Troubles des apprentissages : Qu’est-ce ? Comment et pourquoi les dépister ? Et après ?

Publié le 07 May 2022 à 11:37


La dysphasie, la dyslexie, la dysorthographie, la dyspraxie, la dyscalculie et le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité sont des troubles spécifiques des apprentissages (TSA) dont l’origine est reconnue comme neurodéveloppementale. Ils ne proviennent pas d’une déficience avérée, qu’elle soit sensorielle, motrice ou mentale, ni d’un traumatisme, d’un trouble envahissant du développement ou d’une cause environnementale (psychologique, pédagogique, sociale). Ces difficultés apparaissent très tôt dans la vie, interagissent avec la vie sociale de l’enfant et persistent souvent à l’âge adulte. Une souffrance psychique associée est fréquente et peut être cause – à elle seule et/ou associée au TSA – d’échec scolaire. Il est important de (re)préciser ici que le niveau d’éducation/de diplôme est parmi les variables qui prédisent le mieux l’état de santé d’un individu (espérance de vie, prévalence de pathologies…). Il est donc légitime d’affirmer que le dépistage des TSA est une action de santé publique de haute importance. Et il est donc indispensable que les médecins en contact avec les patients concernés soient au minimum formés à leur dépistage, quand ce devrait être à leur prise en charge et suivi. Qui sont les patients concernés, ceux pour lesquelles des actions bénéfiques peuvent être tentées ? Les enfants. Et qui sont leurs médecins ? Nous, les pédiatres (ainsi que nos collègues généralistes et médecins scolaires). C’est ainsi que chaque pédiatre libéral, chaque neuropédiatre devrait être à même de dépister les enfants à risque afin de tirer la « sonnette d’alarme », et d’éviter qu’un enfant de 10 ans normalement intelligent termine son CM2 sans avoir appris à lire.

Les critères diagnostiques à la base des définitions proposées sont :

  • des critères de discordance entre le niveau attendu et le niveau réel observé dans certaines compétences ou épreuves étalonnées pour l’âge (un écart d’au moins 18 mois à 2 ans par rapport à la norme étalonnée) ;
  • des critères d’exclusion d’une autre étiologie, à rechercher (déficience auditive, visuelle, intellectuelle, difficultés environnementales…) : examen clinique, consultations ORL et ophtalmo, réalisation d’une évaluation psychométrique (WPPSI-III avant 6 ans, WISC-IV après). Pas d’examens complémentaires systématiques, seulement si signes d’appel (dysmorphie, signes de localisation…) ;
  • des critères spécifiques apportés par des bilans étalonnés ;
  • Ces difficultés d’apprentissage persistent durablement malgré une pédagogie et des prises en charge adaptées (durabilité). Dans la moitié des cas plusieurs troubles sont associés. Des facteurs génétiques sont en cause et des dysfonctions cérébrales à l’imagerie fonctionnelle ont été mises en évidence (défaut de synaptogénèse foetale).

I - DYSLEXIE
Elle concernerait 5 à 7% des enfants scolarisés en primaire. Il s’agit d’un trouble durable d’acquisition de la lecture, retentissant sur l’intégration scolaire, provoquant un décalage minimum de 18 mois à 2 ans entre l’âge de lecture et l’âge chronologique. Toute difficulté d’acquisition du langage écrit (LE) doit être repérée (parents, enseignants) au plus tard courant CP si trouble du langage oral (TLO) en maternelle et fin CP/début CE1 en l’absence d’antécédents. Tout déficit du LE impose un examen médical afin d’établir la véracité de la plainte (tests étalonnés : BREV ; Odedys) ainsi que son caractère spécifique ou non (en particulier, réaliser une évaluation psychométrique). En cas de TLE secondaire, la prise en charge est neuro et/ou pédopsychiatrique. En cas de trouble spécifique du LE, un bilan orthophonique est nécessaire ainsi qu’une rééducation si : les adaptations pédagogiques ne suffisent pas après quelques mois, le trouble est sévère d’emblée, il existe un TLO associé.

II - DYSPHASIE
7% des enfants de 3 ans ont un langage déficitaire dont 5% par un trouble spécifique et sévère du langage oral (TSLO). 20% de ces TSLO (soit 1% de la population générale) présentent un trouble sévère persistant après l’âge de 6-7 ans. Ces 1% représentent ce que l’on nomme en France les « dysphasies ». La dysphasie est un trouble structurel et primaire du langage oral (expressif et/ou réceptif). Elle s’évalue au moyen de tests étalonnés (ERTL4, 6 ; BREV). Ce sont les difficultés d’entrée dans le langage écrit qui représentent le risque principal des TSLO : 25% de TSLE en cas de retard de langage simple (transitoire), 90% en cas de dysphasie. Il faut retenir qu’un enfant en petite section de maternelle ne faisant pas de phrases (agrammatique), étant inintelligible ou ayant un trouble de la compréhension (3 critères de gravité d’un TLO à 3 ans) doit bénéficier d’1 bilan et d’1 séance d’orthophonie hebdomadaire, de 2 séances/semaine en moyenne section et de 3/semaine en grande section de maternelle. Le grand enjeu de la dysphasie est la mise en place du langage écrit en CP.

III - DYSCALCULIE
Elle concernerait 5 % des enfants scolarisés et serait fréquemment associée aux TLE ou aux dyspraxies. Il s’agit d’un trouble structurel des compétences numériques et des habiletés mathématiques chez des enfants d’intelligence normale ne présentant pas de déficit neurologique acquis. 3 critères diagnostiques (DSM IV) :

  • aptitudes arithmétiques décalées de 2 ans par rapport à l’âge mental de l’enfant à tests étalonnés : BREV, tedi-maths, k-abc, UDN.
  • retentissement majeur sur le plan scolaire et/ou dans la vie quotidienne.
  • difficultés non secondaires à un déficit sensoriel (CQFD).

Si le diagnostic est confirmé, il faut prescrire une rééducation logico-mathématique (pratiquée le plus souvent par des orthophonistes).

IV - DYSPRAXIE
Trouble spécifique du développement moteur altérant la coordination et la planification, se traduisant par un trouble de la réalisation gestuelle. Il s’agit d’un enfant anormalement « maladroit » dont les difficultés à construire (legos, cubes, …), à reproduire des dessins, à tracer des lettres contrastent avec des performances verbales, conceptuelles, de raisonnement et de catégorisation intactes. Il faut suspecter une dyspraxie devant un enfant présentant un retard électif dans les activités praxiques (n’aime pas les jeux de construction, ne dessine pas, ne parvient pas à s’habiller seul…) sans retard de développement dans les autres secteurs (motricité globale, langage…), ceci sans amélioration entre 2 consultations à 6 mois d’intervalle, avec des performances non améliorées par l’afférence visuelle (modèle, démonstration). Le diagnostic repose sur la réalisation d’un bilan psychométrique retrouvant une discordance (>20 points) entre l’échelle verbale (normale, voire élevée) et l’échelle de performance (faible). Il faut alors prescrire un bilan et une rééducation hebdomadaire en psychomotricité et/ou ergothérapie (dès la moyenne section de maternelle devant une dysgraphie). En cas de persistance de difficultés graphiques handicapantes et/ou d’organisation, l’outil informatique peut-être proposé avec une formation préalable en ergothérapie de 18 mois à 2 ans. La réussite scolaire de ces enfants est un enjeu d’autant plus important qu’ils sont « inaptes » à un métier manuel…

V - TDA/H
Le trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité concernerait 5.6 % des enfants dont une majorité de garçons. Les polémiques quant à la prise en charge de ces patients continuent à faire rage. Il est néanmoins raisonnable aujourd’hui de considérer ces troubles comme pouvant être un symptôme d’un désordre biologique comme d’une réaction psychologique à une situation donnée. Il est aujourd’hui largement admis que lorsque le symptôme en lui-même est suffisamment pénalisant pour l’enfant (que ce soit à l’école ou à la maison), il est légitime de mettre en route un traitement médicamenteux par métylphénidate sous couvert d’une psychothérapie. Le diagnostic repose sur les critères du DSM-IV afin de mettre en évidence 3 symptômes : inattention et/ou hyperactivité, impulsivité. On peut aussi s’aider de questionnaires (type questionnaires de Conners) pour évaluer les plaintes et la gêne. Ceux-ci sont à faire remplir par les parents et l’enseignant. En fonction de ces critères cliniques et d’éventuels tests neuropsychologiques d’attention et des fonctions exécutives, la nécessité d’un traitement médicamenteux sera évaluée. Une prescription initiale hospitalière puis annuelle est nécessaire (pédopsychiatre, pédiatre, neurologue) et peut-être renouvelée tous les 28 jours par un médecin libéral. Un respect des contre-indications est fondamental (cardiaques, dépression, angoisse majeure, mauvaise tolérance : sommeil, alimentation…) ainsi qu’un accompagnement psychologique (soutien, psychothérapie, apprentissage de techniques non médicamenteuses de prise en charge, guidance parentale). Le traitement est normalement une thérapeutique transitoire dont l’enfant doit pouvoir se passer à l’adolescence.

VI - LE DEPISTAGE EN 30 MINUTES AU CABINET…
INTERROGATOIRE des parents : quel trouble ? ancienneté ? isolé ou non ? retentissement scolaire et/ou dans la vie quotidienne ? atcd personnels (neurologiques, grossesse…) et familiaux (troubles identiques ? niveau d’études frères et soeurs ?...).

EXAMEN CLINIQUE : général, sensoriel (si non fait, prévoir consultations spécialisées), neurologique complet (courbe de PC, revêtement cutané, morphotype…).

LA BREV : conçue par des neuropédiatres, des orthophonistes et des neuropsychologues, il s’agit d’une batterie de dépistage des troubles cognitifs chez l’enfant de 4 à 9 ans. Son utilisation permet un rapide « screening » neuropsychologique et s’intègre totalement dans la réalisation d’un examen neuropédiatrique complet. Ses 2 objectifs sont : détecter les enfants suspects de déficit cognitif et orienter vers le professionnel compétent en fonction du type de trouble suspecté. La BREV permet d’obtenir des informations objectives sur le fonctionnement du LO, LE, fonctions graphiques/visuospatiales/ exécutives, de l’attention et de la mémoire ainsi que sur les acquisitions scolaires. Elle permet le dépistage des enfants précoces, des enfants déficitaires sur le plan cognitif que ce soit à titre systématique, en situation d’échec scolaire ou dans les pathologies à haut risque de désordre neuropsychologique comme l’épilepsie (Landau Kleffner…). La BREV s’inscrit dans une démarche globale et dans un raisonnement de l’examinateur qui doit posséder des connaissances de base sur les TSA.

En conclusion, les TSA représentent un enjeu de santé publique dont nous les pédiatres sommes les premiers intervenants. Il faut être vigilant quant aux plaintes parentales ou des enfants et savoir dépister les enfants à risque. La réalisation de ce dépistage nécessite une formation minimum que les centres de référence se font un plaisir de prodiguer…

Amandine Billaux

Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°5

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