Voyage au pays du cerveau

Publié le 11 May 2022 à 11:18

FIAMMA LUZZATI EST LE GENRE DE PERSONNE À AVOIR EU MILLE VIES. ITALIENNE QUI TRAVAILLAIT DANS LA PUB, ELLE S’EST MISE AU DESSIN IL Y A À PEINE 5 ANS. CETTE AUTODIDACTE VIT DÉSORMAIS À PARIS ET TIENT UN BD BLOG SCIENTIFIQUE SUR LE SITE DU MONDE, L’AVVENTURA. SURTOUT, ELLE VIENT DE SORTIR LA FEMME QUI PRENAIT SON MARI POUR UN CHAPEAU - VOYAGE AU PAYS DU CERVEAU (ED. DELCOURT), CLIN D’OEIL ET HOMMAGE À L’HOMME QUI PRENAIT SA FEMME POUR UN CHAPEAU, DU CÉLÈBRE NEUROLOGUE OLIVER SACKS. “H” A VOULU EN SAVOIR PLUS SUR CETTE SUPER BD QUI NOUS EMMÈNE À LA RENCONTRE DE SPÉCIALISTES DE RENOM ET DE PATIENTS TOUCHANTS.

Propos recueillis par Elsa Bastien

Comment en êtes-vous arrivée à faire de la vulgarisation scientifique ?
Par curiosité. Je m’intéresse beaucoup à la neurologie et à la psychiatrie, tout ce qui a traitau cerveau en fait. Mais sur mon blog, j'ai aussi traité d'autres sujets comme les déchets nucléaires ou les toits végétalisés. Mais la médecine est la science qui m'intéresse le plus !

Au début, votre blog parlait des aventures d’une Italienne à Paris...
Oui, sur mon blog hébergé par Libération, j'avais commencé à raconter les histoires d'une Italienne à Paris, ça n'avait rien de scientifique. J'avais envie de traiter d'autres sujets, et leMonde s’est montré intéressé par la science. N'ayant pas de formation scientifique, j’aborde ces sujets de façon très naïve, je me mets à la place du tout-venant, et j'essaye de l'aborder avec humour.

Dans votre livre, on rencontre de grands médecins : ça n’a pas dû être facile de rentrer contact avec eux.
Etre protagonistes d'une histoire en BD les amuse plus que d’être interviewés pour un article. Et puis il y a toujours tout un chemin : je rencontre un médecin qui me dit d'aller en voir un autre etc. C’est un réseau de rencontres qui fonctionne bien.

Vous saviez dès le début que vous alliez publier un livre de ces rencontres ?
Oui, j'avais en tête de faire un livre en BD qui soit proche de l'oeuvre d'Oliver Sacks. J'aime beaucoup sa démarche. Au début je me disais que je pourrais trouver un neurologue un peu dans son style, avec une longue carrière, des patients très différents... Et j'ai dû me rendre à l'évidence : ce n’est pas possible de trouver une telle personne.

Pourquoi est-ce impossible ?
Les chercheurs sont poussés par la nécessité d'avoir une carrière, d'émerger, de trouver des fonds. Il faut publier le plus possible et le plus rapidement possible. Donc trouver quelqu’un qui suit des patients sur la durée, qui ait à la fois une activité clinique et un intérêt pour la recherche... Puis les gens sont plus mobiles, les médecins comme les patients. 

Vous avez donc choisi de rencontrer plusieurs spécialistes
Oui, j’ai collecté des histoires de différents spécialistes. Contrairement à l'époque de Sacks,il y a 30 ans, en neurologie les médecins sont aujourd’hui très spécialisés et travaillent en équipe : à l'Institut du cerveau, il y a le spécialiste de la conscience, d'Alzheimer, de Parkinson, de dégénérescence frontotemporale... Ils travaillent en équipe. J'ai trouvé qu'en faisant ce parcours où chacun d'eux me racontait une expérience, un cas clinique, j'arrivais à reconstituer un univers qui pouvait ressembler à celui de Sacks, mais avec beaucoup plus d'acteurs.

Pourquoi cette passion pour la science du cerveau ?
Le cerveau intéresse plein de monde, quand je publie des billets sur ce sujet dans le Monde, je reçois beaucoup de commentaires, de réactions... Moi, ça m'a toujours intéressée parce que j'ai grandi avec un frère schizophrène. La pathologie psy est quelque chose que j'ai vu de près. Enfant, je ne comprenais pas et ça me terrorisait, par la suite, ça m’a fascinée. En plus, la schizophrénie parmi toutes les pathologies psychiques est peut être l’une des plus complexes, des plus intéressantes, disent les psychiatres. 

Quels retours avez-vous eu des patients et des médecins ?
Déjà, je romance tout ! Les histoires sont anonymisées. Mais beaucoup m'ont remerciée, parce que je m'intéressais à leur pathologie, certains y voyaient une démarche solidaire

Selon vous, la santé mentale est toujours taboue ?
Oui ces pathologies sont encore stigmatisées. Si tu as des troubles bipolaires, et que tu veux un travail, il ne vaut mieux pas le dire à ton patron. Alors que sous traitement, il est possible de vivre tranquillement, d’avoir une famille etc ! Moi je voulais aussi montrer, globalement, qu’il y a des solutions, des traitements, aux pathologies psy. Les gens sont plus réticents à le penser par rapport à des pathologies non psy. Ils ont tendance à consulter moins, moins vite, et donc à s'enfoncer. Et puis il y a une certaine opacité : les gens ne savent pas à qui s'adresser. En France, comme dans d'autres pays, la psychanalyse occupe ce terrain. Mais certains problèmes ne peuvent être traités par la psychanalyse, or on a plus tendance aujourd'hui à aller voir un psychothérapeute qu'à aller voir un psychiatre. Cela peut être dommageable et provoquer une certaine errance thérapeutique.

Il ressort de votre BD une fort belle image du métier de médecin.
Oui ! Et puis, je choisis de raconter les histoires dans lesquelles je me sens en harmonie avec le médecin, en émulation. J'ai beaucoup d'admiration et d’empathie envers les médecins, ce sont des gens très humains.  

Vous évoquez tout de même dans votre BD des expériences minoritaires, d’autres manières de pratiquer la médecine.
Je pense par exemple à la clinique de La Borde, créée par Jean Oury, un château presque abandonné qui a été récupéré par ce psychiatre dans les années 50 pour devenir le théâtre d'une expérience fondamentale de la psychiatrie institutionelle. Il y a cette fluidité déroutante au début quand on arrive, les soignants sont mélangés aux soignées, personne n’a de blouse etc. Ce n'est pas comme à l’hôpital où les rôles sont très précis. On se soigne à tout moment, en faisant de la cuisine ou du théâtre autant qu'en prenant des médicaments ou en discutant avec le psy. Aujourd’hui, on va de plus en plus vers ça. L’hôpital psy s’est ouvert et ce, pour plusieurs raisons, éthique ou thérapeutique mais aussi économique. Ce n'est plus une forteresse dans laquelle on est enfermé.

LE BLOG DE FIAMMA LUZZATI :
LAVVENTURA.BLOG. LEMONDE.FR/

SES OUVRAGES :
LE CERVEAU PEUT-IL FAIRE DEUX CHOSES À LA FOIS ?
ED.
DELCOURT

POUR "H", ET AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DES ÉDITIONS DELCOURT, NOUS VOUS PROPOSONS UN EXTRAIT DE LA BD.



Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°16

Publié le 1652260709000