Vers la fin du remboursement : des traitements symptomatiques de la maladie d’alzheimer et syndromes apparentés

Publié le 17 May 2022 à 08:47


Introduction / Histoire

Mis sur le marché à la fin des années 1990, les traitements symptomatiques de la Maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés regroupent les Inhibiteurs de l’Acéthylcholinesterase (IAChE) et les anti-NMDA (récepteurs neuronaux au N-méthyl-D-aspartate). A l’heure actuelle, aucun traitement ne permet de guérir la maladie ni même d’en empêcher l’évolution. Les traitements disponibles ont donc un effet dit symptomatique, d’ailleurs bien précisé dans les données d’efficacité des produits, à savoir qu’ils ont un effet transitoire sur différents paramètres (cognition, indépendance fonctionnelle, comportement et état clinique général), avant que l’évolution naturelle des troubles ne reprenne son cours1.

En 2007, la Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) a réévalué ces traitements leur attribuant un SMR (Service Médical Rendu) important et une ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu) mineure de niveau IV. En 2011, une nouvelle réévaluation juge le SMR faible et l’ASMR absent, le taux de remboursement de ces traitements passe alors de 65 % à 15 %2.

Alors que la précédente Ministre de la Santé avait choisi de maintenir le remboursement de ces traitements, Agnès Buzyn a choisi leur déremboursement à compter du 1er août 2018. Elle suit donc les recommandations de la HAS qui juge ces traitements inefficaces depuis plus de 10 ans et dont le coût annuel est estimé à 90 millions d’euros en 2015.

Qu’en est-il véritablement de l’efficacité et de l’intérêt de ces traitements dans la Maladie d’Alzheimer ? Que dire à vos patients et à leur famille lorsque vous les recevrez prochainement en consultation mémoire ? Comment gérer cette inégalité d’accès aux soins quand les familles paient déjà un reste à charge important des prestations sociales (aides à domicile, hébergement) et qu’une boite de Rivastigmine (30 patchs) coûte, selon les données inscrites dans le Vidal©, 57 € ?

Les molécules disponibles
      •  Trois IAChE (Rivastigimine, Galantamine, Donepezil) et 1 anti-NMDA (Mémantine) sont actuellement disponibles sur le marché.Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase : Leur utilisation repose sur le constat d’un déficit cholinergique important chez les patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer.

  • Selon les recommandations HAS, leur initiation se fait pour un MMS entre 26 et 10.
  • Contre indications : troubles sévères de la conduction cardiaque, bloc auriculo-ventriculaire type II et III, bradycardie < 50 bpm.
  • Effets indésirables : nausées, vomissements.
  • Anti-NMDA : En bloquant les effets pathologiques de taux élevés de glutamate, il protégerait d’un dysfonctionnement neuronal.
  • Leur initiation se fait pour les formes modérées à sévères de Maladie d’Alzheimer (MMS compris entre 20 et 3).
  • Contre indications : clairance de la créatinine < 20 mL / min (Cockroft).
  • Effets indésirables : somnolence, constipation, vomissements.
  • En l’état actuel des données, il n’y a pas d’arguments pour recommander une bithérapie.

Quelles données d’efficacité ?
Tout d’abord et comme pour tout médicament, rappelons que l’Agence Européenne du Médicament (EAMA) a mis au point un cahier des charges très précis tant sur les critères diagnostiques de troubles neurocognitifs, que sur les données d’efficacité de ces molécules ou leurs données de sécurité d’emploi3. Dans le cadre des traitements symptomatiques de la maladie d’Alzheimer, l’amélioration des symptômes doit être évaluée sur la cognition, les activités de vie quotidienne et la réponse clinique globale. Des critères secondaires sur les symptômes psychocomportementaux, la qualité de vie ou le fardeau de l’aidant sont également cités comme critères d’évaluation.

En 2006, une méta-analyse de la Cochrane4 a poolé 41 études qui évaluaient l’efficacité et la tolérance des IAChE versus placebo. Plusieurs critères ont été analysés : fonctions cognitives, activités de vie quotidienne, état clinique général et comportement. Les auteurs ont conclu à une efficacité modeste mais significative sur l’ensemble des critères avec, à un an, une différence moyenne entre les deux groupes, de 1,37 points au MMS (p<0.0001), 2,40 points sur l’échelle « Progressive Deterioration Scale » (PDS) d’activité de vie quotidienne (p<0.0001), 2,44 points sur l’échelle Neuropsychiatric Inventory (NPI, qui évalue le comportement) (p=0.004) et également une efficacité sur l’état clinique général.

Une autre méta-analyse de la revue Cochrane intitulée « Rivastigmine for Alzheimer’s disease »5 a quant à elle comparé l’efficacité et la tolérance d’un traitement par Rivastigmine (forme orale jusqu’à 12mg/j ou patch à 9.5mg/j), versus placebo, chez des patients présentant une maladie d’Alzheimer, à 6 et 12 mois. A partir de 13 études contrôlées, randomisées et en double aveugle, répondant aux critères d’inclusion définis, un effet modeste et d’importance clinique incertaine a été retrouvé. Les effets positifs du traitement ont porté sur la cognition (avec une différence moyenne au score MMS de 0,74 ; 95 % IC 0.52 à 0.97), les activités de vie quotidienne et l’impression clinique globale. Aucune différence sur les troubles psycho-comportementaux ou sur le fardeau de l’aidant n’a en revanche été retrouvée.

Ainsi, si l’efficacité « symptomatique » est certes modeste, elle n’en est pas moins significative sur les différents domaines requis par l’EAMA. Les preuves scientifiques existent bel et bien. L’initiation de ces traitements dans le cadre des troubles neurocognitifs, sous réserve de respect de leurs AMM, semble donc avoir un intérêt.

Quel effet d’un arrêt de traitement ?
Avec le déremboursement, la question d’arrêter les traitements va se poser. Oui mais quel impact cela va-t-il avoir ?

Pour répondre à cette question, l’étude DOMINO6 est probablement la plus adaptée. Notons tout d’abord son indépendance vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques et sa publication dans le New England Journal of Medicine. 295 personnes présentant une maladie d’Alzheimer à un stade modéré à sévère (MMS entre 5 et 13) et traités par Donepezil depuis plus de 3 mois ont été inclus et répartis en 4 groupes : arrêt du traitement (placebo Donepezil, placebo Mématine), poursuite du traitement (Donepezil 10mg/j, placebo Mémantine), remplacement par la Mémantine (placebo Donepezil, Mémantine 20mg/j), ajout de la Mémantine (Donepezil 10mg/j, Mémantine 20mg/j).

Au terme des 52 semaines de suivi, les patients ayant poursuivi le Donepezil avaient un score de MMS plus élevé d’en moyenne 1,9 points (95 % IC 1,3 à 2,5 ; P<0.001) et un score BADLS en moyenne plus bas de 3 points (95 % CI 1,8 à 4.3 ; P < 0.001) signifiant une dépendance moindre (Figure 1). Pour les patients traités par Mémantine, versus ceux traités par placebo, le score MMS était en moyenne plus élevé de 1,2 point (95 % CI, 0.6 à 1.8 ; P<0.001) et le score BADLS plus bas de 1.5 points (95 % CI, 0.3 à 2.8 ; P=0.02). L’efficacité du Donepezil versus Mémantine ne différait pas significativement. L’association de ces traitements n’apportait aucun bénéfice significatif.

L’analyse post-hoc7 de l’étude DOMINO, cette fois-ci parue dans le Lancet, montre un risque multiplié par deux d’entrée en EHPAD dans l’année qui suit l’arrêt du traitement, ce sur-risque disparaissant à 3 ans de suivi. En fait, le Donepezil décale d’environ 1 an l’entrée en EHPAD mais les courbes groupe poursuite du traitement et groupe arrêt du traitement finissent par se croiser, ce qui semble logique pour un traitement dit symptomatique.

Ainsi, l’arrêt des traitements se discute et devra faire l’objet d’une surveillance attentive. Selon les recommandations 2011 de la HAS, la poursuite du traitement « au-delà de 6 mois doit faire l’objet d’une réévaluation attentive […]. Au bout de un an de traitement, sa poursuite devra être décidée avec l’aidant et le patient si possible, à la suite d’une concertation associant médecin généraliste traitant, gériatre, neurologue ou psychiatre, en relation avec le réseau de soins prenant en charge le patient ».

Tolérance des traitements
Les données disponibles sont controversées. Selon une étude de 20028 qui a évalué la tolérance cardiovasculaire de la Rivastigmine chez 2791 patients dont 34 % recevaient un traitement à visée cardiovasculaire, aucune différence significative par rapport au placebo n’a été mise en évidence qu’il s’agisse de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle ou des intervalles QRS et QT. Une autre étude9 a quant à elle retrouvé une augmentation faible mais significative du risque de syncope et de bradycardie, soulignant alors que ces effets cardiovasculaires, bien moins fréquents que les effets indésirables digestifs, sont à considérer. Le risque de syncope et de bradycardie serait même multiplié par deux chez les patients traités par IAChE10. Des trois IAChe, la Rivastigmine est la molécule dont les alertes de pharmacovigilance ont été les plus nombreuses aux Etats-Unis et au Canada11

Enfin, une étude de 201012 s’est intéressée aux facteurs associés à la survenue d’événements indésirables graves chez les sujets âgés traités par IAChE. Il fut retrouvé que l’âge, la prise de traitement antihypertenseur, antipsychotiques (atypique ou non) ou agissant sur le système digestif, étaient associés à un risque accru d’événements indésirables graves marqués par 16,2 % de troubles digestifs, 11,2 % de troubles du rythme cardiaque et 17 % d’effets indésirables sur le système nerveux central.

En conclusion, les traitements actuellement disponibles sur le marché des troubles cognitifs sont plutôt rapportés comme bien tolérés. Leur efficacité est certes modeste mais bien réelle et statistiquement significative comme l’ont montré de façon récurrente et concordante plusieurs essais randomisés et contrôlés en double aveugle contre placebo. Les IAChE ont un effet « classe » et sont d’efficacité globalement comparable entre eux. Cette efficacité est perceptible, autant par les prescripteurs que par les patients et leurs familles à condition qu’ils n’attendent pas d’être guéris et soient prévenus que l’objectif est de stabiliser les troubles, si possible de les améliorer, et surtout de différer la perte d’indépendance fonctionnelle. Le déremboursement prévu début août peut ainsi sembler non fondé mais représente pourtant une réalité avec laquelle il faudra désormais composer.

Guillaume DUCHER

Bibliographie

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  • HAS. Commission de la transparence - Rapport d’évaluation des médicaments indiqués dans le traitement symptomatique de la maladie d’ALZHEIMER [Internet]. [cited 2018 Jun 25];Available from: https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-10/annexe_-_rapport_devaluation_des_medicaments.pdf
  • GUIDELINE ON MEDICINAL PRODUCTS FOR THE TREATMENT OF ALZHEIMER’S DISEASE AND OTHER DEMENTIAS [Internet]. 2008;Available from: http://www.ema.europa.eu/docs/en_GB/document_library/Scientific_guideline/2009/09/WC500003562.pdf
  • Birks J. Cholinesterase inhibitors for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2006;(1):CD005593.
  • Birks JS, Chong LY, Grimley Evans J. Rivastigmine for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2015;9:CD001191.
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  • Howard R, McShane R, Lindesay J, et al. Nursing home placement in the Donepezil and Memantine in Moderate to Severe Alzheimer’s Disease (DOMINO-AD) trial: secondary and post-hoc analyses. Lancet Neurol 2015;14(12):1171–81.
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  • Ali TB, Schleret TR, Reilly BM, Chen WY, Abagyan R. Adverse Effects of Cholinesterase Inhibitors in Dementia, According to the Pharmacovigilance Databases of the United-States and Canada. PloS One 2015;10(12):e0144337.
  • Pariente A, Sanctussy DJ-R, Miremont-Salamé G, et al. Factors associated with serious adverse reactions to cholinesterase inhibitors: a study of spontaneous reporting. CNS Drugs
  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°18

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