Un cas clinique - Porte ouverte au Pancréas

Publié le 21 Mar 2024 à 17:00
Article paru dans la revue « AFIHGE - Le journal des Jeunes gastro » / JJG AFIGHE N°2


Une patiente de 61 ans se présente aux urgences pour douleurs épigastriques évoluant depuis 3 semaines récemment majorées, une alternance diarrhée-constipation et une altération de l’état général.

Elle a pour antécédents médicaux une HTA traitée et une dyslipidémie.

Elle a une consommation alcoolique estimée à 20 grammes/jour depuis 25 ans, majorée à 70 grammes/jour 7 mois plus tôt à la mort de son conjoint et un tabagisme actif à 35 paquets-années .

On note pour seul antécédent familial un cancer du poumon chez un oncle .

Au SAU est objectivée une douleur épigastrique transfixiante, en hypochondre droit avec une irradiation en bretelles

Biologiquement, elle a une anémie microcytaire, un syndrome inflammatoire avec une CRP 120 mg/l, une insuffisance rénale aiguë d’allure fonctionnelle et une hyperlipasémie à 1270 UI/L.

Un scanner est réalisé dès son arrivée aux urgences dont les images sont présentées ci-après.

Question 1

Sur ces images, on décrit :

  • Une masse pancréatique de densité hétérogène centrée sur l’uncus.
  • Une infiltration de la graisse péri-pancréatique.
  • Une thrombose porte extensive.
  • Un foyer pulmonaire d’allure infectieuse.
  • De la carcinose péritonéale.
  • Réponses A, B, C

    On identifie sur ce scanner plusieurs lésions :

    • Une masse pancréatique de densité hétérogène qui pourrait correspondre à une collection nécrotique ou à une masse nécrotique, de différenciation difficile sur ce seul examen.
    • Une infiltration de la graisse péri-pancréatique.
    • Une thrombose extensive du tronc porte.
    • Un nodule hépatique hypodense de petite taille du segment IV, non caractérisable sur cet examen.
    • Un épanchement péri-hépatique, sans argument pour de la carcinose péritonéale (absence de scalloping, absence de nodule de carcinose péritonéale sur ces coupes).
    • Une masse pulmonaire arrondie, non systématisée, évocatrice de lésion primitive ou secondaire pulmonaire.

    Question 2

    Devant ces images, quelles sont les hypothèses que vous pouvez évoquer ?

    A. Un cancer du pancréas avec métastases hépatique(s) et pulmonaire(s) associé à une thrombose porte tumorale.

    B. Un cancer du pancréas associé à une thrombose porte tumorale, et découverte fortuite d’un cancer primitif pulmonaire chez une patiente fumeuse.

    C. Une pancréatite aiguë avec un pseudokyste, associée à une thrombose porte réactionnelle et découverte fortuite d’un cancer primitif pulmonaire chez une patiente fumeuse.

    D. Une pancréatite aiguë avec une collection nécrotique, associée à une thrombose porte réactionnelle et découverte fortuite d’un cancer primitif pulmonaire chez une patiente fumeuse.

  • Imagerie subnormale, la patiente peut rentrer à domicile.
  • Réponses A, B, C, D

    Ces quatre hypothèses diagnostiques sont envisageables à ce stade. La plus uniciste semble être la première proposition, cependant cela n’exclut en rien la possibilité de découverte fortuite d’une lésion primitive associée à une pathologie pancréatique.

    C. et D. peuvent toutes les deux être évoquées sur cette coupe de section : on voit une collection encapsulée pouvant être intra ou extra-pancréatique (difficile à dire sans pouvoir défiler les images), en partie liquidienne mais probablement également siège de nécrose.

    Attention à la nouvelle terminologie depuis la révision de la classification d’Atlanta en 2023. La description des collections associées aux pancréatites se fait en fonction de l’atteinte pancréatique oedémateuse ou nécrotique et en fonction de la chronologie (évoluant depuis plus ou moins de 4 semaines). Ainsi, on retrouve 4 types de collections.

    Collections liquidiennes associées à une pancréatite interstitielle œdémateuse (c.-à-d. nécrose minime ou inexistante) :

    • Collections liquidiennes péripancréatiques aiguës (APFC) (au cours des 4 premières semaines) : collections liquidiennes péripancréatiques non encapsulées.
    • Pseudokystes (se développent après 4 semaines) : collections liquidiennes péripancréatiques encapsulées ou à distance. Collections liquidiennes associées à une pancréatite nécrosante :
    • Collections nécrotiques aiguës (ANC) (au cours des 4 premières semaines) : matériel hétérogène non liquéfié non encapsulé.
    • Nécrose (pancréatique) enrobée (WON ou WOPN) (après 4 semaines) : matériel hétérogène non liquéfié encapsulé. Les ANC et les WON sont des collections qui contiennent à la fois du liquide et du matériel nécrotique en quantité variable, un point important pour les différencier des APFC et des pseudokystes. Cependant, dans les cas indéterminés, un suivi est recommandé.

    Les termes "abcès pancréatique" et "pseudokyste intrapancréatique" sont totalement abandonnés dans cette nouvelle classification.

    E. Faux, évidemment.

    Dans l’hypothèse d’une néoplasie, une ponction écho-endoscopique de la masse pancréatique est réalisée mais ne retrouve aucune cellule tumorale en anatomopathologie.

    La patiente est prise en charge comme une pancréatite aiguë sévère avec mise en place d’une nutrition entérale stricte, antalgie adaptée et anticoagulation pour la thrombose porte extensive.

    À J7 du début de l’hospitalisation la patiente présente une douleur intense en hypochondre droit avec une défense à la palpation et une ré-ascension de son syndrome inflammatoire (CRP à 150 mg/l).

    Un scanner est réalisé en urgence qui montre une majoration de l’épanchement péri-hépatique, l’apparition d’une grande collection pré-hépatique ainsi que de plages hypodenses hétérogènes du foie droit et de la rate.

    La ponction de la collection pré-hépatique retrouve un contenu très riche en lipase.

    L’évolution clinique est rassurante avec disparition spontanée de la défense et une biologie de contrôle ne montre pas de signe de gravité ni de déglobulisation.

    Question 3

    Quelle(s) est/sont la/les proposition(s) correcte(s) parmi les suivantes ?

    A. Indication à un drainage percutané en urgence de la collection pré-hépatique.

    B. Indication à un drainage chirurgical en urgence de la collection pré-hépatique.

    C. Arrêt des anticoagulants devant l’apparition des plages hétérogènes et spléniques évoquant des hématomes spontanés.

    D. Indication à une IRM pancréatique avec séquences de BILI-IRM.

    Réponse D

    A. et B. Faux : Pas d’indication à un drainage en urgence de cette collection d’origine pancréatique. Absence de compression ou de signe de gravité.

    C. Faux : Absence d'argument pour suggérer une cause hémorragique (les hématomes spontanés hépatiques sont rarissimes et n'ont pas cette présentation en imagerie) donc poursuite des anticoagulants.

    D. Vrai : L’IRM pancréatique avec séquences de bili-IRM va permettre de mieux étudier les rapports entre le pancréas et cette néo-collection.

    L’IRM pancréatique avec séquences biliaires est réalisée et retrouve cette image clé.

    On met en évidence le trajet fistuleux entre le pancréas et la collection pré-hépatique (trajet en hypersignal T2 désigné par la flèche verte) ainsi qu’une fistule entre la collection pancréatique (aspect de masse en hypersignal T2) et le tronc porte, se présentant sous la forme d’un hypersignal T2 intra-porte.

    Question 4

    Quels sont les facteurs à rechercher dans le cadre d’une exploration de la gravité d’une fistule pancréatico-porte ?

  • Déglobulisation. B. Hyperamylasémie > 6000 UI/L. C. Nodules sous-cutanés. D. Nodule ombilical. E. Placards inflammatoires des zones de stase.
  • Réponses A, B, C, E

    Il y a trois complications majeures des fistules pancréatico-portes (pathologie très rare) : le sepsis, l’hémorragie et la cyto-stéato-nécrose (Weber Christian) à rechercher systématiquement.

    La cyto-stéato-nécrose affecte habituellement le tissu sous-cutané et se présente sous forme de nodules sous-cutanés des membres inférieurs ou de placards inflammatoires des zones de stase. Elle peut être associée à une asthénie, de la fièvre, des arthralgies et des thromboses vasculaires.

    Dans les fistules pancréatico-portes, la lipase et l’amylase sériques sont systématiquement très élevées, cependant, dans une revue de la littérature menée par Brown et al. une amylasémie > 6000 UI/l était systématiquement associée à une cyto-stéato-nécrose. Ainsi le suivi des dosages de lipase et d’amylase peut s’avérer utile pour le dépistage de cette complication très sévère, grevée d’une mortalité de 60 %.

    D. Faux : Le nodule ombilical (de Soeur Mary Joseph) est une métastase cutanée ombilicale d'un cancer abdominal ou pelvien, d'origine digestive ou gynécologique.

    La patiente ne présente aucune complication et aucun signe de gravité. Elle s’améliore cliniquement sous nutrition entérale stricte.

    Question 5

    Quelle est votre prise en charge ?

  • Reprise alimentaire orale sous surveillance médicale devant la bonne évolution.
  • Poursuite de l’alimentation entérale stricte, sandostatine IVSE et relais en sous-cutané pour un minimum de 1 mois.
  • Pose de prothèse pancréatique endoscopique pour couvrir la fistule.
  • Chirurgie pancréatique avec dérivation wirsungienne.
  • Réponse B

    Le traitement médical est efficace chez la majorité des patients en l’absence de complication.

    Dans ce cas de figure, il est toujours à privilégier, surtout chez un patient asymptomatique, et un contrôle clinique, biologique et par imagerie en coupes doit être fait après environ 4 semaines.

    Le traitement endoscopique est à considérer pour exclusion de la fistule ou drainage, plutôt en deuxième intention en l’absence d’efficacité du traitement médical seul.

    La chirurgie pancréatique en urgence est systématique dans le cas d’une complication par cyto-stéato-nécrose du fait de son importante morbi-mortalité. Elle reste anecdotique dans les autres cas.

    Concernant la thrombose porte associée, la stratégie n’est pas consensuelle et l’introduction d’anticoagulants peut se discuter, notamment au-delà d’une semaine du fait d’une reperméabilisation très faible passé ce délai (25 % vs 69 % si introduits dès la première semaine). La durée d’anticoagulation n’est pas établie mais le risque hémorragique associé doit être pris en compte et l’indication des anticoagulants doit être rediscutée aux différents moments de réévaluation.

    Messages clés de la fistule pancréatico-porte (PPVF)

    • Rupture du canal pancréatique ou d’une collection pancréatique au contact du tronc porte.
    • FDRs : PCC, pseudokystes, terrain alcoolique.
    • Présentation clinique variable mais douleurs abdominales systématiques.
    • Associée dans 75 à 92 % des cas à une thrombose du réseau porte : À suspecter +++ si thrombose porte associée à la PA/PCC/collection (péri-)pancréatique post-PA au scanner.
    • Diagnostic : IRM (hypersignal T2 intra-porte, visualisation fistule).
    • Complications : sepsis, hémorragie, biliopathie porte, cyto-stéato-nécrose.
    • Traitement conservateur : médical exclusif ou endoscopique (drainage/exclusion fistule) sauf si cyto-stéato-nécrose associée (chirurgie en urgence).
    • Anticoagulation de la TVP associée à débuter dans la 1ère semaine.


    Clémentine ALITTI


    Relecteur
    Dr Antoine MARTIN
    CCA en HGE au CHU de Bicêtre

    Références

  • Raza SS, Hakeem A, Sheridan M, et al. Spontaneous pancreatic pseudocyst-portal vein fistula: a rare and potentially life threatening complication of pancreatitis. Ann R Coll Surg Engl.2013;95:e7–9.
  • Dauendorff er, J.-N., Ingen-Housz-Oro, S., Levy, P., Weber, N., Fiszenson-Albala, F., & Sigal-Grinberg, M. (2007). Cytostéatonécrose pancréatique révélant une fistule pancréatico-portale et une thrombose portale. Annales de Dermatologie et de Vénéréologie, 134(3), 249–252. doi:10.1016/s0151-9638(07)91818-9
  • Liu H, Phillips A, Sholosh B, Novelli P, Romutis S, D'Alesio M, Lebowitz S, Singh H, Yadav D, Zureikat A, Lee K, Paniccia A, Dasyam AK. Pancreatic-Portal Vein Fistula: a Rare Diagnosis with Wide-Ranging Complications-13-Year Experience of a Pancreas Center of Excellence. J Gastrointest Surg. 2021 Dec;25(12):3137-3148. doi: 10.1007/s11605-021-05071- 5. Epub 2021 Jul 12. PMID: 34254216.
  • Brown, A., Malden, E., Kugelmas, M., & Kortz, E. (2014). Diagnosis of pancreatic duct-portal vein fi stula; a case report and review of the literature. Journal of radiology case reports, 8(3), 31.
  • Masuda S, Koizumi K, Uojima H, Tazawa T, Kimura K, Nishino T, Tasaki J, Ichita C, Sasaki A, Egashira H, Kako M. Pancreatic pseudocyst-portal vein fistula: a case treated with EUS-guided cyst-drainage and a review of the literature. Clin J Gastroenterol. 2020 Aug;13(4):597-606. doi: 10.1007/s12328-020-01105-8. Epub 2020 Mar 25. PMID: 32215857.
  • Ng TS, Rochefort H, Czaplicki C, Teixeira P, Zheng L, Matsuoka L, Van Dam J, Alexopoulos SP. Massive pancreatic pseudocyst with portal vein fistula: case report and proposed treatment algorithm. Pancreatology. 2015 JanFeb;15(1):88-93. doi: 10.1016/j.pan.2014.11.005. Epub 2014 Nov 28. PMID: 25500342.
  • Francesco Alessandrino, Corinne Strickland, Amirkasra Mojtahed, Steven C. Eberhardt, Koenraad J. Mortele , Clinical and cross-sectional imaging features of spontaneous pancreatic pseudocyst-portal vein fistula. doi: 10.1016/j. clinimag.2017.03.018
  • Perry, L.M., Loehfelm, T., Pillai, R. et al. Shifting the Treatment Paradigm for Pancreaticoportal Fistula Causing Hepatic Necrosis. Dig Dis Sci 65, 1955–1959 (2020). https://doi.org/10.1007/s10620-020-06045-4
  •  

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

    Publié le 1711036802000