopsie, RCP, etc.).

Dans les cas de lésions bénignes, l’examen à privilégier est l’IRM hépatique. Il n’existe à ce jour aucune recommandation quant au délai, mais en pratique elle est réalisée entre 3 et 6 mois après l’épisode aigu. Le but de cet examen c’est de mettre en évidence un éventuel contingent tissulaire restant, et la réalisation d’un examen trop précoce pourrait empêcher la visualisation d’une lésion sousjacente du fait de l’hématome encore trop volumineux.

Messages clés

  • Les lésions hépatique hémorragiques sont surtout hépatocytaires bénignes (adénomes) et malignes (CHC).
  • À la phase aiguë c’est le contexte clinique qui oriente le diagnostic de la lésion sous-jacente.
  • Le traitement repose surtout sur une approche médicale conservatrice.
  • On propose une embolisation hémastatique en cas de saignement actif au scanner, surtout si la capsule hépatique est rompue.
  • La chirurgie d’hémostase par packing est réalisée en cas de choc ou d’échec des autres traitements.
  • Au décours de la phase aiguë, il faut réaliser une IRM pour évaluer les lésions résiduelles.
  • Celle-ci ne doit pas être trop précoce car l’hémorragie peut cacher les lésions.
  • En cas de pathologie maligne, adresser au plus vite le patient dans un circuit oncologique.

Femme de 34 ans sans antécédent présentant des douleurs abdominales aiguës. Absence de déglobulisation. Le scanner montre un hématome intra-hépatique du segment 7 (flèche A). Après injection, le scanner met ne évidence une lésion hyper-rehaussée (flèche B) sans lavage (C). La lésion correspondait à un adénome hépatocellulaire. En absence de saignement actif au scanner, d’absence de rupture capsulaire hépatique et devant la bonne tolérance clinique, le traitement a été conservateur.

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Publié le 1710858378000