Le SNJMG a sélectionné cet article pour le blog pour parler de l'internat de MG
Qu’elle voie avec son médecin traitant !
Madame Dupont est venue aujourd'hui avec son petit enfant fiévreux aux Urgences de l'hôpital. Cela fait trois jours et elle est inquiète. Finalement c'est une otite. Je lui donne l'ordonnance pour les médicament. Il y avait aussi cette petite anomalie là, pas urgent mais qu'est-ce qu'on en fait ? Je revois avec mon médecin responsable, mon "senior" (c'est le terme consacré même s'ils ont souvent la trentaine), si elle peut rentrer à la maison.
"Oui, elle consultera avec son médecin traitant."
Son médecin traitant. Mais oui et souvent même j'entends "pourquoi n'est-elle pas allée voir son médecin plutôt ?"
Monsieur Duchmol est venu lui pour un problème qui traîne sur son bras, qui empire doucement depuis quelques mois. Maintenant cela commence à être infecté. Bon, qu'est-ce qu'on fait.
"C'est de la médecine générale ça ! Qu'il voie avec son médecin traitant." Pour certains médecins urgentistes, c'est vraiment agaçant cette manie des gens de venir pour des problèmes de médecine générale.
C'est pourtant pas bien compliqué à la fin ! Tu ouvres le bottin, tu cherches "médecin généraliste" et tu as un médecin traitant ! Les gens sont bêtes ou quoi ? Ils ne font pas d'efforts. Par fainéantise, ils viennent attendre quatre heures aux Urgences.
Comme monsieur Duchmol qui est venu pour son problème dermatologique qui trainait depuis quatre mois. Il ne peut pas prendre un rendezvous chez le dermato comme tout le monde ?
En fait monsieur Duchmol aimerait faire ça mais il n'a pas un rond. On lui a dit qu'il avait droit à la CMU mais pour ça il faut une adresse, et il n'a pas d'adresse, et il n'arrive pas à faire les papiers, et ça traîne... Et puis même s'il avait réussi à faire les papiers pour avoir la CMU, malheureusement cela n'aurait pas été la fin de ses problèmes puisqu'un certain nombre de médecins refusent ce type de "profil".
Voir par exemple cette article de 2009 à propos de l'étude qui montrait qu'un quart des médecins parisiens interrogés refusaient les patients avec la CMU, ou encore l'étude du Défenseur des droits de 2017 à ce sujet dont je vous recommande la lecture.
Revenons à Madame Dupont qui a sa carte vitale à jour et pourtant n'a pas de médecin traitant. Allez, mettons-nous dans ses chaussures. Ludo est malade, elle habite dans le quartier depuis pas très longtemps. Elle ouvre les Pages Jaunes : "médecin généraliste". Elle appelle le premier.
Répondeur... "Pour prendre rendez-vous aller sur doctobib". Elle va sur doctobib. Motif de consultation : elle coche : "consultation de médecine générale" (et ne coche pas "épilation au laser"). Case suivante : "Etes-vous déjà patient du Dr Knock ?" Réponse : "non". Une fenêtre s'affiche : "le Dr Knock ne prend pas de nouveau patient." Bon. Prochain sur la liste... Elle en fait trois ou quatre. Le dernier lui propose une faveur : un rendez-vous dans deux jours. Elle regarde la tête de Ludo... Elle va aux Urgences.
Mais bizarrement les médecins semblent ne pas voir du tout la difficulté que peut représenter de trouver un médecin en ville. Bizarre bizarre comme c'est bizarre... Mais bien sûr, parce que quand vous êtes médecin, d'une part vous pouvez vous payer n'importe quel médecin secteur 2 avec dépassement d'honoraire, mais en plus, vous avez accès à un circuit parallèle direct ! On appelle son copain, son collègue, on demande au collègue du copain et au pire on lui envoie la photo par téléphone et on va se chercher les médicaments soi-même.
Si vous êtes médecin, vous ne vous retrouverez pas assis aux Urgences pendant quatre heures avec le petit Ludo sur les genoux pour une otite, forcément.
Quand on regarde chez nos pays voisins, en Suède, en Finlande ou en Espagne, on se rend compte que notre système ne va pas de soi.
Par exemple en Catalogne, le système fonctionne avec des centres de santé pluriprofessionnels gérés par les pouvoirs publics et répartis sur le territoire en fonction du nombre d'habitants, ouverts 24h/24. Pour consulter, on prend rendez- vous sur le site public pour la journée même. On consulte sans avancer d'argent. Les vaccins sont disponibles sur place. Ce système a sûrement beaucoup de problèmes (par exemple une diminution d'effectifs récente qui fait que cet idéal marche moins bien ces derniers temps) mais dans l'idée cela semble tout de même plus proche de ce que devrait être un service public de soins primaires accessible à tous que notre système.
En bref, avant de reprocher aux patient.e.s d'avoir un comportement trop feignant, d'être "mal éduqués", de "venir pour rien" aux Urgences, comme on l'entend trop souvent, il y aurait pas mal d'autres questions intéressantes à se poser.
Billet de blog sélectionné par le SNJMG avec l'accord de l'auteur
Note : noms et cas inventés.
Un peu de lecture
- L'étude du défenseur des droits sur les refus de soins et discriminations : « Des pratiques médicales et dentaires, entre différenciation et discrimination ». Une analyse de discours de médecins et dentistes, Laboratoire LEPS – Université Paris XIII.
- Article sur l'organisation des soins primaires dans différents pays : Trois modèles types d’organisation des soins primaires en Europe, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Yann Bourgueil, Anna Marek, Julien Mousquès (Prospere*/Irdes).
Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°27