Syndrome Cardio-Rénal chez la personne agée

Publié le 18 May 2022 à 07:54


Définition et physiopathologie
Les interactions entre le coeur et le rein sont à l’origine d’une entité physiopathologique complexe définit comme le syndrome cardio-rénal (SCR) : un syndrome où la dysfonction aiguë ou chronique d’un des organes induit une dysfonction aiguë ou chronique de l’autre organe. En 2008, Ronco et al, en propose une classification en 5 sous-groupes fondée sur un rationnel physiopathologique et chronologique (Tableau 1) (1).

SCR de type 1 Insuffisance cardiaque aiguë responsable d’une insuffisance rénale aiguë secondaire SCR de type 2 Insuffisance cardiaque chronique primitive, responsable d’une insuffisance rénale chronique secondaire SCR de type 3 Insuffisance rénale aiguë primitive conduisant à une insuffisance cardiaque aiguë secondaire SCR de type 4 Insuffisance rénale chronique primitive responsable d’une insuffisance cardiaque chronique secondaire SCR de type 5 Association d’une insuffisance rénale et d’une insuffisance cardiaque secondaires à une pathologie systémique aiguë ou chronique (amylose, sepsis, cirrhose, ...)

Tableau 1 : Classification en 5 sous-groupes du syndrome cardio-rénal.

Chez les personnes âgées voire très âgées, les sousgroupes les plus fréquents sont les syndromes cardio- rénaux de type 1 et 2 en lien avec la prévalence de l’insuffisance cardiaque dans cette population (2). La physiopathologie de l’aggravation de l’insuffisance rénale dans le cadre de l’insuffisance cardiaque peut s’expliquer par plusieurs mécanismes. En premier lieu, en contexte de baisse du débit cardiaque, la baisse de la pression de perfusion rénale entraîne l’activation du système nerveux sympathique et l’augmentation de la libération de rénine par l’appareil juxtaglomérulaire. L’activation du système Rénine-Angiotensine-Aldostérone (SRAA) engendre une vasoconstriction de l’artériole efférente du glomérule (angiotensine) qui permet de maintenir le débit de filtration glomérulaire normal au prix d’une augmentation de la fraction de filtration.

En réponse à ces agents vasoconstricteurs, la médullaire rénale sécrète des prostaglandines vasodilatatrices qui s’opposent à l’augmentation des résistances vasculaires rénales en vasodilatant l’artériole afférente du glomérule. Ce mécanisme participe au maintien d’une fonction rénale normale en présence de la réduction du débit sanguin rénal. L’activation du SRAA aboutit également à une rétention hydro-sodée par augmentation de la réabsorption tubulaire de sodium (via l'aldostérone). En présence d’une insuffisance rénale, les capacités de l’autorégulation rénale sont plus rapidement épuisées et la diminution du débit sanguin rénal aboutit à une baisse du débit de filtration glomérulaire. Les agents vasoconstricteurs antinatriurétiques deviennent prépondérants par rapport aux agents vasodilatateurs.

La rétention hydrosodée ne parvient plus à rétablir une volémie artérielle efficace et entraîne une augmentation de la précharge ventriculaire gauche qui, associée à l’élévation de la postcharge induite par les agents vasoconstricteurs (angiotensine 2), majore le travail cardiaque, favorisant la création d’un cercle vicieux cardiorénal (3). Cependant, l’hypoperfusion rénale par bas débit cardiaque ne semble expliquer que partiellement la physiopathologie du SCR type 1. De nombreux patients avec un syndrome cardio-rénal ont une tension artérielle normale voire élevée et une fraction d’éjection préservée : l’élévation de la pression veineuse centrale joue un rôle majeur en participant à la congestion veineuse rénale (3, 4). En effet, l’augmentation de la pression veineuse centrale conduit à une augmentation de la pression veineuse rénale et de la pression interstitielle parenchymateuse rénale avec une diminution de la perfusion rénale et du débit de filtration glomérulaire. Quand la pression interstitielle devient supérieure à la pression tubulaire, le tubule collapse.

A terme, l’augmentation de la pression interstitielle induit une inflammation tubulo-interstitielle et de la fibrose (3, 4).

L’insuffisance rénale chronique dans le SCR de type 2 est le résultat d’une hypoperfusion rénale prolongée secondaire à une cardiopathie chronique préexistante. Comme dans le SCR de type 1, l’association d’une baisse du débit cardiaque à l’augmentation de la pression veineuse centrale va conduire à une réduction de la perfusion rénale. L’hypoxémie rénale prolongée génère un stress oxydatif, majore une inflammation chronique déjà présente et conduit via des phénomènes apoptotiques à une nécrose puis fibrose rénale (1). De plus, l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée, phénotype le plus fréquent chez le sujet âgé (5), est plus fortement associée au risque de développer un SCR de type 2 avec une physiopathologie sous-jacente reposant sur la micro-inflammation chronique.

Figure 1 : Physiopathologie du syndrome cardio-rénal de type 1 et 2.

Diagnostic et Prévalence chez la personne âgée
La prévalence du syndrome cardio-rénal dans les études dépend des critères diagnostiques utilisés notamment pour le diagnostic de l’insuffisance rénale aiguë. En effet, alors que les diagnostics d’insuffisance cardiaque aiguë ou chronique sont bien codifiés par l’European Society of Cardiology (6), plusieurs seuils diagnostiques peuvent être utilisés pour définir l’insuffisance rénale et notamment l’insuffisance rénale aiguë. Une détérioration de la fonction rénale aiguë est, dans la majorité des cas, définie comme une augmentation de 26μmol/L ou ≥ 25 % du taux de créatinine sérique par rapport à l'admission.

Deux autres définitions sont basées sur le taux de créatinine et le débit urinaire : la classification RIFLE (pour Risk of renal dysfunction, Injury to the kidney, Failure of kidney function, Loss of kidney function et End stage renal disease) créée par le groupe Acute Dialysis Quality Initiative (ADQI) en 2002 puis celle de l’Acute Kidney Injury Network (AKIN) proposée en 2005. Ces deux définitions sont très proches. Elles introduisent la notion de délai permettant de définir l’insuffisance rénale aiguë et le degré de sévérité de l’atteinte rénale (4). Cependant, ces critères sont difficiles à mettre en oeuvre en pratique car ils nécessitent le calcul du débit urinaire et la connaissance de la créatininémie sérique dans les 7 jours précédant l’hospitalisation.

Sachant que la prévalence des SCR dépend donc de la définition utilisée mais également de la population étudiée et du sous-groupe de SCR, celleci varie donc selon les études entre 10 et 30 % (2). Les syndromes cardio-rénaux de type 1 et 2 sont de loin les plus fréquents chez les patients âgés. En effet, près de 30 % des personnes âgées hospitalisées pour une insuffisance cardiaque aiguë présente une insuffisance rénale aiguë (2). Les facteurs de risque de développer un SCR de type 1 ou 2 sont l’âge, l’insuffisance rénale chronique sous-jacente, l’hypertension artérielle, la présence de traitements diurétiques antérieurs, le diabète et l’anémie (7). Comme cité précédemment, le lien physiopathologique entre insuffisance cardiaque chronique et insuffisance rénale chronique est complexe. Les études de prévalence de ces 2 pathologies dans la population âgée confirment leur association et interconnexion. Plus de 2/3 des octogénaires insuffisants cardiaques présentent une insuffisance rénale chronique définie par une clairance de la créatinine < 60mL/min. Le type d’insuffisance cardiaque le plus fréquemment diagnostiqué est l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée dans 70 % des cas avec une clairance de la créatinine moyenne à 40ml/min (5).

Pronostic du SCR chez le patient âgé
Le pronostic de la survenue d’un SCR de type 1 est sombre : augmentation de la mortalité intra-hospitalière et augmentation des durées d’hospitalisation. A moyen terme, il entraîne également une majoration de la mortalité à 1 an (35 à 40 % de décès) et du nombre de ré-hospitalisation (près de 2/3 de ré-hospitalisation dans l’année) (8).

Le pronostic fonctionnel est également engagé avec une perte d’indépendance fonctionnelle sur les gestes de la vie quotidienne (ADL) (9). Cette dépendance accrue peut s’expliquer par un ralentissement de la vitesse de marche, une aggravation des troubles de l’équilibre ainsi qu’une diminution des capacités cognitives globales et exécutives chez ces patients avec un SCR de type 1 (10, 11).

Enfin, le pronostic est également dépendant des comorbidités associées telles que le diabète, l’anémie ou la dénutrition. Dans le cadre de l’anémie, son association avec le syndrome cardio-rénal, décrite sous le terme de cardio-renal-anaemia syndrome (CRAS) s’explique par à un déficit en production d’EPO par le rein lié à l’IRC, une diminution de la sensibilité à l’EPO dans l’insuffisance cardiaque, associé à une carence en fer par malabsorption intestinale (12). Chez les sujets hospitalisés pour décompensation d'insuffisance cardiaque, la présence concomitante des trois pathologies augmente encore nettement le risque de saignement, de transfusions de concentrés globulaires, de ré-hospitalisation et de décès à 1 an (13).

Prise en charge spécifique – Prévention
Sachant qu’il s’agit d’un syndrome regroupant plusieurs pathologies, la prise en charge dépend de l’étiologie retrouvée. Dans le contexte aigu, il est primordial d’évaluer le profil hémodynamique du patient hospitalisé (Tableau 2). En effet, la prise en charge thérapeutique sera différente si le SCR de type 1 est secondaire à une hypoperfusion (extrémités froides, hypotension artérielle) ou secondaire à une congestion droite (signes ins. cardiaque droite). Dans le premier cas, une prise en charge cardiologique spécifique en vue d’une amélioration du débit cardiaque notamment par des inotropes sera nécessaire. Dans le second cas, plus fréquent dans le cadre de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée, les diurétiques de l’anse en bolus ou en continu, parfois combiné aux diurétiques thiazidiques, permettront la diminution la congestion et donc une amélioration de la fonction rénale. En cas de résistance à l’association de diurétiques et si le pronostic cardiologique le permet, une thérapie par ultrafiltration peut être proposée aux patients pour permettre une déplétion progressive de la surcharge volémique.


Tableau 2 : Profil clinique des patients hospitalisés pour un épisode d’insuffisance cardiaque en fonction de la congestion et/ou de l’hypoperfusion. D’après les recommandations de l’ESC 2016 (6).

Bien qu’aucune étude n’ait été réalisée en ce sens pour le moment, la prise en charge globale avec le traitement des facteurs favorisants la survenue d’un SCR de type 1 ou 2 tels que le diabète, de l’HTA ou la prise en charge de l’anémie, pourraient permettre de diminuer les risques de récidive et donc d’améliorer le pronostic à moyen terme.

Conclusion
Les interactions entre le coeur et le rein sont multiples, regroupées sous le terme de syndrome cardiorénal. Lors du bilan diagnostique, il est donc nécessaire de comprendre l’étiologie et le mécanisme physiopathologique sous-jacent pour permettre une prise en charge adaptée. Chez la personne âgée hospitalisée, le SCR de type 1 est le plus fréquent, nécessitant une évaluation du profil hémodynamique pour une prise en charge adaptée. La prise en charge des comorbidités semble être un élément important pour le pronostic, élément à confirmer avec des études prospectives de qualité.

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  • Dr Anne COURTOIS, Dr Anne Sophie BOUREAU
    Pôle de Gérontologie Clinique, CHU de Nantes ⁄ [email protected]
    Pour l’Association des Jeunes Gériatres

    Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°25

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