
Un bref historique : les négos pour les nuls
Comme certains d'entre vous le savent, nos relations avec l'AssuranceMaladie sont régies par la convention, une sorte de gigantesque contrat tenant lieu de constitution et fixant les droits et devoirs de chacune des deux parties.
Historiquement, des négociations (les “négos”) ont lieu tous les 5 ans (2001, 2006, 2011, 2016). Elles auraient dû avoir lieu en 2021 mais la conjonction de la crise COVID et l'échéance des élections présidentielles l'ont retardée de 2 ans et les travaux ont véritablement débuté fin 2022.
Les négos 2023 : épisode 1
Comme nous l'avons écrit dans le dossier sur “les soignants en souffrance” dans ce même numéro, le code a changé. Les négociations ont été marquées en arrière-plan de la colère montante de soignants épuisés, excédés, en colère. La puissance des réseaux sociaux avec la constitution du groupe “Médecins Pour Demain” et de collectifs revendiquant la consultation à 50 euros (entre autres) ont joué sur un équilibre des pouvoirs jusqu'ici assez stable. Il était notoire que les documents n'étaient pas communiqués aux syndicats avant l'ouverture de chaque séance, ne permettant ainsi pas de se préparer à la négociation de façon équitable.
À ce jour, seuls 2 syndicats ont rassemblé suffisamment de voix aux élections professionnelles pour être considérés représentatifs et décider ou non de signer : MG France (pour la médecine générale) et Avenir Spé (pour la médecine spécialisée). Un article dans le prochain numéro vous détaillera d'ailleurs le paysage syndical en France pour vous en faire une idée précise loin d'éventuels clichés.
Trouvant inadmissibles les propositions de la CPAM, notamment le Contrat d'Exercice Territorial qui conditionnait l'accès aux revalorisations tarifaires par des obligations diverses, les syndicats ont unanimement refusé de signer. Du coup, la convention a été remplacée/ prorogée par un “règlement arbitral”: un arbitre, nommé par l'État, a été en charge de rédiger un texte provisoire. C'est à ce moment-là que la tristement symbolique augmentation de 1,50 euros a été officialisée.
Les négos 2024 : épisode 2
Il faut cependant savoir que, malgré ce que beaucoup de médecins s'imaginent, il est vital pour la CPAM d'aboutir à la signature d'une convention. Les négociations ont donc repris fin 2023, alternant des séances dites “bilatérales” (1 syndicat rencontrant l'équipe de la CPAM faisant part de ses propositions) et “multilatérales” (l'ensemble des protagonistes se retrouve en séance où la CPAM fait part de ses propositions, discutées point par point en séance).
Les négociations avançaient jusqu'à ce que le gouvernement annonce la revalorisation objectivement inéquitable des tarifs de l'hospitalisation (+0,3 % pour les établissements privés vs 4,3 % pour les établissements publics ou privés non lucratifs). Cette annonce a mis le feu aux poudres et provoqué le départ du syndicat Avenir Spé, rapidement suivi par MG France et d'autres syndicats.
Ces négociations sont entourées d'une ambiance assez délétère avec une reviviscence et une exacerbation de tensions entre généralistes et spécialistes, entre hospitaliers et libéraux qui semblaient pourtant appartenir au passé.
L'EDN dans les négos
Et pour nous, endocrinologues ? Pour nous qui faisons partie des spécialités cliniques ? Pour nous qui sommes considérés comme des parents pauvres même par la CPAM aux côtés des psychiatres, pédiatres, gériatres, gynécologues médicaux ? Au moment où vous lirez ces lignes, la convention aura été signée (a priori le 4 juin 2024) et les revalorisations concernées prendront effet entre décembre 2024 et janvier 2026.
Globalement, pour l'endocrinologie, on note 3 avancées
1ère avancée : l'APC
Étant spécialistes, nous pouvons compter sur une APC à 60 euros (comme tous les spécialistes), rémunérant notre expertise spécialisée. Le champ d'application n'en est pas pour le moment modifié : adressage (quelle qu'en soit la forme) par le médecin traitant, utilisable si le patient n'est revu qu'après 4 mois. Il a été proposé que les adressages secondaires puissent être possibles (adressage au cardiologue ou au chirurgien par nos soins, par exemple) mais, et alors que cela correspond à la réalité actuelle de nos pratiques et de parcours de soins logiques et pragmatiques, les syndicats de medecins traitants en ont fait un casus belli… cela sera toutefois renégocié avec les avenants.
2ème avancée : la MCE
Par ailleurs, concernant la consultation majorée par la MCE (Majoration de Consultation Endocrinologue), les secteurs 1 et 2 OPTAM peuvent compter sur une base de 58 euros dès l'application de la convention et sur une base de 62 euros à partir du 1er juillet 2025, rémunérant notre expertise spécifique. Son champ d'application ne semble également pas modifié : pour toute consultation de diabétique insuliné, une fois par an pour toute autre endocrinopathie.
3ème avancée - historique - : le couplage consultation - échographie
C'est désormais acquis (annexe 22 de la convention) et cela fera l'objet d'un article plus détaillé dans le prochain numéro. Je ne vous livre donc ici que les grandes lignes.
Schématiquement, tous les libéraux savent que lorsque l'on réalise plusieurs actes techniques, le second est coté demi-tarif et le troisième ne peut être facturé… ce qui est déjà, en soi, une aberration. Mais, en dehors de quelques exceptions comme l'ECG ou certaines imageries pour certaines spécialités, il est impossible de coupler la facturation d'un acte clinique (consultation) et technique (échographie, ponctions, ...).
Or, dans la pratique de la thyroïdologie, comme nous en avions témoigné avec Hervé Monpeyssen et Pauline Juttet dans le précédent numéro, la réalisation d'une échographie d'expertise durant la consultation démultiplie l'efficacité de la démarche diagnostique mais, faute d'une possibilité de la facturer, la rentabilisation d'un échographe était impossible et, surtout, l'expertise certaine de cette double compétence non valorisée.
Lorsque j'ai voulu m'attaquer à ce problème en 2016, je n'ai entendu que des voix décourageantes et découragées. J'avais rédigé un premier argumentaire que j'avais diffusé à tous les syndicats et qui plaidait pour une pratique qui, à coût constant, permettait non seulement de réduire les créneaux de consultation nécessaires mais également de promouvoir une pratique d'expertise, synergique et efficace.
Durant ces 8 ans, j'ai travaillé avec plusieurs d'entre eux, communiqué à chaque occasion qui m'était donnée envers vous, collègues hospitaliers et libéraux, impliqué notre société savante, la FENAREDIAM, le SEDMEN, les associations de patients. L'argumentaire était valable et la crise COVID et la démographie médicale en exacerbaient le bon sens.
En 2023, le couplage avait ainsi fait partie des propositions de la CPAM dès le début des séances pour se retrouver, à la dernière séance, sous la forme d'une majoration de 15 euros du montant de l'échographie pour “supplément clinique”. En d'autres termes, nous passions d'une APC à 55 euros sans expertise échographique à un acte à… 50 euros (échographie à 35 + supplément clinique à 15). Notre expertise nous pénalisait de 5 euros… heureusement que la convention n'a pas été signée. Cette proposition a été reprise en 2024 et j'ai dû réintervenir lors de séances aux côtés de Nathalie GERVAISE, notre présidente du SEDMEN, pour en démontrer l'absurdité.
Et c'est lors de la séance du mois de mars 2024 que la diapositive officialisant la proposition du couplage à taux plein de la consultation et de l'échographie a été projetée... cette diapositive qui marquait la fin d'un combat de longue haleine.
Le couplage de facturation d'une consultation et d'une échographie à taux plein lors d'une même séance était proposé pour les endocrinologues-échographistes
Avant la révision finale de la maquette de ce numéro, les négociations ont connu un dernier revers : le blocage de la signature du fait des annonces ministérielles évoquées plus haut. Finalement, le processus a pu reprendre et la signature aboutir.
Cette convention n'est sûrement pas parfaite - loin de là - mais les négociations reprendront dans 5 ans et peut-être serez-vous quelques-uns, vous qui lisez ces lignes, partie prenante aux côtés de ceux qui se battent. Je tenais à partager avec vous cet aboutissement d'une vision et d'un travail sans relâche sur 8 ans. Je tenais à exprimer ma reconnaissance envers tous ceux, syndicalistes, administratifs, patients des associations, collègues, qui ont chacun apporté leur pierre à l'édifice et sans qui cette avancée n'aurait pu se faire. Même si cela semblait impossible, cela apporte surtout la preuve que, si la vision initiale est réaliste, l'acharnement, le bon sens, le dialogue, la synergie et le travail collectif peuvent faire bouger les lignes et rendre l'impossible possible. Vous tous qui me lisez et avez des projets qui vous semblent à première vue inaccessibles, réfléchissez-y à deux fois avant de baisser les bras !!
Dr Edouard GHANASSIA
Endocrino-diabétologue,
Echographiste - Sète, Paris

