Introduction
L’échocardiographie cardiaque transthoracique (ETT) est devenue l’outil essentiel du cardiologue de garde. Elle apporte des informations pertinentes à condition de savoir à quelle question on souhaite répondre. Il faut donc interpréter l’ETT à la lumière de la situation clinique.
Sauf urgence vitale, l’installation est primordiale pour obtenir un examen interprétable. Les électrodes ECG doivent être branchées et les gains réglés de façon optimale. C’est un examen dynamique qui doit être répété en cas de dégradation clinique ou en cas d’apparition d’une nouvelle plainte fonctionnelle.
L’objectif de cet article est de donner aux jeunes cardiologues des astuces pour utiliser efficacement l’ETT dans 5 situations courantes : la cardiopathie ischémique, l’insuffisance cardiaque, les urgences valvulaires, l’épanchement péricardique et l’embolie pulmonaire.
Cardiopathie ischémique
L’ETT permet de rechercher :
- L’existence de troubles de la cinétique segmentaire (Figure 1).
- Un diagnostic différentiel.
- Des complications. Les signes évocateurs sont bruyants et souvent peu spécifiques : hypotension, bradycardie ou tachycardie, encéphalopathie de bas débit, oligurie, marbrures…
Tout infarctus « qui ne va pas bien » doit être immédiatement réévalué sur le plan clinique et échocardiographique.
Figure 1 : Correspondance entre les segments ventriculaires gauches et les trois troncs coronaires (IVA=interventriculaire antérieure ; CD=coronaire droite ; Cx=circonflexe) (d’après Manuel d’échocardiographie clinique, Ariel Cohen, Pascal Guéret, chapitre 34, Lavoisier MSP).
Complications hémodynamiques
- Insuffisance cardiaque : complication la plus fréquente, pouvant aller jusqu’au choc cardiogénique (6 à 10 % des STEMI)1. L’ETT permet l’évaluation de la fonction biventriculaire et la recherche de complications mécaniques associées.
- Insuffisance mitrale (IM) ischémique : plutôt tardive mais peut se voir en aigu dans les infarctus latéraux ou inféro-latéraux étendus. Le mécanisme est un déplacement postéro-latéral du pilier postéro-médian lié à l’ischémie, générant une restriction du feuillet postérieur de la valve mitrale. Les critères de sévérité sont ceux d’une fuite fonctionnelle (SOR > 20 mm2).
Extension ventriculaire droite (VD) : 20 à 30 % des infarctus inférieurs. L’atteinte hypokinétique ou akinétique de la paroi inférieure du VD et la dilatation VD sont constantes. Il faut donc balayer tout le VD (Figure 2). Il existe une dysfonction VD mais on ne peut pas utiliser les indices à l’anneau car la cinétique de la paroi latérale est conservée. L’appréciation est donc qualitative.
Figure 2 : Anatomie du ventricule droit pour la recherche d’anomalies de la cinétique segmentaire (reproduit grâce à l’aimable autorisation du Dr Philippe Garçon) (VD=ventricule droit, OD=oreillette droite, CCVD=chambre de chasse du VD, Ao=Aorte initiale, OG=oreillette gauche, VG=ventricule gauche).
Complications mécaniques
- Épanchement péricardique : surtout dans les infarctus antérieurs (cf. infra).
- IM aiguë par rupture de pilier : concerne quasi- systématiquement le pilier postéro-médian car il n’est vascularisé que par un seul vaisseau (coronaire droite ou marginale distale), contrairement au pilier antéro-latéral (vascularisé par la 1ère marginale et 1ère diagonale). L’ETT montre une IM sévère par capotage des 2 hémi-valves adjacentes à la commissure postérieure (aspect de « valve mitrale flottante ») et visualisation d’un fragment de muscle papillaire rompu au bout du cordage. Il est inutile de perdre du temps à quantifier la fuite : elle est forcément sévère par son mécanisme et sa temporalité (fuite aiguë).
- Communication interventriculaire (CIV) : solution de discontinuité à l’emporte-pièce au niveau du septum inter-ventriculaire (SIV), toujours dans une zone akinétique. Il faut balayer tout le SIV en s’aidant du doppler couleur car la CIV peut être difficile à voir. L’importance du shunt est évaluée par le rapport Qp/Qs (>1.5=shunt significatif). Attention, le calcul de la PAP systolique n’est plus valide avec le flux d’IT et il faut utiliser : PAPs = PAS – 4VCIV 2 (PAS= pression artérielle systolique et VCIV = Vmax de la CIV).
- Rupture pariétale du VG : la visualisation directe de la rupture est rare car la solution de continuité est généralement spiralée au sein du myocarde, mais on recherche des signes indirects et notamment un épanchement péricardique, d’aspect hétérogène (caillots) et d’aggravation rapide. Lorsque le diagnostic est incertain on peut utiliser du produit de contraste ultrasonore (Sonovue®) : on visualise alors du contraste dans le péricarde.
- Thrombus intra-VG : jusqu’à 40 % des infarctus antérieurs, dès J2 dans 50 % des cas2. Le thrombus siège toujours dans un territoire akinétique, dyskinétique ou anévrysmal. Le thrombus peut ne pas être visualisé dans les coupes standard, et il faut balayer tout le VG : coupes centrées sur l’apex, monter ou descendre d’un espace intercostal. La sensibilité de l’ETT peut être améliorée par :
- L’utilisation d’une sonde biplan : le thrombus se différencie d’une image construite par sa présence dans au moins 2 plans de coupe orthogonaux.
- L’utilisation de Sonovue® (surtout si thrombus plan). Le thrombus est une image ne prenant pas le contraste (Figure 3).
Figure 3 : Thrombus apical nettement délimité après injection de produit de contraste ultrasonore (0,5 mL en IVD de SonoVue) (reproduit grâce à l’aimable autorisation du Pr Pascal Lim).
Insuffisance cardiaque et choc cardiogénique
L’ETT permet de :
• Faire le diagnostic positif, évaluer la fonction biventriculaire et le débit cardiaque en retenant que les chocs cardiogéniques sur CMD s’accompagnent toujours d’une dysfonction VD3. Un VD défaillant est toujours dilaté. En l’absence de dysfonction
- VD, il faut évoquer un autre diagnostic. Il faut porter une attention particulière au calcul du débit cardiaque : Éviter de contourer l’ITV après une extrasystole ou une diastole longue (arythmie) et moyenner plusieurs mesures.
- L’ITV doit être interprétable : flux laminaire, click de fermeture sans click d’ouverture et pas d’accélération sous-aortique (RAC ou obstruction sous-aortique).
- Il faut utiliser la même mesure de chambre de chasse du VG (CCVG) pour les calculs successifs (une CCVG < 18 mm chez la femme et < 19 mm chez l’homme est suspecte d’être une erreur de mesure) : moyenner plusieurs mesures.
• Faire le diagnostic étiologique : analyse des 3 tuniques cardiaques (épanchement péricardique, cinétique segmentaire, oedème myocardique, valves et endocarde).
- Monitorer le patient : Il faut répéter l’ETT au moins quotidiennement ou en cas de dégradation clinique. Les pressions de remplissage du VG sont un mauvais indicateur de la volémie. Celle-ci est surtout appréciée par l’examen clinique. En ETT, on peut évaluer la dilatation et la compliance de la veine cave inférieure. La régression d’une IM et/ ou d’une IT fonctionnelles et la réduction du volume du VD sont de bons indicateurs d’euvolémie.
Urgences valvulaires
Les valvulopathies aiguës sont souvent mal tolérées.
La taille de la cavité d’aval de la fuite est un bon indicateur : une IM sévère sur une OG non dilatée ou une IA sévère sur un VG non dilaté sont probablement aiguës.
Toute insuffisance cardiaque aiguë chez un porteur de valves prothétiques est une dysfonction de prothèse jusqu’à preuve du contraire : les prothèses valvulaires doivent être soigneusement évaluées et l’ETO doit être réalisée au moindre doute.
Dans un contexte évocateur, il faut rechercher des arguments pour une endocardite4 : végétation, abcès ou faux-anévrysme (zone périvalvulaire vide d’écho, les abcès antérieurs de la valve aortique sont bien visualisés car proches de la sonde, à rechercher en parasternale petit axe centrée sur la valve aortique), perforation valvulaire (fuite en dehors de la zone de coaptation, généralement rectiligne) ou désinsertion de prothèse (mouvement de bascule de la prothèse).
Épanchement péricardique
Confirmer le diagnostic
Les sources de confusion sont :
- L’épanchement pleural : se localise en arrière de l’aorte en parasternale grand axe. Dans ce cas, l’aorte reste collée à l’oreillette gauche. S’il s’agit d’un épanchement péricardique, l’aorte apparaît décollée de l’OG (car elle est en dehors du sac péricardique). L’épanchement se situe donc entre l’aorte et l’OG (Figure 4A).
- Les franges graisseuses : il s’agit d’un espace hypoéchogène mais non anéchogène, un peu hétérogène. Le mouvement de la frange graisseuse suit celle de la paroi ventriculaire, contrairement aux épanchements liquidiens.
Évaluer le retentissement
Il ne faut pas chercher la variation des flux mais plutôt deux signes d’adiastolie : la compression diastolique du VD et une veine cave inférieure dilatée non compliante. Ainsi : petit VD et VCI dilatée non compliante = tamponnade (Figure 4C et 4D)5. Le collapsus de l’OD est un signe peu spécifique vu le faible niveau de pression dans l’OD (5-8 mmHg). La tolérance ne dépend pas que de l’abondance d’un épanchement, mais aussi de sa rapidité de constitution : un épanchement se constituant rapidement sera mal toléré.
Figure 4 : Evaluation échographique d’un épanchement péricardique : A) Rapports anatomiques du péricarde et de la plèvre; B) Collapsus diastolique du VD; C) Dilatation de la veine cave inférieure.
Aider au drainage
- Positionner la sonde sur le site de ponction (3 à 5 cm sous la pointe xyphoïdienne et 1 cm à gauche de l’axe du sternum) : l’interposition de parenchyme hépatique contre-indique le drainage percutané.
- Le monitorage de la ponction peut se faire par voie apicale ou sous-costale. Dans tous les cas, il faut toujours visualiser l’aiguille.
- Lorsque l’opérateur obtient un reflux, on contrôle le bon positionnement dans le sac péricardique en injectant du Sonovue®. La présence de contraste dans les cavités cardiaques indique une ponction transfixiante.
Embolie pulmonaire
Le pronostic de l’EP est lié au coeur pulmonaire aigu, dont les signes sont résumés dans la Figure 56. On rappelle que l’EP grave n’existe pas et que le diagnostic d’EP grave est clinique. Il faut retenir que :
- Une PAPs estimée ≥ 60 mmHg évoque une hypertension pulmonaire chronique sous-jacente car le VD n’est pas capable de générer une PAPs ≥ 60 mmHg en aigu.
- On peut mettre en évidence le thrombus dans l’OD, le VD ou l’AP (« serpentin » hyperéchogène), mais il ne faut pas le confondre avec la valvule d’Eustachi (structure en croissant bordant l’orifice de la VCI sous la forme d’un écho linéaire peu mobile) ou un réseau de Chiari (filaments fins hyperéchogènes très mobiles s’attachant à 2 régions de l’OD).
Figure 5 : Signes échographiques de coeur pulmonaire aigu (d’après les recommandations ESC 2019
Références
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°12