Actualités : Actualités : la discrimination au sein des LHSS (lits halte soins santé)

Publié le 23 mai 2022 à 20:25


Une réalité qu’il est important de mettre en lumière !

Par le Docteur Pierre Frances

Introduction (1-3)
Historique
En 1993, Xavier Emmanuelli, le fondateur du Samu Social, a souhaité que les personnes de la rue, et ayant des pathologies diverses puissent être pris en charge de manière correcte.

C’est ainsi qu’il a développé, de manière expérimentale, un projet de lieu de soins géré par des infirmières. L’Insee a constaté une hausse importante de sans domicile dans la rue (plus de 50 % entre 2001 et 2005) ; hausse qui ne cesse de se confirmer par la suite du fait d’une dégradation de la situation économique.

Dans ce contexte, une réflexion a été entreprise pour développer des structures afin de prendre en charge les sans domicile ayant une problématique aiguë de santé ; réflexion à l’origine de la création des LHSS.

Organisation des LHSS
Ces unités accueillent les patients ayant une pathologie aiguë (psychique ou physique). Ces personnes ne peuvent plus être prises en charge dans des établissements hospitaliers (problème de flux) ou dans des lieux d’accueil dédiés (manque d’expertise à ce sujet). De ce fait les LHSS représentent une alternative souvent nécessaire pour ces populations de la rue.

Les LHSS assurent un hébergement de ces personnes 24h/24 durant 365 jours par an. La durée de séjour maximale est fixée, par l’ARS (Agence Régionale de Santé) qui est le financeur, à deux mois.

L’activité de ce service s’organise en deux pôles :

  • Un pôle médical constitué d’infirmières, d’aides soignantes, et de médecins. L’effectif varie en fonction du nombre de lits proposés (il varie en fonction des départements et des lieux urbains ou ruraux).
  • Un pôle social avec éducateurs et assistantes sociales dont le but est d’assurer une insertion sociale après le séjour (souhait de l’ARS).

Tout médecin libéral ou hospitalier peut envoyer un patient dans cette structure.

Il fait une demande (qui est téléchargeable le plus souvent), et il reçoit une réponse pour une possible intégration du patient qui est fonction de la pathologie, mais aussi de la disponibilité. 

Les LHSS et ses caractéristiques
Des études menées par nos décideurs, mais aussi les différents intervenants travaillant au sein de ces structures, ont permis de mettre en avant le fait que 78 % des problématiques de santé ont pu être résolus au décours d’un séjour au sein des LHSS.

Néanmoins, les différents intervenants sont souvent confrontés à des situations délicates et parfois difficiles à gérer chez ces patients dans le domaine de l’intégration de ces populations.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous pencher sur la question de la discrimination.

Pour mieux appréhender cette situation, nous avons décidé de présenter 3 situations cliniques illustrant cette situation où cette notion a été l’objet d’une réflexion approfondie par l’ensemble des partenaires des LHSS.

La discrimination des sans-abri entre eux : cas clinique 1
Mme S., patiente de 61 ans d’origine française, est hébergée au sein de la structure depuis 1 mois du fait de rectorragies importantes en rapport avec une probable MICI.

Mme P., patiente de 31 ans d’origine africaine, est en situation irrégulière. Cette dernière est porteuse du VIH et du VHC. Dans ce contexte, du fait d’une rupture de soins depuis quelques mois, il a été décidé d’évaluer sa situation clinique ; raison de son séjour au sein des LHSS.

Ces deux personnes se côtoient journellement, et partagent la même chambre.

Cependant, au décours du séjour Mme S. s’en prend violemment à Mme P. en ayant des propos racistes discriminatoires.

Mme S. ne comprend pas que sa compagne de chambre puisse être accueillie en France alors qu’elle est en situation irrégulière.

La problématique du racisme chez les sans domicile (4-5)
Une situation stable au sein de la population française
Un rapport a été remis en mars 2018 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme concernant le racisme au sein de la Société française.

Ainsi, il est mis en évidence durant la période 2013/2016, une évolution vers une plus grande tolérance.

La notion de racisme biologique n’est plus dans les esprits de 91 % de nos concitoyens.

Néanmoins des préjugés existent cependant vis-à-vis de certaines communautés, ou pour des personnes ayant certaines convictions religieuses.

Le racisme chez les sans-abri
La situation est plus contrastée au sein de ce groupe car l’exclusion de la Société de ces personnes conduit à la recherche de solutions simplistes qui visent à résoudre cette problématique à « leur façon ».

La promiscuité est un facteur qui majore ce sentiment auprès de ces populations qui sont en situation de précarité et qui voient leur avenir avec beaucoup d’appréhension.

Une notion d’injustice s’exacerbe régulièrement lorsqu’une personne n’ayant pas de droits sur le sol français arrive à obtenir des « faveurs » qu'elle ne peut obtenir.

De ce fait, ces SDF ont plus d’écoute vis-à-vis de discours extrémistes qui pourrait améliorer leur avenir sombre.  De plus, certains médias génèrent des réactions pas nécessairement opportunes et favorisent des indignations non fondées.

Comment remédier à cette situation ?
Il faut baser notre travail sur l’éducation, et la relation individuelle.

Il faut laisser s’exprimer le sans-abri pour pouvoir lui donner le change.

Il faut que les différents acteurs médico-sociaux interviennent pour rectifier cette vision erronée.

Cependant, il est parfois difficile d’avoir une réaction adéquate du fait d’une désocialisation qui modifie de manière durable l’idéologie et la manière de penser de ces personnes.

En ce qui nous concerne, nous avons résolu de manière radicale cette problématique :

  • Une nouvelle orientation vers une structure CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) de Mme S qui refusait toute discussion, et qui n’avait pas honoré les rendez-vous chez le gastro-entérologue.
  • Un envoi vers un CHRS de Mme P qui ne pouvait pas être prise en charge de manière correcte (absence de couverture sociale, et importante distance avec le centre hospitalier).

La discrimination secondaire à une absence de prise en compte de la situation sociale du sans-abri : cas clinique 2

M. O., vient séjourner dans notre unité de LHSS suite à une demande effectuée par le CH proche.

Ce patient est porteur d’une artériopathie, et actuellement il présente une nécrose de plusieurs orteils pouvant engendrer une gangrène (cliché 1).


Cliché 1 : Nécrose des orteils secondaire à une artériopathie

Ce patient est très désocialisé, et vit dans la rue depuis plusieurs années.

Son adaptation au sein de la structure est difficile (il supporte difficilement la promiscuité et le règlement), et ses notions d’hygiène restent très aléatoires.

A l’issue d’une consultation effectuée au sein de l’équipe chirurgicale, une seule proposition est évoquée sans que M. O. ne donne son avis : l’amputation.

M. O. refuse obstinément cette solution ; raison pour laquelle l’équipe hospitalisation le renvoie manu militari en nous indiquant la fin des rendez-vous avec les praticiens de l’unité en charge des plaies.

En conséquence, nous avons effectué une prise en charge médicale sur ses plaies, et nous avons administré un traitement antiagrégant pour éviter une aggravation de l’artériopathie de ce patient.

La discrimination vis-à-vis du soin du patient désocialisé.

Une situation classique chez les patients désocialisés : le refus du soin (6-7)
Le refus de soins est souvent observé chez des personnes ayant une marginalisaion ou une désocialisation importante.
Il existe une souffrance autant morale que physique chez les patients vivant dans la rue.
Du fait de conditions difficiles vécues dans un milieu hostile, une insensibilité aux douleurs physiques est objectivée ; laquelle est favorisée par une majoration de la douleur morale.
Il n’y a plus de véritable prise en compte de l’altération de leur état physique. Tout se passe comme s’ils oubliaient l’existence de leur corps.
Le retentissement psychique induit par l’exclusion de la Société est à l’origine d’une dévalorisation, mais aussi d’un sentiment d’inutilité.
Penser que les SDF refusent le soin du fait de pathologies psychiques est une analyse quelque peu réductrice, car c’est avant tout la relation entre leur pathologie, et les moyens pouvant être mis en oeuvre pour les améliorer qui est défaillante.
Ces personnes très désocialisées perdent leur identité (à titre personnel ou collectif ), et ne sont plus en mesure d’avoir une idée sur leur propre situation.
Ce phénomène est proportionnel à l’importance de la désocialisation.
La sollicitation aux services de soins de cette frange de la population est moins importante.

Cela explique le fait que ces patients présentent plus rapidement des altérations physiques visibles sur leur corps (perte de dents…) ; éléments étant également à l’origine d’un pourcentage de décès au sein de cette catégorie de concitoyens importante (5 % par an à partir de 40 ans).

Il ne faut pas oublier que l’espérance de vie de cette frange de la population, suivant Médecins du Monde, est réduite par rapport au reste de la population (moyenne de 45 ans).

Comment « recoller » les morceaux, et permettre à M. O. d’accepter le soin ?
Il faut avant tout qu’il puisse prendre ses repères au sein d’une Société qu’il a négligée depuis de nombreuses années.

Ainsi, le refus « très technique » de nos collègues hospitaliers n’a fait que majorer les craintes du patient vis-à-vis d’une prise en charge classique.
Cette discrimination dans le soin de nos collègues est quelque peu dérangeante.
Cependant, elle s’explique aisément car le milieu hospitalier est un lieu aseptisé, et les prises en charges sont basées sur des recommandations que ces confrères revendiquent et appliquent à la lettre sous peine de poursuite ou de sanctions administratives.
Or, dans certains cas il faut sortir des sentiers battus, et oublier les préceptes appris ou applicables dans certaines situations.
Aussi, il faut faire des concessions pour que M. O. puisse reprendre des repères ; cela sans essayer de le brusquer et en prenant le temps nécessaire à cette prise en charge.
Dans notre cas, malgré notre volonté de le prendre en charge de manière « douce », M. O. a refusé de poursuivre son séjour.
Il est retourné dans la rue avec toutes les conséquences liées à cette décision pas nécessairement opportune.
De toute manière nous devons être patients car, même s’il a refusé de séjourner dans notre unité, il accepte de venir dans un des CHRS géré par l’association pour dormir en période hivernale.
De cette façon il accepte plus facilement les soins prodigués sur son pied.
Nous sommes confiants de l’évolution de la situation de ce patient qui va progressivement accepter une prise en charge adaptée à son handicap.

La discrimination dans la prise en charge du patient dans la rue : cas clinique 3
M. S. a intégré il y a deux mois de cela l’unité des LHSS.
Il a été orienté car il présentait une claudication des membres inférieurs, une dyspnée, et des ulcères d’origine veineuse des membres inférieurs.
Ce patient âgé de 62 ans, suite au décès de sa compagne, n’a pas payé de nombreuses factures envoyées à son domicile.
De ce fait, ce retraité a été mis à la rue il y a deux ans de cela.
Il s’est contenté de se loger dans des alcôves à l’abri du froid, ou à certains moments dans des hôtels bons marchés.
Il est diabétique de type 2 et hypertendu depuis 10 ans, et il n’a pas poursuivi son traitement du fait de sa situation sociale ; ce dernier considérant le fait que sa santé était secondaire par rapport à la gestion du quotidien (voir cas N°2).
A notre arrivée, nous constatons que M. S. présente une insuffisance cardiaque avec une FEV à 25 %, une fibrillation atriale, et un descellement de sa prothèse gauche nécessitant une intervention chirurgicale rapide (il a de grosses difficultés à se mouvoir) (cliché 2).


Cliché 2 : Scintigraphie qui objective un descellement prothétique

Compte tenu de sa situation médicale et de ses ressources suffisantes, les éducateurs en charge de cette personne ont proposé de l’envoyer dans un EHPAD.
Cette solution permet de le mettre à l’abri, et de vivre décemment en ayant une aide quotidienne.
Cependant, même si les critères financiers et statutaires permettent cette intégration, nous nous heurtons à de nombreuses interrogations en rapport avec sa situation sociale : alcoolisme, pathologie mentale ; autrement dit une discrimination vis-à-vis de la rue de la part des personnels administratifs de la maison de retraite.

La discrimination des personnels de santé vis-à-vis des patients de la rue (8-9-10)
Les idées pas nécessairement justes concernant les SDF
L’image du SDF est celle d’une personne ayant des problèmes d’hygiène, et ne respectant pas l’ordre établi.
En 2003, une étude diligentée par l’Insee permettait de mettre en lumière le fait que 10 % des patients vivant dans la rue se plaignaient de problèmes digestifs.
De plus, l’étude Samenta mettait en lumière en 2010 le fait que 7,9 % de ces personnes avaient une consommation d’alcool ; le plus souvent les jeunes ayant entre 18 et 25 ans (18,5 %).
De plus, les pathologies psychiques représentent plus de 30 % des personnes vivant dans la rue.
Parmi ces personnes, la prévalence de la schizophrénie est de 3 à 5 fois plus importante par rapport à la population générale.
Ces éléments sont cependant réducteurs, car comme nous le voyons la grande majorité de ces personnes ne présente pas de réelle addiction, ni de pathologie psychiatrique.
En fait l‘image que nous avons est souvent véhiculée par des situations vécues (il s’agit souvent des cas isolés), ou des images reproduites dans les différents médias pour choquer le plus souvent.
Cette perception, tout à fait incorrecte, est souvent la source d’une incompréhension ou d’un refus de soins chez ces patients par certains acteurs de santé (pas nécessairement les médecins).
Le problème de la durée de séjour
Comme nous l’avons présenté précédemment, un séjour en LHSS ne doit pas statutairement excéder 2 mois.
Or, dans le cas de notre patient, la situation sociale ne lui permet pas décemment de revenir dans la rue.
De ce fait, nous avons fermé les yeux (nous sommes avant tout aussi des professionnels humanistes) sur cette notion des deux mois.
Cependant, nous ne sommes pas restés les pieds dans le même sabot, et nous avons essayé de trouver une solution rapide pour que M. S. puisse intégrer une structure en adéquation avec son handicap.
Bien entendu, une proposition pourrait être proposée dans ce cas de figure ; proposition qui serait en accord avec cette situation, les LAM (les lits d’accueil médicalisé).
Les LAM ont pour but de prendre en charge les patients vivant dans la rue ayant des pathologies chroniques graves (cancer, handicap sévère) au long cours.
Malheureusement, ces unités restent très peu développées et existent uniquement dans les grands centres urbains.

Quelles solutions allons-nous proposer à M. S. ?
Nous avons décidé de garder ce charmant patient dans notre structure jusqu’à son hospitalisation pour changer sa prothèse (5 mois de séjour).

A l’issue de cette hospitalisation, et d’une rééducation qui sera entreprise au décours, il va intégrer l’EHPAD qui était très réticent pour accepter son intégration.

Conclusion
La gestion du quotidien au sein d’une structure comme les LHSS nécessite une bonne coordination de l’équipe.
Pour permettre aux résidents de rebondir, et d’éviter une éventuelle stigmatisation suite à leurs problématiques, nous nous reposons sur un travail qui associe les acteurs médicaux et paramédicaux, mais aussi les acteurs travaillant dans le social.
Bien entendu, il est parfois frustrant de ne pas obtenir une réponse adaptée à certaines situations, mais nous devons rester pragmatique.
C’est en travaillant ensemble que nous pouvons mieux appréhender certains cas délicats comme ceux en rapport avec les discriminatoires (cliché 3).

Un grand merci à l’ensemble de l’équipe des LHSS et notamment Lécutier Noémie, et Faillant Antoine les deux aidessoignants de l’équipe.

AUTEURS
Pierre FRANCES
Médecin généraliste coordinateur des LHSS du CHRS Saint Joseph
1 rue Saint Jean Baptiste 66650 Banyuls-sur-mer

RODA Maria FERNANDEZ
Infirmière des LHSS du CHRS Saint Joseph
1 rue Saint Jean Baptiste 66650 Banyuls-sur-mer

Caroline CHAN SUN
Interne en médecine générale
34000 Montpellier

Harriet Phyllis PINNEGAR
Interne en médecine générale
Programme Hippokrates
Seville. Espagne

Bibliographie

  1. Camberlein P. Le dispositif de l’action médico-sociale en France. Ed. Dunod 2011.
  2. Yaouancq F, Duée M. Les sans domiciles en 2012, une grande diversité de situations [Internet]. INSEE; 2014 [cité 28 mai 2019]. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1288519?sommaire=1288529.
  3. Picon E, Sannino N, Minet B, Henocq AC, Seigneur R. Evaluation du dispositif Lits Haltes soins Santé (LHSS). Itinéraire Conseil 2013. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/DGCS-LHSS-rapport_final-12fev2013_itinere.pdf.
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  5. Trigalet P. Précarité et attitudes racistes. Pensée Plurielle 2003; 5: 29-31.
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  7. Dequiré AF. Le corps des sans domicile fixe. Recherches et éducations 2010; 3: 261-283.
  8. Adam C, Faucherre V, Micheletti P, Pascal G. La santé des populations vulnérables. Ed Ellipses 2017.
  9. De La Rochère B. La santé des sans-domicile usagers des services d’aide 2003. Insee 2003. De La Rochère B. La santé des sans-domicile usagers des services d’aide.
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    https://www.inserm.fr/sites/default/files/2017-11/Inserm_RapportThematique_Sementa_2010.pdf.

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°29

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