À l'horizon 2032 quid des démographies médicales à l’hôpital public ?

Publié le 18 Jul 2022 à 13:53


Si l’évolution démographique de la population française est parfaitement anticipée par les données de l’INSEE, l’évolution démographique médicale globale et par spécialité, même si elle reste plus difficile à lire, notamment pour les effectifs de l’hôpital public, peut cependant dès aujourd’hui être anticipée grâce aux données prédictives générales de la DREES jusqu’en 2050 (ref 1 et 2) et grâce aux tendances hospitalières de 2011 à 2021 publiées par le Centre National de Gestion (CNG) (ref 3). Nous pouvons donc réaliser une prévision « météo » de l’évolution du « temps médical » qu’il fera en France et plus particulièrement dans les hôpitaux publics, à partir de la lecture de ces documents accessibles en ligne (ref avec QR code en fin d’article).

DE 2011 À 2021, QUELLE A ÉTÉ L’ÉVOLUTION DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE DANS LES HÔPITAUX PUBLICS ?

Les données disponibles viennent de la base SIGMED, mais qui ne gère que les PH statutaires (probatoires et titulaires). Au 1er janvier 2021, on dénombre 45 127 praticiens hospitaliers (PH) en exercice, contre 40 872 en 2011, soit une augmentation de 10,4 % en 10 ans. Cependant entre 2020 et 2021, l’ensemble des PH n’a enregistré une progression que de 0,5 %. Elle était de 1,0 % entre 2019 et 2020.

Quel que soit le statut, la part des femmes poursuit sa progression. Elle est de 53,5 % en 2021 versus 52,8 % en 2020, chez les PH temps plein. Alors que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les classes d’âges les plus jeunes, la distribution s’inverse et le ratio devient supérieur à 1 à partir de 55 ans.

Plus d’un tiers des praticiens hospitaliers exercent en CHU/CHR, en légère augmentation  : 33,9 % en 2021 contre 33,1 % en 2020. En centre hospitalier, une plus grande part des PH temps plein y exerce en psychiatrie (15,0 % contre 4,5 % en CHU/CHR).

Pour toute la France, la densité est de 66,9 PH pour 100 000 habitants au 1er janvier 2021 contre 67,1 PH/100 000 ha au 1er janvier 2020.

La progression du nombre de PH est donc en retard sur l’évolution démographique de la population.

De plus il y a de grandes disparités par région, voire territoriales, qui s’ajoutent à des disparités de densité en médecins libéraux.
Deux régions ont une forte densité globale de médecins : ProvenceAlpes-Côte d’Azur PACA (408,2 médecins pour 100 000 ha) et Îlede-France (390,2 médecins pour 100 000 ha). PACA, La Réunion et l’Occitanie restent les régions les plus dotées en médecins généralistes. (Fig 1 – ref 3)

Fig. 1 - Densité des médecins par région

Le taux de vacance statutaire des postes de PH est à considérer avec précaution : le nombre de postes vacants varie de façon importante selon le moment où la statistique est produite, et de la mise à jour des postes existants dans SIGMED. De plus, des postes vacants peuvent être occupés par des praticiens contractuels (PC). L’enquête nationale du CNG en janvier 2017 montrait que près d’un tiers des postes de PH vacants étaient provisoirement occupés par des PC. Le taux de vacance statutaire (TVS) n'est donc pas le taux de vacance réel. Pour les PH temps plein le TVS atteignait 31,6 % 1er janvier 2021, versus 30,3 % en 2020. Seule La Réunion enregistrait une diminution (- 2,8 points). Chez les PH temps plein, le TVS le plus élevé est relevé depuis 2019, en imagerie médicale (43,4 %), tandis que le plus faible concerne la pharmacie (12,1 %).

LES EFFECTIFS PAR DISCIPLINES ET PAR SPÉCIALITÉS MÉDICALES AU 1ER JANVIER 2021

Odontologie polyvalente : 238 PH dont 58 % de temps plein.
Radiologie : 1 624 PH dont 83,6 % de temps plein.
Biologie : 2 081 PH dont 95,7 % de temps plein.
Pharmacie polyvalente  et hospitalière : 2 823 PH dont 94,1 % de temps plein.
Psychiatrie polyvalente : 5 184 PH dont 89,9 % de temps plein.

Chirurgie et répartition des spécialités  : 5 716 PH dont 87,8  % de temps plein. Trois spécialités représentent plus de la moitié des chirurgiens (56 %) : la chirurgie gynéco-obstétrique (28,3  %), la chirurgie ortho et traumato (16,4  %) et la chirurgie viscérale et digestive (11,3 %). Viennent ensuite la chirurgie ORL (9,3  %), la chirurgie urologique et la chirurgie ophtalmo (6,4  % chacune... mais seulement 63  % de temps plein ophtalmo vs 93,1 % urologues).

Médecine et répartition des spécialités : 27 461 PH dont 91 % de temps plein. Six spécialités représentent plus des deux tiers (67,7  %) des effectifs médicaux  : la médecine d’urgence (17,6  %), l’anesthésie-réanimation 13,3  %, la médecine générale (13,2  %), la pédiatrie (9,9  %), la gériatrie (8,7  %), la cardiologie-maladies vasculaires (5  %). La médecine générale MG, troisième effectif médical hospitalier, cela pourrait relever du paradoxe. Cependant jusqu’en 2008 les concours de PH médecine polyvalente, médecine polyvalente gériatrique et médecine polyvalente d’urgence, recrutaient presque exclusivement des praticiens de MG. Depuis 2009, les PH sont nommés en gériatrie, médecine d’urgence et non plus en médecine polyvalente, mais en MG pour correspondre à la spécialité d’inscription à l’Ordre. Les nominations de PH en MG correspondent à des compétences et des exercices très variables. En dehors des plus anciens nommés PH aux urgences ou en gériatrie, ils exerceraient majoritairement une activité de médecine polyvalente en secteur de médecine non programmée, voire en HAD, en SSR, et même dans des services de chirurgie ou de spécialité médicale. Cependant certains n’ont que des activités spécialisées, beaucoup moins polyvalentes, mais très variées. Exemple : sommeil, angiologie, soins palliatifs, hygiène, information médicale, etc.

Enfin, en ce qui concerne les sages-femmes, nous ne disposons que des données de la DREES, et bien sûr pas du CNG qui ne gère pas (encore ?) cette profession médicale. Après une augmentation forte des effectifs globaux entre 2012 et 2017, ceux-ci se sont stabilisés à 23 400 en 2021, dont 97  % de femmes. Depuis 2012 l’exercice libéral ou mixte augmente. Les diplômes étrangers ne représentent que 7,5 % de l’effectif, essentiellement de l’union européenne. Il est prévu une croissance globale modérée jusqu’au milieu des années 2040, puis un léger recul. Au total la progression prévisible serait de 24 % entre 2021 et 2050, mais avec un taux de salariés (dont les hospitaliers) stable (+ 1  %) et une progression des libéraux et de l’exercice mixte de 70 %. Selon le rapport de la DREES il existe un double problème pour les sagesfemmes : celui de la stagnation de la rémunération et celui de la part de l’exercice hospitalier salarié.

QUELLE ÉVOLUTION DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE GLOBALE EN FRANCE À L’HORIZON 2032 – 2050 ?

Les effectifs médicaux vont globalement stagner jusqu’en 2030 puis augmenter de presque un tiers à l’horizon 2050, mais avec quelques différences pour certaines spécialités. Depuis 2012 les effectifs de la MG sont en baisse de 5,6  % alors que les effectifs des autres spécialistes ont augmenté de 6,4. En raison des départs en retraite et d’un numerus clausus faible dans les années 90, les médecins ne seront plus que 209 000 en 2024, soit 2,7  % de moins qu’en 2020 avant de remonter modérément jusqu’en 2030, puis de 18  % entre 2030 et 2040, pour atteindre 36 % de plus, soit 292 000 en 2050. La baisse va cependant continuer à toucher la médecine générale qui ne retrouverait son effectif actuel que vers 2030-2032. Cependant d’ici 2050 les effectifs de la MG devraient augmenter de plus de 30  %, comme la majorité des spécialités. Il faut néanmoins souligner que trois spécialités vont voir leurs effectifs diminuer progressivement pour être deux fois moins nombreux en 2050 : la pédiatrie, qui va passer de 6 914 à 3 245 praticiens, (alors que les gynéco-obstétriciens (GO) vont presque doubler), les pneumologues, qui vont passer de 2 626 à 1 266 et les chirurgiens (hors GO, ophtalmo et ORL) qui eux ne seront plus que 5 615 en 2050, contre 11 686 en 2023.

Cependant, malgré l’augmentation prévue des effectifs, compte tenu de l’augmentation de la population et de son vieillissement, ce modèle montre une diminution de la densité médicale en France dans les prochaines années. Cette baisse est encore plus forte si l’on considère la densité médicale standardisée, qui tient compte de la hausse des besoins de soins induite par le vieillissement de la population. Les effectifs médicaux vont donc augmenter, mais moins que la densité médicale par habitant, elle-même moins que la densité médicale standardisée. (Fig 2 et 3 – ref 1)


Fig. 2 - Pondération des consommations de soins par tranche d'âge en 2018


Fig. 3 - Effectifs médicaux, densité médicale et densité médicale standardisée pour la médecine générale et les autres spécialités

La féminisation de la profession (62  % des médecins de moins de 40 ans sont des femmes) et le recul de l’exercice libéral au profit du salariat ou d’un exercice mixte doivent faire repenser le modèle de l’offre de soins primaires en médecine générale, notamment dans les territoires appelés abusivement et avec une note de culpabilisation, des « déserts médicaux ».

QUELS SONT LES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE LA LECTURE DE CETTE « MÉTÉO » DÉMOGRAPHIQUE MÉDICALE SUR L’HÔPITAL PUBLIC ?

  • Une compensation par les urgences adulte et pédiatrique, de la carence en soins primaires annoncée jusqu’en 2032, surtout dans les régions les moins dotées en médecins généralistes.
  • Les services de médecine interne polyvalente et de médecine gériatrique aiguë, ainsi que les services de la revalidation et du temps de la cicatrisation, que sont les SSR, vont également devoir augmenter leur offre de soins pour des services d’urgences saturés de patients complexes et âgés.
  • Une concurrence d’attractivité avec l’exercice libéral pour certaines spécialités, certes financier, mais surtout de confort d’exercice, en opposition à la pénibilité liée aux missions de PDS qui échoit in fine aux établissements publics, même dans les zones médicalement très denses.
  • Une prospective d’évolution d’effectifs médicaux inquiétante d’ici 2050, pour la pédiatrie, la pneumologie et la chirurgie, spécialités très importantes dans les hôpitaux et surtout pour la PDS.
  • Une inquiétude également pour les effectifs hospitaliers de sages-femmes, si l’attractivité hospitalière ne s’améliore pas.

En conclusion il n’y aura pas d’avenir sans un système de santé répartissant mieux territorialement et pour l’ensemble des praticiens, les contraintes de la PDS et des soins primaires. La médecine de « pointe » ne culminera pas très haut sans s’effondrer, si l’on ne peut consolider les fondations de la médecine de soins primaires et de la permanence des soins, afin de faire face aux évolutions démographiques et des besoins de santé de la population. La « crise des urgences » n’est que la partie émergée de l’iceberg sur lequel risque de se fracasser le « Titanic » de la politique de santé française. Les Etats Généraux de la Santé pour revoir notre modèle d’organisation et de financement des soins médicaux dans les territoires, sont plus que jamais une URGENCE !!!

Ref 1  : Quelle démographie récente et à venir pour les professions médicales et pharmaceutiques ? Constat et projections démographiques.
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/DD76.pdf
Ref 2 : Outil dataviz.Drees, pour les projections d’effectifs de médecins.
https://drees.shinyapps.io/Projection-effectifs-medecins/
Ref 3 : Praticiens Hospitaliers, éléments statistiques sur les PH statutaires – Situation au 1er janvier 2021 – à partir de la base de données SIGMED du CNG. https://www.cng.sante.fr/sites/default/files/media/2022-02/2021_Bilan_PH.pdf


Dr Eric OZIOL

Secrétaire Général
du SYNDIF (Syndicat
des Internistes
Français)

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH24

Publié le 1658145207000