Le scanner cardiaque est en train de connaître une série de bouleversements élargissant encore son intérêt potentiel en pratique : FFR-scanner, scanner 320 barrettes, scanner spectral à double énergie, scanner de stress pharmacologique ou encore l’apparition toute récente du scanner à compteur de photons défiant encore les lois de la résolution spatiale, en évaluation au CHU de Lyon notamment…
Les années 80 et 90 ont été celles de l’avènement de la coronarographie avec l’amélioration des techniques, des procédures et in fine l‘arrivée de la FFR apportant la composante fonctionnelle à l’évaluation des lésions coronaires. Les prochaines années seront sans nul doute celles de l’explosion de l’utilisation de l’imagerie non-invasive coronaire, notamment du scanner.
En effet, l’amélioration des machines elles-mêmes avec l’arrivée des scanners multibarrettes a permis l’utilisation de ceux-ci au niveau coronaire, pour l’évaluation de l’arbre vasculaire. Sa capacité à analyser, à reconstruire l’anatomie en a fait une méthode actuellement recommandée dans l’évaluation du risque cardio-vasculaire chez les patients à risque faible à intermédiaire. On peut rappeler à ce titre les données apportées par les études PROMISE et SCOT-HEART souvent citées. L’avantage certain du coroscanner est sa rapidité et sa simplicité de réalisation. Le désavantage jusqu’à présent, restait l’impossibilité de corréler les anomalies observées au caractère fonctionnel et aux symptômes présentés par le patient. En effet, il parait désormais acquis pour chacun, qu’il n’existe pas de bénéfice à revasculariser une lésion non symptomatique, et qu’il parait donc nécessaire d’y associer l’évaluation de son caractère fonctionnel.
Les progrès technologiques que sont notamment l’amélioration des résolutions spatiotemporelles et l’amélioration de la vitesse d’acquisition des coupes, ont ainsi permis d’entrevoir la réalisation de scanner de perfusion coronaire au repos et en situation de stress induit pharmacologiquement par vasodilatateur. Ainsi, c’est en 2005 que le premier article sur le scanner coronaire de stress par Adénosine a été publié. Cet article ne comportait que 12 patients, mais a permis d’ouvrir la voie à de nombreux autres travaux de recherche complémentaires. Il est alors apparu au travers de ces données que le scanner offrait désormais une possibilité non invasive et rapide d’évaluation de l’ischémie coronaire chez nos patients.
Visualiser les étapes clés du scanner de perfusion coronaire
L’intérêt du scanner coronaire de perfusion relève d’une évaluation multiparamétrique reposant sur différentes étapes du protocole dont il faut comprendre le principe avant de rentrer ensemble dans les détails :
- Mesure possible du score calcique coronaire : permet une évaluation du risque cardiovasculaire à moyen et long terme conduisant à adapter le traitement en prévention primaire en suivant les dernières recommandations de l’ESC ou AHA le cas échéant.
- Coroscanner avec évaluation morphologique des coronaires : détection des plaques coronaires et mesure de leur degré de sténose.
- Scanner de perfusion de stress pharmacologique : détection d’une ischémie myocardique au stress par vasodilatateur au niveau du myocarde.
- Mesure de la FFR-CT : évaluation réalisée en posttraitement à partir des images du coroscanner.
- Détection d’un infarctus : réalisation d’un temps tardif permettant la mise en évidence d’un rehaussement tardif d’iode se déposant en extracellulaire au niveau de la cicatrice (même principe que l’IRM).
Principes du scanner de perfusion coronaire
Le principe s’appuie sur la cascade de l’ischémie coronaire. Les anomalies de perfusion sont plus précocement observables par rapport aux troubles de cinétique ou aux symptômes, et ceci doit participer à une meilleure sensibilité de détection. De façon analogue aux examens nucléaires ou à l’IRM de stress, on utilise un produit de contraste radio-marqué afin d’étudier le secteur vasculaire et la perfusion myocardique. Ceci associé à la perfusion d’une molécule comme l’Adénosine, la Persantine et plus récemment le Regadenoson, permet d’obtenir des coupes de repos et sous stress pharmacologiquement induit. Enfin, une acquisition au temps tardif peut permettre la mise en évidence de la fibrose et des cicatrices d’infarctus comme avec l’IRM.
Deux techniques de réalisation du scanner de perfusion sont rapportées : Le scanner de perfusion dit statique On acquiert les images de coroscanner et celles de perfusion myocardique en un seul temps de passage du produit de contraste, en lien avec le tracé ECG. Les avantages évidents sont la réduction des radiations ionisantes et un temps de maintien d’apnée réduit pour le patient. L’injection au temps d’intérêt est primordiale afin d’assurer une qualité optimale des clichés.
Le scanner de perfusion dit dynamique
On acquiert de multiples coupes durant le temps où le produit de contraste perfuse la paroi du myocarde. Les scanners nécessaires doivent être plus performants et le temps d’apnée requis pour le patient est plus long. En revanche, les artéfacts sont réduits et donc les mesures possibles plus précises. Cependant, quelle que soit la technique, le protocole est plutôt similaire. En effet, on cherche à acquérir des clichés au repos et sous stress induit +/- à un temps tardif. L’ordre d’acquisition des différents temps varient selon les équipes. A noter, qu’il existe un potentiel risque de faux négatif si l’acquisition de repos est faite en première, avec du produit de contraste pouvant persister dans le myocarde cicatriciel et biaiser l’interprétation du temps de stress. De plus, le fait de commencer par une séquence de stress permet de rassurer sur le pronostic coronaire du patient en cas de négativité, avant même d’avoir observé les lésions anatomiques (Figure 1).
Figure 1 : Deux exemples de protocole de scanner de perfusion : « stress puis repos » ou « repos puis stress » (d’après Patricia Carrascosa, et al. Cardiovasc Diagn Ther. 2017).
Interprétation des données
De façon similaire aux autres techniques non invasives, l’interprétation des zones ischémiques ou infarcies se fait par comparaison aux zones avec une perfusion normale en utilisant une échelle de gris en Unités Hounsfield (UH). Les différents logiciels fournis par les industriels ont permis la reconstruction multi-planaire, et la présentation des résultats sous une forme simple standardisée « d’oeil de boeuf en 17 segments » déjà utilisé dans le strain longitudinal en échocardiographie. On peut également utiliser dorénavant des échelles de couleur pour améliorer la visualisation des données (Figure 2).
Figure 2 : Exemple d’un patient de 61 ans avec douleurs atypiques et nombreux facteurs de risque cardio-vasculaire évalué en scanner de perfusion :
(a) Coroscanner avec visualisation d’une plaque molle hypodense avec sténose > 70 % de la coronaire droite (CD) proximale (flèches jaunes) avec la coupe transversale et la reconstruction multi-planaire.
(b) Reconstruction 3D (VRT) permettant de visualiser la sténose dans l’espace (tête de flèche blanche).
(c) Données des anomalies de perfusion au stress sous forme « oeil de boeuf » avec défect de perfusion sous épicardique en inférieur et inféro-latéral (zones en violet/bleu/vert).
(d) Représentation des données de perfusion coronaire au stress en reconstruction 3D avec correspondance régionale entre la sténose de la CD proximale et l’ischémie inférieure mise en évidence.
(D’après S. Seitun, BioMed Research International Volume 2018, 21 pages).
Inconvénients de la technique
Malgré des temps d’acquisition réduits et un temps d’irradiation restreint, il persiste l’inconvénient d’utiliser des radiations ionisantes par rapport à l’IRM. La nécessité de deux voies veineuses distinctes pour la molécule de stress et pour le contraste peut limiter sa réalisation. Même si l’arrivée du Regadenoson permet l’utilisation d’une unique voie veineuse.
Concernant les produits pharmacologiques eux-mêmes, on peut être confronté à leurs contre-indications d’utilisation, ou leurs effets secondaires comme la dyspnée, les troubles conductifs ou rénaux pour le produit de contraste. De même, comme c’est le cas pour le coroscanner seul, les troubles du rythme notamment les tachycardies limitent l’acquisition d’images fiables. Enfin, il faut du personnel et des manipulateurs radiologiques formés à l’utilisation de cette technique, afin d’assurer une qualité d’acquisition et limiter les résultats artéfactés.
Que disent les études ?
De nombreuses études ont cherché à valider la précision diagnostique du scanner de perfusion coronaire. Une étude a déjà rapporté que le fait de rajouter un temps d’étude de la perfusion au coroscanner seul permettait d’augmenter sa spécificité de 62 % à 84 % quant au diagnostic de la maladie coronaire stable. Une méta-analyse récente a également montré que la performance diagnostique du scanner de perfusion coronaire était semblable à celles des autres imageries non invasives que sont l’IRM de stress et le PET-scanner comparé au test de référence par FFR invasive, avec une sensibilité de 88 % et une spécificité de 80 %.
A quoi correspond la FFR-CT ?
Largement présentée au cours du congrès des dernières JESFC 2019, la FFR-CT est une technique utilisant des algorithmes de traitement du signal des images de coroscanner en lien avec la mécanique fluide afin d’analyser le flux coronaire. En effet, le principe serait de pouvoir évaluer le retentissement fonctionnel du passage du flux coronaire à travers la sténose en analysant les variations de densité au sein de la coronaire au fur et à mesure du passage du produit de contraste (Figure 3).
Rappelons que la FFR invasive traditionnelle consiste à comparer la pression en distalité d’une sténose par rapport à celle en amont au cours d’un état d’hyperhémie provoqué maximal. Plusieurs études ont alors cherché à comparer la FFR-CT non invasive du scanner coronaire à celle communément utilisée en salle de cathétérisme, avec des résultats semblant comparables. Le but étant de guider au mieux la revascularisation coronaire, en évitant d’être délétère et d’adresser le patient pour une lésion non responsable des symptômes en coronarographie. Cette méthode non invasive couplée au coroscanner doit permettre l’obtention de données concernant tout l’arbre vasculaire, sans avoir eu à insérer un guide de pression !
Cependant, la véritable limite de cette technique est que son principe physique reste très opaque.
En effet, ce concept a été développé par la société américaine HeartFlow® qui se propose pour plusieurs centaines de dollars par patient de réaliser votre analyse en post-traitement des images. Cette société qui a pour le moment le monopole complet sur la technique se refuse à communiquer sur sa « boîte noire mathématique » lui permettant de faire ces calculs de mécanique des flux…
Enfin, cette nouvelle technique fonctionnelle en cours de validation fait l’objet d’une étude en cours (étude PERFECTION) la comparant aux performances du scanner de perfusion lui-même.
Figure 3 : Exemple de l’apport de la FFR-CT chez un patient de 66 ans multi-vasculaire
A : Coroscanner : plaque mixte avec calcification au niveau de l’IVA moyenne d’allure serrée
B : FFR-CT : sténose considérée comme non significative après FFR-CT avec ratio 0.91 (> 0.80)
C : FFR invasive : sténose non significative après coronarographie avec ratio 0.89 (> 0.80) (D’après Zhonghua Sun and collegues, Quant Imaging Med Surg. 2014 Oct; 4(5): 376–396). IMAGERIE CARDIAQUE
CONCLUSION : « Le Scanner coronaire : véritable tout en un ? »
Si on se résume, le scanner de perfusion 320 barrettes en cours de validation, permettrait d’offrir de façon non invasive en moins de 20 minutes :
- Mesure du score calcique coronaire si besoin.
- Évaluation morphologique du degré de sténose (avec résolution spatiale excellente).
- Recherche d’une éventuelle anomalie de naissance coronaire (non évaluable en IRM ou scintigraphie et pas toujours facile à appréhender en coronarographie).
- Détection d’une ischémie myocardique au stress au niveau du myocarde (comme le fait actuellement l’IRM ou la scintigraphie mais sur des durées d’examen bien plus importantes).
- Mesure de la FFR-CT permettant une évaluation fonctionnelle locale de la sténose (selon le même principe que la mesure de FFR invasive en coronarographie).
- Détection de zones d’infarctus myocardique, voire la possibilité d’évaluer le degré de viabilité myocardique par mesure de la transmuralité (avec détection d’un rehaussement tardif d’iode, notamment en double énergie, selon le même principe que celui de l’IRM).
L’objectif de cette approche multi-paramétrique (en cours de validation) serait de pouvoir proposer un examen le plus sensible et spécifique possible pour la détection de la maladie coronaire. Ainsi, au vu de ces avancées dans le domaine de l’imagerie non invasive, on peut se demander si la coronarographie telle qu’on l’appréhende actuellement, ne se limitera pas uniquement aux gestes thérapeutiques d’angioplastie coronaire ou de remplacement valvulaire…
Références
- Douglas PS, et al. PROMISE Investigators. Outcomes of anatomical versus functional testing for coronary artery disease. N Engl J Med. ;372:1291–300 (2015).
- SCOT-HEART investigators CT coronary angiography in patients with suspected angina due to coronary heart disease (SCOT-HEART): an open-label, parallel-group, multicentre trial. Lancet. ;385:2383–91 (2015).
- Jungmann F, et al. Multidetector Computed Tomography Angiography (MD-CTA) of Coronary Artery Bypass Grafts - Update 2017. ROFO. Fortschr. Geb. Rontgenstr. Nuklearmed. 190, 237–249 (2018).
- McGraw S, et al. Feasibility of ultra low-dose coronary computed tomography angiography. Indian Heart J. 70, 443–445 (2018).
- Schmermund A, et al. Coronary computed tomography angiography: a method coming of age. Clin. Res. Cardiol. Off. J. Ger. Card. Soc. (2018). doi:10.1007/s00392-018-1320-5.
- Piepoli M, et al. 2016 European Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice: The Sixth Joint Task Force of the European Society of Cardiology and Other Societies on Cardiovascular Disease Prevention in Clinical Practice. Developed with the special contribution of the European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Eur. Heart J. 37, 2315–2381 (2016).
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°7
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