Vous recevez aux urgences le jeune Dylan, 3 ans 1/2, consultant pour douleurs abdominales et fièvre apparues depuis 3j. On ne retrouve aucun antécédent personnel ou familial. Il est adressé aux urgences par son pédiatre pour suspicion d’appendicite aiguë.
Sur le plan clinique :
Il n’existe pas de détresse hémodynamique ou respiratoire. L’enfant est conscient, orienté mais très algique. Il ne semble pas exister de position antalgique. Constantes : température 39,4°, FC 166 / min, TA 117 / 74, FR 48 / min, SpO2 97 %.
L’examen abdominal montre : douleurs abdominales avec défense localisées en FID, orifices herniaires libres, testicules en place non douloureux. Les examens respiratoires et ORL sont normaux. Il n’y a pas de syndrome méningé ni d’éruption cutanée. Vous réalisez le bilan biologique suivant :
- NFS : Hb 11,6 g/dL, VGM 74,9 μ3, GB 17 500 / mm3 dont PNN 14610 / mm3 et lymphocytes 2100 / mm3, plaquettes 185 000 / mm3
- CRP : 13 mg/L
L’échographie abdominale pratiquée ne visualise pas l’appendice mais est compromise par de nombreux gaz digestifs. La TDM abdominale réalisée ne retrouve pas d’image d’appendicite.
A ce stade, devant ces douleurs abdominales fébriles avec une TDM abdominale normale, quelle autre étiologie pouvez-vous évoquer ? Quel examen biologique simple pratiquez-vous alors pour la confirmer ? Quel traitement mettezvous alors en place ?
Pancréatite aiguë chez l’enfant :
1) Introduction :
Les pancréatites aiguës sont beaucoup plus rares chez l’enfant que chez l’adulte. Le diagnostic est souvent évoqué dès l’examen clinique devant des douleurs violentes épigastriques contraignant l’enfant à une position antalgique en chien de fusil. Les vomissements sont fréquents voire constants. Le tableau est parfois abâtardi en cas d’immuno-suppression. Il est capital à l’interrogatoire de demander à la famille s’il y a eu un traumatisme (en particulier sur le guidon d’un vélo) ou si l’enfant est sous traitement au long cours. Le contexte infectieux est également important à évaluer.
2) Définition :
La pancréatite est définie par la présence histologique d’inflammation au sein du parenchyme pancréatique. La pancréatite aiguë est un processus réversible caractérisé par la présence d’oedème interstitiel, d’infiltration de cellules inflammatoires et à des degrés variés d’apoptose, de nécrose et d’hémorragie. Par contraste, la pancréatite chronique entraîne des changements irréversibles de l’anatomie et du fonctionnement pancréatique.
3) Physiopathologie :
Quelle que soit l’étiologie, l’inflammation pancréatique semble toujours secondaire à un une voie commune. Une signalisation calcique aberrante entraîne l’activation prématurée des pro-enzymes des cellules acinaires pancréatiques. Les protéases ainsi formées (dont la trypsine) entraînent la destruction des cellules acinaires et la production de cytokines dont le TNF-α, elles-mêmes responsable d’une inflammation aiguë intra-pancréatique (fig. 1)
4) Epidémiologie :
Incidence annuelle 3,6 à 13,2 / 100 000 suivant les études.
5) Etiologies (tableau 1) :
Tableau 1
Quelques précisions sur les principales étiologies :
>> Infectieuses : les oreillons peuvent survenir Sans parotidite.
>> Malformation : le pancréas divisum n’est pas en soit cause de pancréatite aiguë mais favorise sa survenue.
>> Idiopathique : pancréatite aiguë isolée ou inaugurale d’une pancréatite chronique.
>> Pathologies multi-systémiques :
• Les anticorps de la maladie coeliaque sont de réalisation facile en cas de pancréatite aiguë sans point d’appel, cette dernière pouvant être le seul symptôme. Les pancréatites aiguës survenant dans le cadre d’une maladie de Crohn peuvent être liées à la maladie ou aux traitements utilisés. Il en est de même pour le purpura rhumatoïde où la corticothérapie peut elle aussi être responsable de pancréatite aiguë.
• En cas d’insuffisance pancréatique dans la mucoviscidose, il ne peut y avoir de pancréatite aiguë.
6) Diagnostic :
La pancréatite aigüe est définie selon le consensus d’Atlanta (1992) en présence d’au moins 2 critères sur 3 : douleur abdominale typique, lipase > 3N et images tomodensitrométriques typiques.
- Clinique : douleur abdominale diffuse ou épigastrique avec défense mais rarement irradiante, nausées et vomissements quasi-constants, distension abdominale avec iléus, fièvre. La pancréatite aiguë peut aussi être pauci-symptomatique et seulement détectée sur une élévation de la lipase. Des ecchymoses péri-ombilicales doivent faire évoquer un traumatisme (chute de vélo) et représentent un signe de gravité.
- Biologie : lipase > 3N (plus sensible et plus spécifique que l’amylase), trypsinogène de type 2 activé urinaire non testé chez l’enfant (VPN 99 %).
- Tomodensitométrie : la TDM abdominale avec injection réalisée au mieux au 3ème jour d’évolution permet d’effectuer le bilan initial des lésions de pancréatite et de rechercher des complications afin d’évaluer son pronostic via le score de Balthazar modifié (tableau 2). La TDM recherche une augmentation de taille du pancréas (fig. 2), une hétérogénéité pancréatique (fig. 3), une infiltration péri-pancréatique (fig. 4) et des coulées de nécroses péri-pancréatiques (fig. 5). Elle peut être réalisée lors de la période initiale en cas de doute diagnostic.
7) Orientation étiologique : Pancréatite aiguë, M. Bellaïche, Pas-à-pas, congrès de la SFP 2012
8) Complications :
- Précoces : défaillance multi-viscérale (SDRA, insuffisance rénale, CIVD), état de choc, infection de nécrose.
- Tardives : récidives et pancréatite chronique, pseudo-kyste.
9) Pronostic :
Il n’existe pas d’indice pronostique de gravité clinique validé chez l’enfant. Les indices de Ranson et d’Imrie sont uniquement validés chez l’adulte.
Toutefois une hypertransaminasémie, hyperglycémie, hypocalcémie, acidose, ypotension artérielle ou une association à des troubles respiratoires peuvent être considérés comme des éléments de pronostic plus réservé.
10) Principes de traitement :
- Hospitalisation systématique en pédiatrie ou en réanimation en cas de signe de gravité clinico-biologique.
- Mise à jeun puis reprise progressive de l’alimentation avec régime hypercalorique sans graisse pendant 1 mois.
- Mise en place d’une sonde naso-gastrique en cas de vomissement itératif ou d’iléus sévère.
- Antalgiques.
- Correction des troubles hydro-électrolytiques.
- Traitement étiologique si possible.
- Antibiothérapie / traitement chirurgicalendoscopique des faux kystes ou des nécroses en cas de forme grave.
- Traitements n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité : inhibiteurs de la pompe à protons, aspiration digestive, Sandostatine, Octréotide.
11) Conclusion :
La pancréatite aiguë est une pathologie commune dont l’incidence semble croître mais qui est probablement sous-estimée car sousdiagnostiquée comparativement à l’adulte. La pathologie biliaire en est la principale cause. La prise en charge repose sur une adaptation nutritionnelle, des antalgiques et le traitement étiologique.
Références :
What Have We Learned About Acute Pancreatitis in Children ? Harrison X. Bai & coll. Review. Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition. Volume 52, n°3, Mars 2011.
Imagerie des pancréatites aiguës. B. Laurens & coll. Journal de Radiologie. Volume 86, n°6-C2, Juin 2005.
Conférence de consensus Pancréatite aigüe. Société Nationale Française de Gastro-Entérologie. 2001. Pancréatite aiguë. M. Bellaïche, O. Mouterde. Pas-à-pas 2012, Congrès des Sociétés Médico- Chirurgicale de Pédiatrie, Juin 2012.
Matthieu Bendavid
Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°6