Traitement de l’amblyopie : PEDIG or not PEDIG ?

Publié le 19 Jun 2024 à 15:53
Article paru dans la revue « FFEO / La revue ORTHO NEWS » / FFEO OrthoNews N°3
#Orthoptiste


Contexte

Le PEDIG (Pediatric Eye Disease Investigator Group) et l’EBM (Evidence Based Medecine).
Il est impossible de présenter le PEDIG sans présenter l’EBM (Evidence Based Medecine -> Médecine basée sur les preuves).
L’EBM est utilisé dans toutes les sciences actuelles que ce soit l’odontologie, les sciences infirmières et plus généralement les sciences paramédicales.

L’EBM est «  l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures preuves actuelles dans la prise de décisions concernant les soins aux patients individuels ».  [1]
Pour bien comprendre l’importance de l’EBM dans la prise de décision médicale des schémas s’imposent : Bouaud et al. [2] présentent cette illustration de l’évolution du modèle de prise de décision avec l’EBM :


L’appréciation de la force des recommandations scientifiques repose donc sur le niveau d’évidence scientifique ET l’interprétation des experts, en découle la fameuse pyramide de niveau de preuve :

Le PEDIG se décrit comme «  un consortium collaboratif visant à faciliter la recherche clinique multicentrique sur le strabisme, l’amblyopie et d’autres affections oculaires pédiatriques ». Il regroupe plus de 100 sites participants, avec la contribution de plus de 300 ophtalmologistes et optométristes pédiatriques aux États-Unis et au Canada. Le réseau a produit plus de 130 publications scientifiques, la plupart étant basées sur des niveaux de preuve élevés et comprenant de nombreuses études randomisées, ainsi que plus de 180 présentations (orales ou sous forme d’affiches).

Présentation des études marquantes
Études portant sur l’occlusion

Une étude randomisée a démontré qu’en cas d’amblyopie sévère chez les enfants de moins de sept ans (n= 175), l’utilisation d’une occlusion permanente comparée à une occlusion de 6 heures par jour entraîne un gain d’acuité visuelle de 4,8 contre 4,7 lignes à six mois (p = 0,45). [3]

Une étude randomisée a démontré qu’une occlusion de 2 heures par jour conduit à une amélioration de l’acuité visuelle d’une ampleur similaire à celle obtenue avec une occlusion de 6 heures par jour dans le traitement de l’amblyopie modérée chez les enfants âgés de 3 à 7 ans (une amélioration de 2,4 lignes dans les deux groupes, p = 0,98). [4]

Études portant sur Occlusion VS Atropine 

Une étude randomisée menée sur des enfants âgés de trois à sept ans présentant une amblyopie modérée (n= 419) a comparé l’efficacité de l’occlusion (d’une durée minimale de 6 heures par jour, ajustable en fonction de l’acuité visuelle) à l’administration quotidienne d’atropine à 1 %. Les résultats ont montré un gain d’acuité visuelle de 3,16 lignes avec l’occlusion contre 2,84 lignes avec l’atropine à six mois (aucune différence significative entre les deux groupes, à l’exception d’un gain plus rapide avec l’occlusion). [5]

Une autre étude a suivi ces patients pendant 2 ans : l’amélioration moyenne de l’acuité visuelle de l’œil amblyope était de 3,7 lignes dans le groupe occlusion et de 3,6 lignes dans le groupe atropine. [6]

La méta-analyse de la Cochrane de 2014 [7], centrée sur le traitement de l’amblyopie strabique, met en lumière une lacune significative en matière d’études autres que celles issues du PEDIG. Seules trois études ont été incluses dans cette analyse, toutes provenant du PEDIG. Cela souligne le manque d’études autres que celles du PEDIG sur le traitement de l’amblyopie fonctionnelle, aucune n’étant aussi fi able du point de vue de l’EBM.

Lecture critique des études du PEDIG 

Les études menées par le PEDIG sont multicentriques, randomisées, et souvent en simple insu pour le praticien, ce qui leur confère un niveau de preuve élevé selon la pyramide des niveaux de preuve. Les principaux biais que nous pouvons relever sont :

Les biais de sélection : Les études sont multicentriques et représentatives de la population générale, les principaux critères d’exclusion étant principalement liés à des réactions cutanées à l’occlusion, à la présence de pathologies oculaires ou à la trisomie 21.

Les biais de mesure  : Les études sont conçues pour être aussi reproductibles que possible dans la mesure de l’acuité visuelle, en utilisant un protocole de test d’acuité visuelle certifié (Amblyopia Treatment Study visual acuity testing protocol50). La mise en place d’un double insu est impossible pour ce type de traitement, mais les études sont systématiquement réalisées en simple aveugle pour le professionnel. Quantifier l’observance des occlusions est difficile ; les parents étaient invités à noter la durée quotidienne sur un calendrier.

Les biais méthodologiques  : L’objectif de ces études était d’observer l’évolution de l’acuité visuelle (résultat positif étant une augmentation de l’AV de l’œil amblyope), tandis que notre objectif dans la pratique courante est d’atteindre l’iso-acuité. Comme l’illustre l’étude du PEDIG menée par Repka et al. [8], concluant que la différence moyenne d’acuité interoculaire (IOD) à l’âge de 15 ans était de 0,21 logMAR (équivalent à 2,1 lignes), ce qui était considéré comme un résultat satisfaisant en termes de gain d’acuité visuelle pour le PEDIG, est perçu par nous comme un résultat insatisfaisant en termes d’acuité visuelle interoculaire.

Modifie-t-elle la pratique ?

Dans la suite du texte, je me limiterai à discuter des thérapies pour traiter l’amblyopie fonctionnelle, qu’elle soit légère ou sévère, suivant ainsi l’exemple du PEDIG.

Selon une étude menée par Rees et al. [9], qui ont interrogé des ophtalmologistes et des orthoptistes participant à un séminaire en Colombie-Britannique (au Canada), 90 % des praticiens continuent de traiter les amblyopies modérées par occlusion, ceux qui utilisent l’atropine le feront plutôt de manière quotidienne qu’hebdomadaire le week-end. Ils montrent aussi que 2 tiers des professionnels occlus au moins 6 heures par jour chez les patients amblyopes sévères.

En ce qui concerne ma pratique quotidienne, si je dois parler de mon expérience personnelle, les études menées par le PEDIG n’ont pas entraîné de modifications drastiques dans ma prise en charge des cas d’amblyopie. Toutefois, ma perspective n’est plus aussi inflexible qu’elle a pu l’être au début de ma carrière.

En ce qui concerne le traitement d’attaque des amblyopies fonctionnelles profondes, pas de changement dans ma pratique : Occlusion Totale Permanente (1 semaine par année d’âge, ou une heure par mois d’âge avant 1 an).

En ce qui concerne le traitement d’attaque des amblyopies fonctionnelles modérées : Occlusion le plus souvent alternée (alternance entre occlusion de l’œil sain et de l’œil amblyope), mais aussi parfois intermittente (quelques heures par jour en fonction de la profondeur de l’amblyopie ou alternance de jours d’occlusion de l’œil sain et de jours sans occlusion).

Pour tous les professionnels qui traitent les amblyopies fonctionnelles, il est clair qu’un résultat satisfaisant dépend souvent de la bonne compliance du patient (et de sa famille) aux traitements. Ces traitements sont aussi divers que les praticiens qui les prescrivent. Malheureusement, il existe encore trop peu de recherches pour répondre à la question de savoir quelle méthode est la plus efficace. De mon point de vue, lorsque la collaboration du patient est bonne, dans le contexte, et SEULEMENT dans le contexte, d’une amblyopie fonctionnelle, la prise en charge est relativement simple. Que l’on opte pour une occlusion totale radicale ou une occlusion intermittente plus douce, le résultat est souvent satisfaisant. Seule la durée de récupération diffère, souvent plus longue avec l’occlusion intermittente.

 


Bibliographie

  1. Sackett DL, Rosenberg WMC, Gray JAM, Haynes RB, Richardson WS. Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ. 13 janv 1996;312(7023):712.
  2. Bouaud J, Séroussi B. Médecine factuelle et recommandations de bonne pratique : une extension du modèle classique pour expliquer les décisions médicales non conformes. In 2012.
  3. A randomized trial of prescribed patching regimens for treatment of severe amblyopia in children. Ophthalmology. 1 nov 2003;110(11):207587.
  4. A Randomized Trial of Patching Regimens for Treatment of Moderate Amblyopia in Children. Archives of Ophthalmology. 1 mai 2003;121(5):60311.
  5. The Pediatric Eye Disease Investigator Group. A Randomized Trial of Atropine vs Patching for Treatment of Moderate Amblyopia in Children. Archives of Ophthalmology. 1 mars 2002;120(3):26878.
  6. The Pediatric Eye Disease Investigator Group*. Two-Year Follow-up of a 6-Month Randomized Trial of Atropine vs Patching for Treatment of Moderate Amblyopia in Children. Archives of Ophthalmology. 1 févr 2005;123(2):14957.
  7. Taylor K, Elliott S. Interventions for strabismic amblyopia. Cochrane Database of Systematic Reviews [Internet]. 2014 [cité 5 avr 2024];(7). Disponible sur: https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD006461.pub4/full
  8. Repka MX, Kraker RT, Holmes JM, Summers AI, Glaser SR, Barnhardt CN, et al. Atropine vs Patching for Treatment of Moderate Amblyopia: Follow-up at 15 Years of Age of a Randomized Clinical Trial. JAMA Ophthalmology. 1 juill 2014;132(7):799805.
  9. Rees MG, Woo CLH. Pediatric Eye Disease Investigator Group Amblyopia Treatment Review. American Orthoptic Journal. 1 janv 2007;57(1):99103.
 


Rudy KONIG Orthoptiste

 

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Publié le 1718805228000