Tout comprendre de la chirurgie de l’insuffisance aortique et de la racine aortique

Publié le 24 May 2022 à 13:54

CHIRURGIE CARDIAQUE

Auteur
Pichoy DANIAL
Interne de chirurgie
thoracique et vasculaire à Paris

Relecture
Nicola VISTARINI
Chirurgien cardiaque à la clinique Ambroise Paré, Neuilly

A l’instar de la plastie mitrale, la chirurgie conservatrice de la valve aortique dans l’insuffisance aortique (IA) est en plein bouleversement depuis l’apparition de techniques de réparations standardisées. L’IA peut être isolée ou associée à un anévrisme de l’aorte ascendante.

Imagerie pré-opératoire :
Ce dont le chirurgien a besoin pour estimer la faisabilité d’une réparation aortique

En plus du bilan pré-opératoire standard de chirurgie cardiaque valvulaire, une imagerie de coupe est indispensable pour analyser précisément l’anatomie du culot aortique (valve aortique + racine de l’aorte ascendante).

Echocardiographie trans-thoracique
L’échocardiographie est l’examen de référence pour évaluer l’IA. Elle permet de préciser le diagnostic étiologique, de quantifier la fuite, d’évaluer son retentissement sur le VG et de rechercher d’autres valvulopathies associées.

Les éléments essentiels au chirurgien pour estimer la faisabilité de la réparation sont :

  • Le mécanisme de l’IA (voire la classification d’El Khoury ci-dessous),
  • La nombre de cuspides de la valve aortique (uni-, bi-, tri- ou quadricuspide),
  • La qualité des feuillets aortiques (calcifications, bord libre, …),
  • Une anomalie de l’aorte ascendante. - Dilatation de l’aorte ascendante. - Recherche d’une éventuelle coarctation aortique.

La normalité de la valve pulmonaire (taille de l’anneau, dimension de la valve pulmonaire, présence de trois sigmoïdes de morphologie normale) si une intervention de Ross est préconisée.

Scanner/IRM cardiaque
Un scanner ou une lRM cardiaque est indispensable dans le bilan pré-opératoire dès lors qu’un anévrisme de l’aorte ascendante a été visualisé à l’échographie cardiaque afin d’en préciser (1,2) :

  • Les dimensions de l’aorte ascendante,
  • Le nombre de cuspides et la qualité des feuillets aortiques.

Mécanisme de l’IA
Au terme du bilan d’imagerie, une classification sera établie à partir du mécanisme de l’IA et du phénotype de l’aorte (Figure 1) afin de choisir la technique chirurgicale la plus appropriée.

Classification anatomique d’El Khoury (3) (adaptée de la classification de Carpentier) :

  • Type I : Dilatation annulaire/racine aortique, ou perforation valvulaire (mouvement valvulaire normal),
    - La : dilatation de la JST (anévrisme sus-co ronaire).
    - Ib : dilatation de la JST et des sinus de Valsalva (anévrisme de la racine aortique).
    - Ic : dilatation isolée de l’anneau fonctionnel (IA isolée centrale).
    - Id : perforation valvulaire (IA isolée excentrée).
  • Type II : prolapsus valvulaire (pour excès de tissus, ou désinsertion d’une commissure).
    - IIa : prolapsus d’une ou de plusieurs cusps avec jet aortique excentré.
    - IIb : Fenestration du bord libre avec jet de régurgitation aortique excentrée.
  • Type III : restriction valvulaire.


Figure 1. Classification d’El Khoury

Quelles sont les indications opératoires ?
D’après les recommandations de l’ESC/EACTS de 2017 (1), les indications opératoires sont :

  • IA sévère symptomatique (I, B),
  • IA sévère asymptomatique avec retentissement sur le VG :
    - FEVG ≤ 50 % (I, B),
    - Ou DTSVG > 50 mm, DTDVG > 70 mm ou > 25 mm/m2 (IIa, B).
  • IA sévère + indication d’un pontage coronarien, d’une chirurgie de l’aorte ascendante ou d’une autre chirurgie valvulaire (I, C).

Quant aux anévrismes de l’aorte ascendante (quel que soit le degré de l’IA), les indications à opérer sont un diamètre : ≥ 45 mm si syndrome de Marfan avec des facteurs de risque additionnels ou patients ayant une mutation TGFBR1 ou TGFBR2 (dont syndrome de Loeys-Dietz) (IIa, C).

  • ≥ 50 mm si syndrome de Marfan (I, C) ou bicuspidie avec des facteurs de risque additionnels (IIa, C).
  • ≥ 55 mm pour les autres patients (IIa, C).

Les facteurs de risque additionnels sont :

  • Un antécédent familial de dissection aortique, une augmentation du diamètre aortique > 3 mm/an, une HTA, une IA ou une IM sévère associée, un désir de grossesse, une coarctation de l’aorte associée.

Les différentes techniques chirurgicales
Tube sus-coronaire
Un anévrisme isolé de l’aorte ascendante au dessus des sinus de Valsalva nécessite un remplacement de l’aorte sus-coronaire par une prothèse en dacron (Figure 2A). Cette intervention est relativement simple avec un temps de clampage court.

Comprendre le principe des interventions de Yacoub avec annuloplastie, de Tirone David et de Bentall Ces interventions sont indiquées en cas d’anévrisme de la racine aortique (anneau aortique, sinus de Valsalva, jonction sino-tubulaire : Type Ib). Elles consistent à remplacer la racine aortique dilatée par un tube prothétique et nécessitent donc une réimplantation des coronaires.

L’intêret des interventions de Tirone David (Fig. 2C) et de Yacoub (Fig. 2D) est de conserver la valve aortique, alors que l’intervention de Bentall (Fig. 2B) comporte un remplacement valvulaire aortique (RVAo) biologique ou mécanique. Ces techniques ont donc l’avantage d’éviter les complications inhérentes à la prothèse et donnent de bons résultats à long terme (4). L’annuloplastie associée à l’intervention de Yacoub évite la dilatation secondaire des sinus de Valsalva.


Figure 2A. Techniques chirurgicales de la racine aortique


Figure 2 B-C-D. Techniques chirurgicales de la racine aortique

L’étude d’Ouzounian et al. publiée dans le JACC en 2016 (5) a montré la supériorité des interventions de Yacoub/Tirone David par rapport à l’intervention de Bentall biologique/mécanique :

  • La mortalité à 15 ans était significativement plus faible (15.8 % versus 25.3 %, p=0.04).
  • Ainsi que les complications thombo-embolique, hémorragique et de réopération à 15 ans. Une conservation de la valve aortique est donc préférable lorsqu’elle est possible plutôt qu’un remplacement (Bentall). L’intervention de Yacoub + annuloplastie comparée à l’intervention de Tirone David a montré des résultats équivalents en terme de survie, de complications et de ré-interventions (6).

Plastie aortique
La plastie aortique consiste à reconstruire la valve native pour rétablir son étanchéité quelle soit bi-ou tricuspide. Différentes techniques sont possibles en fonction de la lésion (7) :

  • Une dilatation isolée de l’anneau aortique (Type Ic) peut être traitée par simple ou double annuloplastie sus et sous valvulaire (8) (Figure 3A).
  • Une perforation d’une cusp (type Id) sera réparée par un patch de péricarde autologue traité au glutaraldhéyde (Figure 3B).
  • Un prolapsus valvulaire (type II) sera traité par plicature du bord libre du feuillet prolabant (Figure 3C) ou plastie sub-commissurale (Figure 3D).
  • Une restriction valvulaire (type III) peut être traitée par extension de surface par un patch de péricarde autologue dans certains cas bien sélectionnés (9).

Figure 3. Techniques de plastie aortique
A - Double annuloplastie sus- et sous-valvulaire
B -
Patch de péricarde
C -
Plastie sub-commissurale

L’intérêt de la plastie aortique est d’éviter les complications des valves prothétiques. Elle donne de très bons résultats en termes de morbi-mortalité à 10 ans et de ré-opération (10). Cependant, aucune étude n’a encore comparé les résultats de la plastie aortique au RVAo biologique ou mécanique.

Intervention de Ross (autogreffe pulmonaire)
L’intervention de Ross consiste à remplacer la valve aortique par la propre valve pulmonaire du patient (autogreffe pulmonaire). Le culot pulmonaire est ensuite remplacé par une homogreffe aortique (issue d’un donneur décédé) (11) (Figure 4). Elle est indiquée lorsque la valve aortique n’est pas réparable chez des patients jeunes de moins de 45 ans (voire 60 ans dans les équipes expérimentées). Cette technique présente plusieurs avantages :

  • Pas de nécessité d’anticoagulation,
  • Durabilité excellente du substitut pulmonaire en position aortique (12) avec un risque de dégénérescence tardive très faible (13),
  • Bonne résistance à l’infection de l’autogreffe (14).

Des études récentes montrent de nombreux avantages de l’intervention de Ross comparé au RVAo mécanique chez des patients jeunes (moyenne d’âge 45 ans) avec : Meilleure survie à 20 ans (94 % versus 84 % respectivement, p = 0.018) (15). Cette étude de Buratto, publiée dans le JACC en Mars 2018, encourage désormais les équipes chirurgicales à proposer l’intervention de Ross plutôt qu’un RVA mécanique chez les patients jeunes. Moins de complications thrombo-embolique (notamment moins d’AVC) (16).

Moins de complications hémorragiques au long cours (17).
Meilleurs performances hémodynamiques (18).

Cependant, cette intervention est plus difficile techniquement (augmentant potentiellement le risque opératoire) et le taux de ré-intervention au long cours est plus élevé comparé au RVAo (19). En effet, l’intervention de Ross nécessite de réintervenir pour dégénérescence de l’homogreffe en position pulmonaire dans 25 % des cas à 16 ans (20). Les techniques d’implantation percutanée de la valve pulmonaire permettront vraisemblablement d’éviter, dans de nombreux cas, une réintervention chirurgicale.

Les contre indications de l’intervention de Ross à garder en tête sont :

  • Anomalie de la valve pulmonaire,
  • Maladie du tissu conjonctif (Syndrome de Marfan, …),
  • Dysfonction systolique majeure du ventricule gauche (rendant aléatoire la réalisation d’une intervention nécessitant un clampage aortique prolongé),
  • Pathologie aortique rhumatismale en phase évolutive aiguë (21).


Figure 4. Intervention de Ross

Choix de la technique
Une fois l’aorte ouverte, le chirurgien va confirmer visuellement le nombre de cuspides et le mécanisme lésionnel permettant d’orienter le choix de la technique chirurgicale (Figure 5).

Les recommandations de l’ESC/EACTS 2017 (1) préconisent désormais en première intention une réparation aortique pour les lésions de type I et II. Concernant les lésions de type III, l’ESC recommande un remplacement valvulaire aortique (RVAo), cependant certains centres experts procèdent aussi à une réparation aortique pour les lésions de type III avec de bons résultats en terme de récurrence d’IA (3).

En cas d’atteinte mixte, comme par exemple un anévrisme de la racine aortique (Type Ib), associée à un prolapsus valvulaire (type II), il est possible de combiner une plastie aortique avec une intervention sur la racine aortique (Yacoub, Tirone David).

Conclusion
Les traitements conservateurs de la racine aortique deviennent de plus en plus standardisés, et donnent de bons résultats à long terme. Ainsi, comme pour les plasties mitrales, de nombreuses équipes proposent la réparation chirurgicale aortique en première intention.
Par ailleurs, de nouvelles techniques de plastie aortique, qui consistent à remplacer l’intégralité de la valve aortique par du péricarde autologue traité au glutaraldéhyde en per-opératoire, montrent des résultats encourageants étendant même la plastie aortique aux sténoses aortiques (22).

Références bibliographiques

  • Baumgartner H, Falk V, Bax JJ, De Bonis M, Hamm C, Holm PJ, et al. 2017 ESC/EACTS Guidelines for the management of valvular heart disease. Eur Heart J. 21 sept 2017;38(36):2739,91.
  • Laissy J-P, Serfaty J-M, Klein I, Fernandez P, Bazeli R, Schouman-Claeys E. Imagerie de l’aorte thoracique normale. Variantes et anomalies congénitales. Httpwwwem-Premiumcomaccesdistantsorbonne-Univ-43526 [Internet]. [cité 27 juill 2018]; Disponible sur: http://www.empremium. com.accesdistant.sorbonne-universite.fr/article/52117
  • Boodhwani M, de Kerchove L, Glineur D, Poncelet A, Rubay J, Astarci P, et al. Repair-oriented classification of aortic insufficiency: impact on surgical techniques and clinical outcomes. J Thorac Cardiovasc Surg. févr 2009;137(2):286‑94.
  • Yacoub MH, Gehle P, Chandrasekaran V, Birks EJ, Child A, Radley-Smith R. Late results of a valve-preserving operation in patients with aneurysms of the ascending aorta and root. J Thorac Cardiovasc Surg. 1 mai 1998;115(5):1080‑90.
  • Ouzounian M, Rao V, Manlhiot C, Abraham N, David C, Feindel CM, et al. Valve-Sparing Root Replacement Compared With Composite Valve Graft Procedures in Patients With Aortic Root Dilation. J Am Coll Cardiol. 25 oct 2016;68(17):1838‑47.
  • Lenoir M, Maesen B, Cartier R, Demers P, Poirier N, Tousch M, et al. REIMPLANTATION VERSUS REMODELING WITH RING ANNULOPLASTY: COMPARISON OF MID-TERM OUTCOMES AFTER VALVE-SPARING AORTIC ROOT REPLACEMENT. Can J Cardiol. 1 oct 2017;33(10):S33‑4.
  • Le reste des références bibliographiques est disponible en ligne sur le site du CCF.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°6

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