Cas Clinique : Syndrome occlusif d’origine maligne

Publié le 11 Aug 2022 à 17:44

L’histoire clinique concerne une patiente de 95 ans, religieuse, transférée par l’équipe de l’EHPAD aux urgences pour vomissements fécaloïdes et une détresse respiratoire aiguë.

Dans ses antécédents, on retrouve des troubles neurocognitifs majeurs à un stade sévère d’origine probablement mixte, neurodégénérative et vasculaire sachant le terrain d’accident ischémique en 2016 compliqué d’une cécité séquellaire, une presbyacousie, ainsi qu’une hyperexcitabilité atriale et une insuffisance cardiaque chronique.

Elle a rédigé des directives anticipées, copiées dans son dossier, exprimant clairement un souhait de non-obstination déraisonnable et une demande de soulagement des souffrances en cas d’aggravation de son état, désignant en fin de document, une personne de confiance pour se substituer à son consentement.

Son indépendance fonctionnelle à l’EHPAD est cotée en GIR 2, bien qu’une aggravation cognitive et fonctionnelle récente fasse plutôt penser à une cotation en GIR 1 depuis peu. Le score de fragilité clinique est à 7/9 avec un Performance Status à 4/4.

À l’examen à l’arrivée aux urgences  : confusion comateuse (score de Glasgow à 6/15), détresse respiratoire confirmée par tachypnée à 30/min, signes de luttes avec balancement thoraco-abdominal et une saturation maintenue correcte par un débit d’oxygène à 9L/min au masque.

Le tableau est dominé par des signes d’insuffisance cardiaque droite et gauche, avec une diminution bilatérale du murmure vésiculaire, ainsi que des crépitants humides des bases. Une halitose et la présence de résidus intra-buccaux confirment le caractère fécaloïde des vomissements décrits.

L’abdomen est météorisé dans son ensemble et peu dépressible, semblant douloureux dans tous les cadrans, sans défense ni contracture.

L’ECG est en rythme sinusal malgré l'hyper excitabilité supraventriculaire, sans trouble de repolarisation. On retrouve en particulier, sur la biologie réalisée, une hypokaliémie modérée, secondaire aux vomissements et une insuffisance rénale aiguë KDIGO 1 (créatinémie à 90μmol/L).

La TDM abdominale (Figure 1) retrouve un syndrome occlusif colique en lien avec un épaississement pariétal court sténosant de l'angle colique gauche, sans nodule de carcinose visible ni signe de souffrance pariétale digestive. Sur les coupes thoraciques basses, aspect de pneumopathie d'inhalation bi-basale.


Figure 1 : Scanner abdominopelvien injecté : syndrome occlusif d’origine très probablement maligne sur épaississement pariétal court sténosant de l'angle colique gauche (flèche).

La situation clinique est donc celle d’une patiente de 95 ans, présentant des troubles neurocognitifs majeurs sévères affectant son indépendance fonctionnelle de manière importante qui développe un syndrome occlusif mécanique, d’origine probablement maligne, compliqué d’une détresse respiratoire sur pneumopathie d'inhalation, sévère et bilatérale associée à une insuffisance cardiaque aiguë.

Après une procédure collégiale tenant compte de l’avis de la patiente exprimé dans ses directives anticipées et confirmé par la personne de confiance, le projet palliatif exclusif a été retenu. Des soins palliatifs associant traitements médicamenteux et interventions non médicamenteuses ont permis que les quelques jours qui ont séparé son transfert en gériatrie aiguë de la survenue de son décès se déroulent sans symptôme d’inconfort.

Syndrome occlusif : Diagnostic avant tout clinique confirmé sur un scanner abdominopelvien injecté
Le syndrome occlusif correspond à un arrêt pathologique (partiel ou total) du transit intestinal. Il est responsable de quatre grands symptômes  : arrêt des matières et des gaz, douleurs/coliques abdominales, météorisme abdominal, nausées et / ou vomissements. Il est qualifié de malin lorsqu’il évolue en contexte néoplasique connu ou découvert sur les examens morphologiques, avec parfois présence d’ascite et/ou de carcinose péritonéale [1][2].

L’apport de l’imagerie (le scanner abdominopelvien avec injection de produit de contraste est l’examen de référence) permet de confirmer le diagnostic, mais également d’évaluer le mécanisme (mécanique, par la mise en évidence d’une zone de transition entre le grêle plat et le grêle dilaté ou, en son absence, fonctionnel). Cet examen permet également d’évaluer les éventuelles complications graves (perforation, ischémie, …), le siège de l’occlusion et permet parfois d’obtenir le diagnostic étiologique [3].

Une problématique fréquente en population gériatrique, mais des données manquantes…
La progression des thérapeutiques et du système de soins dans le domaine oncologique est telle que les personnes vivant avec un cancer avancent en âge, avec l’apparition ou la décompensation de fragilités et de comorbidités. Aussi, le syndrome occlusif malin toucherait environ 3 % à 15 % des patients atteints d’un cancer [4]. Des séries autopsiques suggèrent qu'une occlusion intestinale survient chez 20 % à 50 % des patientes atteintes d'un cancer de l'ovaire et 10 % à 29 % des cancers gastro-intestinaux [5].

Dans des situations connues des services de gériatrie, les stratégies curatives, reposant sur une approche chirurgicale et de réanimation lourdes, sont parfois jugées déraisonnables par les personnes, leur personne de confiance ou par le truchement de discussions collégiales.

Toutefois, notre revue systématique de la littérature n’a pas retrouvé de stratégies de prise en charge palliative du syndrome occlusif qui soient spécifiques aux populations gériatriques.

Des prises en charge palliatives individualisées
Une analyse précise, fine, individualisée et collégiale des enjeux du projet de soins palliatifs est nécessaire dans chaque situation, afin d’orienter vers la prise en charge la plus adaptée.

Lorsque la prise en charge est palliative, l’objectif se traduit soit par la levée d’obstruction (symptomatique, sans forcément aboutir à un traitement étiologique), soit par le seul contrôle des symptômes d’inconforts, sans obtenir la levée d’obstruction dans le but d’améliorer la qualité de vie des patients (Tableau 1).

Les possibilités thérapeutiques regroupent à la fois une approche pharmacologique, des techniques chirurgicales et/ou interventionnelles et des interventions non médicamenteuses.

Tableau 1 : Différentes stratégies palliatives selon l’état général et l’espérance de vie des patients

* Antalgiques, anxiolytiques, antisécrétoires, antiémétiques…
** Discussion collégiale avec des équipes formées, pour situation d’une sténose unique et accessible (œsophagienne ou colique gauche)

Depuis la fin des années 1980, Baines a démontré que les symptômes de l'occlusion intestinale chez les patients pour lesquels la chirurgie n'était pas possible pouvaient être contrôlés par des moyens pharmacologiques [6].

Dans ces derniers, la corticothérapie est à débuter dès la confirmation diagnostique à la posologie 1 à 3mg/kg/j d’équivalent Methylprednisolone. Si l’occlusion persiste à 7 jours, il n’y pas d’indication à poursuivre le traitement. Les antisécrétoires sont également recommandés, sans consensus concernant l’utilisation du Butyl Bromure de Scopolamine (Scoburen®) ou de l’analogue de l’Octreotide en première intention. Le relai par des formes LP d’Octréotide est possible, lorsqu’un retour à domicile du patient est envisagé. La place des IPP n’est pas standardisée (faible niveau de preuve).

Les études concernant les antiémétiques chez le sujet âgés sont également de faibles niveaux de preuves. L’Haloperidol et le Chlorpromazine semblent être les molécules à privilégier en première intention, car moins prokinétique que la Domperidone et le Metoclopramide (à éviter en cas d’occlusion complète).

Si persistance de vomissements l’Ondansetron (hors AMM), semble être une bonne alternative en deuxième intention [7][3].

En cas d’aggravation clinique, d’échec du traitement médicamenteux de levée d’occlusion ou lorsque le patient est en phase palliative pré-agonique, l’enjeu des soins est exclusivement le soulagement des symptômes d’inconforts.

La gestion non médicamenteuse des vomissements persistants
En cas de vomissements incoercibles ou d’un risque d’inhalation important, en première intention, la pose d’une sonde nasogastrique en aspiration douce (jusqu'à -25 mbar environ) à la phase initiale est justifiée. La réévaluation précoce est nécessaire car le maintien de la sonde entraîne un inconfort régulier pour le patient (odynophagie, ulcération nasale, …). Si le patient ne tolère pas la sonde ou si le volume aspiré est < 500cc/24h, la sonde doit être retirée [2].

En 2nde intention, ou en cas d'échec, de mauvaise tolérance ou d'impossibilité de pose d'une sonde naso-gastrique, Ia pose d'une gastrostomie de décharge (par voie radiologique interventionnelle), peut être proposée (toutefois, avec un risque élevé de complication en cas d’ascite ou de carcinose péritonéale, qui rend la balance bénéfice/risque en défaveur de sa réalisation dans ces cas) [8].

Ces symptômes peuvent dans certains cas, justifier d’un recours à la sédation notamment du fait de l’extension des indications des sédations en contexte palliatif, grâce à l'appui des recommandations de la Haute Autorité de Santé [9].

Focus éthique : nutrition et hydratation
La correction de la dénutrition n'apportant pas de bénéfice sur le confort et n'étant pas un enjeu du projet thérapeutique, il n’y a pas d'indication à une alimentation artificielle dans ce contexte palliatif, chez des personnes à l'espérance de vie très limitée et qui n’aurait pour seul objectif que le maintien artificiel en vie.

Selon les mêmes principes, l’hydratation parentérale ne prolongeant pas la survie et accentuant les problèmes de rétention, de sécrétions bronchiques et les besoins d’aspiration, n’a pas vocation à être poursuivie. En effet, l’intensité de la soif et de la sécheresse des muqueuses ne sont pas influencées par le volume d’hydratation orale ou parentérale, mais par des moyens locaux (soins de bouche, soins ophtalmiques, soins cutanés, …). Dans ce contexte il est nécessaire de discuter avec le patient (ou à défaut avec sa personne de confiance ou son entourage) de l’arrêt de l'hydratation artificielle (a minima, de sa diminution), en s’appuyant au besoin sur la documentation de l’intergroupe SFAP/SFGG : « Il va mourir de faim, il va mourir de soif, que répondre ? » et/ou sur le concours des équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs [10][11].

Mesures non pharmacologiques
À la phase initiale, il est nécessaire de mettre à jeun le patient. En cas de résolution d'occlusion, une alimentation Boisson, Yaourt, Compote (BYC) fractionnée est possible. S’y ajoutent des soins de bouches fréquents pour limiter la sécheresse buccale.
En l'absence de levée d'occlusion, il est recommandé de rediscuter des enjeux d'accompagnement (lieu des soins, risques encourus, alimentation, recours éventuel à la sédation, ...), en fonction de l’évaluation du pronostic. Les outils de cette évaluation (Palliative Performance Scale, dans sa version 2 notamment, qu’on peut retrouver en ligne sur (https://bit.ly/3vrPK9p) peuvent apporter une grande aide aux équipes dans ces décisions. L’accompagnement de fin de vie au domicile, bien que fréquemment souhaité, reste conditionné à la possibilité d’une réponse adaptée par des équipes formées, anticipant une situation de symptômes aigus incontrôlés et mérite des prescriptions anticipées, du fait d’un pronostic sombre à court terme [12].

Conclusion
Le syndrome occlusif est un diagnostic clinique, confirmé par la tomodensitométrie abdomino-pelvienne injectée et est qualifié de malin  s’il survient dans l’évolution d’un contexte néoplasique connu ou fortement suspecté sur l’imagerie. Lorsque le niveau d’intensité des soins est limité à un projet palliatif, ce dernier est à adapter à l’état général et à l’espérance de vie du patient, avec des stratégies thérapeutiques individualisées. En Gériatrie, dans les situations où le recours à l’anesthésie générale ou à la chirurgie, fût-elle palliative, sont impossibles, le projet thérapeutique est fortement restreint. Les stratégies interventionnelles (prothèses/stents) sont également limitées.

Le traitement médicamenteux repose alors sur l’association de corticoïdes, d’antisécrétoires, d‘antiémétiques, d’antalgiques et d’anxiolytiques, adaptés aux besoins. Le recours à la sédation doit être discuté dans le cadre réglementaire, en fonction des situations qui pourraient relever d'une de ses indications.

Dans tous les cas, la nutrition et l’hydratation artificielles ne sont pas recommandées, avec un accent à mettre sur les soins de bouche.

Les équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs peuvent apporter un soutien important dans les processus décisionnels et l’ajustement des thérapeutiques dans ces cas complexes.

Emilie HARDY
Interne de DES de Gériatrie à la Faculté de Médecine de la Sorbonne,
Elle soutiendra sa thèse d’exercice « Prise en charge palliative du syndrome occlusif en gériatrie »

Dr Matthieu PICCOLI
Praticien Hospitalier sur le site de Broca de l’APHP, Centre Université de Paris Cité, rattaché à l’EA 4468
« Maladie d’Alzheimer, facteurs de risques, soins et accompagnement des patients et familles »
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Références
1. Ripamonti C, Bruera E. Palliative Management of Malignant Bowel Obstruction. Int J Gynecol Cancer 2002;12:135–43. https://doi.org/10.1046/j.1525-1438.2002.01103.x.
2. Occlusion digestive sur carcinose péritonéale, AFSOS, 19/12/2013 n.d.
3. Laval G, Marcelin-Benazech B, Arvieux C, Chauvenet L, Copel L, Durand A, et al. Traitement symptomatique de l’occlusion intestinale sur carcinose péritonéale : Recommandations de bonnes pratiques cliniques. //www.em-premium.com/data/revues/16366522/v11sS1/S163665221270003X/ 2012.
4. Anthony T, Baron T, Mercadante S, Green S, Chi D, Cunningham J, et al. Report of the Clinical Protocol Committee: Development of Randomized Trials for Malignant Bowel Obstruction. Journal of Pain and Symptom Management 2007;34:S49–59. https://doi.org/10.1016/j.jpainsymman.2007.04.011.
5. Tuca A, Guell E, Martinez-Losada E, Codorniu N. Malignant bowel obstruction in advanced cancer patients: epidemiology, management, and factors influencing spontaneous resolution. CMAR 2012:159. https://doi.org/10.2147/ CMAR.S29297.
6. Baines M, Oliver DJ, Carter RL. Medical management of intestinal obstruction in patients with advanced malignant disease. The Lancet 1985;326:990–3. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(85)90534-3.
7. Mercadante S, Ripamonti C, Casuccio A, Zecca E, Groff L. Comparison of octreotide and hyoscine butylbromide in controlling gastrointestinal symptoms due to malignant inoperable bowel obstruction. Support Care Cancer 2000;8:0188. https://doi.org/10.1007/s005200050283.
8. Dittrich A, Schubert B, Kramer M, Lenz F, Kast K, Schuler U, et al. Benefits and risks of a percutaneous endoscopic gastrostomy (PEG) for decompression in patients with malignant gastrointestinal obstruction. Support Care Cancer 2017;25:2849–56. https://doi.org/10.1007/s00520-017-3700-1.
9. HAS. Comment mettre en oeuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? 2020.
10. Groupe SFAP/SFGG. “Il va mourir de faim, mourir de soif” Que répondre ? rev. janv2012.
11. Cherny NI, Radbruch L, The Board of the European Association for Palliative Care. European Association for Palliative Care (EAPC) recommended framework for the use of sedation in palliative care. Palliat Med 2009;23:581–93. https:// doi.org/10.1177/0269216309107024.
12. SFAP. Fiche Urgence Pallia (=SAMU Pallia) https://sfap.org/rubrique/fiche-urgence-pallia-samu-pallia.

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°30

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Publié le 1660232647000