Actualités : Accueil et soin des personnes transgenres aux urgences

Publié le 30 mai 2025 à 18:35
Article paru dans la revue « AJMU- Magazine de l'AJMU ( spécial Congrès) » / AJMU N°32

« Patient trans ? Jamais vu dans mes bouquins ». Eh oui, malheureusement, la prise en soin des personnes trans nous l'apprenons sur le terrain et souvent au dépend de ces patients, avec un lot de stigmatisation important. On s'est déjà tous posé la question… Comment adapter ma pratique face à un patient trans ? Que dire, ne pas dire ? À côté de quoi ne pas passer sur le plan médical ? À quels effets secondaires des traitements hormonaux être attentif ? Voici un dossier qui t'aiguillera sur la conduite à tenir et qui t'apprendra tout sur quoi faire et ne pas faire face à un patient trans aux urgences, en espérant que ça te permettra d'aborder ces situations avec le plus de bienveillance possible à l'avenir.

On estime qu'il existe plus de 180 000 personnes trans ou non binaires en France (jamais officiellement recensé). Dans ces populations, l'accès aux soins est une problématique vitale mais complexe.

L'enquête du CRIPS-CIRDD (2007) en association avec Act Up-Paris, révélait entre autres que « 20 % des participants [personnes trans] déclarent avoir renoncé à des soins par crainte d'être discriminés du fait de leur transidentité ».

En 2011, l'enquête Chrysalide « Santé Trans » retrouvait cette fois un chiffre de 35 % de renoncement aux soins, soit une personne trans sur trois.

Toujours dans l'enquête Chrysalide, à la question : « avez vous déjà été mal à l'aise avec un médecin pour une raison en rapport avec votre transidentité ? », 75 % des personnes répondaient oui, dont 57 % « en raison de l'attitude du médecin ».

Vocabulaire et notions clés

Genre (en sociologie)

Construction sociale complexe établissant des rapports et rôles sociaux via un processus de catégorisation binaire (homme/femme).

Personne transgenre

Personne qui s'identifie à un genre différent de celui qui lui a été assigné à la naissance.

Personne cisgenre

Personne non trans, c'est-à-dire une personne qui s'identifie au genre qui lui a été assigné à la naissance.

AFAB

Assigned Female At Birth.

AMAB

Assigned Male At Birth.

Dysphorie de genre

Détresse psychique liée à l'inadéquation entre le corps et l'identité de genre.

Transition

Processus de changement de genre, qui regroupe l'affirmation de changement d'identité de genre, +/- les démarches sociales (changement d'état civil), +/- le traitement hormonal, +/- la chirurgie de réassignation de genre.

La transition peut être MtF (Male to female) ou FtM (Female to male), ou encore H/F vers non binaire, ou non binaire vers H/F.

Deadname

Ancien prénom, assigné à la naissance (attention, certaines personnes trans gardent leur prénom de naissance même après la transition).

Mégenrer

Ne pas utiliser le genre à laquelle la personne s'identifie / utiliser le pronom associé au genre de naissance.

S'outer Révéler sa transidentité (se faire outer signifi e qu'une autre personne a révélé de manière publique la transidentité de la personne. L'outing ne doit jamais se faire sans le consentement de la personne concernée).

Passing

Fait d'être perçu par les autres du genre qui ne nous avait pas été assigné à la naissance (ex : femme trans perçue comme une femme cis par la société).

Packing

Méthodes utilisées pour donner une impression de volume à son entrejambe (chaussettes en boule, prothèses, …).

Termes à éviter

• Transsexuel, transsexualité dire transgenre, transidentité

• Transformation dire transition.

• Opération de changement de sexe dire chirurgie de réassignation sexuelle.

• Travesti.

Accueil administratif et médical d'un patient trans

Dossier administratif et état civil

Le parcours de changement d'état civil est particulièrement long et difficile pour les personnes trans. S'il n'existe plus d'obligation de « changement de sexe » ni de traitement médical obligatoire pour l'obtenir, les démarches n'en restent pas moins longues et complexes afin de prouver que l'identité de genre actuelle ne correspond pas au sexe notifié sur les documents administratifs.

Vous ferez donc face à beaucoup de patients trans en cours de CEC (changement d'état civil), qui n'auront pas tous leurs papiers administratifs à jour.

Et si j'ignore que le patient est trans mais qu'il y a une discordance entre le genre visible du patient et les données administratives ?

• Si le patient ne le signale pas spontanément, demander si le prénom enregistré sur le logiciel/présent sur les papiers d'identité est le prénom d'usage

• Demander dans tous les cas le(s) pronom(s) d'usage (et à tous les patients ce serait encore mieux !).

De la même façon, entamer une transition est un processus long.

En effet, le patient doit le plus souvent passer par un suivi avec un psychiatre, qui choisit de délivrer l'attestation de dysphorie de genre, donnant ensuite accès au reste du parcours endocrinologique et/ou chirurgical.

Tous les patients ne souhaitent pas avoir recours à une transition médicale ou chirurgicale. La bienveillance est de mise peu importe le passing et l'étape de transition du patient.

Par ailleurs, les patients trans peuvent bénéficier de l'ALD 31 et donc être remboursés à 100 % pour les soins en rapport à leur parcours de transition et complications médicales.

Approche médicale : anamnèse et examen clinique

Faire une anamnèse et un examen clinique standard, orienté selon le motif d'entrée.

Ne pas déshabiller le patient entièrement sauf si nécessaire. Éviter d'être nombreux dans la pièce si c'est le cas, ainsi que les démonstrations aux étudiants.

Ne pas poser de questions sur la transition ou l'aspect des organes génitaux si cela n'a pas d'intérêt par rapport au motif d'entrée (ex : traumatisme crânien).

Vous pourrez fréquemment faire face à des blessures d'automutilation (scarifications, brûlures, …), il convient comme avec tout autre patient de ne pas s'y attarder sauf demande explicite de sa part, et de ne pas juger.

De même, attendez-vous lors du déshabillage à trouver bin der (bandage compressif sur la poitrine), prothèses, objets de packing. Il est préférable de ne pas s'y attarder et de ne pas poser de questions indiscrètes sans caractère médical.

À quoi penser lors de ma réflexion diagnostique ?

Penser aux douleurs d'endométriose ou pathologies ovariennes (torsion, kyste) ainsi qu'aux pathologies mammaires (mastite, kystes, cancer) chez l'homme trans.

Penser aux β-HCG en cas de douleur abdominale/nausées/ vomissements ou avant un examen irradiant si la personne possède un appareil reproducteur féminin fonctionnel.

Penser aux pathologies urologiques (prostatite, torsion testiculaire) sur point d'appel notamment chez les femmes trans n'ayant pas eu recours à une chirurgie de réassignation.

Ne pas oublier le risque d'IST qui est plus élevé dans la population trans, en grande partie à cause du manque d'accès aux soins.

Pathologies médicales vues aux urgences en lien avec la transidentité

Liées au traitement hormonal :

Testostérone (Androtardyl, Nebido en IM) :

• Clinique : euphorie ou somnolence après les premières injections, douleur au point d'injection, ictère et tumeur hépatique (à long terme), décompensation d'une insuffisance cardiaque, aggravation d'un cancer androgénodé pendant, décompensation d'une épilepsie même traitée.

• Biologie : polyglobulie, hépatite, dyslipidémie.

• Pharmacologie : majore l'activité des AVK, renforce l'activité hypoglycémiante de l'insuline.

Œstrogènes (gel, patch, injection, spray nasal) : risque thromboembolique, bouffées de chaleur, état dépressif.

Anti-androgènes

• Bicalutamide : allongement du QT, anémie, vertiges, douleur abdominale, nausées/vomissements.

• Décapeptyl (injection SC) : allongement du QT, anémie, nausées, douleurs musculosquelettiques.

• Androcur : méningiome, cytolyse, hépatites fulminantes, déséquilibre du diabète.

• Spironolactone : déshydratation, hyperkaliémie.

Progestérone : bien tolérée.

Liées aux traitements associés à la transition :

Monoxidil solution pour application cutanée (utilisé pour augmenter la pilosité) : risque d'effets systémiques (HTA, tachycardie, vertiges, céphalées), irritation cutanée, photosensibilité, prurit, réactions allergiques.

Épilation laser : irritation cutanée, hyperpigmentation.

Binder : le binder est un bandage compressif utilisé pour masquer la poitrine. Utilisé trop longtemps ou à la mauvaise taille, il peut créer hématome et fêlure de côte.

Liées aux complications post-opératoires :

Vaginoplastie/labiaplastie : infection, fistule, sténose, saignement (Attention : ne pas utiliser de spéculum en post-opératoire précoce).

Phalloplastie/metaidoïoplastie : infection post-opératoire.

Mammectomie : infection, œdème, hématome, retard de cicatrisation.

Prothèse mammaire : infection, déplacement, rupture.

Liées aux complications de la PMA :

Syndrome d'hyperstimulation ovarienne

Fausse couche spontanée

Grossesse multiple

Liées aux pathologies fréquemment associées à la transidentité :

Troubles anxieux (TAG, PTSD, trouble panique, phobie sociale)

Épisode dépressif caractérisé, crise suicidaire, TS

TCA

Syndromes douloureux chroniques

IST

Complications de la PrEP

La prise en charge de ces différentes pathologies ne diffère pas par rapport aux patients cis mais une attention particulière doit être portée au psychotrauma et à la dysphorie de genre qui peuvent aggraver le tableau.

Témoignages

Voici quelques témoignages anonymes de personnes trans ayant déjà été confrontées à un passage aux urgences.

« La toute première chose que j'attends d'un médecin c'est un bonjour sans “monsieur/madame” qui suit déjà (car c'est régulier, surtout en cas d'urgence, on a tendance à répéter “monsieur, madame”). […] C'est inutile et ça peut être blessant pour des enby [personnes non binaires]. Mais ce n'est pas le plus “important”. On attend surtout un respect des pronoms et du prénom. Iels ne peuvent pas le deviner, donc effectivement c'est important - si on en a la possibilité - de le préciser, mais respecter nos pronoms/prénom, ça permet de nous mettre à l'aise, et de venir plus facilement aux soins que si ce n'était pas le cas. Combien de personnes trans repoussent voire refusent d'aller se faire soigner à cause de ça. Évidemment, les remarques sur la présence ou non de passing ne sont pas à faire non plus. Présenter ses pronoms et prénom n'est pas une agression en mode “vous avez fait une erreur” mais c'est surtout là pour donner des informations, qui, qui plus est pourront aider les soignantes en fonction de l'acte requis {je rajouterai également, que si l'urgentiste réagit correctement face à ça, ça mettra beaucoup plus facilement la personne en face en confiance et ça pourra l'aider}.

Que ça soit un problème lié aux hormones ou aux opé [opérations], c'est des choses qui peuvent nous amener à consulter en urgence. Mais je pense que la question peut être nuancée aussi. On peut par exemple arriver aux urgences suite à une agression sexuelle ou physique, lié à de la transphobie. Bien que la situation se gère d'un point de vue strictement biologique comme les personnes cis, d'un point de vue social et psychologique pour une personne trans ça peut être très différent. Par ex, une personne très dysphorique qui vient de subir une agression aura beaucoup plus de mal à se laisser soigner/prendre en charge si elle est mégenrée, si son genre n'est pas respecté ou qu'elle perçoit de la transphobie. C'est primordial de créer un espace safe pour gérer les situations d'urgence pour des personnes trans. […] Beaucoup d'entre elleux (moi compris·e) préfère ne pas aller être pris·e en charge, sauf en cas d'urgence vitale. Typiquement, la prise en charge d'une personne trans suite à une TS [tentative de suicide] (ce qui est malheureusement courant), est dans la majorité des cas catastrophique. Beaucoup de jugement, de malveillance, et de manque d'empathie quant à nos identités et nos vécus. Il y a plein d'autres situations je pense aussi. Typiquement, j'ai une amie qui a un cancer de la prostate et qui a dû aller aux urgences et elle se sentait d'autant plus mal car la façon dont on lui a parlé {exclusivement au masculin avec un discours qui plus est homophobe} était hyper violente, en plus de l'expérience déjà très difficile pour elle car c'est une maladie considérée comme une maladie “d'hommes”. ».

« Au niveau des pronoms j'ai la chance d'avoir un cispassing parfait et des papiers à jour donc je n'ai jamais de problèmes à ce niveau. Mais demander les pronoms des gens me semble important de manière générale, ou au moins éviter le monsieur/madame et parler au neutre. J'attends également de la discrétion afin de ne pas me faire outer aux autres patients qui attendent et vis-à-vis de l'équipe paramédicale qui n'est pas forcément obligée d'être au courant.

La grosse problématique c'est de devoir s'outer, on ne sait jamais la réaction en face. Évidemment devoir se déshabiller devant un professionnel de santé avant les opérations de réassignation est une grosse épreuve psychologique et devrait être limitée à un seul membre coordinateur de la prise en charge aux urgences (donc pas aux infirmiers, externes, étudiants, voire internes qui ne participent pas à la prise en charge... Qui font souvent preuve de curiosité mal placée). Il y a également certains professionnels qui posent beaucoup de questions intrusives sur la transition sans que ça n'ait forcément d'intérêt par rapport à la prise en charge. À l'extrême certains médecins essaient de rallier les symptômes à la transidentité sans que ça n'ait de pertinence médicale. ».

« L'effet “bête de foire” est terrible, ça m'est beaucoup arrivé après ma mammec' [mammectomie]. Que ce soit par mon infirmier qui venait faire mes injections à la maison ou le personnel à l'hôpital, c'était insupportable. Aussi on m'a beaucoup posé la même question sous différentes formes, mais toujours similaire : “alors c'est pour quand la suite ?”/”vous avez déjà une date pour en bas ?”. Donc oui c'est super fétichisant. Faut que les gens comprennent une autre chose aussi, c'est que toutes les personnes trans n'ont pas les mêmes attentes de leur transition et que chaque parcours est vraiment différent, mais tout aussi légitime. C'est vraiment à prendre en compte, parce que beaucoup partent du principe que tu veux forcément tout changer, alors que ben pas forcément. Tout le monde ne veut pas d'hormones, de chirurgies, etc. (et tout le monde n'y a pas accès non plus, que ce soit financièrement ou sinon à cause de leur santé).

Quand les soignantes voyaient mon torse, iels me faisaient toujours une réflexion sur le résultat. C'était positif pour eux je pense, du style “ah les cicatrices se voient pas sur vous”, mais ça l'est pas pour moi. Parce que ça veut dire que par derrière ça critique celleux qui ont des cicatrices visibles. Mais vraiment on ne leur demande pas de juger du résultat, iels ont eu du mal à comprendre pour moi. C'était vraiment fatiguant ! Oui je pense que ça [ce dossier] permettra déjà d'essayer de déconstruire un peu la binarité qu'on leur enseigne ! ».

Publié le 1748622916000