
La démarche diagnostique initiale devant une masse abdominopelvienne inexpliquée est un défi car il existe une myriade de diagnostics possibles allant par ordre d'incidence du sarcome au corticosurrénalome en passant par d'autres pathologies, tant bénignes (lymphangiome, ganglioneurome, léiomyome, tumeur desmoïde, lipome, hématome, endométriose…) que malignes (tumeur germinale, plasmocytome, lymphome…), dont la prise en charge thérapeutique ultérieure sera diamétralement opposée. Sans avoir la possibilité de se reposer de façon fiable sur les antécédents ou la clinique, on peut rater une prise en charge initiale en n'ayant simplement pas pensé au bon diagnostic, ce biais de confirmation étant aggravé par le contexte actuel d'hyperspécialisation. Il faut devant une masse abdominopelvienne inexpliquée faire preuve d'humilité et avancer sans idée diagnostique préconçue, tout en prenant soins de ne jamais faire prendre de risque au patient.
Conduite à tenir devant une masse abdominopelvienne inexpliquée
Une façon simple de ne pas se tromper est de retenir que toute masse inexpliquée abdominopelvienne est potentiellement un sarcome. Ce raccourci cognitif oriente directement le patient vers un parcours de prise en charge qui garantit la qualité et l'innocuité de la conduite diagnostique, limite l'errance diagnostique et l'inconfort des équipes, et évite une perte de chance individuelle pour le patient. Après avoir exclus les pathologies accessibles à un diagnostic endoscopique, biologique (marqueurs tumoraux et de sécrétion hormonales) ou radiologique, la prise en charge des masses inexpliquées abdominopel viennes se résume en 4 points et qui sont détaillés dans le référentiel du Thésaurus National de Cancérologie Digestive (TNCD)1 :
1. Faire une imagerie initiale adaptée et l'analyser correctement.
2. Réaliser une biopsie diagnostique à l'aiguille sous contrôle radiologique soit pour une indication validée par une société savante soit après discussion en RCP spécialisée.
3. Organiser une relecture anatomopathologique systématique auprès d'un pathologiste expert si un cancer rare est suspecté. 4. Discuter la prise en charge thérapeutique en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) spécialisée.
La qualité de cette démarche dia gnostique conditionne le pronostic du patient.
Imagerie initiale adaptée
L'analyse correcte de l'imagerie initiale est essentielle. Elle n'a néanmoins aucun but diagnostique car sa spécificité ne dépasse pas 50 % à 80 % en fonction de l'expertise du radiologue et de la nature de la lésion. Hormis quelques cas rarissimes pathognomoniques, le diagnostic passera donc toujours par une biopsie. Malgré cela, l'analyse correcte de l'imagerie initiale reste capitale.
L'examen de base pour faire le bilan locorégional d'une masse abdomino-pelvienne inexpliquée est le scanner injecté (avec phases artérielle et portale). En cas de masse volumineuse, l'identification de l'organe d'origine de la masse devient très difficile mais on peut quasiment toujours arriver à définir la région anatomique (viscérale, pariétale, pelvienne, rétropéritonéale ou péritonéale) où la masse semble s'être développée. À défaut de diagnostiquer, l'analyse correcte de l'imagerie doit permettre de répondre à 3 questions essentielles :
• Quelles sont les limites anatomiques réelles de la masse ? Pour un œil non entraîné, distinguer les composantes tumorales notamment bien différenciée qui mime l'aspect de tissus sains peut être difficile. L'astuce dans cette situation est de regarder les structures controlatérales et identifier comparativement « tout ce qui n'est pas de la masse » (avec une attention particulière donnée à la graisse péri-rénale). Voir la masse et ses limites anatomiques réelles permet de garantir qu'une résection soit complète.
• Quelle est la région anatomique à partir de laquelle la masse s'est développée ? Avec un peu d'habitude, on peut facilement séparer masses viscérales, pariétales, rétropéritonéales, pelviennes et péritonéales. Définir la région anatomique de la masse permet de définir la voie d'abord de la biopsie à réaliser.
• Quelles sont les « zones critiques » ? Identifier les « zones critiques », c'est-à-dire là où la masse arrive au contact ou envahit les gros vaisseaux, les nerfs majeurs, l'os, les organes viscéraux, le diaphragme, la paroi abdominale, les trous de conjugaison, la peau…permet d'anticiper les séquelles potentielles et de planifier un geste chirurgical adapté (requérant lambeau, pontage, prothèse, stomie…). Une IRM complémentaire peut se discuter pour mieux évaluer cette extension locorégionale d'une masse pelvienne ou de paroi mais elle ne doit pas retarder la réalisation d'une biopsie diagnostique.
L'examen de base pour faire le bilan à distance d'une masse abdomino-pelvienne inexpliquée est le scanner thoracique non injecté pour compléter la recherche d'extension ganglionnaire, hépatique et péritonéale faite lors du bilan locorégional. Il est intéressant de noter que le pattern métastatique varie beaucoup en fonction du sous type histologique et que faire des examens complémentaires à l'aveugle est beaucoup moins rentable que d'organiser rapidement une biopsie diagnostique. Sur base des résultats histologiques, un PET-scanner, une IRM rachidienne, une IRM cérébrale, une IRM corps entier ou toute autre examen pourra se discuter.
Biopsie diagnostique à l'aiguille sous contrôle radiologique
Avoir une certitude diagnostique est essentielle pour planifier un traitement adéquat. Devant une masse abdominopelvienne inexpliquée, seule l'analyse histologique peut apporter le niveau de preuve suffisant pour légitimer le risque lié à un traitement quel qu'il soit (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie ou surveillance). La technique de référence pour obtenir cette preuve est aujourd'hui la biopsie coaxiale percutanée à l'aguille de large calibre réalisée sous contrôle radiologique. Elle doit être réalisée en respectant scrupuleusement plusieurs impératifs techniques :
• Respecter les indications validées. Les recommandations européennes préconisent la réalisation d'une biopsie pour toute masse inexpliquée chez l'enfant de moins de 18 ans, pour toute lésion profonde (sous-aponévrotique) chez l'adulte quelle que soit sa taille et pour toute lésion superficielle non-adipeuse (ou mixte) de plus de 3 cm ou purement adipeuse de plus de 10 cm chez l'adulte (les autres lésions superficielles pouvant relever d'une biopsie-exérèse sans effraction tumorale)2. En cas de doute, l'indication doit être discutée en RCP spécialisée.
• Obtenir un matériel qualitativement et quantitativement suffisant. Cela nécessite un prélèvement sous contrôle radiologique afin de cibler la zone la plus diagnostiquement rentable (tissulaire) avec une aiguille de large calibre (16G ou 14G) et multiple (4 fragments pour permettre une analyse en coloration standard, en immunohistochimie et en biologie moléculaire avant épuisement des blocs). Vu l'impact théranostique des recherches mutationnelles, le bénéfice d'une ponction sous écho-endoscopie (avec une aiguille de 22G ou 25G) ou d'une cytologie à l'aiguille fine ne permettant pas ces analyses peut être rapidement supplanté par les attendus potentiels d'une biopsie coaxiale percutanée de large calibre, en fonction des hypothèses diagnostiques. Avec les techniques actuelles, il n'y plus d'indication à une biopsie par voie chirurgicale d'une masse abdominopelvienne inexpliquée, hormis en cas de lésions péritonéales chez qui un bilan locorégional est requis (calcul de l'index péritonéal).
2 https://www.esmo.org/guidelines/guidelines-by-topic/sarcoma-and-gist
• Ne pas faire prendre de risque au patient. Bien que la biopsie percutanée à l'aiguille de large calibre soit moins morbide qu'une biopsie chirurgicale, elle présente néanmoins des risques spécifiques qui peuvent être réduit si on choisit une voie d'abord adaptée. Il faut éviter la morbidité immédiate associée au geste (perforation digestive, vasculaire ou urinaire) et la morbidité à long terme liée à la contamination tumorale indue d'organe adjacent ou du péritoine. Suivant la région anatomique à partir de laquelle la masse s'est développé, on privilégiera un abord direct en cas de masse pariétale, un abord transglutéal en cas de masse pelvienne, un abord dorsal en cas de masse rétropéritonéale (dans tous les cas protégés par une technique coaxiale). Dans le cas des masses viscérales où aucune voie d'abord ne peut préserver le péritoine, il faut se poser la question du bénéfice attendu c'est-à-dire savoir si le diagnostic modifierait la stratégie. Si la réponse est non, une chirurgie d'emblée peut être validée en RCP.
En cas de masses péritonéales, un abord cœlioscopique permettra à la fois de réaliser un bilan d'extension locorégional (calcul de l'index péritonéal) et des biopsies diagnostiques.
En suivant ces règles, nous avons une garantie diagnostique de 96 % à 99 % au prix d'un taux de complications sévères de 0.5 %. En cas de doute, indication et voie d'abord de la biopsie doivent être discutée en RCP spécialisée.
Relecture anatomopathologique systématique
La caractérisation et la classification des cancers rares peut être très difficile pour un anatomopathologiste non-spécialiste. Par exemple, dans le domaine des tumeurs conjonctives, la classification de référence est celle de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) actualisée en 2020 qui répertorie les tumeurs selon leur ligne de différenciation avec pour chaque type des variétés bénignes, de malignité intermédiaire et malignes, l'examen histologique de la coloration standard étant la base de la démarche diagnostique, l'étude immunohisto chimique cherchant ensuite à confirmer le diagnostic morphologique, l'analyse moléculaire aboutissant en fin à une classification diagnostique et thérapeutique (théranostique). Cette démarche doit être réalisée par un anatomopathologiste habitué à ces étapes, raison pour laquelle le réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des viscères a été créé en France pour fournir une seconde lecture gratuite devant toute suspicion de sarcome pour limiter les erreurs et permettre une correction diagnostique dans 9 % à 25 % des cas. Ce réseau a fusionné en 2019 avec le réseau clinique pour créer NETSARC+. Des réseaux de pathologistes spécialisés existent pour tous les autres cancers rares.
Discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée
Suite à la démonstration du bénéfice en survie globale après une prise en charge des patients avec un cancer rare au sein d'équipes spécialisées, l'Institut National du Cancer (INCa) a mis en place dès 2009 un plan de structuration d'offre de soins à un niveau national. Dans le domaine des sarcomes, cela a abouti à la création de NETSARC+, réseau labellisé qui via un maillage national territorial de 25 centres de compétence assure les missions suivantes : garantir aux malades une prise en charge optimale et un accès à l'innovation thérapeutique, définir les recommandations de prise en charge des patients atteints de sarcomes, structurer la filière de soins, organiser l'activité de recours, coordonner la recherche, participer à la veille épidémiologique et à la formation. NETSARC+ couvre également tout l'Outre-Mer via ses RCP en visioconférence (Pacifique Sud), ses consultations avancées et son centre de compétence ultramarin à la Réunion. À l'image de NETSARC+, EN DOCAN-COMETE est dédié à la prise en charge des cancers de la surrénale, ENDOCAN-RENATEN est dédié à la prise en charge des tumeurs malignes neuroendocrines, LYMPHOPATH est dédié à la prise en charge des lymphomes, TMRO-TMRG est dédié à la prise en charge des tumeurs malignes rares de l'ovaire et des autres tumeurs gynécologiques malignes rares, CA RARE est dédié à la prise en charge des cancers rares du rein et RENAPE est dédié à la prise en charge des tumeurs rares du péritoine. Ce recours aux réseaux de cancers rares ne doit pas être vécu comme un aveu d'incompétence ou d'échec mais bien comme l'opportunité d'offrir au patient le meilleur traitement disponible.

Conclusions
Devant une masse abdominopelvienne qui reste inexpliquée malgré une exploration endoscopique, biologique et radiologique, penser au sarcome et appliquer ce raccourci cognitif oriente directement le patient vers un parcours de prise en charge qui garantit la qualité et l'innocuité de la conduite diagnostique, qui limite l'errance diagnostique initiale et l'inconfort des équipes, et qui évite une perte de chance pour le patient.
Cette prise en charge diagnostique se résume en 4 points : faire une imagerie initiale adaptée et l'analyser correctement, réaliser une biopsie diagnostique à l'aiguille sous contrôle radiologique selon une voie d'abord adaptée, organiser une relecture anatomopathologique auprès d'un pathologiste expert, discuter la prise en charge thérapeutique en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) spécialisée.
La qualité de cette démarche diagnostique conditionne le pronostic du patient et recourir aux réseaux nationaux de cancers rares le plus précocement possible offre au patient l'opportunité de bénéficier du meilleur traitement disponible.
Références
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Pr Charles HONORÉ
MD, PhD
Chirurgie viscérale et sarcomes
Département d'Anesthésie,
Chirurgie et Imagerie interventionnelle (DACI)
Gustave Roussy Cancer Campus

