Cas Clinique : un diagnostic qui sauve la vie

Publié le 09 May 2022 à 15:15


Alice 10 jours est amenée par sa maman aux urgences au mois de février pour somnolence et moins bonne prise alimentaire.

Elle est née d’une grossesse gémellaire bichoriale biamniotique à 37 SA et 1 jour, en siège (deuxième jumelle). Ses mensurations de naissances sont les suivantes : poids à 2420g, taille à 45cm et PC à 32,5cm. Son APGAR était de 4-9-10. Elle a été traitée pendant 48h pour fièvre maternelle, sans infection retrouvée. Elle a présenté un épisode d’hypoglycémie à 2,8mmol/L à J2 de vie, qui s’est corrigée avec enrichissement en dextrine maltose de son lait pour prématurés. Poids de sortie à J7 2570g.

Dans ses antécédents familiaux on retrouve des décès néonataux chez plusieurs frères et soeurs de sa grandmère maternelle. Notion de consanguinité éloignée.

La maman vous décrit un nouveau-né qui boit mois depuis 4 jours, qu’il faut réveiller pour boire et qui présente une stagnation pondérale (2800g).

Dès son arrivée aux urgences, son état clinique est préoccupant et l’infirmière d’accueil et d’orientation est inquiète devant un bébé somnolent, avec les constantes suivantes : température 29°C, FC 90bpm, TA 45/24 mmHg, SaO2 97%, FR 30/min. Elle présente une hypotonie généralisée et une somnolence. Le dextro que vous demandez immédiatement est à 2,5mmol/L. Cliniquement elle a un temps de recoloration cutanée à 2 secondes, pas d’ictère, pas de souffle cardiaque, des pouls perçus mais faibles et sa fontanelle antérieure est normotendue.

Devant la défaillance cardiovasculaire et neurologique vous appelez le réanimateur et débutez un remplissage vasculaire après resucrage, un réchauffage externe ainsi qu’une triple antibiothérapie. Elle est rapidement transférée en réanimation.

L’IRM cérébrale est normale, les dosages de toxiques sont négatifs, l’amoniémie est à 28μmol/L, les lactates à 2,2mmol/L, les chromatographies des acides aminés et organiques sont en cours. Concernant l’hypothèse infectieuse, ECBU et PL sont stériles au direct, la NFS est normale, la CRP est à 7mg/L et la PCT <0,05μg/L, la radiographie pulmonaire est normale. Enfin, on appelle le centre de dépistage néonatal qui nous confirme que la 17OHProgestérone était normale.

Quels autres examens demandez-vous ?
Le laboratoire d’hormonologie vous appelle pour vous informer d’un taux d’ACTH à 9 pg/mL (VN 130- 150) et de Cortisol à 8 μg/100 mL (VN 15-45). Le reste du bilan hormonal est normal : IGF à 180 ng/ml GH=28,5 mUI/L, T4L=20 pmol/L , TSH=3 mU/L et Insuline <2 mUI/L. Les chromatographies seront également normales.

Quel est votre diagnostic ?
Le diagnostic est donc celui d’une insuffisance corticotrope isolée (ou déficit en ACTH).

Quel(s) traitement(s) urgent(s) entreprenez-vous ?
Un traitement substitutif par hydrocortisone 25mg/m2 est immédiatement entrepris, permettant une normalisation rapide de la clinique.

La recherche d’une mutation du gène TPIT est positive de façon homozygote chez Alice et hétérozygote chez ses deux parents et Audrey sa soeur jumelle.

Le déficit en ACTH lié à une mutation TPIT est associé uniquement avec des formes d’expression néonatales [1]. Il existe également des formes infantiles non liées à TPIT [2] qui égarent souvent le diagnostic et certains enfants décèdent faute de diagnostic et de traitement substitutif. Devant une hypothermie et un collapsus, volontiers accompagnés de symptomatologie digestive (vomissements, douleurs abdominales) chez l’enfant plus grand, il faut toujours penser à l’insuffisance surrénale aiguë, quitte à effectuer le bilan et traiter par hydrocortisone en attendant les résultats.

Éloïse Giabicani

  • Vallette-Kasic S, Brue T, Pulichino A-M, Gueydan M, Barlier A, et al. Congenital isolated adrenocorticotropin deficiency: an underestimated cause of neonatal death, explained by TPIT gene mutations. J Clin Endocrinol Metab. 2005; 90: 1323–1331.

  • Pham LL, Garot C, Brue T, Brauner R. Clinical, biological and genetic analysis of 8 cases of congenital isolated adrenocorticotrophic hormone (ACTH) deficiency.PLoS One. Oct 2011;6(10).
  • Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°10

    Publié le 1652102111000