Treatment Strategy for Rifampin-Susceptible Tuberculosis
Paton NI, Cousins C, Suresh C, Burhan E, Chew KL, Dalay VB, Lu Q, Kusmiati T, Balanag VM, Lee SL, Ruslami R, Pokharkar Y, Djaharuddin I, Sugiri JJR, Veto RS, Sekaggya-Wiltshire C, Avihingsanon A, Sarin R, Papineni P, Nunn AJ, Crook AM; TRUNCATE-TB Trial Team. Treatment Strategy for Rifampin-Susceptible Tuberculosis. N Engl J Med. 2023 Mar 9;388(10):873-887. doi: 10.1056/NEJMoa2212537. Epub 2023 Feb 20. PMID: 36808186.
La tuberculose est une maladie infectieuse encore fréquente due à l’infection de mycobactéries du type Mycobacterium tuberculosis, pouvant toucher n’importe quel organe, et ayant un large spectre de gravité clinique, usuellement traitée de façon prolongée, avec un schéma de 6 mois basé sur une quadrithérapie Rifampicine/Isonia-zide/Ethambutol/Pyrazinamide pendant 2 mois puis une bithérapie Rifampicine/Isoniazide pendant 4 mois supplémentaires. Le but de la quadrithérapie est de viser Mycobacterium tuberculosis à la fois en intracellulaire (macrophages) et en extracellulaire (caséum et cavernes) où il peut proliférer tout en étant « protégé » de l’action des traitements par le biofilm lipidique. Le but sera donc d’associer plusieurs molécules afin d’obtenir la meilleure efficacité possible avec une bonne diffusion tissulaire, intracellulaire et la multi-thérapie permettant également d’éviter l’émergence de mutants résistants naturels à un antituberculeux. À noter que l’étude présentée ici s’intéresse à la tuberculose pulmonaire non disséminée.
Ce type de schéma de 6 mois a bien montré son efficacité dans les essais cliniques mais en pratique courante, la durée longue de traitement et les ressources limitées sont un frein à sa bonne utilisation avec une observance à long terme moindre et l’apparition de résistance au traitement. En effet, il pourrait entraîner un “sur traitement” chez une partie des malades sensibles alors qu’il éviterait une rechute chez une minorité de patients, avec le risque d’une mauvaise observance et l’apparition de résistance future.
Des cures raccourcies ont été étudiées dans certains essais, de 3-4 mois voire 2 mois chez les non-bacillifères, sans constater une aggravation du pronostic [1, 2].
Dans cet essai de phase 2-3, les auteurs se sont intéressés à la non infériorité d’un schéma plus court, de 8 semaines, par rapport au traitement standard de 6 mois, avec tout de même une possibilité d’allongement de la durée de traitement en cas de maladie clinique persistante.
Il s’agit d’un essai multicentrique de non infériorité de phase 2-3, prospectif, randomisé, en ouvert coordonné par les investigateurs de l’Université Nationale de Singapour. Le critère de jugement principal était composite incluant le décès avant la semaine 96 (S96) ou la nécessité de poursuite du traitement antituberculeux ou une tuberculose active à S96.
Un comité indépendant de surveillance des données a examiné la sécurité et efficacité des données intermédiaires.
Concernant la population d’étude, il s’agit de patients âgés de 18 à 65 ans présentant des symptômes compatibles avec une tuberculose ou/et signes radiographiques de tuberculose. Un diagnostic positif par PCR via le test GeneXpert est également nécessaire. Ce test présente l’avantage d’être rapide avec des résultats obtenus en 2 heures mais également de détecter à la fois la présence du génome du Mycobacterium tuberculo-sis et la présence de séquences génomiques responsables de la résistance à la rifampicine. Les patients inclus ne devaient pas avoir de résistance à la rifampicine identifiée et ne devaient pas non plus avoir le VIH comme comorbidité.
Les patients étaient randomisés en 5 groupes, stratifiée sur le site et sur le risque de rechute selon 3 groupes : (1) risque faible si le patient était non bacillifère et n’avait pas de cavité de taille supérieure à 4 cm, (2) risque intermédiaire si bacillifère de grade 2+ ou moins, sans de cavité > 4 cm et enfin (3) risque élevé si bacillifère grade 3+ ou cavité > 4 cm sur la radiographie de thorax ou les 2.
D’après le calcul du nombre de sujet nécessaire, 5 groupes de 180 patients étaient nécessaires pour obtenir une puissance de 80 %. La marge de non infériorité choisie était de 12 %. Les patients étaient divisés en : un bras de traitement standard puis 4 groupes avec un traitement de 8 semaines. Pour ces 4 derniers groupes, les patients étaient traités par une combinaison de 5 molécules comprenant de l’éthambutol, du pyrazinamide et de l’isoniazide et 2 traitements supplémentaires parmi les suivants :
Les posologies des différents traitements étaient établies en fonction du poids du patient comme suit :
1/ Dans le groupe Rifampicine + Linezolide
< 40 kg 40-54 kg 55-70 kg >ou= 71 kg Rifampicine 35 mg/kg, diminué à 20 mg/kg (1 décès par hépatite médicamenteuse) Isoniazide 150 225 300 375 Pyrazinamide 800 1200 1600 2000 Ethambutol 550 825 1100 1375 Linezolide 600 mg
2/ Dans le groupe Bédaquiline + Linezolide
< 40 kg 40-54 kg 55-70 kg >ou= 71 kg Bédaquiline 400 mg /jour pendant 2 semaines, puis 200 mg 3 fois/semaine Isoniazide 5 mg/kg 300 mg Pyrazinamide 25 mg/kg 1000 1500 2000 Ethambutol 15 mg/kg, max 1600 mg Linezolide 600 mg
Concernant la stratégie d’étude dans le bras de 8 semaines, le traitement était prolongé de 4 semaines supplémentaires soit jusqu’à S12 si les patients présentaient une persistance de maladie clinique à savoir des symptômes et un examen direct du crachat positif à S8 ou si certaines doses de traitement étaient manquantes.
Ensuite, en cas de nouvelle persistance clinique à S12 ou en présence d’effets secondaires, un switch pour le traitement standard était opéré dans l’objectif d’une durée totale de traitement de 24 semaines. Enfin, si une rechute était documentée, un traitement standard était reconduit pour une durée totale de 24 semaines en prenant en compte le profil éventuel de résistance.
RÉSULTATS
Au total 674 patients ont été inclus et randomisés entre le 21 mars 2018 et le 20 janvier 2020 dans 18 centres. Quatre patients (0,6 %) ont retiré leur consentement ou ont été perdus de vue.
À 96 semaines, 660 participants ont été évalués (figure 1). Dans le groupe de traitement standard, 98,3 % des participants ont terminé le traitement de 24 semaines mais 3,3 % ont nécessité un second traitement. Dans les quatre autres groupes, le traitement de 8 semaines a été suffisant pour 91,5 % des patients, 6,5 % ont changé de groupe pour un traitement standard de 24 semaines principalement en raison d’effets indésirables 17,0 % ont nécessité un second traitement.
Concernant le critère de jugement principal, la stratégie bédaquiline – linezolide n’était pas inférieure à la stratégie standard y compris dans la population per protocole (différence 0,8 % ; IC97,5% -3,4 à 5,1)
Observance du protocole de traitement initial et changement
Traitement standard Rfp + Linezolide (Lzd) Bedaquiline + Lzd Ont terminé le traitement assigné seul (sans extension ou switch) Nombre (%) 178 (98) 169 (92) 179 (95) Ont terminé le traitement assigné ; extension et complété par le traitement standard Nombre (%) - 3 (2) 3(2) N’ont pas terminé le traitement assigné : switch et traitement complété par la thérapie standard Nombre (%) - 7(4) 5 (3) N’ont pas terminé le traitement assigné : pas de complément avec la thérapie standard Nombre (%) 3 (2) 5 (3) 2 (1)
Nécessité de retraitement après une 1ère ligne
Traitement standard Rfp + Linezolide Bedaquiline + Lzd Ont commencé une 2ème ligne de traitement Nombre (%) 6 (3) 42 (23) 24 (13) Avait terminé la 1er ligne de traitement 5 39 24 Durée pour débuter la 2ème ligne - jours À partir de la fi n du traitement initial 274 +/- 97 230 +/- 160 277 +/- 122 À partir du début du traitement J0 424 +/- 113 287 +/- 158 340 +/- 122 Ont commencé une 3ème ligne de traitement Nombre (%) 0 1 (1) 0 Avait terminé la 2ème ligne de traitement - 1 -
Concernant la tolérance du traitement, l’incidence des événements indésirables de grade 3 ou 4, des événements indésirables graves et des décès n’était pas différente entre les bras Rifampicine/Linézolide ou Bedaquiline/Linézolide par rapport au bras traitement standard.
Traitement standard Rfp + Lzd Bedaquiline + Lzd Participants avec au moins un eff et 2aire grade 3 ou 4 – Nb (%) 29 (16) 32 (17.4) 30 (15.9) Eff ets secondaires hématologiques / lymphatiques – Nb (%) 9 (5) 4 (2.2) 15 (7.9) Eff ets secondaires hépato-biliaires – Nb (%) 6 (3.3) 8 (4.3) 3 (1.6) Eff ets secondaires métaboliques et nutritionnels – Nb (%) 1 (0.6) 6 (3.3) 3 (1.6)
Dans les groupes à risque de rechute intermédiaires ou élevés : le traitement standard semblait plus efficace que le traitement par Rifampicine + Linezolide. En revanche, il n’existait pas de différences significatives entre le traitement standard et la stratégie Bedaquiline + Linezolide.
Enfin, si on s’intéresse à la proportion de résistance acquise, aucune n’a été mise en évidence dans le groupe standard versus 2 dans le groupe Bedaquiline + Linezolide.
CONCLUSION DE L’ÉTUDE
Les auteurs de cet essai concluent qu’une stratégie impliquant un traitement initial avec 8 semaines de Bédaquiline et Linézolide est non-inférieur au traitement standard avec un profil de tolérance acceptable (pas plus d’effets secondaires avec 5 molécules sur une durée raccourcie que les 4 molécules standard).
DISCUSSION ET LIMITES
La stratégie Bédaquiline Linézolide est ici la seule testée non-inférieure à la stratégie standard. 2 bras thérapeutiques ont été abandonnés prématurément et donc non évalués du fait d’un étonnant manque de recrutement, alors que l’essai est réalisé dans un pays de forte prévalence, à Singapour : la question d’un problème d’accès au soin se pose donc.
La stratégie de traitement raccourcie semble présenter plusieurs avantages. Tout d’abord, elle pourrait permettre une meilleure observance en favorisant la motivation du patient à suivre son traitement et également en réduisant les difficultés de prise et l’anxiété liée au traitement. Les patients paraissent satisfaits avec 71.6 % d’entre eux pour le groupe Rifampicine+Linezolide et 78.3 % pour le groupe Bedaquiline+Linézolide qui recommandant cette stratégie.
Enfin, elle paraît relativement sûre puisqu’ils ne présentent pas plus d’effets indésirables.
Quelques limites nécessitent cependant d’être soulevées. Tout d’abord il s’agit d’un essai réalisé en ouvert. Ensuite, un second traitement était plus fréquemment nécessaire après une première ligne dans le groupe Ri-fampicine + Linezolide et Bedaquiline + Linezolide par rapport au groupe traitement standard. Par ailleurs, une seule stratégie, Bedaquiline+Linezolide, a réellement atteint la non infériorité parmi les 4 évoquées par les auteurs. Enfin, certaines populations à risque n’ont pas été évaluées tels que la population de patients VIH.
SYNTHÈSE
Cette étude s’inscrit dans une logique de réduction de la durée des traitements afin d’en favoriser l’observance sans impacter l’efficacité ni la tolérance. Il s’agit d’une des premières études de grande ampleur remettant en cause le « dogme » des 6 mois de traitement antituberculeux en vigueur depuis des décennies. On peut donc considérer une autre façon de traiter les patients atteints de tuberculose, avec un traitement initial de plus courte durée, un allongement de la durée au cas par cas selon les signes de maladie persistante puis un monitoring rapproché des patients en fi n de traitement pour détecter la rechute qui concernera en fait une minorité de personnes. D’autres études seront toutefois nécessaires pour confirmer et affiner les stratégies « courte durée » : étude randomisée en double aveugle, selon la prévalence des pays, avec différents protocoles et diverses catégories de patients (immunodéprimés, ...) avant d’adopter cette nouvelle stratégie à grande échelle.
RÉFÉRENCES
Natalie AVIGNON
Interne
Paris
Relecture
Dr Frédéric RIVIÈRE
Caen
Article paru dans la revue « Du Jeune Pneumologue » /AJP02 N°02