LE MÉTIER EN PSYCHIATRIE
Isabelle Montet, Secrétaire Générale du SPH
C’est comme secrétaire générale du SPH, « Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux » que je suis invitée à participer à cette table ronde, c’est-à-dire comme représentante d’un corps professionnel invitée à interroger l’exercice de la psychiatrie publique au futur. Et aujourd’hui, ceci revient à interroger le devenir de la lettre H du SPH, ou le bien fondé de maintenir comme identifiant l’appartenance des psychiatres aux hôpitaux, ou autrement dit envisager le rôle de l’hôpital dans le devenir de notre exercice professionnel.
Nous sommes attachés à ce H, très fortement lié à l’histoire et à la construction de la psychiatrie publique, que ce soit dans son organisation, ou bien plus, dans son poids identitaire pour une profession : être psychiatre des hôpitaux, c’est aussi être psychiatre de secteur, mot qui dépasse la simple unité géographique et même l’outil de soin.
Aujourd’hui, ce H pour la psychiatrie se trouve embarqué dans l’actualité d’une nouvelle réforme sanitaire qui touche les hôpitaux : la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016 crée et oblige les établissements à adhérer à des Groupements Hospitaliers de Territoire ; or, ces GHT, qui n’ont pas été pensés pour la psychiatrie, ont un fort impact sur la psychiatrie publique d’un futur très proche.
Cette nouvelle réforme fait suite à une succession de réformes de l’organisation des soins, parmi lesquelles il faut rappeler certaines étapes marquantes pour la psychiatrie publique :
- Évidemment la loi du 30 juin 1838 et son ordonnance de décembre 1838 qui ont érigé la contrainte faite aux malades en loi et ont donné aux asiles départementaux un statut d’établissements publics.
- Le début de l’étatisation de l’organisation sanitaire par la loi du 21 décembre 1941 en lien avec la naissance des assurances sociales quelques années plus tôt (loi du 5 avril 1928).
- La naissance du secteur psychiatrique par la circulaire du 15 mars 1960 officialisé par la loi de 1985 : équivaut à la fin des asiles synonymes de réclusion, à l’installation de la continuité des soins autour d’une même équipe, à la diversification des professions en psychiatrie et à l’extension des lieux de soins.
- Mais avant que cette loi de 1985 officialise le secteur, le courant hospitalocentrique avait démarré avec :
» La loi de 1970 qui en définissant un système hospitalier, définissait également une carte sanitaire nationale pour recenser les lits et les équipements de soins dans des secteurs sanitaires. Il peut être utile de rappeler que ces secteurs sanitaires se sont faits sur le modèle de découpage géographique des populations pensés quelques années plus tôt par les psychiatres des hôpitaux pour les secteurs de psychiatrie.
» L’association à une concentration des pouvoir au niveau de l’État et une prise de distance entre les établissements et les collectivités locales.
» Pour la psychiatrie, sa normalisation par l’intégration des hôpitaux psychiatriques dans le droit commun hospitalier.
- Nouvelle étape : la régionalisation étatique : par les ordonnances de 1996 : qui créent les contrats d’objectifs et de moyens, les ARH, les dotation de financement limitatives pour les établissements, déterminées par les objectifs nationaux de dépenses.. Cette logique régionale, renforcée par les réformes ultérieures, est aussi un élément de fragilisation de l’organisation de la psychiatrie publique référée aux départements.
- La logique dite de « modernisation des hôpitaux » qui est celle de renforcer leur autonomie, mais qui est surtout celle de contraindre à produire des résultats en lien avec la culture de la contractualisation : concrétisée par la réforme Hôpital 2007, les ordonnances de 2003, de 2005 modifient le schéma d’organisation sanitaire, installe la tarification à l’activité pour le MCO, la nouvelle gouvernance des hôpitaux, et la création des pôles de santé au sein des hôpitaux.
- Étape plus récente : la loi HPST renforce le rôle des directeurs d’établissements, encourage aux coopérations entre établissements, en créant des CHT, communautés hospitalières de territoire (sur le volontariat).
- Enfin, la loi de modernisation du système de santé de 2016 crée des GHT obligatoires : 135 viennent d’être officialisés pour regrouper 850 établissements. Dont il est clair que la future fusion est la logique. Pou la psychiatrie, toutes ces évolutions d’organisation hospitalière ont produit :
» Perte du mode de nomination spécifique des psychiatres des hôpitaux.
» Fragilisation du secteur comme mode d’organisation.
» plus la valeur des partenariats, de l’ouverture et du décloisonnement de la psychiatrie est affirmée, et plus sont mis en avant les rôles de la psychiatrie dans les enjeux croissants de la santé mentale, plus on constate le renforcement de l’hospitalocentrisme pour la psychiatrie publique et sa médicalisation avec une recherche de rationalité au détriment des aspects en lien avec son rapport aux sciences humaines.
Il en résulte une illisibilité dans le dispositif de la réforme que traduit par exemple l’empilement des traductions possibles du mot territoire dans l’article 69 de la loi :
- Premièrement, l’article L. 3221-4 désigne une « zone d’intervention » affectée aux établissements autorisés en psychiatrie par l’ARS pour assurer la mission psychiatrie de secteur.
- Deuxièmement, le même article cite les « secteurs de psychiatrie » comme des territoires de proximité, qui seront déterminés par chaque établissement dans son projet d’établissement.
- Troisièmement, selon l’article L. 3222-1 c’est sur une zone géographique qui n’est pas nécessairement celle des secteurs de psychiatrie, que les missions de soins sans consentement sont réparties.
- Quatrièmement, l’article L. 3221-2 désigne un territoire de santé mentale dont la caractéristique principale est d’être « suffisant » pour associer différents acteurs dans un projet territorial de santé mentale.
Dans ce contexte, les communautés psychiatriques de territoire sont essentielles et déjà dépassées : essentielles bien que n’occupant que 3 lignes dans le code de la santé publique, car elles constituent le moyen de faire réapparaître une spécificité pour la psychiatrie face aux GHT qui la noient dans de grands ensembles ; et parce qu’elles permettent de faire s’exprimer l’initiative des acteurs de la psychiatrie dans la construction des projets territoriaux de santé mentales.
Mais elles sont déjà insuffisantes puisque :
- Le décret CPT n’est toujours pas publié alors que les GHT ont installé meurs périmètres.
- La psychiatrie est embarquée dans une réforme dont les outils de planification sont des obstacles aux innovations et à l’inventivité dont a besoin la psychiatrie : il est déjà de plus en plus difficile de défendre des instruments de soins qui ne vont pas de soi dans une logique hospitalière médicalisée : c’est le cas des séjours thérapeutiques ou même de simples sorties accompagnées de soignants, ou la création d’appartements thérapeutiques, ou même de certaines activités à proposer aux malades.
Du coup, les spécificités irréductibles dans la logique hospitalière de la psychiatrie sont celles de son rôle dans la contrainte aux soins, et réapparaissent de manière quasi-caricaturales : c’est le cas des difficultés liées à l’application de la loi sur les soins sans consentement, sous forme d’une aberration administrative : le nombre important des certificats s’accompagne d’un nombre incalculable de documents prouvant que le droit des malades est respecté vu sous le seul angle qu’ils reçoivent bien une information sans qu’il soit nécessaire de s’assurer qu’ils en comprennent le sens, signe que la forme prime sur le fond ; le non débat qui a remplacé le mot prescription par le mot de décision de contention sans se soucier de donner les moyens de faire disparaître la pratique en est une autre forme.
Donc comment imaginer la psychiatrie de demain ?
- Ce projet de décret est alléchant puisqu’il y est dit que la CPT va fédérer les actions de la psychiatrie et de la santé mentale mais ses membres sont des établissements de santé, montrant bien en quoi il s’agit d’une logique hospitalo-centrée et les partenaires de santé mentale ne sont que membres associés.
- La CPT intervient dans les GHT pour l’élaboration du volet psychiatrie et santé mentale du projet médical partagé, mais comme la CPT est basée sur le volontariat elle n’oblige de fait personne.
Donc comparée aux ambitions annoncées d’améliorer la santé mentale, la place de la psychiatrie embarquée dans cette nouvelle réforme signifie qu’un nouveau RDV a été manqué, puisque la loi cadre demandée par les professionnels depuis plusieurs années n’a pas eu lieu et que la psychiatrie dot se glisser dans un système hospitalier qui en limite les possibilités créatives.
Il peut être intéressant de croiser le regard sur cette réforme avec celui de nos collègues belges sur leur propre réforme qui a été votée en 2011, par le dispositif psy 107, motivée par le retard que la psychiatrie belge aurait sur les normes prônée par la commission européenne. Mais peut-être que ce retard est déjà en avance sur la modernité de la réforme française qui va peiner à favoriser une véritable psychiatrie communautaire.
Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°12