Tour de France des cellules de crise COVID-19

Publié le 13 May 2022 à 13:39

COVID-19

Les internes se sont organisés partout en France pour répondre à la crise du COVID-19. Ils se sont montrés réactifs et solidaires. Le mag’ de l’ISNI a interviewé huit d’entre eux, entre le 26 et le 29 mars derniers.

BREST
Gwenaël, en médecine physique et de réadaptation, 5e semestre. CHU de Brest, président de l’association des internes brestois.

Quelle est la situation actuelle au CHU de Brest ?
Gwenaël- Du fait de notre situation géographique, nous sommes encore relativement peu touchés mais nous constatons une augmentation de 10 % par jour du nombre de cas. Nous commençons à recevoir des patients intubés du Grand Est et nous serons aussi possiblement appelés à soulager les hôpitaux parisiens. Au niveau de notre cellule de crise junior, nous avons eu le temps de nous organiser avec un référent pour chaque spé et d’autres internes qui travaillent sur les lignes de garde. Nous avons travaillé dès le départ avec le CHU pour être impliqués et un interne est convié à chaque réunion de la cellule de crise de l’établissement.

Dans quel état d’esprit sont les internes actuellement ?
Gwenaël- Les internes se sont très vite mobilisés mais c’est vrai que nous sommes dans une drôle d’ambiance… Tout est en place (la cellule de crise, les communications autour des protocoles, le stock de matériels, la ligne téléphonique pour prévenir les risques psychosociaux, les selfs fermés) alors que c’est encore calme. Un calme avant la tempête inéluctable.

ROUEN
Alexis, en chirurgie pédiatrique, 5e semestre. CHU de Rouen, représentant des internes en chirurgie pédiatrique.

Comment s’est passé la mise en place de la cellule de crise ?
Alexis- Nous sommes quatre internes à coordonner la cellule avec l’aide précieuse de la secrétaire. Nous avons créé une base de données avec plus de 250 internes volontaires. Mais il y a eu une très mauvaise organisation de la part de l’ARS qui nous a fait perdre du temps et de l’efficacité ! Au niveau de l’établissement, nous avons seulement été contacté hier [NDLR : samedi 28 mars] pour faire le lien entre notre cellule et les services.

Quelle est l’ambiance dans les services ?
Alexis- Heureusement, les internes sont solidaires tout comme les CCA et les chefs de service qui ont pris des gardes aux urgences. Certains internes veulent aider mais sans savoir comment se positionner. C’est le cas de ceux qui ont une maladie chronique qui attendent toujours une réponse de la part de la médecine du travail… On sent certains soignants, notamment en Réa, fatigués. 

Quelle est la situation en termes de matériel ?
Alexis- Nous manquons de tout ! Les services comme la réa ou les maladies infectieuses ont à peine le matériel suffisant pour l’équipe en place. Ce qui pose problème quand d’autres internes ou soignants souhaitent venir en renfort car il n’y a alors pas de matériel pour eux ! En termes de lits, l’activité s’accélère. Nous accueillons des patients d'autres hôpitaux périphériques dont les réanimations sont déjà pleines (Paris, Evreux, ...).

POITIERS
Nils, en médecine nucléaire, 3e semestre au CHU de Poitiers.
Président des internes de Poitiers.

Comment vous êtes-vous organisés ?
Nils- Au moment de la vague dans l’Est de la France, nous avons tout de suite réagi pour nous organiser en amont au niveau du CHU. Nous avons créé une deuxième ligne de garde et nous avons fermé un demi-étage de l’hôpital. Nous avons pris la décision de fermer l’internat qui était la cantine des internes et des chefs de service. A la place, nous avons fait livrer des paniers repas directement dans les services.

Qui intervient dans votre cellule de crise ?
Nils- Nous nous réunissons deux fois par semaine, le lundi et le jeudi avec le bureau des internes, le CME, le doyen et 4 professeurs. Nous travaillons conjointement avec l’ARS. Nous avons rappelé la dizaine d’internes en recherche et les trois en dispo.

Etes-vous, à ce jour, débordés ?
Nils- Non. Nous tournons encore au ralenti, l’activité des urgences est momentanément en chute mais nous avons bien conscience que cette situation est provisoire. Il est important que les internes s’économisent pour être prêts le moment venu.

PARIS
Elisabeth, en oncologie, 5e semestre. Groupe hospitalier
Diaconesses Croix Saint-Simon. Secrétaire générale de l’AERIO et référente oncologie du SIHP.

Comment la cellule de crise s’est-elle mise en place ?
Elisabeth- Nous étions trois au tout début, vers le 17/18 mars à monter cette cellule de crise au niveau de Paris, conjointement avec le SIHP, le SRP-IMG et l’AJAR. La cellule fut montée en 72h. Aujourd’hui, nous sommes une trentaine d’internes bénévoles à faire partie de cette cellule de crise, disponible 7j/7, de 9 heures à minuit.

Qui sont les internes bénévoles ?
Elisabeth- La plupart d’entre nous sont confinés pour des raisons diverses, beaucoup sont des jeunes femmes enceintes. Nous souhaitions être utiles et solidaires, concrètement. Nous sommes beaucoup à être investis depuis plusieurs années dans le monde associatif ou syndical : nous savons nous organiser et communiquer efficacement entre nous.

Quel fut votre première tâche au sein de cette cellule de crise ?
Elisabeth- De recenser tous les internes volontaires qui pouvaient être réaffectés en renfort. Nous avons ainsi listé 1700 internes en Ile-de-France et nous en avons réaffecté 400 en 6 jours ! Nous avons aussi identifié 200 internes relais, dans chaque établissement en lien avec leur chef de service pour nous faire remonter les besoins dans les services en tension que sont les urgences, la réanimation et l’hospitalisation conventionnelle.

Comment faites-vous concrètement pour répondre en temps réels aux besoins de ces services ?
Elisabeth- Nos internes relais sont suivis par notre cellule quotidiennement afin d’avoir un état des lieux en direct des 90 hôpitaux d’Ile-de-France accueillant les internes. Nous avons fait appel à un ingénieur informatique pour créer une application spécifique qui filtre d’un côté tous les internes volontaires, leur spécialité et leur disponibilité, totale ou partielle ; de l’autre, elle actualise tous les besoins. Ce qui nous permet une coordination à grande échelle de façon optimale. Toutes les réaffectations sont communiquées au bureau des internes de l’AP-HP, à l’ARS et au coordinateur du DES. Par ailleurs, nous veillons au bien-être des internes et nous les orientons vers notre cellule de soutien (SOS SIHP) en cas d’épuisement professionnel.

NANCY
Bouchra, en médecine physique et de réadaptation, FST médecine du sport, 5e semestre. CHU de Nancy. Représentante de Nancy et de l’AJMER à l’ISNI.

Comment vous êtes-vous organisés face au COVID ?
Bouchra- Nous avons eu la chance de pouvoir anticiper et monter progressivement notre cellule de crise car nous avons environ 10 jours de décalage par rapport à Strasbourg. Nous nous sommes rassemblés avec l’AMIN, le syndicat de internes de Nancy, les référents de chaque spé et les internes en MG, représentés par le RAOULIMG. Nous sommes plus de 1200 internes sur Nancy, il fallait être à plusieurs pour nous coordonner. Dès les premiers jours, en accord avec la faculté, nous avons pris sur notre demi-journée de formation pour nous organiser de façon globale et pour monter cette cellule de crise.

Quelles priorités vous êtes-vous données ?
Bouchra- Une fois les internes des spécialités identifiés, nous avons organisé leur réorientation dans les différents services, et ensuite nous réattribuer leurs gardes pour les soulager. Dans certaines spé, nous nous sommes formés en décubitus ventral. Nous sommes aussi extrêmement vigilants sur la prévention des risques psychosociaux.

Pourquoi la prévention des risques psychosociaux est-elle actuellement essentielle ?

Bouchra- Les internes, comme les autres soignants, font leur devoir mais ils ont toujours des droits. Notre rôle, en tant que représentant syndical ou associatif, est de veiller à l’application de ces droits, je pense notamment aux jeunes internes ou ceux qui ont du mal à dire « Stop ». Il y a aussi la peur de ramener le virus chez soi et de contaminer son conjoint ou ses enfants. C’est une pression psychologique permanente. Nous avons aussi cette peur d’échouer alors que nous ne pouvons pas tout maîtriser, surtout quand les recos changent tous les jours ! Les internes en psychiatrie s’occupaient du réseau SOS qui existait déjà et celui-ci a été renforcé avec la crise. Le CHU de Nancy a lui aussi monté une écoute téléphonique pour tous les soignants 7j/7.

Quel est le sentiment dominant chez les internes nancéens ?
Bouchra- Nous sommes conscients de ce qu’il va arriver, avec une certaine appréhension. La solidarité entre tous les internes et de toutes les équipes est actuellement précieuse car elle nous encourage et nous aidera à tenir les semaines à venir.

BESANÇON
Nawale, médecine physique et de réadaptation, 7e semestre, CHU Besançon. Vice-présidente ISNI, au bureau de l’association des internes et chefs de clinique de Besançon (AICB).

Vous avez fait partie des premiers établissements confrontés à la crise du COVID. Comment avez-vous organisé votre cellule de crise ?
Nawale- Il a fallu être très réactif car cela a commencé début mars dans notre région ! Nous avons rapidement fusionné les forces vives des deux syndicats d’internes, l’AICB et le SYRCIMG pour faire une cellule de crise commune à tous les internes de Franche-Comté. Le premier soir, on a créé un fichier pour recenser les premiers internes volontaires pour la ligne de régulation COVID téléphonique du CHU ; c’était la première étape essentielle. Puis par la suite, un second fichier de recensement de volontaires, colligé de façon nationale, plus complet et plus abouti permettant de récupérer notamment les champs de compétences des internes afin de redistribuer par la suite des listings aux différents établissements de la région selon les demandes effectuées dans les différents services. Sur les 600 à 700 internes de la région, environ 300 se sont portés volontaires. Dès le départ, nous avons travaillé conjointement avec les établissements, l’ARS et l’UFR, ce qui est primordial pour une coordination efficace.

Quelles furent les autres mesures concrètes ?
Nawale- Le CHU avait mis en place dès le départ une ligne téléphonique de régulation spéciale COVID mais il manquait des internes régulateurs, les internes de Médecine d’Urgence ne pouvant pas éponger cette massive activité. Nous étions plusieurs internes à être volontaires, nous avons été formés en moins d’une demi-journée par des internes et seniors aguerris. Nous sommes 5 internes sur le créneau du matin et autant sur le créneau du soir. Des lignes de gardes supplémentaires à la SAU, circuit SAU COVID, unité d’hospitalisation COVID, Réanimation médicale, etc. Nous étions, et nous sommes toujours dans un esprit combatif malgré la fatigue qui s’installe et le manque récurrent de matériels de protection.

Vous êtes face au COVID depuis presque un mois. Comment se sentent les internes ?
Nawale- Il faut être clair, certains sont déjà très fatigués physiquement et/ou psychologiquement. Sans compter que le risque zéro face à la contamination n’existe pas. Certains ont été et sont malades et confinés, certains cas d’internes hospitalisés ont été relatés. Mais la vague n’est pas encore là, elle arrivera dans deux semaines environ et ce ne sera pas seulement un pic mais un plateau que nous redoutons. Si les internes et les soignants sont aujourd’hui solidaires, la situation devient tendue à cause de cette fatigue et psychose générale face à cette crise sanitaire exceptionnelle. Nous communiquons beaucoup sur la prévention des risques psychosociaux en martelant le droit au retrait ou encore au remplacement, et qu’il n’y a aucune honte à se sentir mal du fait des évènements actuels ou de la cadence de travail pouvant être mal supportée par certains. C’est essentiel de se protéger. N’oublions pas que nous sommes dans une situation inédite, une crise sanitaire sans précédent.

LYON
Lucas, en médecine d’urgence, 5e semestre, hôpital Herriot.
Président du syndicat des internes des hôpitaux de Lyon.

Comment s’est montée la cellule de crise sur Lyon ?
Lucas- Nous nous sommes mobilisés en amont, parallèlement à notre employeur les HCL, il y a une semaine environ en listant tous les internes disponibles volontaires, soit 500 internes environ pour avoir une cartographie de notre potentiel. On constate une solidarité énorme. Nous avons doublé les lits en réa et doublé les lignes de garde.

Quel est le ressenti des internes lyonnais ?
Lucas- Pour l’instant, on arrive à absorber mais cela va à une vitesse folle. Même en ayant arrêté toutes nos activités programmées, nous avons déjà du mal. Le plus dur est à venir quand on n’arrivera plus à absorber et que l’on accumulera. Pour l’instant, nous voulons nous jeter dans la bataille. Beaucoup d’internes sont surinvestis et sont, déjà, très fatigués. Il va falloir, très vite, penser à s’économiser.

Quels conseils leur donnez-vous ?
Lucas- On communique sur toutes les hotlines téléphoniques : celle de l’association des internes en psychiatrie, le réseau T.a.bou, celle du réseau Rhône-Alpes d’aide aux soignant (ASRA) ou celle de la faculté. Nous devons aussi être attentifs les uns les autres, sur le terrain, surtout envers les jeunes internes.

NICE
Pierre, co-président des internes Beihn (spé et MG), médecine générale, 5e semestre. CHU de Nice.

Votre proximité avec l’Italie a-t-elle accéléré l’état de crise au niveau du CHU ?
Pierre- Non, car nous sommes dans une situation moins tendue qu’en Ile-de-France. Nous nous sommes organisés très rapidement. Dès l’annonce du confinement, nous avons mobilisés 160 internes en 72 h au niveau du CHU. 

Qui participe à la cellule de crise ?
Pierre- Les membres de notre syndicat, essentiellement Alexandre Rodière mon co-président et Julien Legendre secrétaire général, ont réuni tous les internes que ce soit en spé ou en MG en listant leur compétences, leur disponibilité, etc. Par contre, il y a eu un retard au niveau de la coordination avec les institutions car nous serons seulement conviés aux réunions du CHU ce week-end [NDLR : le 28 et 29 mars] !

Quelle est l’ambiance du côté des internes niçois ?
Pierre- Nous sommes volontaristes et solidaires mais il y a toujours une certaine colère. On prend des risques pour soigner les gens et nous manquons toujours de matériel, sans parler des procédures qui pleuvent alors que nous n’avons pas les moyens de les mettre en place ! Les internes ne demandent rien, juste de faire correctement leur métier mais il y a un sentiment aigre-doux car ce qui arrive en termes de gestion hospitalière, on l’avait dénoncé. On supprime 17 000 lits sur toute la France depuis 2013 et aujourd’hui on affrète des TGV médicalisés… Quand tout sera fini, les internes demanderont des comptes.

GLOSSAIRE
AJMER : Association des jeunes en médecine physique et de réadaptation.
AMIN : Association des médecins internes de Nancy.
RAOUL-IMG : Rassemblement Autonome Unifié Lorrain des Internes en Médecine Générale.
AERIO : Association pour l'enseignement et la recherche des internes en oncologie.
SIHP : Syndicat des internes des Hôpitaux de Paris.
SRP-IMG : Syndicat représentatif des internes en médecine générale de Paris.
AJAR : Association des Jeunes Anesthésistes-Réanimateurs de France.
BEIHN : Bureau élargi des internes des Hôpitaux de Niçois.
SYRC : Syndicat régional comtois des internes de Médecine Générale.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°24

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