Témoignage : Mission Humanitaire dans le Camp de Réfugiés Syriens de Zaatari en Jordanie

Publié le 16 May 2022 à 22:12


Cette mission a vu le jour en 2012 grâce aux efforts menés par GSF (Gynécologie Sans Frontières).
De nombreux internes de gynécologie-obstétrique ont été contactés par GSF via l’AGOF pour partir en Jordanie et venir en aide aux femmes syriennes.
Je fais partie des personnes qui ont eu la chance de se rendre dans le camp de réfugiés syriens de Zaatari, pour y vivre une expérience humaine et professionnelle que je n’oublierai jamais.

C’est durant mon année de Master 2 que j’ai pris la décision de consacrer quelques semaines à une mission humanitaire, chose que je n’avais jamais fait auparavant.

Je me suis donc inscrite à la mission 8 (du 8 au 31 Janvier 2013). Les membres de notre mission ont tous bénéficié d’une journée d’information organisée par GSF, quelques semaines avant notre départ.

Cette réunion fut l’occasion d’obtenir un premier contact avec les membres de notre équipe, qui allait être composée de deux gynécologues-obstétriciens (un sénior et un junior), trois sages-femmes et un logisticien.

Après avoir passé une nuit sur Amman, nous n’avons pas perdu de temps et pris la direction de Zaatari, escortés par notre logisticien parlant couramment l’arabe (ce qui nous fut d’une grande aide pendant notre séjour).

Le trajet fut relativement court mais assez compliqué car marqué par de nombreuses inondations suite aux intempéries qui ont touché la Jordanie deux jours avant notre arrivée.

À l’approche du camp, nous commencions à distinguer les tentes de l’UNHCR, pleines de boue et pour la plupart inondées. Un afflux important de réfugiés commençait plusieurs centaines de mètres avant l’entrée principale du camp.

La première chose qui m’a frappée était de voir tous ces réfugiés avec peu de vêtements chauds et en sandales. La majorité d’entre eux avaient quitté la Syrie en été, en pleine canicule et n’avaient pas eu le temps d’emporter des vêtements plus chauds, pensant que le conflit n’allait pas durer et qu’ils pourraient rentrer rapidement.

Le camp français dans lequel nous allions travailler se situait à quelques mètres de l’entrée.

À notre arrivée, nos prédécesseurs, les pieds à moitié dans la boue, étaient en train de gérer deux accouchements à la fois, ainsi que des problèmes de fuite d’eau dans les tentes. Les transmissions sur le fonctionnement du camp, de la salle de naissance, des consultations furent brèves mais claires et nous nous rendions alors compte de l’ampleur du travail qui nous attendait.

Avec plus de 60000 réfugiés dans le camp et environ 2000 entrées par nuit, l’activité n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure des missions.

Les tentes étaient organisées de la façon suivante : une tente composée d’une salle d’attente qui desservait une salle de consultation et une salle d’accouchement. Suivait ensuite une tente pour le stockage et la stérilisation du matériel, puis une tente dédiée à l’hospitalisation et les suites de couches, composée de six lits au total.

Les consultations ont repris dès le lendemain de notre arrivée, en moyenne 30 à 40 par jour à partir de 9h00 jusqu'à 17H. Nous étions de garde à tour de rôle toutes les 48h. Les motifs de consultation étaient variés : consultation de gynécologie médicale (contraception, vaginose, infection urinaire), consultations obstétricales (quasi exclusivement des datations échographiques de grossesse, parfois à partir du 6e mois, suivi obstétrical), des demandes de traitement pour infertilité.

La première nuit de garde fut très animée et marquée par des coupures de courant successives dues aux inondations des jours précédents, avec un total de 4 accouchements sur la totalité de la journée.

Nous nous sommes vite rendu compte que les femmes venaient accoucher le soir, après avoir traversé la frontière, et à dilatation complète, ce qui facilitait notre travail chez les grandes multipares. La seule difficulté était de gérer les accouchements à la suite car nous ne disposions que d’une table d’accouchement et nous étions la seule structure ouverte 24h/24h pour gérer tous les accouchements du camp.

Nous avons pu compter sur le soutien de nos collègues marocains et français chez qui nous faisions la totalité des césariennes.

Grâce aux différents protocoles de soin mis en place avant notre arrivée, nous n’avons dénombré aucune hémorragie de la délivrance (la délivrance dirigée associée à trois comprimés de cytotec intrarectal après l’accouchement ont prouvé leur efficacité !).

Toutes les patientes avec un utérus au moins une fois cicatriciel, un fœtus en siège, les grossesses gémellaires, bénéficiaient d’une césarienne programmée.

J’ai eu l’occasion d’en pratiquer plusieurs, sous une tente, avec l’essentiel des instruments chirurgicaux, tout s’est déroulé dans l’ordre. C’était sans compter avec l’aide d’un anesthésiste hors pair et un pédiatre toujours disponible. Ce fut un réel plaisir de travailler avec toutes ces personnes, toujours dévouées et souriantes quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.

En cas de pathologies maternofœtales avant 36 SA, nous avions pour consignes d’effectuer des transferts in utero dans l’hôpital le plus proche, avec l’aide des médecins jordaniens.

Nous disposions à côté de cela, de sanitaires toujours propres et en parfait état avec de l’eau chaude, grâce aux militaires français.

Le repas du midi était un moment toujours agréable, car préparé par un restaurateur jordanien. Nous ne manquions de rien et les conditions de logement étaient au-delà de nos espérances, à condition qu’il ne pleuve pas ou qu’il ne neige pas...

Les sorties en dehors du camp militaire français étaient rares car les tensions étaient palpables et nous ne voulions pas attiser la curiosité de certains réfugiés qui étaient dans le camp depuis de nombreux mois et qui n’avaient qu’une envie, celle de rentrer chez eux.

La plus belle journée que j’ai pu vivre sur ce camp fut celle dédiée à la vaccination des enfants.

Nous étions escortés des légionnaires afin de nous rendre plus loin sur le camp dans une tente dédiée à la vaccination et décorée par les enfants.

Nous avons reçu un accueil extrêmement chaleureux de ces enfants plein d’énergie tous plus souriants les uns que les autres. Chacun d’entre eux venait spontanément à notre rencontre pour essayer de parler, de prendre des photos avec l’équipe ou nous dire tout simplement merci.

Je n’oublierai jamais leurs regards pleins de joie et d’espoir.

Malgré la fatigue, la quantité de travail à fournir chaque jour, aucun membre de l’équipe ne souhaitait repartir. Chaque accouchement était récompensé d’un « merci », d’un sourire des patientes et de leur famille. Une telle générosité était parfois bouleversante chez ces personnes qui avaient tout perdu mais qui pourtant souhaitaient nous offrir leur repas en guise de remerciement.

Les femmes ne restaient pas plus de six heures sous la tente d’hospitalisation car avec le nombre d’accouchements qui ne cessait d’augmenter, nous devions laisser la place aux suivantes.

Ma dernière garde fut marquée par une rencontre formidable. Celle d’une mère enceinte de cinq mois et qui durant sept heures avait marché sans interruption avec ses trois enfants afin de traverser la frontière sains et saufs. Toute sa famille était restée en Syrie et elle se retrouvait seule dans ce camp gigantesque, espérant que le reste de sa famille puisse la rejoindre. Nous les avons hébergés la nuit dans la tente des hospitalisées et donné de quoi se réchauffer et manger. À peine arrivée sous la tente, la solidarité s’est mise en place et toutes les femmes déjà présentes se sont occupées de cette famille.

Nous les avons quittés le lendemain en gardant en mémoire leurs sourires.

Le départ fut difficile, nous devions laisser toutes nos patientes auxquelles nous tenions énormément, nos deux interprètes dévouées toujours présentes à nos côtés, qui nous ont bien facilité le travail.

Des semaines plus tard, je repense encore à cette mission, à toutes ces personnes qui ont fait que ces 21 jours ont été pour moi la plus belle des expériences que j’ai pu vivre jusqu’à présent. Je vous encourage tous à tenter cette expérience, en Jordanie mais aussi ailleurs, où nos compétences seront mises au profit de toutes ces personnes qui en ont besoin.

Shaghayegh YARIBAKHT
CHU Nancy
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°07

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