Retour sur la 5ème journée des IFMK (Marseille)

Publié le 27 May 2022 à 14:46

Place de l’éthique dans le domaine de la santé

Etymologiquement, les mots français « éthique » et « morale » sont respectivement issus du terme grec « ethos » et du terme latin « mores ». En grec, « ethos » désigne tout d’abord « le lieu du séjour habituel, l’habitat, le foyer, la demeure ». Puis, son sens s’élargit au concept d’habitudes. Il s’agit des habitudes sociales, des coutumes. C’est ce sens que reprend le mot latin « mores », c’est-à-dire les « mœurs ».

Initialement, les termes d‘éthique et de morale ont une signification identique. Aujourd’hui, ils représentent deux notions sensiblement distinctes

Schématiquement :

  • La morale représente un ensemble de règles de bonnes mœurs, règles qui précisent ce qu’il faut ou ne faut pas faire, ce qui doit ou ne doit pas être agit dans les faits. La morale concerne le « monde des faits » sous la forme d’un conflit de devoirs.
  • L’éthique est plutôt un questionnement sur les valeurs qui sous-tendent l’action, une réflexion sur les habitudes à contracter pour rendre un « espace » habitable. L’éthique concerne le « monde des idées » sous la forme d’un conflit de valeurs.

L’éthique surgit dans les interstices des règles morales, lorsque deux règles morales de pertinence équivalente semblent en contradiction ; elle affronte les dilemmes par le biais d’un questionnement. Ainsi lorsque le code de déontologie médicale indique dans son article 37 : « en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique », il ne dit pas où commence l’obstination déraisonnable.

L’éthique se saisit de cette question pour élaborer une réflexion autour de la mise en tension entre ces deux principes : la règle du respect de la vie et la règle du respect de la qualité de la vie.

Autre exemple, la situation où le professionnel de santé doit informer le patient qu’il est atteint d’une maladie grave, potentiellement mortelle, un cancer par exemple. Première règle morale, il faut dire la vérité, ne pas mentir. Deuxième règle morale, il ne faut pas nuire, ne pas infliger de souffrances inutiles. Comment sortir de ce dilemme ? L’éthique, comme pensée qui médite, rumination, mise en forme d’un questionnement peut y aider en prenant en compte la singularité de chaque situation.

C’est un peu ce que formulent les rédacteurs du Comité Consultatif National d’Ethique dans l’avis n° 63, du 27 janvier 2000, à propos de « fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » : « le dilemme est luimême source d’éthique; l’éthique naît et vit moins de certitudes péremptoires que de tensions et du refus de clore de façon définitive des questions dont le caractère récurrent et lancinant exprime un aspect fondamental de la condition humaine ».

C’est dans la deuxième moitié du XXème siècle que semble s’affirmer, de façon de plus en plus évidente, la référence à l’éthique dans le champ médical.

La recherche biomédicale
La prise de conscience d’un nécessaire recours à l’éthique, dans le domaine de la recherche biomédicale, trouve sans doute sa source dans le terrible choc que fut la découverte des crimes nazis perpétrés entre 1934 et 1945 et de leur ampleur en matière d’eugénisme, de biologie raciale et d’expérimentation sur les êtres humains. Cette politique a été menée, dans les camps de concentration, par des médecins au service du régime d’Hitler, qui usaient de méthodes barbares, sous couvert de progrès scientifiques. Ces médecins criminels furent jugés au cours du procès de Nuremberg.

Les premières règles de protection des personnes se prêtant à des recherches, notamment l’obligation de recueillir le consentement, furent édictées dans le code de Nuremberg en 1947.

En France, en 1988, la Loi Huriet-Sérusclat inscrit dans le corpus juridique les règles pour la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales et institue les CPP (Comité de Protection des Personnes).

La bioéthique
La bioéthique se définit, selon le dictionnaire de la pensée médicale, comme un « espace public de débat, spécifiquement éthique, qui porte sur l’orientation de la recherche biomédicale et des pratiques médicales qui lui sont associées ». Le terme de « Bioéthique » est né aux USA dans les années 1970 à la suite de plusieurs scandales en matière de recherche biomédicale. Il apparut alors qu’une réflexion devait être menée, autour du développement de la science et des biotechnologies, dans le domaine de la santé. Ce sujet grave ne pouvait être laissé à la seule appréciation des médecins et des chercheurs. D’emblée, face à la complexité des problèmes posés, une approche pluridisciplinaire fut préconisée. Des éclairages multiples semblaient indispensables, expertise scientifique et médicale, mais aussi analyses issues des sciences humaines et sociales, du droit ou des grands courants religieux, et enfin regards attentifs des citoyens.

De plus, la bioéthique se doit d’entretenir d’étroits rapports avec la politique et avec le droit, pour que les fruits de ce débat puissent être pris en compte par la collectivité en s’incarnant, en particulier, dans des mesures législatives ou réglementaires.

En France comme ailleurs, les progrès de la médecine et le développement des biotechnologies (greffes d’organes, techniques de réanimation, aide médicale à la procréation, recours à la génétique moléculaire) ont rendu nécessaire l’émergence d’un débat en matière de bioéthique (encore appelée éthique biomédicale). Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a été créé, en 1983, par décret présidentiel, dans cet objectif. La mission de cet organisme y est ainsi décrite : « donner son avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, que ces problèmes concernent l’homme, des groupes sociaux ou la société toute entière ».

Le CCNE peut être saisi, par les autorités politiques ou administratives, les professionnels de la santé ou les usagers par le biais des associations, sur une problématique d’ordre éthique. Lorsque la question est recevable, le CCNE rédige un Avis selon le modèle d’une éthique de la discussion. L’approche est pluridisciplinaire, chaque opinion peut s’exprimer, un consensus est recherché même s’il n’est pas obligatoire. L’avis produit n’est que consultatif mais, de fait et au regard de l’autorité du CCNE, il a un impact social et parfois législatif.

L’éthique du soin
Un nouveau type de réflexion éthique est en train de s’organiser, l’éthique du soin ou éthique des pratiques de soin.

Elle est née d’exigences nouvelles, liées à la transformation de la relation de soin, et bien analysées dans l’avis 84 du CCNE sur « la formation à l’éthique médicale » à propos du rapport Cordier (« Ethique et professions de santé remis au Ministre de la Santé en 2003 »).

Plusieurs éléments concernant l’évolution de la médecine et de la relation de soin y sont relevés :

  • Une médecine de plus en plus spécialisée, médecine d’organe qui confronte le patient à de multiples interlocuteurs et peut lui donner un sentiment d’isolement et de morcellement.
  • Une médecine de plus en plus technique, médecine qui interpose des machines entre soignant et soigné leur donnant l’impression d’une oppressante déshumanisation.
  • Une médecine que les patients souhaitent se réapproprier en revendiquant leur place dans la démarche de soin, notamment par le biais des associations.
  • Une médecine au sein de laquelle la relation de soin apparaît de plus en plus encadrée par toutes sortes de codes, de règlements ou de lois…
  • Une médecine de plus en plus soumise à des contingences financières qui créent des tensions entre le bénéfice individuel et l’intérêt collectif.

Aussi pour aborder ces changements, l’éthique du soin permet un questionnement sur les valeurs de la pratique clinique et sur le sens de la démarche de soin face au sujet malade. Alain Cordier nous dit, dans son rapport : « Il faut entendre dans cette expression une exigence radicale de profondeur, précisément le questionnement premier né de la présence d’autrui : interpellation, interrogation critique, in-quiétude ».

Au-delà de cette réflexion sur les valeurs, l’exploration des enjeux éthiques peut également intervenir dans les démarches d’aide à la décision. C’est ce que certains appellent « éthique clinique », d’autres préférant le terme plus précis de « casuistique » ou « étude de cas ». Dans les établissements de soin, les professionnels de la santé, confrontés à toutes sortes de situations singulières, sont parfois aux prises avec des décisions éthiquement difficiles.

L’approche éthique permet de proposer une aide méthodologique par l’apport de compétences pluridisciplinaires et de ressources documentaires dans le but d’éclairer la décision. Jouant un rôle de tiers vis-à-vis de l’équipe soignante, ces personnes, extérieures au service, formées au questionnement éthique, peuvent faire émerger d’autres points de vue utiles pour dénouer des situations complexes.

Pour permettre à la démarche de réflexion éthique de se déployer au plus près des professionnels de la santé, deux axes normatifs se sont mis en place dans les années 2000 :

  • La loi de bioéthique dans sa version d’août 2004, puis lors de sa révision en juillet 2011, prévoit la création d’Espaces de réflexion éthique régionaux ou interrégionaux comme lieux de formation, de documentation, de rencontre et d’échanges interdisciplinaires sur les questions d’éthique dans le domaine de la santé.
  • La démarche de certification à laquelle sont soumis l’ensemble des établissements dans le champ sanitaire introduit un critère d’évaluation ayant trait à la démarche éthique (critère 1C). Il s’agit, en particulier, de permettre aux professionnels d’avoir accès à des ressources en matière d’éthique (structure de réflexion ou d’aide à la décision, documentation, formations, etc.) et de prendre en compte la dimension éthique dans le projet d’établissement.

Pour conclure, il est important de retenir qu’une éthique au service de la personne devrait avant tout se déployer en tant que disposition aux questionnements, de façon à élaborer une pensée qui, partant des cas particuliers rencontrés au quotidien, se réfèrerait aux principes généraux, pour revenir ensuite vers la pratique.

Dernière question à méditer. Une telle vision de l’éthique, plus réflexive que normative, est-elle aujourd’hui favorisée ou bien plutôt menacée par la multiplication des structures et des recommandations ?

Dr Perrine MALZAC
Praticien Hospitalier en génétique

Coordonnatrice de l’Espace Ethique Méditerranéen
ADES UMR 7268. AMU-EFS-CNRS

              Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°5

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Publié le 1653655592000