Il s’agit d’un homme de 77 ans hospitalisé pour des mélénas et des rectorragies depuis 3 mois responsables d’une anémie. Cela se complique de 2 décompensations cardiaques globales. Dans ses pathologies actives on retrouve un diabète de type 2 insulino-requérant, une hypertension artérielle associée à une cardiomyopathie dilatée en dysfonction ventriculaire gauche et fibrillation auriculaire. Son traitement comprend du furosémide, un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un antivitamine K. À l’examen clinique, on retrouve un souffle systolique aortique et des signes congestifs droits. Le bilan biologique retrouve une anémie à 7,4g/dL ferriprive (ferritinémie à 18 ng/mL), des vitaminesB9 et B12 normales, une insuffisance rénale modérée avec une clairance de la créatinine à 34mL/min. L’INR est dans la cible. Le myélogramme est aspécifique avec des signes de dysérythropoïèse et de dysgranulopoïèse sans hémopathie maligne suspecte. Le bilan endoscopique de l’anémie ferriprive met en évidence à la gastroscopie des varices œso-phagiennes stade I et à la coloscopie des lésions d’angiodysplasies et des polypes recto-coliques sessiles (étude histologique en faveur d’un adénome tubuleux en dysplasie de bas grade). Ce bilan est complété par une vidéo capsule qui révèlent de multiples angiodysplasies. Pour évaluer le souffle systolique aortique, une échocardiographie est réalisée et retrouve un rétrécissement serré de la valve aortique (surface aortique = 1 cm², gradient de pression = 58,9 mmHg, Vmax > 4m/s) et mitrale, une hypokinésie globale et une fraction d’éjection du ventricule gauche à 34 %.
Sur le plan thérapeutique, le patient bénéficie de transfusions itératives de culots globulaires associées à des injections hebdomadaires d’érythropoïétine sur ce terrain d’insuffisance rénale chronique (IRC). L’AVK est suspendu en raison du risque hémorragique. Les angiodysplasies sont coagulées au plasma argon par voie endoscopique. Malheureusement la réponse aux thérapeutiques est nulle avec la persistance des saignements digestifs avec nécessité de transfusion 3 fois par semaine. Il est réalisé une analyse du facteur de von Willebrand par électrophorèse qui retrouve un déficit en multimères de haut poids moléculaire (HMW) du facteur de von Willebrand (vWF) permettant de poser le diagnostic de maladie de von Willebrand de type 2A.
Il est proposé un changement de la valve aortique par voie chirurgicale vu l’âge du patient. À partir de ce moment-là, il ne resaigne plus et le facteur de von Willebrand se normalise.
C’est l’histoire de M. H, 95 ans, dont le médecin traitant lance un SOS pour une histoire d’anémie avec support transfusionnel itératif dont le centre hospitalier de proximité ne peut plus prendre en charge le patient. M. H, est un patient fragile, Rockwood 3 selon la Clinical Frailty Scale, dont le principal souhait est de rester actif pour cultiver son potager et utiliser son motoculteur. Son médecin traitant se pose la question de l’étiologie de l’anémie, chez un patient ayant eu à plusieurs reprises des explorations digestives (fibroscopie œso-gastroduodénale /coloscopie) revenant négatives. Il n’existe pas de saignement urinaire ou ORL.
La qualité de vie du patient est altérée par cette anémie, puisque quand l’hémoglobine se situe en dessous de 8.0 g/dl, il décompense sur le plan car-diologique. Monsieur H est porteur d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée associée à un rétrécissement aortique lâche (gradient moyen à 18 mmHg, surface à 1.39 cm²), une insuffisance mi-trale modérée.
Les antécédents du patient sont les suivants : une hypertension artérielle, une fibrillation auriculaire anticoagulée par Apixaban, un carcinome vésical en rémission, une hypertrophie bénigne de la prostate, une fracture du bassin post-chute.
M. H, ancien agriculteur à la retraite, vit à domicile avec son épouse dans une maison avec un étage. Il est indépendant pour les actes de la vie quotidienne. Le couple bénéficie d’un passage hebdomadaire d’une aide-ménagère. Ils ont deux enfants.
Nous le rencontrons une première fois en Hôpital de Jour (HDJ). Le patient est en bon état général mais dyspnéique, avec des œdèmes des membres inférieurs et une prise de 2kg par rapport au poids habituel. L’hémoglobine est à 7.7 g/dl, avec un VGM à 91 fl, les réticulocytes à 62 G/L. Pas de carence en B9 ni B12. Le bilan martial est en faveur d’une carence absolue : ferritine à 27 ng/ml, CST à 10 %, fer sérique à 49 μg/dl. Le reste de la formule sanguine est équilibré. Le bilan de coagulation est normal. Les facteurs von Willebrand du patient sont dosés : facteur VIII corrigé = 113 % (normal) et GP1bR 109 % (normal). Il est proposé au patient une transfusion de 2 culots globulaires rouges associée à une déplétion par furosémide.
Par la suite, le patient sera suivi en HDJ avec support transfusionnel associé si besoin à une supplémentation martiale IV.
À 2 mois du suivi, une anémie brutale sans extériorisation à 7.2 g/dl conduit à une hospitalisation en court séjour gériatrique. Le patient rapporte avoir chuté avec une douleur persistante au niveau de l’aine droite. La tomodensitomérie thoraco-abdomino-pelvienne objectivera un hématome du psoas droit sans saignement actif au moment de l’imagerie. Devant un support transfusionnel de 3 culots globulaires rouges, associé à un score ORBIT à 6 points, et malgré un score CHADS2VASC2 à 5, l’apixaban du patient est suspendu en accord avec ce der-nier. Nous prévoyons une nouvelle hospitalisation en court séjour gériatrique 15 jours après pour réalisation d’une vidéocapsule chez ce patient ayant eu pendant le séjour hospitalier des traces de méléna.La vidéocapsule objectivera des angiodysplasies gastriques et duodénales (figure 1). Dans ce contexte, après discussion avec l’équipe de gastroentérologie, un traitement par Sandostatine LP 30 mg en sous-cutané a été mis en place en HDJ une fois par mois permettant au deuxième mois d’injection une stabilité de l’hémoglobine à 9.6g/dl. M. H sera sui-vi pendant 7 mois avec une bonne tolérance de la Sandostatine, une efficacité biologique et l’ab-sence de nouvelle transfusion de culot globulaire (figure 2). Il a pu maintenir sa qualité de vie telle qu’il la souhaitait.
L’association d’angiodysplasies et rétrécissement aortique est évocatrice d’un Syndrome de Heyde. Mais quel est réellement ce syndrome ? Les 2 patients en avaient-ils un ?
Le syndrome de Heyde
Définition
Il correspond à une triade :
- Rétrécissement aortique (RA) calcifié,
- Saignement digestif sur angiodysplasie (surtout grêlique),
- Trouble de l’hémostase : Syndrome de Willebrand acquis.
Historique
En 1958, le Dr HEYDE décrit l’association chez 10 patients d’un RA et d’hémorragies digestives inex-pliquées. Puis, en 1987, King et al mettent en évidence, dans une cohorte de 91 patients porteurs d’un RA et de saignements gastro-intestinaux, l’efficacité dans la prévention des récidives de saignements du remplacement valvulaire (pour 93 % des cas avec un suivi de plus de 8 ans), bien meilleur que la résection intestinale (seulement 3 %).
En 1992, Warkentin émet l’hypothèse d’un trouble de l’hémostase associé à ce lien RA-angiodysplasie : le syndrome de Willebrand acquis. Il confirme son hypothèse dans les années 2000 en montrant la normalisation du facteur de VWF après remplacement valvulaire.
Physiopathologie
Pour bien comprendre le syndrome de Heyde, il est important de revenir sur le facteur Von Willebrand et sur les conséquences d’un rétrécissement aortique.
Le Facteur Von Willebrand (VWF) est une glycoprotéine multimérique synthétisée dans les cellules endothéliales et mégacaryocytes qui intervient dans l’hémostase primaire. Il permet l’adhésion des plaquettes entre elles et au collagène. Il intervient aussi dans la coagulation en transportant et stabilisant le Facteur VIII. La taille des multimères du VWF est régulée par une métalloprotéase (ADAMTS13) qui clive les grands polymères en plus petits. Des anomalies qualitatives ou quantitatives du VWF génèrent des hémorragies : c’est la Maladie de Willebrand.
Le Syndrome de Willebrand acquis donne un tableau comparable à la maladie de Willebrand mais est occasionné par une autre étiologie : les maladies lymphoprolifératives ou les cardiopathies à forces de cisaillement élevées (RAo, insuffisance mitrale, cardiopathie hypertrophiques obstructives, ...) (2).
Un RA provoque deux mécanismes distincts. D’une part, le RA réduit la perfusion gastro-intestinale provoquant une dilatation des vaisseaux sanguins induite par l'hypoxémie. D’autre part les « gros » multimères de haut poids moléculaire du VWF sont détruits mécaniquement par les forces de cisaillement rencontrées au niveau du RA. Pour être plus précis, les grands multimères du VWF se déplient, exposant le domaine A2. L'exposition de ce domaine permet à l'enzyme ADAMSTS13 de cliver ces grands multimères de VWF en fragments plus petits, ce qui entrave l'inhibition native de l'angiogenèse et la délivrance du facteur de coagulation VIII dans tout l'organisme. Ce déficit favorise l’expression hémorragique des angiodysplasies (3).
Épidémiologie
(4, 5, 6)La présence de sténoses aortiques est d’environ 7,5 % chez les plus de 75 ans. Celle de l’association saignements gastro-intestinaux + RA modérée à sévère est de 1-3 %. Mais le déficit en facteur de von Willebrand n’est pas toujours recherché. Dans tous les cas, le syndrome de Heyde est typiquement une maladie de la population âgée. À l'heure actuelle, il existe peu de données sur la prévalence réelle du syndrome, bien que les principaux symptômes du syndrome de Heyde (hémorragie gastro-intestinale dans le cadre d'une sténose de la valve aortique) soient couramment présents dans la population générale et que la prévalence de ces affections augmente avec l'âge. Pour cette raison, le syndrome de Heyde est probablement sous-diagnostiqué et sous-déclaré.
Clinique
Il existe trois catégories de symptômes : ceux liés à la sténose aortique (douleur thoracique, syncope, dyspnée d’effort, asthénie), les signes d’hémorragie gastro-intestinale (méléna, hématémèse, asthénie) et les signes d’une altération de l’hémostase (asthénie, hématome fréquents).
Le clinicien doit suspecter un syndrome de Heyde chez un patient âgé qui présente toute combinaison de sténose valvulaire aortique, de saignements gastro-intestinaux ou de signes évocateurs d'un syndrome de Von Willebrand. Les hémorragies spontanées semblent plus rares et les hémorragies digestives plus fréquentes probablement en raison de stocks intracellulaires intacts du vWF dans la plupart des cas.
Paraclinique
Le bilan de première intention comprend un bilanbiologique (NFS-Plaquettes, bilan de coagulation, bilan martial, recherche de sang dans les selles), un bilan cardiaque : électrocardiogramme et échocar-diographie transthoracique (pour évaluer la sténose aortique) et une endoscopie : gastroscopie + colos-copie +/- vidéocapsule endoscopique.
La confirmation du diagnostic se fera par un test de la fonction plaquettaire (PFA)*: fonction plaquettaire, taux de VWF, nombre de plaquettes et taux d’hématocrite et un test multimère du VWF par électrophorèse*. L’identification d’une source de saignement est une priorité car elle permet d’exclure d’autres causes importantes de saignement.
*Tests de confirmation du diagnostic Test de la fonction plaquettaire (PFA) : analyse la capacité des plaquettes à générer une hémostase primaire. Les variables dépendantes cliniquement significatives comprennent la fonction plaquettaire, le taux de VWF, le nombre de plaquettes et le taux d'hématocrite.
Test multimère du VWF : utilise l'électrophorèse sur gel pour trier les multimères du VWF en fonction de leur taille. L'analyse quantitative permet ensuite de déterminer le niveau de multimères de haut poids moléculaire (HMWM), qui sont nécessaires à une hémostase normale. Cette analyse, plus longue (au moins 3 jours) est réalisée manuellement et requiert une expertise technique importante (difficile en dehors des centres de références).
Traitement
(7)Actuellement, il n’existe pas de recommandation claire. Si le diagnostic est certain, un consensus d’expert s’est prononcé en faveur d’un remplacement de la valve aortique par TAVI ou remplacement chirurgical (avec un consensus privilégiant le TAVI : plus sûr, avec moins de risque postopératoire). Il n’y a pas d’avis tranché sur l’anticoagulation en post-opératoire. Classiquement, il est plutôt prescrit une double anti-agrégation plaquettaire pendant plusieurs mois.
En attendant le remplacement valvulaire, un geste de coagulation endoscopique est recommandé en cas d’hémorragie gastro-intestinale.
Les thérapies de remplacement du FVW à type d’OCTREOTIDE et DESMOPRESSINE sont souvent inefficaces et donc non recommandés.
Dans une cohorte de 1111 patients ayant subi un TAVI (8), 70 présentaient un syndrome de Heyde (6,3 %). À 1 an après le TAVI, 46 des 70 patients n'ont plus présenté de saignement gastro-intestinal.
Pour ceux qui ont continué à avoir des épisodes de saignement, ils ont diminué de 3.2 à 1.6 par an et les taux d'hémoglobine ont augmenté de 10,3 à 11,3 g/dL.
Pronostic
Il est directement corrélé à la possibilité d’un remplacement valvulaire. Le pronostic est EXCELLENT si le patient peut l’avoir ! Cette technique est efficace et la seule curative. En revanche, le pronostic estsombre s’il n’y a pas de remplacement valvulaire : les saignements gastro-intestinaux sont récurrents, l’anémie est compliquée à maîtriser... La reconnaissance précoce des lésions cardiaques valvulaires associées à des saignements gastro-intestinaux permet de réduire la morbi-mortalité.
Conclusion
Le syndrome de Heyde est peu fréquent et méconnu mais expose le patient a un risque accru de morbidité et de mortalité. Les cliniciens (et notamment les gériatres) doivent y penser devant une sténose de la valve aortique associée à des saignements gastro-intestinaux avec un trouble de l’hémostase primaire. La prise en charge est pluridisciplinaire mais consiste surtout à effectuer un remplacement de la valve aortique par un remplacement valvulaire chirurgical ou un TAVI.
Revenons à nos cas cliniques : Si les 2 patients présentaient bien une association entre rétrécissement aortique et angiodysplasies intestinales nous voyons que dans le cas 1 le trépied diagnostique est complet et seul le changement de valve a une efficacité sur la normalisation du vWF et sur l’arrêt des saignements. Dans le second cas, le patient présente un RA lâche exerçant moins de forces de cisaillement et par conséquence, ce RA n’étant pas la cause principale des angiodysplasies, le patient peut ainsi répondre à d’autres thérapeutiques.
L’intérêt du bilan diagnostique permet d’apporter la réponse la plus adaptée au patient pour respecter sa qualité de vie.
Dr Aurélie LAFARGUE
Dr Marie DANET- LAMASSOU
Gériatre, CHU de Bordeaux
Dr Justin BOULOY
Docteur Junior, CHU de Lyon
Pour l’Association des Jeunes gériatres
Références
Article paru dans la revue « La Gazette du Jeune Gériatre » / AJG N°33