Enquête parmi les internes de médecine générale
Dans la littérature internationale, de nombreux articles traitent des violences subies par les étudiant.es en médecine. Les données sont hétérogènes puisque relatives aux textes de loi propres à chaque pays, mais elles sont sans appel : Partout, les étudiant.es en médecine subissent des violences pendant leur cursus. Quand nous avons débuté ce travail de thèse, les études françaises étaient absentes de la littérature. L’idée est née de la lecture de l’ouvrage Omerta à l’hôpital publié en 2016 par docteure Valérie Auslender. Il s’agit d’un recueil de témoignages d’étudiant.es en santé, suivi d’avis d’experts. Ils y énoncent, notamment, la nécessité de réaliser des études de prévalence des violences subies par les étudiants dans le cadre de leurs études, comme cela existe en population générale. A partir de 2017, on retrouve des enquêtes nationales de prévalence, plus particulièrement concernant les violences sexuelles. Par ailleurs, les études nationales de victimation réalisées en population générale, nous apprennent le profil sociodémographique des victimes de violences et le contexte dans lequel elles s’exercent. Nous avons souhaité l’explorer dans la population des étudiant.es en médecine, en utilisant la méthodologie solide de ces études réalisées par l’INED. Cette double thèse avait donc pour objectif d’évaluer la prévalence des violences chez les étudiant.es en médecine générale français, et les facteurs qui y sont statistiquement associés.
Pour élaborer le questionnaire, nous avons donc repris la méthodologie de l’étude VIRAGE de l’INED. Elle consistait à rechercher la prévalence des violences en posant des questions objectives, relatives aux définitions se trouvant dans les textes de lois français, sans nommer les violences, afin de minimiser les biais d'interprétation de la part des répondants. 19 formes de violences, présentes dans les codes de loi, ont ainsi été explorées : Les violences psychologiques dont les menaces, insultes, mises à l’écart, mais aussi harcèlement moral et discriminations ; les violences physiques ; les violences sexistes et sexuelles allant du propos sexiste au viol ; le bizutage et enfin le non respect du temps de travail des internes. Si un.e étudiant.e déclarait avoir subi au moins une fois la situation présentée, il.elle était invité.e à préciser le contexte de lieu, la répétition des faits, les caractéristiques de genre et le statut hiérarchique des auteur.es, le fait d’avoir rapporté les faits ou non et à qui. De plus, un espace d'écriture libre etait laissé pour chaque situation de violence, permettant à l’étudiant.e d’enrichir son témoignage. Il était également demandé aux étudiant.es de déclarer les conséquences auto-estimées de ces violences. Enfin, nous avons recherché si les facteurs statistiquement associés au fait de subir des violences en population générale, l'étaient également dans la population étudiée (mauvais état de santé, idées suicidaires, etc.).
Nous avons ensuite adressé le questionnaire aux étudiant.es inscrits en DES MG pour l’année 2019-2020 via trois canaux différents : Les départements de médecine générale, les syndicats d’internes, et les réseaux sociaux. L’analyse statistique a été réalisée par le laboratoire de biostatistiques universitaire de l’hôpital Saint-Louis. Une analyse multivariée a été appliquée, permettant d’obtenir une force d’association statistique entre la prévalence des faits de violences et leurs facteurs associés, telle qu’elle puisse être reproductible hors de l'échantillon d'étude, dans la population source.
Grâce à une diffusion large et répétée du questionnaire, nous avons pu obtenir environ 3000 réponses, dont 2179 complètes, soit un taux de participation important d’environ 20 %, et une relative représentativité de la répartition des étudiant.es par genre.
Les résultats montraient que presque tou.te.s les étudiant.es (99,3 %) avaient vécu des violences pendant leur cursus, avec 5 formes de violences différentes en médiane. Les violences psychologiques étaient les plus fréquentes, puisque 93 % des étudiant.es ont déclaré en avoir subi au cours de leurs études. On note que 40 % des étudiant.es intérrogé.es ont subi des violences psychologiques de manière répétée, c'est-àdire du harcèlement moral. Les discriminations ont été rapportées par 63 % des étudiant.es de notre échantillon, au premier rang desquelles se trouvaient les discriminations sur le genre, apparentées au sexisme (50 % des étudiant.es, dont une grande majorité de femmes). Les autres formes de discriminations concernaient également plus de 10 % des étudiant.es en médecine (grossophobie, racisme, etc.). Environ 50 % des étudiant.es interrogé.es ont déclaré avoir subi des violences physiques : Soit des agressions physiques (jet de dossier au visage, coup de coude, etc.), soit des épreuves douloureuses imposées (malaise au bloc, tenir un membre pendant 3h, etc.). 68 % des étudiant.es ont déclaré avoir déjà dépassé le temps de travail réglementaire. Les étudiant.es étaient 53 % à déclarer des violences sexuelles, subies en majorité par des femmes (64,9 % des femmes contre 26,5 % des hommes). 20 % des étudiant.es déclaraient encore avoir subi du bizutage, alors que ce délit est inscrit dans le code pénal depuis 1998.
Les facteurs associés à ces violences étaient le fait de déclarer un mauvais état de santé ainsi que de subir d’autres types de violences que ce soit en contexte de vie personnelle ou dans le cadre des études. Les auteur.es de ces violences étaient le plus souvent d’autres soignant.es, supérieur hiérarchiques. Même si aucun espace n’était épargné par ces violences (cours, stage ambulatoire, espace public…), elles avaient le plus souvent lieu lors des stages en milieu hospitalier. Les conséquences déclarées par les étudiant.es étaient multiples, tant sur leur santé, leurs relations sociales, que sur leur cursus ou leur capacité à effectuer correctement leur travail. Les étudiant.es n’en parlaient pas, ou alors à un tiers n’ayant pas la possibilité d’intervenir pour faire cesser ces violences. Ils. elles étaient moins de 1 % à avoir porté plainte.
En regard de ces données chiffrées, nous avons reçu grâce aux cadres de texte libre, plus de 120 pages de témoignages. Celles-ci illustrent parfaitement le fait que lorsque la question leur est directement posée dans un cadre sécurisant, les étudiant.es se confient à propos des violences vécues.
Les résultats de l’analyse montrent une omniprésence des violences dans les études de médecine. Ils montrent également que les facteurs associés statistiquement aux violences sont les mêmes en population générale et dans la population des étudiant.es en médecine. En mai 2020, la première enquête nationale
MESSIAEN (MEdical Students Suffering from their ProfessionAl ENvironment) dédiée au harcèlement subi par les étudiant.es en médecine était publiée. Les résultats rapportent, comme dans notre enquête, que 41,7 % des étudiant.es en médecine ont subi au moins une situation de harcèlement moral au cours de leurs études et 15,7 % (19,8 % des femmes et 5,2 % des hommes) une situation de harcèlement sexuel.
Notre étude réalisée auprès de 2179 étudiant. es, révèle que plus de 99 étudiant.es sur 100 rencontrent en médiane 5 situations de violence au cours de leurs études de médecine. Devant la prévalence de ces violences, leur répétition et leurs conséquences à la fois individuelles et systémiques, il nous a semblé important de les appréhender comme un problème de santé publique. La prévention primaire consisterait à lutter contre la culture de la violence dans le milieu médical, notamment en réalisant des formations pour les étudiant.es mais aussi pour les enseignant.es. En prévention secondaire, l’idée serait, comme pour le dépistage des violences faites aux femmes en population générale, de mettre en place un dépistage systématique. Par exemple, une question spécifique au sujet des violences pendant le cursus pourrait être posée lors de consultations universitaires obligatoires. Enfin, en dernier recours, une prise en charge multidisciplinaire des étudiant. es victimes, associée à une sanction ferme des auteur.es de ces violences doit être impérativement mise en place.
Par Dr Amélie JOUAULT et Dr Sara EUDELINE
Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°31