Actualités : Anecdotes : vachement cool

Publié le 17 mai 2022 à 00:05

De l’obstétrique chez la Charolaise Vachement COOL De l’obstétrique chez la Charolaise

Vie ma vie de vétérinaire rural. Début de la journée, 8h30. Un petit coup d’œil au planning des rendez-vous : à part un vaccin, rien de prévu. Comme dans tous les métiers d’urgence, on attend l’appel pour partir en intervention. La voiture du véto est un fourre-tout : bottes, seringues, Ringer, casques, gants couvrant jusqu’aux épaules, pharmacie…
Elle fait office de SAMU. A travers les routes de campagne, cet hôpital ambulant fonce de ferme en ferme pour soigner, sauver, aider… Dans cette région du Charolais, la vache est prédominante et le but est de garder les troupeaux en bonne santé afin de les vendre pour en faire de la viande. La vie des veaux et des vaches est donc la préoccupation principale des éleveurs, ce qui fait de l’obstétrique une activité essentielle.

Un peu de vocabulaire
La vache n’accouche pas, elle vêle. Son utérus s’appelle la matrice. La matrice est physiologiquement bicorne. Les cotylédons n’appartiennent pas au placenta, ils font partie de la matrice et involuent après le vêlage. Si le veau nait la tête en premier, c’est une présentation antérieure, s’il nait en siège, c’est une présentation postérieure. La génisse est une primipare, la vache a déjà eu au moins un veau.

Comment reconnait-on une vache en travail ?
 La durée de gestation d’une vache est de 9 mois, comme chez l’humain. La vache présente des contractions qui se manifestent par des mouvements abdominaux, un changement de comportement de la vache, souvent un retrait par rapport au troupeau. Sa vulve se dilate et la vache perd les eaux en cours de travail. Une fois la poche rompue, le veau doit naître dans les deux heures.

Accouchement eutocique ou dystocique ?
Généralement, un seul veau naît par portée, mais les grossesses gémellaires ne sont pas exceptionnelles. Une vache est gestante 7 fois en moyenne dans sa vie. Que le veau se présente en antérieur ou en postérieur, le vêlage est eutocique si le veau naît dans les deux heures suivant la rupture de la poche des eaux. En présentation antérieure, les pattes avant arrivent en premier ; en présentation postérieure, ce sont les pattes arrière. En fonction des espèces, certaines vaches vêlent seules, sans nécessité d’intervention de l’éleveur : c’est le cas de la plupart des vaches laitières qui ont un bon bassin (« du bassin » ou « du passage », comme on dit) et font des petits veaux. En revanche, les vaches à viande (comme les Charolaises), ont souvent besoin d’aide à l’expulsion.

Vêlage dystocique
Lorsque le veau, en présentation antérieure, ne s’engage pas rapidement, l’éleveur a souvent besoin d’appeler le vétérinaire. Dans ce cas, deux options s’offrent à lui : tracter le veau par voie basse à l’aide de cordes (à attacher aux pattes avant) ou d’une vêleuse (machine qui tracte le veau), ou, lorsque le veau est trop volumineux, le refouler dans le ventre et réaliser une césarienne. Un dernier cas, l’équivalent de la dystocie des épaules chez l’humain, peut se produire : sur des veaux « culards » (arrière train trop volumineux), tête et épaules dégagées, le vétérinaire est parfois dans l’impossibilité de faire naître le veau par voie basse. Néanmoins, il est à un point de non-retour car il ne peut plus refouler le veau pour réaliser une césarienne. Le veau meurt dans ce cas, et le vétérinaire se voit forcé de… le couper en plusieurs morceaux pour le faire sortir par voie basse. C’est un peu massacre à la tronçonneuse dans les champs…

Lorsque le veau naît, on lui verse de l’eau dans l’oreille afin de lui déclencher un réflexe d’éveil lui permettant de respirer.                  

La délivrance doit avoir lieu dans les 24 heures, sinon le vétérinaire intervient pour aider la délivrance. S’il n’y parvient pas, il laisse la délivrance en place et met la vache sous antibiotiques. Contrairement aux humains, une délivrance incomplète n’est pas source de saignements mais peut être à l’origine de métrite (équivalent d’endométrite) voire de métropéritonite. Trois semaines plus tard, on administre des prostaglandines à la vache afin d’assurer la vidange utérine

La césarienne
Elle représente 10 % des vêlages chez les génisses, et 5 % chez les vaches charolaises. L’indication est toujours en urgence, devant un travail trop long ou un échec de naissance par voie basse. Le vétérinaire réalise une anesthésie locale cutanée et musculaire. La vache reste debout, elle peut même brouter en même temps ! Dans des cas difficiles, les vétérinaires réalisent des césariennes en position couchée.

L’incision cutanée est verticale, latérale gauche car les intestins se situent à droite. Les plans musculaires et le péritoine sont coupés au bistouri ou aux ciseaux. L’incision sur la matrice est dans le sens cranio-caudale sur la grande courbure de la matrice, après avoir vérifié la présentation du veau au toucher. Il ne faut pas inciser trop près de l’extrémité distale de l’utérus, car les vaisseaux y sont plus proches et les risques hémorragiques augmentés. Le but est ensuite d’aller chercher les jarrets (pattes arrière) afin de sortir le veau

La matrice est ensuite extériorisée afin de retirer les membranes, sans arracher les cotylédons, qui appartiennent à la matrice. Le reste de la délivrance (le placenta) est laissé en place. La vache délivrera dans les 24h, comme dans un vêlage voie basse. Si elle ne délivre pas à temps, on réalise un complément de délivrance manuel

La suture de la matrice se fait en deux plans : un premier surjet hémostatique, puis un deuxième surjet enfouissant au monocryl à l’aiguille courbe, tenue à la main. Le but est d’obtenir une étanchéité maximale afin d’éviter une péritonite. Les muscles et le péritoine sont ensuite suturés en deux plans. La peau est refermée par un surjet passé au fil non résorbable, que l’on retire 6 semaines après. Au total, une césarienne dure 40 minutes.

Lors de la césarienne, des antibiotiques sont débutés pour 48 heures. En effet, l’asepsie chez la vache ferait convulser les équipes du CLIN !

Le renversement de matrice
Mais qu’est-ce que c’est donc ? C’est l’inversion utérine. Fréquente chez la vache, contrairement aux humains, elle a lieu le plus souvent après un vêlage par voie basse, mais peut arriver après une césarienne. La cause est une atonie utérine, combinée à des efforts abdominaux répétés. L’utérus s’éverse alors et sort entièrement. Les dangers sont l’infection et l’hémorragie. Dans ce cas, le vétérinaire réalise une péridurale, puis réintroduit petit à petit la matrice dans le ventre de la vache, comme une chaussette qu’on déplie. Afin d’allonger son bras, il utilise une bouteille en plastique pour bien étaler la muqueuse… Vous voulez encore parler d’asepsie ou vous vous êtes fait une raison ? On réalise enfin deux points de fermeture sur la vulve au fil non résorbable. Malheureusement, une vache sur trois décède dans les suites d’un renversement de matrice.  

Si vous pensez encore que la gynécologie-obstétrique est une spécialité sale et plutôt sanglante, nous vous invitons à vous mettre dans la peau d’un vétérinaire pour la journée. N’oubliez pas : mieux vaut une petite césarienne qu’un gros vêlage !

Magalie BARBIER
Interne de gynécologie-obstétrique
Dr Elia ESQUERRE
Vétérinaire

Dr Hugo SENTENAC
Vétérinaire

Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°12

Publié le 1652738748000