BCGITE disséminée après instillation intra-vésicale de BCG - A propos d’un cas

Publié le 13 Jul 2023 à 12:03

 

Les tumeurs de vessie n’infiltrant pas le muscle représentent la majorité des tumeurs de vessie au diagnostic. L’immunothérapie par instillations intra-vésicales de Bacilles de Calmett et Guérin (BCG) est le traitement standard des tumeurs de vessie n’infiltrant pas le muscle à haut risque de récidive après résection en-doscopique1. Ce traitement repose sur des instillations intra-vésicales répétées d’une souche atténuée de My-cobacterium bovis, et entraîne une réponse inflammatoire complexe aboutissant à la destruction des cellules tumorales résiduelles2, 3.

La BCGite, infection par le BCG, qui peut être localisée ou systémique, est complication rare mais potentiellement sévère de l’immunothérapie par le BCG.

DESCRIPTION DU CAS

Un patient de 71 ans non-fumeur sans antécédent a été diagnostiqué en janvier 2020 d’un carcinome urothélial de bas grade classé pTa (TNM-UICC 2009) n’infiltrant pas le muscle. Une résection endoscopie de vessie a été réalisée en avril 2020 suivie par un traitement adjuvant par 8 injections d’épirubicine de novembre 2020 à janvier 2021, puis 9 injections de mitomycine C de mars à décembre 2021. Devant la présence d’une récidive uni-focale de 1,5 cm, une nouvelle résection endoscopique a été réalisée, suivie d’instillations intra-vésicales de BCG débutées en juin 2022.

En octobre 2022, deux jours après la 8ème instillation, le patient présente une fièvre à 39°C, une hématurie macroscopique, des brûlures mictionnelles et une toux. Il consulte aux urgences 8 jours plus tard devant la persistance des symptômes. À l’admission, le patient est apyrétique, la tension artérielle est à 150/10mmHg, la saturation en oxygène à 97 %. Le bilan biologique retrouve une créatinine à 103 μmol/L soit une clairance à 61 ml/min

MDRD, une CRP augmentée à 50 mg/L sans hyperleucocytose. L’ECBU est négatif au direct et en culture. La radiographie thoracique est sans particularité. Une antibiothérapie probabiliste par Ofloxacine IV est initiée aux urgences, interrompue après 2 injections devant les résultats de l’ECBU. Le patient s’améliore spontanément et sort au bout de 48 heures à domicile. Une toux sèche intermittente persiste.

Un scanner thoracique est réalisé à un mois de l’épisode fébrile et retrouve une dizaine de micronodules épars de répartition aléatoire. Les EFR retrouvent une obstruction bronchique réversible après inhalation de bronchodilatateur (BD), avec VEMS/CVF 72 %, VEMS pré-BD 2,85L (86 % de la théorique), VEMS post-BD 3,20L (96% de la théorique), DEMM 1,87 (58 % de la théorique). Un traitement par Budesonide-Formoterol et antihistaminique est mis en place dans l’hypothèse d’un asthme, avec une franche amélioration de la symptomatologie respiratoire et une disparition de la toux.

Le patient reprend les instillations de BCG en février 2023. Il présente moins de 24 heures après la nouvelle instillation une fi èvre à 38,6°C, persistant pendant dix jours, avec la réapparition secondaire d’une toux sèche malgré la prise du traitement inhalé. L’hémodynamique est stable, la saturation conservée. Il ne présente pas de signe fonctionnel urinaire, l’ECBU revient non contribu-tif. Le bilan biologique retrouve une CRP à 80 mg/l, une lymphopénie isolée à 0,30 G/L. Le patient est mis sous Bactrim pendant 14 jours dans l’hypothèse d’une prosta-tite. Un scanner thoracique est réalisé à J14 de la fi èvre et retrouve un aspect de miliaire avec une majoration en nombre des micronodules de distribution hématogène. La fi broscopie bronchique est macroscopiquement nor-male, le lavage broncho-alvéolaire retrouve une alvéolite lymphocytaire, avec 1 476 000 cellules, 30 % de lym-phocytes, 67 % de macrophages, 2 % de polynucléaires neutrophiles et 1 % de polynucléaires éosinophiles. L’exa-men direct du LBA ne retrouve pas de BAAR et la re-cherche de mycobactérie en culture est négative. La PCR BK sur le LBA est négative. Les cultures bactériologiques et mycologiques sont négatives, les PCR grippe, covid, VRS et la PCR multiplex virale sur le LBA reviennent également négatives.

Le diagnostic de BCGite est retenu devant la présentation clinique évocatrice et l’absence de diagnostic alternatif. Une trithérapie antituberculeuse est instaurée par Rifampicine Isoniazide et Ethambutol, sans corticothérapie. La BCG thérapie est définitivement interrompue. Le patient présente une amélioration clinique progressive. Le scanner de contrôle à un mois de traitement retrouve une régression de l’atteinte micronodulaires bilatérale.

DISCUSSION

La vessie constitue un compartiment confi né dans lequel l’instillation d’une souche vivante atténuée de BCG permet l’activation de l’immunité innée puis adaptative4. Les mécanismes menant à cette réponse immunitaire sont complexes et ne sont encore que partiellement compris. La première étape de la réaction semble être la liaison puis l’internalisation du BCG intra-luminal aux cellules urothéliales et aux cellules tumorales de la vessie5. L’instillation entraîne l’afflux de granocytes et de cellules mono nucléées dans la paroi vésicale, où une cascade de cytokines pro-inflammatoires va permettre le maintien d’une réponse immunitaire anti-tumorale6. Ces mécanismes permettent la destruction des cellules tumorales résiduelles après la résection tumorale.

Les effets secondaires les plus fréquents de la BCG thérapie sont des symptômes irritatifs vésicaux, l’hématurie, une fièvre, un syndrome pseudo-grippal et la plupart d’entre eux sont facilement contrôlés.

La BCGite est diagnostiquée devant une fièvre persistant depuis plus de 72 heures associée à des signes généraux ou locaux, en l’absence de diagnostic alternatif. Les complications respiratoires de la BCGthérapie sont rares représentent 0,3 à 0,7 % des patients traités. Une étude de pharmacovigilance française estimait le taux d’effets indésirables graves de 0,37 pour 100 instillations7.

Radiologiquement, la présentation habituelle est celle d’une miliaire8, mais d’autres atteintes sont possibles avec la présence d’infiltrats réticulo-nodulaires et d’atteintes alvéolo-interstitielles4. Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence de la mycobactérie de façon directe ou indirecte (PCR) mais celle-ci n’est pas toujours retrouvée ; la présence d’un granulome à distance de l’arbre génito-urinaire est un élément évocateur.

Ce cas clinique illustre l’enjeu diagnostique que représente la BCGite. Ici, le diagnostic a été posé sur le contexte clinique fortement évocateur et la chronologie, sans preuve microbiologique ni histologique. Ce diagnostic de BCGite systémique est d’autant plus important qu’il impacte la prise en charge oncologique du patient en contre-indiquant la reprise des injections de BCG9, impliquant une éventuelle cystectomie en cas de récidive.

Le traitement repose sur l’association de Rifampicine, d’Isoniazide et d’Ethambutol pour une durée totale de 6 mois, car la souche M. bovis présente une résistance constitutive au Pyrazinamide. Le pronostic de la BCGite est le plus souvent favorable avec une régression des symptômes. Néanmoins, des formes graves existent demandant de ne pas méconnaître le diagnostic. Une méta-analyse évalue à 5,4 % la mortalité chez les patients atteints d’une infection à BCG10.

Les mécanismes de la réaction systémique à l’instillation de BCG sont débattus avec deux hypothèses principales, d’une part celle d’une prolifération multifocale du BCG après un passage systémique, possiblement favorisé par une plaie urinaire, et d’autre part celle d’une réaction immunitaire généralisée11. Des travaux ont rapporté la mise en évidence de M. bovis en culture12, soutenant l’hypothèse infectieuse, mais en pratique dans la majorité des cas la mycobactérie n’est pas retrouvée. D’autres travaux ont rapporté des cas d’hypersensibilité avec des tableaux de granulomatose viscérale profuse, et parfois des atteintes péri-broncho-vasculaires au scanner. La topographie des lésions sur le scanner pourrait être une piste pour s’orienter vers l’un ou l’autre des mécanismes. La discussion de la physiopathologie de la BCGite semble essentielle puisque le traitement en dépend ; il est probable que ces 2 mécanismes fonctionnent ensemble, faisant discuter la prescription à la fois d’antibiotiques et de corticostéroïdes.

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  • Réalisé par
    Dr Marie MAYENGACCA
    Paris

    Article paru dans la revue « Du Jeune Pneumologue » /AJP02 N°02

     

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