Service d’accueil des urgences pour personnes âgées à travers le monde

Publié le 18 May 2022 à 13:05

 

Nous commençons notre petit tour d’horizon en jouant à domicile. Pour cela, le Professeur Achille TCHALLA a accepté avec enthousiasme de nous parler de l’unité de Médecine d’Urgence de la Personne Âgée qui a été mise en place au CHU de Limoges.

Quel était l'objectif de la mise en place de vos urgences gériatriques ? Pour répondre à quelle demande ?
Au CHU de Limoges, 25 % des patients admis aux Urgences sont âgés de 75 ans et plus, dont 70 % sont hospitalisés par la suite. Initialement, une équipe mobile de Gériatrie intervenait à la demande des urgentistes pour évaluer certains patients. Face à l’afflux croissant de personnes âgées aux urgences et de l’allongement de leur temps de passage, a été mise en place en novembre 2014, une unité de Médecine d’Urgence de la Personne Âgée (MUPA) pour faciliter cette prise en charge en lien avec la filière gériatrique hospitalière et territoriale. Deux gériatres, deux infirmières formées à la gériatrie et une assistante sociale étaient présentes quotidiennement. Cette unité était intégrée aux Urgences avec un fonctionnement du lundi au vendredi de 8H30 à 18H30.

Quelles ont été les difficultés de mise en place du service ?
Principalement, la prise en charge des patients arrivés aux Urgences le week-end et les difficultés de fluidité en aval des Urgences par manque de lits.

Quel est le parcours d’un patient pris en charge dans vos Urgences gériatriques ?
Quel praticien prend en charge ces patients (urgentiste, gériatre, autre) ?
L’équipe MUPA prenait en charge de A à Z toutes les personnes âgées de 75 ans et plus admises aux Urgences du CHU de Limoges pour une urgence non vitale. Sur la base de critères spécifiques (les 5 critères MUPA), le patient était directement orienté vers un gériatre pour une prise en charge globale. Chaque patient bénéficie d’une évaluation gériatrique standardisée comprenant un dépistage de la fragilité, de la perte d’indépendance fonctionnelle, une évaluation de la polypathologie et de la polymédication mais également de l’observance thérapeutique et un repérage des troubles cognitifs et symptômes dépressifs. Le patient initialement pris en charge par la MUPA peut bénéficier de l’avis de l’urgentiste en cas d’aggravation. Idem, certains patients prise en charge par l’urgentiste peuvent bénéficier d’un avis gériatrique. Le coopération gériatre-urgentiste était la clé de cette prise en charge médicale des patients. Le patient admis à la MUPA peut être hospitalisé en gériatrie ou MCO ou rentrer à domicile avec la possibilité d’une programmation pour compléter la prise en charge en consultation ou en Hôpital de jour.

Quels bénéfices avez-vous déjà constatés de la création de votre service pour votre hôpital ?
Pour vos patients ?
La MUPA avait permis de développer une culture gériatrique aux Urgences par sa présence in situ et le nombre important de patients âgés pris en charge (2 à 3 fois plus de patients que l’EMG sur une même période). Le taux de retours à domicile était significativement plus élevé avec la MUPA qu’avec l’EMG, alors que les taux de réadmissions aux urgences à 30 jours et 90 jours étaient nettement plus faibles. L’expertise des infirmières formées à la gérontologie clinique permettant de mieux accompagner les patients âgés et les aidants familiaux. L’expérience de l’expertise intégrée de la pharmacie clinique à la MUPA était très bénéfique et a permis également une optimisation de la prise en charge par des procédures de conciliation et revue médicamenteuse pour diminuer les risques iatrogéniques aux Urgences ou à la sortie.

Quels projets/améliorations comptez-vous mettre en place dans un avenir proche ?
Depuis l’année 2021, le contexte sanitaire et les difficultés de ressources humaines ont entraîné une mutation de cette activité intégrée à l’unité de Post-Urgence gériatrique. Une réflexion est en cours pour faire évoluer cette activité dans le cadre du pacte 5 de la refondation des Urgences avec la structuration d’une UHCD Gériatrique en lien avec le Post-urgence gériatrique et la plateforme de régulation gériatrique ville-Hôpital. L’idée est d’éviter si possible au maximum l’arrivée des patients âgés aux Urgences compte tenu des effets délétères possibles de cet environnement sur l’état global des patients âgés vulnérables. Il s’agira d’optimiser les parcours qui évitent les urgences surtout pour des motifs relevant des syndromes gériatriques et non de l’urgence vitale. Cette évolution permettra un fonctionnement 7J/J dans une approche intégrative Médecine d’Urgence-Post-Urgence Gériatrique en dehors du service des Urgences avec la possibilité d’une admission directe par un circuit direct « FAST TRACK ».

Pr Achille TCHALLA
CHU de Limoges

Pour l’Association des Jeunes Gériatres

5 Références bibliographiques (pour en savoir plus)

  • Clementz A, Jost J, Lacour A, Ratsimbazafy V, Tchalla A. Do clinical pharmacy activities have an impact on the rehospitalisation rate of elderly patients admitted to a MUPA unit for a fall? Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil.
    2022 Jan 27. doi: 10.1684/pnv.2022.1008. Epub ahead of print. PMID: 35094977.
  • Bosetti A, Gayot C, Preux PM, Tchalla A. Effectiveness of a Geriatric Emergency Medicine Unit for the Management of Neurocognitive Disorders in Older Patients: Results of the MUPACog Study. Dement Geriatr Cogn Disord.
    2020;49(4):394-400. doi: 10.1159/000510054. Epub 2020 Dec 17. PMID: 33333527.
  • Boyer S, Gayot C, Bimou C, Mergans T, Kajeu P, Castelli M, Dantoine T, Tchalla A. Prevalence of mild hyponatremia and its association with falls in older adults admitted to an emergency geriatric medicine unit (the MUPA unit). BMC Geriatr. 2019 Oct 15;19(1):265. doi: 10.1186/s12877-019-1282-0. PMID: 31615437; PMCID: PMC6792197.
  • Clementz A, Jost J, Lacour A, Bimou C, Gayot C, Ratsimbazafy V, Tchalla A. Effect of Clinical Pharmacy Services in an Older Adult Emergency Medicine Unit on Unplanned Rehospitalization of Older Adults Admitted for Falls: MUPA- PHARM Study. J Am Med Dir Assoc. 2019 Aug;20(8):947-948. doi: 10.1016/j.jamda.2019.02.029. PMID: 31353043.
  • CHU Limoges : MUPA : bilan positif après un an de fonctionnement [Internet]. [cité 19 sept 2019]. Disponible sur : http://www.chu-limoges.fr/mupa-bilan-positif-apres-un-an-de-fonctionnement.html

Un peu plus loin, le Dr Menelas Nkeshimana et son équipe du CHU de Kigali ont répondu positivement à notre invitation ! Ils nous décrivent la Genèse de la gériatrie au CHU de Kigali au Rwanda.

“Je ne suis pas la plus âgée, il faudrait vérifier la date de naissance du Pasteur ; il est le plus vieux”. C’est ainsi que répondait Mme Astéria, une nonagénaire qui s’apprêtait à célébrer son centenaire, en bonne forme. Pour la taquiner, on l’appelle souvent “igifaru” (un mot en Kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, qui signifie “véhicule militaire blindé”), pour souligner sa robustesse physiologique pour son âge avancé… ; elle apprécie ce compliment indiquant que cette attitude la rajeunit de quelques années.

Dr Menelas Nkeshimana, Chef du Service des urgences en consultation médicale lors d’un “programme outreach” piloté par le CHU de Kigali dans un village de Cyabingo

La moyenne de la population rwandaise adulte avance en âge grâce, entre autres, à l’amélioration des soins de santé primaires, au renforcement des programmes publics de prévention et de prise en charge de maladies chroniques. Depuis la triste époque après 1994 ; année du génocide perpétrée contre les tutsis au Rwanda, le parcours de reconstruction du système sanitaire du pays a progressé en efficacité. L’espérance de vie, baissée en dessous de 30 ans à cette époque, est remontée au-dessus de 62 ans.

Avec cette évolution, la santé des seniors apparaît comme un enjeu de santé publique. L’affluence de consultations de patients âgés de plus de 65 ans croît aux CHU du Rwanda. Dans une récente étude transversale, Ngabitsinze et al, ont constaté que 190 patients, avec un âge moyen de 72 ans, avaient été hospitalisés aux CHU de Kigali et de Butare (1).

Au CHU de Kigali, il existe une structure informelle qui prend en compte la fragilité de la personne âgée et ses besoins en soins spécifiques au service d’accueil des urgences et au pavillon des soins ambulatoires. Un outil de triage tient compte de motifs habituels de consultations que la personne âgée présente, principalement le déclin du fonctionnement cognitif et la présence des comorbidités, notamment les maladies chroniques non-transmissibles comme le diabète, l’hypertension et le cancer. Cet outil fonctionnel depuis 2013, facilite la tâche aux personnels soignants qui sont formés pour détecter les signes d’alerte afin de prévenir une prise en charge tardive, éviter l’apparition des situations de décompensation aiguë ou d’aggravation fonctionnelle, évitant ainsi la survenue des complications qui grèveraient l’état de santé de la personne âgée. Un autre outil en place, le formulaire “screening, education, consent form” sert à repérer 5 spécificités sur le profil du senior consultant au service des urgences du CHU de Kigali : 1) statut nutritionnel, 2) situation sociale, 3) état psychologique, 4) présence d’escarres, 5) risque de chutes. Cet outil fonctionnel incite à une prise en charge multidisciplinaire et spécialisée au CHU de Kigali comprenant l’implication d’un médecin interniste, d’une infirmière formée au profil de ces patients, un nutritionniste, un kinésithérapeute et un assistant social organisant un circuit raccourci pour la prise en charge de la mutuelle nationale de santé. Le département de médecine interne du CHU de Kigali sert de service d’aval pour la prise en charge en hospitalisation des patients âgés. Un interniste titulaire d’un diplôme de formation médicale spécialisée de gériatrie, sert de médecin référent à ses collègues pour donner un avis spécialisé en cas de besoin pour une prise en charge médicale particulière.

Dans la perspective de développer une filière de suivi ambulatoire des seniors au CHU de Kigali, un projet partenarial existe entre le CHU de Kigali et l’hôpital européen Georges Pompidou, porté par le Pr Elena PAILLAUD de l’Université de Paris et le Pr Jean Paul RWABIHAMA de l’Université du Rwanda, grâce à une subvention de la Fédération Hospitalière de France et l’Agence Française de Développement. Ce projet structurel a pour objet d’organiser le suivi ambulatoire de pathologies gériatriques non-transmissibles et l’amélioration de la gestion hospitalière. Grâce au partenariat signé entre le CHU de Kigali et l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), une filière de formation de futures gériatres rwandais permet d’accueillir au département de médecine interne et de gériatrie dirigé par le Pr Jean-Philippe DAVID au CHU Henri Mondor 1 à 2 médecins internistes stagiaires pour se former à la gériatrie. A travers des missions à Kigali et à Paris entre les équipes du CHU de Kigali et l’équipe de l’AP-HP impliquées dans ce projet, s’ouvrent des perspectives de développement pour la gériatrie hospitalière au CHU de Kigali et la gériatrie universitaire à l’Université du Rwanda.

Auteur correspondant : Dr Ménélas NKESHIMANA
Chef du Département des Urgences du CHU de Kigali (Rwanda)

E-mail : [email protected]
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Dr Ménélas NKESHIMANA, Dr Protogène NGABITSINZE
Dr Vincent NDAYIRAGIJE, Dr Léopold BITUNGUHARI
Dr Jean Paul RWABIHAMA
Service des Urgences et du Département de Médecine interne du CHU de Kigali (Rwanda)

Centre d’Investigation Clinique-CEpIR, Division de la recherche et de la formation clinique,
CHU de Kigali, Université du Rwanda, Kigali (Rwanda)

Bibliographie

(1) Ngabitsinze P, Nkeshimana M, Rwabihama JP et al. Characteristics and outcome of elderly patients admitted for medical reasons in Rwanda university teaching hospitals: current situation at Centre Hospitalier Universitaire de Kigali and Centre Hospitalier Universitaire de Butare (Article soumis).

Enfin, le Dr Bui Thuc Quang, praticien hospitalier à l’Hôpital National de Gériatrie du Vietnam situé à Hanoi, nous a fait le plaisir de bien vouloir nous présenter l’organisation des Urgences de son hôpital. Il s’agit d’un centre hospitalo-universitaire dédié aux personnes âgées de plus de 60 ans, comportant 350 lits et employant 400 professionnels (80 médecins, 200 infirmières, 12 pharmaciens et 108 d’autres professions).
Environ 500 consultations et 30 entrées au service des Urgences ont lieu chaque jour. Les autres services de cet hôpital sont constitués d’un service de Réanimation, d’Intervention Cardio-vasculaire, de Cardio-Pneumologie, de Médecine Interne, de Neurologie et Maladie d'Alzheimer, de Psychiatrie, d’Endocrino et Ostéo-rhumatologie, de Soins et traitement palliatif, de Réadaptation, de Nutrition, d’Imagerie, d’un Laboratoire biochimique, et enfin d’un Département de consultation.

L’objectifs de nos urgences gériatriques est de mettre hors d’état critique et d’assurer le maintien des fonctions vitales de nos patients âgées. Pour ce faire, nous avons accès à différents examens complémentaires que nous pouvons réaliser dans un court laps de temps et ainsi poser un diagnostic le plus précis possible et le plus rapidement possible. Nous corrigeons les dysfonctions d’organe importantes et transférons les patients dans les services spécialisés adéquat. Cela nous permet d’améliorer la qualité de vie de nos patients qui ont une espérance de vie encore élevées.

Classiquement, un patient pris en charge dans nos Urgences gériatriques est accueilli à la réception pour y faire les démarches administratives d’inscription, en même temps se fait l’évaluation de ses fonctions vitales puis la prise en charge ABC (Airway, Breathing, Circulation) le cas échéant suit très rapidement pour mettre le patient hors d’état critique le plus tôt possible.

Ensuite la surveillance des paramètres de la fonction vitale se fait sous moniteur, en attendant les résultats des examens complémentaires demandés (tests sanguins, ECG, tests d’imagerie…). En parallèle, un support gériatrique permet d’évaluer le patient, en particulier d’un point de vue fonctionnel avec les professionnels de la Réhabilitation.

Une consultation avec des spécialistes permets d’avoir le diagnostic le plus précis possible en détaillant : la maladie principale, la/les maladies associées et les complications. Des praticiens de différentes spécialités se retrouvent au lit du patient pour optimiser sa prise en charge (urgentiste, gériatre, cardiologue, neurologue, médecin de réadaptation).

Malheureusement, nous rencontrons des difficultés par manque d’équipements médicaux, de personnels (urgentistes-gériatres, infirmières gériatriques). L’environnement du service de Urgences et l’installation du patient ne sont pas forcément appropriés aux patients âgés. Les soins gériatriques sont en effet plus lourds à mettre en place et d’autant plus dans un service déjà en surcharge. Dans certaines situations, enfin, la mise en place des techniques d’urgence est plus difficile à mettre en oeuvre chez des patients âgés.

Notre hôpital – Hôpital National de Gériatrie de Hanoi – est dédié aux personnes âgées (≥ 60 ans), c’est pourquoi, le service d’urgence gériatrique est indispensable. Il permet un recrutement important de patients, ce qui entraîne un bénéfice économique pour notre établissement et permet ainsi le développement d’autres services plus spécialisés (qui n’aurait pas pu voir le jour sans ce recrutement… un service spécialisé est plus difficile à remplir à partir d’un recrutement exclusivement issu des consultations).

Notre service d’Urgence soutien également les autres services cliniques de l’hôpital en cas de dégradation clinique importante d’un de leurs patients, que nous pouvons alors gérer aux Urgences gériatriques.

 Pour les patients, notre service des Urgences est un lieu approprié pour traiter des maladies, des situations urgentes pour les sujets âgés et ainsi permettre une récupération de leur santé à court terme et espérer une amélioration de leur qualité de vie.

Fort de ce constat, nous avons déjà plusieurs projets d’amélioration avec, entre autres, la création d’une unité « Stroke » pour le traitement fibrinolytique en cas d’AVC chez les patients âgés. En parallèle de ce futur projet, nous souhaiterions consolider le fonctionnement déjà en place avec l’augmentation de notre capacité d’accueil, l’augmentation du nombre de personnel (médecins, infirmières et aides-soignants) et débuter une prise en charge de réhabilitation dès la prise en charge aux Urgences.

Dr Bui THUC QUANG
Chef du service de Cardiologie interventionnelle

Hôpital National de Gériatrie de Hanoi (Vietnam)
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°29

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