Sexualité et reproduction après une lésion médullaire

Publié le 05 Mar 2024 à 14:24
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°5


Les lésions médullaires, en particulier les lésions complètes (AIS A), entraînent des désordres sexuels et une altération de la fertilité à terme.

Ces lésions peuvent altérer tous les niveaux de la fonction sexuelle et reproductrice chez l’homme  : troubles de l’érection, troubles de l’éjaculation, perte/ trouble de la sensibilité et anorgasmie, altération de la qualité du sperme (altération de la spermatogénèse, infections urinaires à répétition, sondages, augmentation de la température du scrotum en position assise).

Il y a trois types de retentissement sur la fonction sexuelle après lésion médullaire, direct ou indirect :

  • Le retentissement primaire correspond à l’impact direct de la lésion neurologique sur la fonction sexuelle. Il comprend l’impact neurologique sur l’érection chez l’homme, la lubrification chez la femme, l’éjaculation et la capacité orgasmique.
  • Le retentissement secondaire comprend les séquelles neurologiques touchant indirectement la sexualité : c’est à dire les troubles vésico-sphinctériens et ano-rectaux, en particulier l’incontinence urinaire et fécale, ainsi que la spasticité et les effets secondaires des traitements médicamenteux.
  • Le retentissement tertiaire correspond à l'impact psychosocial des lésions médullaires qui limitent le désir voire l’accès aux activités sexuelles ou aux relations sociales pouvant mener à des relations sexuelles. Il peut s’agir d’un état de dépression, de l’état de stress post-traumatique, des troubles d’anxiété et anxiété de performances, de l’altération de l’image de soi et de l’image corporelle (paralysie, atrophie musculaire, perte de poids, escarres), des difficultés du couple, de l’isolement social ou du retrait d’activités professionnelles ou de loisir.

Le suivi sexuel des hommes et des femmes vivant avec une lésion médullaire doit donc tenir compte d’un nombre important de facteurs, de manière holistique. Il offre un nombre considérable de traitements et de conseils d’adaptation qui peuvent favoriser l’ajustement post-lésionnel. Si tous les patients ne sont pas prêts à discuter ou entreprendre des démarches sur leur sexualité en phase de rééducation, la majorité considère l’information comme indispensable.

Les centres de rééducation ou les services de médecine physique et de réadaptation n’offrent pas toujours des consultations spécialisées dédiées pour aborder les questions de fertilité et de sexualité chez les hommes atteints de lésions médullaires. Ces problématiques peuvent néanmoins être abordées par n’importe quel intervenant médical du parcours patient : médecin MPR, urologue, sexologue…

Ainsi, cela apparaît comme nécessaire que chaque interne de MPR puisse avoir accès aux bases de réflexion sur ce sujet.

Retentissement des lésions médullaires sur la fonction sexuelle chez l’homme

L’évaluation de la fonction sexuelle chez l’homme cherche à identifier le mode de stimulation apte à déclencher des érections selon le type de lésion. Il peut être réflexe (par stimulation directe des organes génitaux) ou psychogène (en réponse à une stimulation/excitation mentale).

Il existe des traitements médicamenteux prescrits pour le traitement de la dysfonction érectile qui sont les suivants.

En 1ère intention, les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE5 ) : Viagra, Cialis, très efficaces chez les hommes blessés médullaires.

Si échec, en 2ème intention viennent les injections intracaverneuses. D'abord de prostaglandines (Alproastadil, Caverjet), ou bien papavérine ou trimix en l'absence d'efficacité des prostaglandines (risque majoré de priapisme).

En 3ème intention : peuvent être utilisés les systèmes de pompe à vide Vacuum facilement accessibles dans les sexshops, efficaces pour produire les érections mais moins bien acceptés par les hommes. Les garrots péniens sont souvent préférés à la pompe pour maintenir ou optimiser une érection obtenue sans la pompe. En dernier recours, il existe des prothèses péniennes, qui donnent une apparence naturelle à l’érection mais entraînent une destruction définitive des corps caverneux.

Les associations de traitement sont possibles telle que l'association injection + IPDE5 par exemple.

Éjaculation

90  % des patients blessés médullaires souffrent d’anéjaculation. L'enjeu principal correspond à la capacité de procréation. En termes de qualité on observe 20  % de mobilité des spermatozoïdes dans le sperme des hommes blessés médullaires contre 70 % chez sujet sain.

Pour pallier cette déficience, les techniques utilisées vont consister à récupérer le sperme (en centre de rééducation ou service de PMA) si l’éjaculation est rétrograde. Certains patients présentent une fausse anéjaculation après un orgasme, et du sperme est retrouvé en pratiquant un sondage vésical.

  • Le vibromassage pénien : il permet une stimulation du pénis par vibrations pour provoquer l’éjaculation. L’applicateur est placé sur le frein en exerçant une pression. Il passe par l’utilisation d’appareils commerciaux disponibles ou bien en cas d’échec par l’appareil Ferticare qui offre un large éventail d’amplitude et majore le succès éjaculatoire. Des études soulignent une amélioration de la qualité du sperme (appareil de référence dans les centres de rééducation).
  • L’électro-éjaculation : il s'agit d'un acte médical de stimulation directe des nerfs sympathiques par sonde endorectale.

Un prélèvement de sperme doit être acheminé rapidement au laboratoire (moins de ¾ d’heure) et maintenu au chaud pendant toute la durée du transport pour que l’analyse soit fi able. Si le prélèvement est validé, il est envoyé au CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme) pour cryoconservation dans la grande majorité des cas, pour pallier les éventuels échecs par la suite. Le prélèvement s’effectue de préférence dans la première année suivant l’accident pour une meilleure qualité du sperme, chez les hommes en âge de procréer.

Parfois, l’éjaculation est prématurée et il est possible de prescrire un traitement par antidépresseurs (ISRS).

Chez ces patients, il faudra toujours tenir compte du risque d’hyperréflexie autonome lors de l’orgasme et de l’éjaculation et une surveillance par IDE peut se justifier dans certains cas.

En l'absence d'efficacité de la stimulation, le prélèvement peut être réalisé au bloc opératoire par une biopsie testiculaire réalisée par un urologue.

Sexualité de la femme blessée médullaire

Sexualité

Les lésions médullaires chez les femmes peuvent affecter la fonction sexuelle cependant la fertilité reste intacte. Les blessures médullaires peuvent entraîner des changements dans la vie sexuelle des femmes tels que des altérations sensorielles, une diminution de la sensibilité génitale, des modifications de la lubrification vaginale.

  • Retentissement sur la lubrification (réactivité génitale)

Selon le niveau de la lésion, la recherche de sensation de plaisir et de lubrification est possible par la stimulation clitoridienne, la stimulation vaginale ou encore la stimulation cervicale. En pratique, il est recommandé de conseiller aux femmes d'utiliser des lubrifiants à base d’eau du commerce. Selon les cas, prescrire une cure de quelques semaines de crème à base d’oestrogène (type Trophicrème) en application locale peut être un bon moyen de favoriser la lubrification naturelle.

  • Retentissement sur l’orgasme

Il existe une possibilité d’atteindre l’orgasme malgré les lésions même complètes. L'examen clinique comprend une evaluation en explorant la sensibilité périnéale et les réflexes périnéaux (réflexe cutané-anal, anal externe, bulbocaverneux). Un examen de la sensibilité est réalisé, au toucher léger, à la pression (impliquée dans la pénétration), à la vibration (jouets sexuels) et à la piqûre. La majorité des patientes perçoivent les sensation vibratoires.

Concernant les thérapeutiques médicamenteuses, les résultats de la littérature ne sont pas en faveur de l'utilisation des IPDE5. Ils sont utilisés dans de rares cas précis.

Les systèmes de pompe à vide (vacuum) peuvent être utilisés pour favoriser l’orgasme ou pour engorger les organes génitaux avant l’orgasme.

Si la sensibilité vibratoire est conservée, l’utilisation des vibromasseurs reste le traitement le plus concluant en pratique.

Procréation, grossesse et accouchement

Les couples confrontés à des difficultés de fertilité en raison de blessures médullaires peuvent avoir recours à des techniques de reproduction assistée, telles que la fécondation in vitro (FIV) ou l'insémination artificielle, pour concevoir un enfant.

Les femmes blessées médullaires qui envisagent une grossesse doivent bénéficier d'un suivi médical spécifique. Il faut évaluer les risques potentiels associés à la grossesse, en tenant compte des besoins spécifiques liés à la mobilité réduite (en termes d’accessibilité des maternités, …) ou à d'autres complications médicales spécifiques de ces patients.

Pendant la grossesse

La femme blessée médullaire enceinte présente une majoration du risque de complications habituelles :

  • Complications urinaires infectieuses, selon le mode mictionnel (sonde à demeure) et si présence de hautes pressions intra-détrusoriennes.

⇒ le risque d’infection urinaire varie entre 45 et 60  %, et celui de pyélonéphrite est de 30  %.

  • Risque de menace d’accouchement prématuré et d’hypotrophie fœtale.
  • Cutanés : risque d’escarres majoré (modification morphologique et perte de mobilité).
  • Vasculaires : risque de thrombophlébites de 8  % (vs 0,1), justifiant une thrombo-prophylaxie par HBPM au 2ème trimestre si antécédent de thrombophlébite.
  • Respiratoire en cas de tétraplégie : syndrome restrictif majeur, absence de toux efficace : intérêt de la kinésithérapie.
  • Neuro-digestif : majoration de la constipation de transit et terminale.

Concernant les traitements, il n’y a pas de contre-indication à la prise de baclofène mais il sera à diminuer au maximum, comme pour les gabapentinoïdes. Il n’y a pas de toxicité du baclofène intra-thécal.

Sont contre-indiqués les benzodiazépines et les injections de toxine botulique intradétrusorienne et dans les membres. Le seul anticholinergique que l'on peut prescrire durant la grossesse est l'oxybutinine.

3ème trimestre

Les risques

  • Taux d’accouchement prématuré légèrement augmenté.
  • Le début de travail peut passer inaperçu.
  • Risque d’hyper-réflexie autonome !

Les recommandations

  • Examen cervical une fois/semaine dès la 28ème SA.
  • Monitorage des contractions et suivi au domicile.
  • Hospitalisation proposée dans les niveaux hauts à la 36ème SA ou avant si menace d’accouchement prématuré.
  • Apprentissage des femmes à l’autopalpation ou à la recherche de signes indirects.

Mode et condition d'accouchement

L’accouchement doit se dérouler idéalement dans une maternité de niveau 3 (avec réanimation néonatale) en raison des éventuelles complications lors de la délivrance chez une femme en incapacité d’effectuer des efforts de poussée.

La césarienne n’a pas d’indication neurologique, et elle est d’indication obstétricale. Les femmes blessées médullaires peuvent tout à fait accoucher par voie basse puisque les contractions utérines réflexes sont préservées.

Une césarienne est indiquée dans les cas suivants :

  • Syringomyélie.
  • CI à l’anesthésie loco-régionale.
  • HRA.
  • Complication neuro-orthopédique majeure (défaut d’abduction).

Les césariennes sont pratiquées plus largement que leurs indications en raison d'un manque de formation des équipes médicales (taux de césarienne variable de 25 à 58 % selon les études).

De la même manière l’anesthésie péridurale est très peu réalisée en pratique alors qu’elle est indiquée pour limiter le risque d'HRA.

Post-partum

  • Difficulté de cicatrisation des épisiotomies.
  • Difficultés fonctionnelles pour l'allaitement chez les mamans tétraplégiques, avec possible inhibition du réflexe de lactation.
  • Problèmes physiques dans 10 % des cas :

-Intestinaux, vésico-sphinctériens, spasticité.

-Thrombophlébite, fatigue, céphalées.

-50  % des femmes nécessitent une assistance supplémentaire à domicile (depuis 2020 la MDPH accorde une PCH pour les besoins liés à l’exercice de la parentalité des personnes handicapées).

  • Bébés de petit poids.
  • Pas de risque supplémentaire de malformations congénitales dans les lésions acquises.

Il faut anticiper le choix de la maternité avec la patiente (bilan pré-conceptuel), pour permettre un suivi au sein d'une équipe médicale formée (anesthésiste, gynécologue, etc.) avec un suivi conjoint avec un centre de rééducation spécialisé et la maternité de niveau 3 avec MPR, obstétriciens, sages-femmes et anesthésistes spécialisés. La préparation de la maman à la gestion du quotidien passe par la réalisation d'un bilan et d'un suivi en ergothérapie (pour adaptation du quotidien et aides techniques possible pour le change du bébé, l’allaitement, etc).

Sources 

▷ Cramp JD, Courtois FJ, Ditor DS. Sexuality for women with spinal cord injury. J Sex Marital Ther. 2015;41(3):238-53. doi: 10.1080/0092623X.2013.869777. Epub 2014 Mar 11. PMID: 24325679.

▷ Anderson KD, Borisoff JF, Johnson RD, Stiens SA, Elliott SL. The impact of spinal cord injury on sexual function: concerns of the general population. Spinal Cord. 2007 May;45(5):328-37. doi: 10.1038/sj.sc.3101977. Epub 2006 Oct 10. PMID: 17033620. ▷ Hess MJ, Hough S. Impact of spinal cord injury on sexuality: broad-based clinical practice intervention and practical application. J Spinal Cord Med. 2012 Jul;35(4):211-8. doi: 10.1179/2045772312Y.0000000025. PMID: 22925747; PMCID: PMC3425877.

▷ Lombardi G, Del Popolo G, Macchiarella A, Mencarini M, Celso M. Sexual rehabilitation in women with spinal cord injury: a critical review of the literature. Spinal Cord. 2010 Dec;48(12):842-9. doi: 10.1038/sc.2010.36. Epub 2010 Apr 13. PMID: 20386552.

▷ Lombardi G, Macchiarella A, Cecconi F, Aito S, Del Popolo G. Sexual life of males over 50 years of age with spinal-cord lesions of at least 20 years. Spinal Cord. 2008 Oct;46(10):679-83. doi: 10.1038/sc.2008.37. Epub 2008 May 13. PMID: 18475281.

Julie COTTEL

Remerciements au Dr Amélie PARRY pour son intérêt pour le sujet et son investissement pour la diffusion d’un contenu de qualité vis-à-vis des internes et jeunes MPR ; et au Dr Dorian ROUSSEL pour sa relecture éclairée.

 

 

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Publié le 1709645043000