Actualités : Ce qui vous a peut-être échappé dans l’actualité... - Une pédagogie innovante - Interview du Dr Hugo Ardaillon

Publié le 19 sept. 2024 à 07:39
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°7


Camille  : Bonjour Hugo, et bienvenue dans l'AJMERAMA ! Peux-tu tout d'abord te présenter à nos lecteurs ?
Dr Hugo Ardaillon  : Bonjour Camille, merci pour cette invitation. Je m'appelle Hugo Ardaillon, je suis chef de clinique de MPR au Service de Rééducation Post-Réanimation (SRPR) de Lyon, et doctorant en neurosciences. Le SRPR me passionne et j'ai la chance de travailler dans l'un des deux plus anciens de France (on se chamaille avec les homologues de Saint-Étienne sur le sujet !). Je travaille donc au sein de l'Hôpital 

Neurologique de Lyon où je me spécialise dans la rééducation post-réanimation, majoritairement des patients souffrant de blessures médullaires à la phase initiale et de traumatismes crâniens graves, agités en amnésie post-traumatique, ou bien présentant des altérations de la conscience (état d'éveil non répondant, état de conscience minimale), avec ou sans trachéotomie ou ventilation. 

Étant très chauvin et passionné d'histoire de la médecine, ma curiosité m'a amené à m'intéresser aux aspects historiques des travaux du Professeur Jules Froment, le fameux neurologue lyonnais ayant laissé son nom à la manœuvre de Froment, et au signe de Froment (le signe du journal). Il avait beaucoup travaillé durant la Première Guerre mondiale à Paris avec Babinski autour des lésions nerveuses ou tronculaires des blessés de guerre, par exemple par des éclats d'obus, et avait également rencontré beaucoup de Poilus qui présentaient tantôt des syndromes de stress post-traumatique, tantôt des algodystrophies, tantôt des troubles neurologiques fonctionnels, malheureusement fréquents sur le champ de bataille.

Il y a quelques années, lors de mon externat dans les services de ce même hôpital, j'avais vu ces six statuettes en plâtre patiné ayant appartenu à Jules Froment, qui trônaient au-dessus des étagères de livres de l'ancienne bibliothèque de l'hôpital, désormais fermée. Ces six statuettes en plâtre patiné qui nous sont parvenues de nos jours ont été créées sous sa supervision dans les années  1920. Elles représentent divers troubles du mouvement  : ataxie cérébelleuse, antérocolis, latérocolis, camptocormie, le syndrome de Pise, et la marche en draguant.


Camille  : Peux-tu présenter ce projet que tu mènes depuis plusieurs mois ? Comment t'es venue cette idée, et le laboratoire 3D t'a-t-il facilement suivi ?
Dr Hugo Ardaillon  : Absolument. Nous avons travaillé sur la numérisation et l'impression 3D de ces 6  patients un peu particuliers ! L'idée m'est venue en discutant avec le laboratoire CO'Lab  3D qui a immédiatement soutenu ce projet en mettant à disposition ses technologies de numérisation et d'impression 3D. Le laboratoire CO'Lab  3D, avec lequel j'ai collaboré pour ce projet, est une plateforme hospitalière d'impression 3D, née d'un partenariat avec l'INSA Lyon après la première vague de COVID. Située au sein du CHU de Lyon, CO'Lab  3D utilise une vingtaine d'imprimantes 3D basées sur les technologies de dépôt de fi l et de stéréolithographie. Cette plateforme, gérée par des ingénieurs des HCL et des professionnels de santé, offre des services de conception et de fabrication dans divers domaines tels que les modèles anatomiques spécifiques aux patients, les supports de rééducation thérapeutiques, et les aides techniques pour les patients en situation de handicap. 

Camille  : Parle-nous brièvement de la méthode de scan et d'impression que vous avez utilisée.
Dr Hugo Ardaillon  : Nous avons utilisé une technologie de lumière structurée pour numériser les statuettes, ce qui permet de capturer des détails précis de leur géométrie. Le processus de numérisation a pris environ une heure par statuette, avec plusieurs scans sous différents angles pour une couverture complète. Ensuite, un logiciel de post-traitement est utilisé pour superposer les scans et éliminer les artefacts. Pour l'impression 3D, nous avons opté pour la technologie de dépôt de fi l fondu (FDM) en utilisant du PLA, un polymère biosourcé. Chaque statuette a été imprimée à l'échelle 100  % et 50  %, avec un temps d'impression variant entre 20 et 30  heures. La complexité de la géométrie a nécessité une attention particulière pour sélectionner les matériaux et orienter l'impression de manière à obtenir une finition de surface de qualité. Nous sommes ravis du résultat, et les détails des muscles et des expressions sont finement rendus ! Pour plus d'informations sur leur travail, vous pouvez d'ailleurs visiter leur site web  : https://www.hcl.fr/colab3d.

Camille : Une des statuettes a particulièrement attiré mon attention, tu l'as nommée « marche en draguant ». Qu'est-ce que cela signifie ? Peux-tu nous raconter son histoire ?
Dr Hugo Ardaillon  : La marche en draguant, aussi connue sous le nom de marche traînante de Todd, représente un patient avec une hémiplégie fonctionnelle (trouble neurologique fonctionnel) traînant une jambe. Cette condition fut décrite par le neurologue Todd dès 1856 (celui de la paralysie post-critique de Todd), et reprise plus tard par Jean-Martin Charcot, illustrée notamment par des photographies dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1888). La statuette montre une amyotrophie majeure de la jambe droite (quadriceps, ischiojambiers, triceps sural). Il est assez intéressant de noter que Todd et Charcot distinguaient clairement cette hémiplégie « trainante », fonctionnelle, d'une hémiplégie organique où le patient passe le pas en fauchant. D'ailleurs, le terme « marche en draguant » utilisé par Charcot, est une mauvaise traduction, un anglicisme : on devrait plutôt traduire « dragginggait » (to drag, traîner) par « marche en traînant ».

Camille  : As-tu pu utiliser les statuettes en cours ? Qu'en ont pensé tes élèves ?
Dr Hugo Ardaillon  : Oui, les statuettes ont été intégrées dans mes cours de pathologie neurologique aux étudiants, ergothérapeutes et kinésithérapeutes de l'Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation (ISTR), et notamment aux étudiants déficients visuels. Les étudiants ont trouvé ces modèles extrêmement utiles pour comprendre les différentes manifestations des troubles du mouvement. Leur dimension tactile et visuelle permet une meilleure assimilation des concepts cliniques, rendant les cours plus interactifs et concrets. Les retours ont été très positifs, et les élèves apprécient particulièrement la possibilité de manipuler les statuettes pour observer les détails anatomiques et posturaux.


Camille : Tu as présenté ce travail au congrès de la WFNR 2024 de Vancouver au Canada en mai dernier, comment ce congrès s'est-il déroulé ?
Dr Hugo Ardaillon  : Le congrès de la World Federation for NeuroRehabilitation (WFNR) a été une expérience extrêmement enrichissante. J'ai pu présenter notre projet à l'occasion d'un poster, à une audience internationale. La réception a été très favorable, suscitant de nombreuses discussions, et cela m'a aussi beaucoup amusé de faire voyager dans ma valise deux des six statuettes du Professeur Froment ! De plus, les homologues autour du monde ont été ravis de pouvoir télécharger les fichiers 3D accessibles en ligne pour imprimer les statuettes eux-mêmes. Vous aussi, vous pouvez fl asher le QR code pour télécharger les fichiers 3D des statuettes de Froment !

Camille : Quels sont tes projets pour la suite ?
Dr Hugo Ardaillon : Je vais continuer d'essayer de concilier les trois casquettes que sont l'activité clinique au SRPR, l'enseignement, et la recherche avec mon projet de thèse de neuroscience autour du coma et de la neuropronostication. Je suis passionné par le thème des interactions entre Arts et Médecine, et j'ai plusieurs projets en cours là-dessus, ce qui m'amuse beaucoup et m'apporte énormément (représentation corporelle, activité picturale et cognition spatiale notamment). Et pourquoi pas pour la suite élargir ce projet d'impression 3D en numérisant et imprimant d'autres artefacts médicaux historiques ?

Camille  : Merci beaucoup, Hugo, pour cet échange enrichissant. Nous te souhaitons beaucoup de succès dans tes projets futurs.
Dr Hugo Ardaillon  : Merci à toi, Camille, et à l'AJMERAMA pour cette opportunité de partager notre travail. Les fichiers 3D sont accessibles en ligne pour la communauté médicale : flashez le QR code pour télécharger les fichiers !

Pour en savoir plus 

Broussolle E, Rethy MP, Thobois S. Jules Froment (1878-1946). J Neurol. 2009 Sep;256(9):1581-2. doi: 10.1007/s00415-009-5214-3. 
Todd RB, Clinical Lectures on Paralysis, Certain Diseases of the Brain (...), John Churchill, London; 1856. B
abinski J, Froment J. Hysteria or pithiatism and refl ex nervous disorders in the neurology of war. London, 1918. 

Merci à Mélia VIRELY et Peggy LEPLAT-BONNEVIALLE du laboratoire CO'Lab  3D, à Sergueï PIOTROVITCH D'ORLIK, conservateur du Musée des Hospices Civils de Lyon (Mission Culture et Patrimoine Historique), et aux Professeurs Jérôme HONNORAT, Emmanuel BROUSSOLLE, et Stéphane THOBOIS, pour leur aide dans ce projet.

Plus d'information
https://www.chu-lyon.fr/culture-patrimoine-historique 
https://www.hcl.fr/colab3d

Je souhaite remercier le Dr Hugo ARDAILLON pour sa motivation à nous partager ce beau travail.

Interview réalisée par le
Dr Camille NOËL

Publié le 1726724395000