Supplémenter une carence en fer

Publié le 18 May 2022 à 10:40


Dans le monde, la carence en fer touche principalement les enfants, adolescents et les femmes réglées, enceintes ou allaitantes. Dans ces cas, les explorations complémentaires à visée étiologique sont limitées. Il existe deux stades de gravité : d’abord la carence en fer sans anémie mais avec des signes cliniques pouvant justifier d’un traitement dans certains cas et ensuite l’anémie ferriprive.

Chez l’homme, ainsi que chez la femme ménopausée, en Europe, la prévalence de l’anémie ferriprive est inférieure à 1 %, ce qui justifie d’un bilan étiologique digestif systématique. La prévalence de l’anémie (toutes causes confondues) est de 10 % entre 65 et 84 ans et de plus de 20 % au-delà de 85 ans. Dans 30 % des cas, une carence en fer est mise en cause. La recherche et le traitement de la cause de ce déficit en fer constituent évidemment la première étape de la prise en soins. 

Une meilleure connaissance du métabolisme du fer, et en particulier la découverte en 2001 de l’hepcidine, a permis l’amélioration des méthodes diagnostiques et l’optimisation du traitement.

Métabolisme du fer

Généralités et Hepcidine
Les cellules utilisatrices du fer sont majoritairement les érythroblastes, mais le fer est également utilisé par d’autres cellules pour le métabolisme cellulaire et diverses réactions enzymatiques.

Le fer est absorbé au niveau duodénal grâce, en partie, à la ferroportine, enzyme exportatrice du fer au pôle basal de la cellule duodénale. Le fer sérique est lié à la transferrine, son transporteur, afin d’éviter les effets potentiellement toxiques liés à son caractère oxydatif. Il est capté par les cellules utilisatrices grâce au récepteur de la transferrine puis est soit utilisé soit stocké sous forme de ferritine (dans les hépatocytes, les cellules de Küpffer et les macrophages spléniques).

Les apports alimentaires étant habituellement largement supérieurs aux capacités d’absorption intestinale, le défaut d’apport n’est pas reconnu comme une cause de carence en fer. La majorité du fer de l’organisme provient de la destruction des globules rouges sénescents. Les saignements chroniques (digestifs ou gynécologiques) représentent la cause la plus fréquente de carence en fer. La malabsorption est plus rare.

Depuis la découverte de l’hepcidine en 2001, la compréhension du métabolisme du fer a permis de faire évoluer les connaissances au sujet de la carence en fer, son diagnostic et sa supplémentation.

Cette hormone est synthétisée par le foie et a une action hypo-sidérémiante par l’inactivation de la ferroportine. Ainsi, elle provoque une diminution de l’absorption intestinale d’une part et un maintien du fer dans les cellules dans lesquelles il est stocké, d’autre part, d’où une augmentation de la ferritine.

La synthèse d’hepcidine est stimulée par l’excès de fer d’une part, mais également par le syndrome inflammatoire biologique via l’interleukine-6, en particulier.

Le déficit en fer ainsi que l’hypoxie et l’anémie provoquent, au contraire, une diminution de la synthèse d’hepcidine.

En cas de syndrome inflammatoire biologique
L’augmentation de la synthèse d’hepcidine entraîne une diminution du fer sérique associée à une augmentation de la ferritine, le fer est alors piégé dans le compartiment réserve et non utilisable par les cellules, en particulier pour l’érythropoïèse.

De plus, d’autres cytokines favorisent directement l’entrée du fer dans les cellules de stockage et la synthèse de ferritine.

En conclusion, il s’agit d’une carence en fer « relative » car les réserves sont conservées mais le fer n’est pas mobilisable pour être utilisé, en particulier pour l’érythropoïèse.

La conséquence de ces évènements est l’anémie inflammatoire, qui est également favorisée par une inhibition directe de l’érythropoïèse par diverses cytokines inflammatoires.

Clinique

La carence en fer sans anémie
On retrouve les signes suivants :

  • Asthénie, fatigabilité, diminution des capacités sportives.
  • Syndrome des jambes sans repos.
  • PICA : Ingestion compulsive de substances non alimentaires (glaçons, féculents crus, terre…).
  • Troubles des phanères, alopécie, koïlonychie (anomalie des ongles devenant concave).
  • Rhagades : Fissurations de la commissure des lèvres, glossite voire dysphagie.
  • Coloration bleutée des sclérotiques.
  • Ostéoporose.

Anémie ferriprive
L’anémie est définie par une hémoglobine inférieure à 13 g/dL pour les hommes et à 12 g/dL pour les femmes. Elle est classiquement arégénérative, microcytaire, c’est-à-dire que le VGM est inférieur à 82 fL, et hypochrome (CCMH < 32 g/dL ou TCMH < 27 pg/hématie). Ces caractéristiques manquent toutefois de spécificité. La microcytose, par exemple, est tardive et inconstante. Elle est souvent associée à une thrombocytose aux alentours de 500 G/L.

Diagnostic
En l’absence de syndrome inflammatoire biologique
Le meilleur outil diagnostique est le dosage de la ferritine avec une très bonne sensibilité et spécificité. Les méthodes actuelles de dosage sont fiables, standardisées et reproductibles.

Le diagnostic de carence en fer est classiquement retenu lorsque la ferritine est inférieure à 20 μg/L chez l’adulte. Les valeurs seuils varient toutefois en fonction de la population à laquelle on s’adresse et ce seuil est plutôt de 30 μg/L chez l’homme.

Chez la personne âgée de plus de 65 ans, il est proposé de retenir la valeur seuil de 60 μg/L, pour laquelle la spécificité est de 97 %. Chez les patients ayant une anémie et des comorbidités, en particulier cardio-vasculaires telles que l’insuffisance cardiaque, la spécificité reste de 96 % lorsque la ferritine est inférieure à 100 μg/L. Enfin, chez les patients hémodialysés, la valeur seuil est élevée à 200 μg/L.

Dans les situations simples dans lesquelles il n’y a pas de syndrome inflammatoire biologique associé, la ferritine seule est suffisante pour le diagnostic et aucun autre paramètre du statut en fer n’a sa place.

En cas de syndrome inflammatoire biologique
Etant donné l’intrication des phénomènes aboutissant à l’anémie lors du syndrome inflammatoire biologique, l’enjeu pour le clinicien est celui de différencier l’anémie inflammatoire « pure » ou l’anémie mixte associant une part inflammatoire avec une carence martiale « relative » voire « absolue ». Ceci étant dans le but de procéder d’une part à une thérapeutique adaptée et, d’autre part, à des explorations complémentaires adéquates.

La ferritine étant augmentée au cours du syndrome inflammatoire biologique, elle peut être, lorsqu’elle est utilisée seule, mise en défaut pour le diagnostic de la carence en fer. Si la cause de l’inflammation est « temporaire » et « réversible », comme par exemple un évènement infectieux aigu, la conduite à tenir est de contrôler le bilan du fer à distance de cet épisode, une fois la normalisation des paramètres biologiques inflammatoires.

Dans les situations de syndrome inflammatoire biologique prolongé, une démarche diagnostique est proposée, à l’aide d’autres marqueurs biologiques du statut en fer de l’organisme, décrits ci-dessous :

  • Le Coefficient de Saturation de la Transferrine (CST) : il est calculé grâce au dosage du fer sérique et de la transferrine, qui doivent être réalisés le matin à jeun. Ce paramètre est abaissé en cas de carence en fer, la valeur seuil utilisée pour le diagnostic est de 16 %. Il est moins sensible et moins spécifique que la ferritine, c’est pourquoi il n’est pas utilisé en première intention chez l’adulte dans les situations simples. Il est un apport en cas de situations complexes telles que les cancers, les maladies chroniques inflammatoires de l’intestin ou l’insuffisance rénale chronique. Il est toutefois également abaissé dans l’anémie inflammatoire, dans une moindre mesure, du fait du déficit fonctionnel en fer.
  • Les Récepteurs solubles de la Transferrine (RsTf) : Ce paramètre est proportionnel à l’expression cellulaire de récepteurs de la transferrine à la surface des cellules utilisatrices. En cas de déficit en fer, il est augmenté alors qu’en cas d’anémie « purement » inflammatoire il reste normal. Le ratio RsTf/log ferritine serait donc discriminant pour différencier une anémie inflammatoire d’une anémie mixte. En pratique clinique, son apport n’a pas été prouvé et il est très couteux, c’est pourquoi il n’est pas recommandé.
  • Le fer sérique seul n’est jamais indiqué pour le diagnostic de la carence en fer. Son seul intérêt est d’être associé au dosage de la transferrine pour calculer le CST, dans les situations où c’est nécessaire.

Tout d’abord, la valeur seuil de ferritine inférieure 100 μg/L peut être retenue. Par contre, si la ferritine est supérieure à 100 μg/L, le bilan doit être complété par le CST. Si la ferritine est entre 100 et 200 μg/L et que le CST est inférieur à 16 %, le diagnostic de carence en fer est retenu. Dans les cas où la ferritine est supérieure à 200 μg/L, aucun marqueur n’est assez fiable et si une carence en fer est fortement suspectée, les explorations doivent être envisagées.

En conclusion, différencier une anémie mixte d’une anémie inflammatoire n’est pas aisé, le tableau suivant résume les caractéristiques de chaque paramètre évoqué selon la situation. Aucun n’étant satisfaisant, il reste nécessaire de raisonner en fonction de la situation clinique et des enjeux thérapeutiques.

Traitement

Supplémentation orale
C’est le traitement indiqué en première intention dans la grande majorité des cas. Les formes galéniques diffèrent par leur quantité de fer et l’adjonction de vitamine C favorisant l’absorption ou d’acide folique (ce qui n’a pas d’indication dans la carence en fer isolée).

Un traitement de 4 mois est préconisé à la dose de 150 à 200 mg/jour. Pour favoriser l’absorption, il est conseillé de prendre le fer le matin à jeun à distance du repas et des autres traitements.

Les spécialités disponibles sont les suivantes :

Sulfate ferreux :

  • Fero-Grad® (Comprimé) 105 mg (+ Vitamine C 500 mg).
  • Tardyféron® (Comprimé) 80 mg (+ Vitamine C 30 mg).
  • Tardyféron B9® (Comprimé) 50 mg (+ Acide folique (B9) 350 μg).

Fumarate ferreux :

  • Fumafer® (Comprimé) 66 mg / (Poudre) 33mg.
  • Ferrostrane® (Sirop) 34 mg.

L’inconvénient majeur de ce traitement peu coûteux est sa mauvaise tolérance digestive. Dans ce cas, la prise au moment des repas (quitte à diminuer l’absorption de 50 %) est conseillée ainsi que la diminution de la dose avant de discuter d’une supplémentation intraveineuse.

Notons que lors du syndrome inflammatoire biologique, du fait de l’augmentation de l’hepcidine, l’absorption duodénale de fer est presque nulle.

La prise en compte de l’hepcidine dans la démarche thérapeutique a amené l’équipe de Moretti et al. dans Blood en 2015 à proposer une administration de fer par voie orale un jour sur deux plutôt que quotidienne et en une seule prise. Ceci est justifié par le fait que la prise de fer entraîne une élévation de l’hepcidine dans les heures qui suivent et que ceci diminue l’absorption intestinale des prises suivantes. S’il est intéressant à décrire sur le plan physiopathologique, ce protocole n’est pas actuellement recommandé en pratique courante

Supplémentation intraveineuse

Il existe deux spécialités en France :

• Le Venofer®

  • 1 ampoule = 100 mg.
  • Maximum 300 mg par perfusion.
  • Longue durée de perfusion.

Le Venofer®

  • 1 ampoule = 100 mg
  • Maximum 1000 mg par perfusion
  • Durée de perfusion plus courte
  • Coût 5 fois plus important que le Venofer®

Dans les situations où une transfusion est nécessaire, notons qu’un concentré de globules rouges apporte 200 mg de fer. Les indications du traitement par voie veineuse sont :

  • Mauvaise réponse au traitement par voie orale bien conduit (4 mois à bonne dose) ou traitement par voie orale mal toléré.
  • Maladies inflammatoires chroniques intestinales, maladie coeliaque.
  • Anémie du patient dialysé ou insuffisant rénal sous érythropoïétine. Il existe d’autres indications, qui restent à confirmer :
  • Chez les patients insuffisants cardiaques chroniques (FEVG inférieure à 45 voire 40 %) présentant une carence en fer (définie par une ferritine inférieure à 100 μg/L ou entre 100 et 300 μg/L avec un CST inférieur à 20 %).
  • Dans le cadre du syndrome des jambes sans repos.
  • La fatigue chronique.

Ces perfusions sont classiquement connues pour être la cause de réactions anaphylactiques, ce qui était surtout le cas avec les anciennes formulations, le risque d’anaphylaxie avec le Venofer® étant de 0,002 %. Les autres effets indésirables sont un goût métallique, une coloration rouge des urines, des troubles digestifs et l’extravasation de fer au niveau du site de perfusion avec la survenue fréquente de veinites.

La dose à administrer ainsi que le rythme et la fréquence des perfusions est dépendante de la profondeur de l’anémie et du poids. La formule de Ganzoni permet de calculer ces besoins :

Poids corporel [kg] °— (Hb cible − Hb réelle) [g/dL] °— 2,4 + réserves de fer [mg]. (pour un poids inférieur à 35 kg, les réserves de fer sont de 15 mg/kg, pour un poids supérieur ou égal à 35 kg, elles sont de 500 mg).

Habituellement, en pratique clinique, l’attitude est un peu simplifiée : la dose est de 100 mg deux à trois fois par semaine chez les patients de moins de 50 kg et de 200 mg deux à trois fois par semaine chez les patients de plus de 50 kg.

Surveillance du traitement
Le contrôle de l’efficacité du traitement repose initialement sur la surveillance de la Numération Formule Sanguine, il est possible de constater un taux maximal de réticulocytes après 7 à 10 jours de traitement, et le taux d’hémoglobine commence à augmenter après une à deux semaines de traitement. La ferritine est contrôlée à 3 mois.

Dr Leslie CAVEE
Cheffe de Clinique en Court Séjour Gériatrique au CHRU de STRASBOURG
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Références

  • « Carences en fer » Chapitre par Pr Marc Ruivard dans « Diagnostics difficiles en médecine interne » volume 1 aux éditions Maloine, 4ème édition (2017).
  • « Choix des examens du métabolisme du fer en cas de suspicion de carence en fer » Rapport d’évaluation HAS de mars 2011.
  • « Supplémentation en fer : indications, limites et modalités » ; J.-B. Arlet, J. Pouchot, S. Lasocki, C. Beaumont, O. Hermine – La Revue de médecine interne 34 (2013) 26–31.
  • « Oral iron supplements increase hepcidin and decrease iron absorption from daily or twice-daily doses in iron-depleted young women » ; Diego Moretti, Jeroen S. Goede, Christophe Zeder, Markus Jiskra, Vaiya Chatzinakou, Harold Tjalsma, Alida Melse-Boonstra, Gary Brittenham, Dorine W. Swinkels, and Michael B. Zimmermann – (Blood. 2015;126(17):1981-1989).
  • « Prise en charge de l’anémie ferriprive chez la personne âgée » - Emeline Clair, Stéphane Nahon - POST’U (2016) – Association Française de Formation Médicale Continue en Hépato-Gastro-Entérologie.

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°26

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