Top des articles 2022-2023

Publié le 23 Jan 2024 à 13:58

L’essai BOREAS

Le dupilumab dans la BPCO avec inflammation T2, déterminée par le taux d’éosinophiles

S.P. Bhatt, K.F. Rabe, N.A. Hanania, C.F. Vogelmeier, J. Cole, M. Bafadhel, S.A. Christenson, A. Papi, D. Singh, E. Laws, L.P. Mannent, N. Patel, H.W. Staudinger, G.D. Yancopoulos, E.R. Mortensen, B. Akinlade, J. Maloney, X. Lu, D. Bauer, A. Bansal, L.B. Robinson, and R.M. Abdulai, for the BOREAS Investigators

Bhatt SP, Rabe KF, Hanania NA, Vogelmeier CF, Cole J, Bafadhel M, et al. Dupilumab for COPD with Type 2 Infl ammation Indicated by Eosinophil Counts. N Engl J Med. 20 juill 2023;389(3):205-14.

L’inflammation de type 2 (T2) est caractérisée par la production des cytokines IL-4, IL-5, IL-13, la sécrétion des alarmines TSLP, IL-33, IL-25, ainsi que la production d’IgE et le recrutement des polynucléaires. Depuis une vingtaine d’années, des biothérapies ciblant spécifiquement ces médiateurs ont révolutionné la prise en charge des patients asthmatiques sévères, en diminuant les exacerbations et en améliorant leur qualité de vie.

Environ 20 à 40 % des patients atteints de BPCO auraient des marqueurs d’inflammation T2. Or, chez ces patients, l’inflammation T2 augmente à la fois le risque d’exacerbation qui est un critère de mauvais pronostic, et la réponse aux corticoïdes. Compte-tenu de la prévalence de la BPCO, les biothérapies apparaissent comme un espoir thérapeutique pour un grand nombre de patients.
Les essais ayant évalué les anti-IL-5 ont pour l’instant des résultats mitigés. C’est donc au tour du Dupilumab, un anti-récepteur de l’IL-4 et IL-13, de tenter sa chance dans l’essai BOREAS.

Schéma de l’essai

Les patients inclus devaient avoir un trouble ventilatoire obstructif avéré et symptomatique, un VEMS entre 30 et 70  % de la théorique malgré un traitement inhalé maximal (2  bronchodilatateurs et 1 corticostéroïde inhalé) ainsi qu’une éosinophilie sanguine supérieure à 300/µL. Les patients avec diagnostic d’asthme étaient exclus. Enfin, ils devaient avoir un profil d’exacerbateur fréquent avec au moins deux exacerbations modérées dans l’année (défi nies par la prise d’antibiotiques et/ou de corticostéroïdes par voie systémique) ou une exacerbation sévère (défi nie par une hospitalisation). Après une période nécessaire de 4 semaines de contrôle de leur BPCO, ils étaient randomisés entre un bras placebo et un bras interventionnel, et suivis durant 52 semaines. L’analyse du critère de jugement principal, représenté par le nombre annualisé d’exacerbations modérées à sévères, était réalisée après une période de sécurité de 12 semaines sans traitement. Les critères secondaires étaient l’amélioration du VEMS et de la qualité de vie, ainsi que l’analyse en sous-groupe des patients avec une fraction expirée de NO (FeNO) supérieure ou égale à 20ppb. Le schéma de l’étude est résumé dans la Figure 1.


Figure 1 : Schéma de l’étude


Figure 2 : Critère de jugement principal en fonction du temps

Résultats

Neuf cent trente-sept patients BPCO ont été randomisés de mai 2019 à février 2022  : 468 ont reçu du Dupilumab et 471 le placebo. Il s’agissait principalement d’hommes (66  %) âgés de 65,1 ±8,1 ans, à 84  % caucasien, avec un nombre d’exacerbations annuelles dans l’année précédente de 2,3.

Le taux annualisé d’exacerbations sévères à modérées était de 0,78 (CI95% [0.64 - 0.93]) dans le groupe Dupilumab et 1.10 (CI95% |0.93 - 1.30]) dans le groupe placebo, soit une réduction de risque relatif de 30  % (Figure 2). L’effet est encore supérieur dans le sous-groupe de patients avec FeNO ≥ 20 ppb, avec un taux de 1.12 sous placebo versus 0.70 sous Dupilumab.

Concernant les critères secondaires, on remarque également une amélioration significative du VEMS dans le groupe Dupilumab dès la 2ème semaine de traitement, persistant à la 52ème semaine. La qualité de vie, rapportée par le questionnaire de Saint-Georges, était aussi meilleure dans le bras interventionnel dès la 4ème semaine. Ces effets étaient également retrouvés dans le sous-groupe de patients avec FeNO initiale ≥ 20ppb.

Enfin, les critères de sécurité étaient comparables entre les deux groupes avec notamment un taux d’effets indésirables sévères chez 13,6  % des patients sous Dupilumab et 15,5  % des patients sous placebo. Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés étaient les suivants : rhinopharyngite, céphalées, et infections des voies aériennes supérieures. On déplore 8 (1,7  %) décès dans le bras placebo et 7 (1,5 %) dans le bras Dupilumab.

Conclusion

Les résultats de l’étude sont positifs avec une réduction du taux annualisé d’exacerbation associée à un gain de VEMS et une meilleure qualité de vie.

Synthèse

Certains patients BPCO présentent une inflammation T2 caractérisée par l’augmentation des éosinophiles sanguins. Ces patients ont un risque plus élevé d’exacerbation que les autres. Ils pourraient bénéficier d’une des biothérapies ciblant spécifiquement cette inflammation T2, comme c’est le cas dans l’asthme. Après les résultats décevants des anti-IL5 , le Dupilumab, un anti-IL-4 et anti-IL-13, est la première biothérapie à obtenir des résultats significatifs en termes de réduction du risque d’exacerbation mais également en termes de gain de VEMS et de qualité de vie. Il pourrait donc se faire une place prochainement dans l’arsenal thérapeutique des patients BPCO avec éosinophiles et exacerbateurs malgré une trithérapie inhalée. Cependant, bien que prometteur, le Dupilumab n’a pas encore l’AMM dans la BPCO. Son utilisation doit donc rester exceptionnelle et être validée en discussion d’experts type réunion de concertation d’asthme sévère.


Antoine BEAUVAIS
Interne
Service de Pneumologie A
CHU Bichat - Claude-Bernard,
Paris

Relecture
Dr Mathilde LE BRUN
CCA
Service de Pneumologie A
CHU Bichat - Claude-Bernard,
Paris

 

Pneumonies aiguës communautaires sévères :
cap vers une corticothérapie systém(at)ique ?

Dequin, P-F, et al. Hydrocortisone in Severe Community-Acquired Pneumonia. N Engl J Med 2023; 388:1931-1941

Les pneumonies aiguës communautaires (PAC), s’intégrant dans le spectre des infections respiratoires basses, surviennent par définition chez des patients n’ayant pas été hospitalisés dans le mois précédant l’apparition des symptômes et représentent un véritable enjeu de santé publique tant par leur incidence - 1.07 à 1.2 cas pour 1000 habitants par an en Europe (jusqu’à 14 cas pour 1000 habitants chez les sujets de plus de 65 ans, avec une franche prédominance masculine) - que par leur sévérité (1). En effet, en dépit d’une amélioration significative du pronostic au cours des vingt dernières années, attribuable à divers facteurs (vaccination, antibiothérapie, évolution favorable des conditions socio-économiques et d’hygiène) (2), la mortalité à trente jours demeure extrêmement élevée, estimée jusqu’à 30 % chez les patients présentant une forme sévère, admis en unité de soins intensifs et nécessitant un support respiratoire (invasif ou non) (3).

D’un point de vue physiopathologique, les PAC sévères sont caractérisées par une dérégulation de la réponse immunitaire de l’hôte en faveur d’un état pro-inflammatoire marqué (en témoigne des concentrations plasmatiques élevées de nombreuses cytokines telles que l’IL-1, l’IL-6 et le TNF-α (4)). De par leurs actions anti-inflammatoires et immunomodulatrices, via des mécanismes à la fois génomiques et non-génomiques (5), l’intérêt et l’usage des glucocorticoïdes en tant que traitement adjuvant des PAC ont suscité de nombreuses discussions au sein de la communauté scientifique et médicale ces dernières années.

Plusieurs essais cliniques contrôlés et randomisés poolés au sein de deux méta-analyses se sont penchés sur cette épineuse question : y a-t-il un quelconque bénéfice clinique à administrer une corticothérapie systémique à des patients atteints de PAC ?

La première méta-analyse, publiée en 2017 et regroupant dix-sept essais dont certains réalisés en l’absence d’aveugle et six jugés à haut risque de biais, suggérait une réduction de la mortalité liée à l’adjonction d’une corticothérapie chez les patients présentant une PAC sévère (6). Au contraire, l’année suivante, la seconde méta-analyse incluant six essais ne parvenait pas à démontrer un impact favorable sur la survie, avec toutefois une réduction significative du temps nécessaire à l’obtention d’une stabilité clinique ainsi que de la durée du séjour hospitalier  (7). L’étude de Medurie et al. évaluait l’impact d’une corticothérapie systémique par méthylprednisolone à faible dose (40  mg/jour pendant 7  jours suivi d’une décroissance progressive sur 20 jours) sur la mortalité toute cause à 60 jours dans une population de patients admis pour PAC sévère (584 patients randomisés en  1:1) : aucune différence significative entre les deux groupes n’était mise en évidence (16 % versus 18 %) (8). À la lumière des éléments suscités, les dernières recommandations européennes (ERS/ ESICM/ESCMID/ALAT) d’avril 2023 suggèrent l’adjonction d’une corticothérapie dans un contexte de PAC sévère uniquement en cas d’état de choc septique associé (faible niveau de preuve) (9).

L’essai CAPE-COD (Community-Acquired Pneumonia : Evaluation of Corticosteroids) a pour objectif de déterminer l’intérêt et l’impact d’une introduction précoce d’hydrocortisone sur la mortalité à 28 jours en cas de PAC sévère.

Méthodes

Il s’agit d’un essai clinique de supériorité, multicentrique (31 centres français), randomisé en 1:1 avec une stratification sur le centre et sur la nécessité (ou non) d’une ventilation mécanique, en double-aveugle. L’inclusion nécessitait d’être majeur et admis en Médecine Intensive - Réanimation ou au sein d’une Unité de Soins Intensifs dans les 48h suivant l’admission à l’hôpital pour un diagnostic de pneumopathie aiguë communautaire (arguments cliniques et radiographiques) sévère défi nie par la présence d’au moins un des paramètres suivants : initiation d’une ventilation mécanique (invasive ou non) avec une PEP au moins égale à 5 cmH2O, recours à une oxygénothérapie haut débit avec une FiO2 ≥ 50% et un ratio PaO2/FiO2 < 300 ou une ventilation au masque avec un ratio PaO2/FiO2 estimé < 300, score PSI (Pneumonia Severity Index) > 130 (Fine Class V). Une documentation microbiologique n’était pas indispensable en dehors d’une recherche du virus Influenza au cours des périodes épidémiques. Parmi les principaux critères d’exclusion, soulignons la pneumopathie grippale, le choc septique, une suspicion de pneumopathie d’inhalation, les patients sous corticothérapie au long cours, le fait d’avoir reçu au préalable une chimiothérapie intensive myélosuppressive et la décision de ne pas recourir à l’intubation.

Pour les patients randomisés dans le groupe « hydrocortisone », l’intervention se déroulait selon le protocole suivant : l’hydrocortisone était administrée de façon continue par voie IV, à la posologie de 200 mg/ jour, dans les 24h suivant l’apparition d’au moins un critère de sévérité suscité, pour une durée minimale de 4 jours. Au 4ème jour, la décision de poursuivre l’hydrocortisone pour un total de 8 jours (régime court) ou 14 jours reposait sur la présence de l’ensemble des critères prédéfinis suivants : patient en ventilation spontanée, ratio PaO2/FiO2 > 200, SOFA (J4) ≤ SOFA (admission), haute probabilité (selon le clinicien en charge) que le patient sorte vivant de réanimation avant J14. Quant au placebo, il consistait en une solution saline administrée selon les mêmes modalités que l’hydrocortisone.

La mortalité toute cause à J28 constituait le critère de jugement principal : le nombre de sujets nécessaires afin de détecter une réduction relative de 25 % de la mortalité avec une puissance de 80 % (taux de mortalité au sein des groupes « hydrocortisone » et « placebo » estimés à 20 % et 27 % respectivement) s’élevait à 1146 patients. Soulignons que deux analyses intermédiaires étaient planifiées après inclusion d’un tiers puis deux tiers des patients. Enfin, concernant les critères de jugement secondaires, l’absence d’ajustement du risque statistique pour les comparaisons multiples doit faire considérer les résultats comme étant exploratoires.


Figure : Résumé de l’étude CAPE-COD. Créé par Valentin Mandin, d’après Dequin, P-F, et al.

Résultats

Entre octobre 2015 et mars 2020, 795 patients ont été randomisés et inclus dans l’analyse principale sur près de 6000 patients éligibles (400 dans le groupe « hydrocortisone », 395 dans le groupe « placebo »). La population de l’étude, représentée par une majorité d’individus de sexe masculin (69 %), de 67 ans d’âge médian, était caractérisée par sa gravité (47  % de patients avec un score PSI > 130), un recours à la ventilation mécanique (invasive ou non) ou à l’oxygénothérapie haut débit dans respectivement 44  % et 42  % des cas. Enfin, 11,6  % des patients nécessitaient un support aminergique à l’admission.

À J28, 6,2  % des patients randomisés dans le groupe « hydrocortisone » étaient décédés (25/400) versus 11,9 % dans le groupe « placebo » (47/395) soit une différence absolue de 5,6 % (IC95% [-9.6;-1.7], p=0,006). Ces résultats, correspondant à la seconde analyse intermédiaire prévue a priori, n’atteignent pas le seuil de significativité prédéterminé à 0,0055. Sur la base de cette analyse, une fois “l’orage pandémique” passé, le Comité de surveillance et de suivi des données a toutefois pris la décision d’interrompre le recrutement estimant, entre autre, que l’inclusion de 400 patients supplémentaires ne modifierait probablement pas les résultats obtenus et qu’il serait contraire à l’éthique, compte-tenu de la diminution de mortalité constatée dans le groupe “hydrocortisone”, de poursuivre les inclusions dans le groupe « placebo ».

En termes de sécurité, les signaux se révélaient rassurants à la fois sur le plan infectieux (incidence cumulée des infections acquises à l’hôpital à J28 de 9,8 % dans le groupe « hydrocortisone » et 11,1  % dans le groupe « placebo ») mais également concernant la tolérance digestive (incidence cumulée des saignements gastro-intestinaux de 2,2  % dans le groupe « hydrocortisone » et 3,3  % dans le groupe « placebo »), avec néanmoins - sans grande surprise - un recours à l’insulinothérapie plus important chez les patients recevant l’hydrocortisone.

Enfin, parmi les critères de jugement secondaires à considérer exploratoires, l’initiation d’un support aminergique (chez les patients hors amines initialement) et l’incidence du recours à l’intubation ou à la VNI (chez les patients non ventilés à l’inclusion) semblaient diminuées dans le groupe « hydrocortisone ».

Conclusion

CAPE-COD constitue le premier essai clinique multicentrique démontrant l’efficacité d’une corticothérapie systémique par hydrocortisone sur une réduction de la mortalité (critère de jugement principal robuste et pertinent) au sein d’une population de patients admis pour pneumopathies aiguës communautaires sévères (hors choc septique), avec un profil de sécurité jugé satisfaisant.

Ces divergences de résultats avec certaines études antérieures, notamment celle de Medurie et al. (8), peuvent s’expliquer, tout du moins en partie, par différents facteurs à savoir : les propriétés pharmacologiques de la molécule d’intérêt (méthylprednisolone versus hydrocortisone dans CAPE-COD), le timing d’administration (délai médian entre la randomisation et l’initiation du traitement de 40h versus 15h dans CAPE-COD), le sex-ratio (population quasi-exclusivement masculine à 97  % versus 69  % dans CAPE-COD).

Compte-tenu de la faible proportion de patients immunodéprimés inclus (6  %, hors corticothérapie préalable et myélosuppression), les conclusions précédemment mises en avant doivent être interprétées avec précaution au sein de ce sous-groupe.

Bibliographie

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    Valentin MANDIN
    et Dr Naïla BENKALFATE 
    CHU de Nantes

     

    Pollution atmosphérique et cancer du poumon

    Hill W, Lim EL, Weeden CE, Lee C, Augustine M, Chen K, et al. Lung adenocarcinoma promotion by air pollutants. Nature. avr 2023;616(7955):159-67.

    Le cancer pulmonaire est la 1e cause de mortalité par cancer en France. Il représente 33 000 décès par an, soit 20 % des décès par cancer, et 53 000 nouveaux cas par an. Le principal facteur de risque identifié est le tabagisme. D’après les résultats de l’étude KBP 2020, incluant au total près de 22 000 patients atteints de cancers pulmonaires, sur 3 périodes (2000, 2010 et 2020), la proportion de patients tabagiques actifs était stable (52.9 % en 2000, 49.2 % en 2010, 52.5 % en 2020) mais celle des patients non-fumeurs était en augmentation (7 % en 2000, 10.9 % en 2010, 12.6 % en 2020) (1). Les cancers pulmonaires des patients non-fumeurs ont plus fréquemment une mutation activatrice de l’oncogène EGFR (environ 40 % des cancers pulmonaires des non-fumeurs dans les pays occidentaux), touchent plus souvent des femmes, et des sujets asiatiques. D’autres facteurs de risques ont été mis en évidence dans des études épidémiologiques, notamment l’exposition au radon et la pollution atmosphérique. Cependant, l’oncogenèse reste mal comprise dans ces situations.

    Les particules fines sont également appelées les PM2.5 (particule matter 2.5). Ce sont des particules de diamètre égal ou inférieur à 2,5 µm. Elles sont principalement issues du transport routier (combustion des moteurs, abrasion des freins et des pneus) et du secteur résidentiel et tertiaire (combustion du bois, fioul et gaz pour le chauffage). Du fait de leur petite taille, elles sont capables de pénétrer profondément dans les voies respiratoires. Ainsi, elles sont les polluants les plus souvent utilisés pour étudier l’impact de la pollution de l’air extérieur et intérieur sur la santé respiratoire.

    Les PM2.5 sont classées carcinogènes avéré (groupe 1) depuis 2013 par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) et associées à un risque plus élevé de cancer pulmonaire (2).

    L’OMS recommande une exposition inférieure à 10 µg/m3 en moyenne sur l’année. Cependant, en 2019, 99 % de la population mondiale vivait dans des zones où les seuils préconisés ne sont pas respectés (3).

    D’après la méta-analyse de Hamra et al. publiée en 2014, l’augmentation de 10 µg/m3 de PM2.5 annuelle augmenterait de 9  % le risque de survenue de cancer pulmonaire (4).

    Une méta-analyse plus récente, publiée en 2019 dans The Lancet, estimait la fraction attribuable de chaque facteur de risque du cancer du poumon. La fraction attribuable au tabagisme actif serait de 62 %, aux PM2.5 de 15  %, au tabagisme passif de 6 %, à la pollution de l’air intérieur et au radon de 4  % (5).

    En France, une étude a été menée en 2015 estimant le risque attribuable aux PM2.5 en croisant les données de morbi-mortalité et les mesures des taux de particules fines. Sur 40 451 cas incidents de cancers pulmonaires, 1 566 cas pourraient être attribuables aux PM2.5, soit 3,6  % (6).

    La pollution atmosphérique est donc bien associée au risque de cancer pulmonaire. Se posent actuellement les questions suivantes  :

    → La pollution atmosphérique pourrait-elle expliquer certains cancers pulmonaires chez les patients non-fumeurs, notamment ceux ayant une addiction oncogénique ?

    → Et si oui, par quels mécanismes oncogéniques  ?

    L’oncogenèse des cancers avec addiction oncogénique consiste en un processus en 2 phases. La première est la phase d’initiation, avec l’apparition de mutations oncogéniques dans les cellules. La deuxième est la phase de promotion, favorisant la prolifération des cellules mutées. Des études récentes ont montré que l’exposition aux PM2.5 n’entraîne pas de mutation directement sur l’ADN. L’hypothèse de l’article que nous allons présenter, récemment publié dans la revue Nature, est que l’exposition aux PM2.5 entraînerait une réaction inflammatoire dans le microenvironnement, ce qui favoriserait la phase de promotion au sein des cellules de l’épithélium respiratoire avec une mutation oncogénique de l’EGFR.

    Résultats

    Les trois étapes de l’article pour établir un lien entre la survenue d’un cancer pulmonaire chez les patients non-fumeurs et l’exposition aux PM2.5  étaient les suivantes  :

    → Des études épidémiologiques à partir de plusieurs cohortes indépendantes ;

    → Des études précliniques sur des modèles murins, afin de démontrer l’impact d’une exposition aux PM2.5 sur la carcinogenèse bronchique ;

    → Des études sur des prélèvements de tissus pulmonaires humains.

  • Études épidémiologiques  dans le but d’établir une corrélation géographique entre la pollution environnementale et le cancer du poumon chez le patient non-fumeur.
  • Une première étude a été menée au sein des populations anglaises, coréennes du sud et taïwanaises. L’incidence des cancers du poumon mutés EGFR était plus élevée dans les zones géographiques où le taux de PM2.5 était plus élevé (figure 1).

    Figure 1 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023 : diagrammes montrant les relations entre les niveaux d’exposition aux PM2.5 et l’incidence estimée du cancer du poumon muté EGFR (pour 100 000 habitants) au niveau national en Angleterre (n=25 567 patient avec cancer bronchique EGFRm) (a), en Corée du Sud (n=2563) (b) et à Taïwan (n=4599) (c).

    Une seconde analyse a été effectuée sur une cohorte de 208 femmes Canadiennes, en prenant en compte leur migration géographique d’une zone à l’autre (zones de forte, intermédiaire et faible exposition), sur 3 ans et sur 20 ans. Une exposition forte aux PM2.5 dès 3 ans était corrélée à une plus forte proportion de cancers pulmonaires mutés EGFR (72  % de patientes avec une tumeur mutée EGFR dans les zones de forte exposition versus 40  % dans les zones à faible exposition) (figure 2).

    Figure 2 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023  : effectifs et proportions de patients mutés EGFR dans la cohorte canadienne, où les niveaux d’exposition cumulés aux PM2.5 sur 3 ans et 20 ans étaient disponibles. Les patients sont répartis en groupes d’exposition élevée, intermédiaire et faible.

    Conclusion 1 : Les auteurs retrouvaient une association épidémiologique entre la prévalence de patients porteurs d’un cancer du poumon mutés EGFR et une exposition à un niveau de PM2.5 élevé.

  • Études précliniques sur les modèles murins : démontrer que l’exposition aux PM2.5 peut induire une transformation oncogénique et préciser le mécanisme.
  • Des souris ont été génétiquement modifiées avec induction d’une mutation EGFR dans l’arbre bronchique via un virus trachéal («  souris ET  »). Elles ont ensuite été exposées pendant 3 semaines aux PM2.5 ou à un agent neutre (témoin). La charge tumorale était évaluée à 10 semaines. Les auteurs observent plus de lésions pré-cancéreuses chez les souris exposées aux PM2.5 avec un effet dose-dépendant (figures 3 et 4).

    Figure 3 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023 : Immunohistochimie de la mutation huEGFRL858R de souris ET exposées aux PM2.5 ou à un agent neutre (témoin).

    Figure 4 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023 : quantification des lésions néoplasiques après exposition aux PM 2.5µm.

    Par quel mécanisme oncogénique  ?

    → Les auteurs ont confirmé par séquençage whole genome qu’il n’y avait pas d’augmentation significative du nombre de mutations après l’exposition aux PM2.5.

    → Chez les souris immunodéprimées, il n’était pas observé d’augmentation des lésions cancéreuses après exposition aux PM2.5. Cela implique qu’un système immunitaire compétent était nécessaire à l’oncogenèse induite par l’exposition aux PM2.5.

    Conclusion 2 : Les PM2.5 augmenteraient l’incidence des lésions néoplasiques, par un mécanisme non mutagène, de façon dépendante au système immunitaire.

    Après l’exposition aux PM2.5, il était observé une augmentation de l’infiltrat en macrophages (figure 5).

    Figure 5 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023  : immunofluorescence des macrophages CD68+ (cyan) et des cellules mutantes EGFR tdTomato+ (rouge) dans les poumons de souris ET exposés à l’agent neutre (témoin) ou à 50 µg de PM2.5.

    Une analyse du profil transcriptionnel des cellules épithéliales pulmonaires a été réalisée. Les auteurs ont observé une augmentation de l’expression des gènes impliqués dans la production de cytokines pro-inflammatoires, favorisant le recrutement des macrophages. Ceci correspondait à un profil de cellules épithéliales alvéolaires de type 2, dites AT-2 (alveolar type 2 cells), cellules déjà décrites comme progénitrices des cellules d’adénocarcinome muté EGFR.

    L’IL1β était produit par les macrophages exposés aux PM2.5 en cultures cellulaires.

    En ajoutant des anticorps anti-IL1béta, le nombre de lésions adénocarcinomateuses diminuait. Ainsi, l’IL1β produite par les macrophages a favorisé la prolifération des cellules adénocarcinomateuses si elles étaient mutées EGFR.

    Conclusion 3

    L’exposition aux PM2.5  :

    → Induirait la transformation en cellules progénitrices AT2 chez les souris EGFR mutés.

    → Conduirait à un recrutement macrophagique.

    → Induirait la sécrétion d’IL-1β par les macrophages.

    La mutation EGFR est-elle préexistante  ?

  • Études sur des prélèvements de tissus pulmonaires humains
  • Les auteurs se sont ensuite demandés si la mutation oncogénique de l’EGFR était présente dans les tissus pulmonaires d’individus sains (indemnes de cancer).

    Les cohortes de prélèvement de tissus pulmonaires humains utilisées étaient  :

    → TRACERx  : tissus pulmonaires sains de patients avec un cancer pulmonaire ;

    → PEACE : autopsies de patients décédés de cancers non pulmonaires. Les auteurs ont mis en évidence l’existence de mutations EGFR dans les tissus sains d’une proportion significative de patients  :

    → 38 patients / 195 (19 %) dans l’étude TRACERx avaient une mutation EGFR dans le tissu pulmonaire sain, à distance des cellules tumorales, elle-même non mutées.

    → 3 patients sur 19 (16  %) dans la cohorte PEACE avaient une mutation oncogénique de l’EGFR dans leurs cellules pulmonaires.

    Conclusion 4  : Certains sujets indemnes de cancer pulmonaire, majoritairement les femmes, auraient une mutation oncogénique de l’EGFR préexistante. La pollution agirait comme un promoteur de la transformation néoplasique sur les cellules EGFR mutées, via la production d’IL1β par les macrophages.

    Figure 6 : D’après l’article de Hill et al. Nature, 2023, résumant le processus oncogénique qui a été mis en évidence par l’étude, amenant au développement des cancers pulmonaires mutés EGFR suite à l’exposition aux PM2.5.

    Discussion

    Cette étude est la première étude mettant en évidence un processus oncogénique amenant au développement de cancers pulmonaires mutés EGFR suite à l’exposition aux particules fines. Tout d’abord, cette étude démontre une association entre la fréquence de l’incidence du cancer du poumon muté EGFR et l’augmentation des niveaux de PM2.5. L’analyse temporelle suggère que seul trois ans d’exposition aux PM2,5 peuvent être suffisants pour accroître le risque de développer un cancer du poumon induit par l’EGFR. La principale limite à cette conclusion est qu’elle porte sur des données agrégées, et non des données individuelles de chaque participant. Les auteurs ont ensuite montré que l’exposition aux PM2.5 agirait comme un promoteur de la transformation oncogénique sur les cellules EGFR mutées, via la production d’IL-1β par les macrophages. Une limite est que ces modèles murins peuvent développer des cancers, indépendamment de l’exposition aux PM2.5. Le spectre complexe des mutations observées dans les tissus humains n’était pas représenté chez les souris.

    Conclusion

    Il existe donc de nombreux facteurs de risque de cancer pulmonaire autre que le tabagisme, notamment la pollution atmosphérique. L’un des moteurs clé de la tumorigenèse pourrait être un axe inflammatoire, notamment chez les patients non tabagiques. Il est important de poursuivre ces explorations pour mieux comprendre et caractériser ces mécanismes de l’oncogenèse, et éventuellement de trouver des pistes thérapeutiques. Des mesures de santé publique plus efficaces semblent indispensables pour réduire les émissions de PM2.5.

    Bibliographie

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  • Angélique LECLERC
    Interne de pneumologie
    CHU Nantes

    Relecture

    Dr Elvire PONS-TOSTIVINT
    MCU-PH en oncologie médicale
    CHU Nantes

    Article paru dans la revue « du Jeune Pneumologue » /AJP02 N°03

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

    Publié le 1706014717000