Les 16èmes Journées Nationales de la Société Francophone d'Onco-Gériatrie (SoFOG) se sont déroulées les 17 et 18 décembre 2020 à la Cité Mondiale à Bordeaux. En raison de l’épidémie de COVID-19, l’évènement a été réalisé en 100 % digital. Ce congrès annuel permet de réunir médecins, paramédicaux, chercheurs et étudiants qui échangent autour de présentations orales et de posters scientifiques sur la thématique onco-gériatrique. Parmi les principales actualités, le thème des toxicités des nouveaux traitements en oncologie notamment des immunothérapies a été abordé. Cette année, un focus a également été fait sur la place des infirmières dans le parcours de soins des patients
Qu’est-ce que la SOFOG ?
« Il s’agit d’une réflexion multidisciplinaire et multi-catégorielle (gériatres, cancérologues, spécialistes d’organes, infirmières, diététiciennes, psychologues, et travailleurs sociaux) autour de la prise en charge du patient âgé atteint d’un cancer pour tout ce qui concerne l’annonce du diagnostic, et du Plan Personnalisé de Soins, la recherche clinique académique des groupes de travail existants et des sociétés savantes pour les malades âgés atteints de cancer, la formation des professionnels de santé en onco-gériatrie, l’information du grand public et les relations avec les autorités institutionnelles sanitaires ».
Le nombre de nouveaux cas de cancers en France en 2020 représente plus de 380 000 personnes dont près de 60 % chez les patients de plus de 65 ans. Ce constat conduit à s’impliquer davantage dans l’optimisation de la prise en charge en améliorant la qualité de vie, l’efficience et l’équité du système de santé. Le contexte économique en France en 2017 montre que les dépenses d’assurance maladie pour la prise en charge des cancers représentent plus de 15 milliards d’euros, avec une dépense totale plus importante que pour les maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives, d’autant plus que l'âge augmente. Selon des données américaines, le coût de vie reste pourtant plus élevé au cours de la phase initiale et à la dernière année de vie, en comparaison à la phase continue. L’impact des déterminants socio-économiques (bas niveau de revenus, faible niveau d’éducation, etc.) et sociodémographiques (statut marital, sexe masculin, âge > 70 ans) sur l’accès aux soins corrélés aux coûts informels, notamment des aidants, doivent faire repenser les stratégies de santé en direction des personnes atteintes de cancers.
Toxicités des immunothérapies
Les immunothérapies sont désormais les pierres angulaires des traitements de certains cancers. Elles sont utilisées seules ou en association avec d’autres traitements. Les toxicités peuvent toucher l’ensemble des organes, elles sont souvent peu graves mais peuvent aller jusqu’à des grades 3 à 4 de toxicité (cf. tableau).
Grade Grade Sévérité Prise en charge de l’effet secondaire Conséquence sur l’immunothérapie 1 Asymptomatique ou symptômes légers Traitement symptomatiquede l’effet et/ou surveillance Poursuite de l’immunothérapie 2 Modéré, interférant avec les actes de la
vie quotidienne (AVQ) Traitement minimal, local
ou non invasif Mise en suspens de l’immunothérapie
jusqu’au retour de grade 1 3 Sévère ou médicalement significatif,
sans mise en danger du pronostic vital,
interfère avec les AVQ Hospitalisation pour traitement
intraveineux Arrêt de l’immunothérapie,
reprise possible dans des situations
particulières 4 Pronostic vital engagé Prise en charge immédiate
hospitalière pour traitement
intraveineux Arrêt définitif du traitement 5 Décès
Un exemple d’effet indésirable grave est la survenue de colite immuno-médiée ou encore de syndrome de Lyell sous anti CTLA4. Les traitements en association semblent engendrer plus de toxicité grave.
Le profil de toxicité est très différent en fonction de la molécule. Les cytokines ont une toxicité de type syndrome grippal. Les anticorps monoclonaux ont plutôt une toxicité de type immuno-allergique avec par exemple des réactions cutanées. Les anticorps conjugués ont un profil de chimiotoxicité. Les inhibiteurs des points de contrôle ont des effets auto-immuns. De nouvelles thérapies continuent à émerger comme les T cells engagers et les CAR-T Cells qui peuvent donner des syndromes de relargage cytokinique parfois bruyants se manifestant par de la fièvre, de l’hypotension, des détresses respiratoires, des toxicités neurologiques et digestives médiées par les cytokines.
• Des dispositifs visant à détecter, comprendre et gérer ces toxicités
De nombreux hôpitaux développent des dispositifs pour la gestion des effets indésirables des immunothérapies. Ces effets indésirables sont immuno-médiés.
Le Dr Mathilde Berger, dermatologue aux Hospices Civils de Lyon, a présenté le dispositif IMMUCARE qui a été développé aux Hospices Civils de Lyon avec pour but la gestion des toxicités sous immunothérapie. Il est composé d’outils à destination des professionnels de santé et des patients.
Pour les soignants ont été développés : une Hotline pour les avis urgents, une Télé-expertise (par mail) pour les avis semis-urgents, 2 Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) de recours par mois. Un réseau a ainsi été créé avec des spécialistes d’organes. Les patients eux bénéficient d’un télé-suivi personnalisé (questionnaire par mail, prise en charge en fonction des symptômes déclarés) et d’un accès aux programmes de recherche.
Le Dr Capucine BALDINI, oncologue à l’Institut Gustave Roussy a présenté le fonctionnement de la RCP iTox qui discute des dossiers des patients sous immunothérapie. Quatre spécialités d’organes représentent 65 % des avis auprès de la RCP Immunotox : on retrouve principalement des toxicités pulmonaires, hépato-digestives, musculo-squelettiques et neurologiques. La plupart des toxicités surviennent environ 10 semaines après l’introduction du traitement. En général, plus les effets surviennent tard moins ils sont graves. Des diabètes immuno-médiés arrivent jusqu’à 6 mois à un an après l’arrêt du traitement. Un tiers des demandes des dossiers présentés en RCP iTox questionnent la possibilité ou non de reprendre une immunothérapie lorsque le patient a déclaré un évènement indésirable mais que le traitement a apporté un bénéfice. Quatre études rétrospectives ont été menées dont l’une montrant qu’en cas de rechallenge de l’immunothérapie, 50 % des patients vont présenter à nouveau un effet Indésirable immuno-médié mais la plupart du temps moins important. En général, on peut reprendre l’immunothérapie sauf en cas d’effet indésirable grave. En cas d’effet indésirable immuno-médié, les corticoïdes sont rapidement efficaces et doivent être débutés sans délai dans les formes sévères. Ils ne sont pas censés diminuer la réponse anti-tumorale. La dose est différente selon le type de toxicité (0,2 mg/kg pour les arthralgies, 0,7 mg/kg pour les pneumopathies, 1 mg/kg pour les colites).
Le traitement par immunothérapie chez le patient âgé présente plusieurs spécificités :
- Une prévention et une éducation thérapeutique accrue : il faut informer le patient et son aidant et dépister la fragilité ;
- Une anticipation : elle se fait via la consultation oncogériatrique puis le suivi ;
- Une détection des effets indésirables : ils peuvent être assez frustres chez le patient âgé, par exemple la survenue d’un syndrome confusionnel doit mener à un bilan exhaustif des toxicités. Il faut penser à décroître la corticothérapie sans attendre ;
- Un suivi rapproché et un traitement adapté.
Les toxicités chez la personne âgée varient en fonction du traitement. Par exemple, il semble qu’il y ait plus de toxicité de haut grade chez le sujet âgé sous pembrolizumab dans les cancers bronchiques. A contrario les données en vie réelle en Italie concernant le nivolumab sont plutôt rassurantes chez le sujet âgé, ils ne présentent pas plus de toxicité de haut grade.
Élise MUNIER, Infirmière de coordination au sein de l’oncopôle de Toulouse a détaillé le suivi à domicile par les infirmières des patients sous thérapies ciblées orales. Ce dispositif est intitulé COACH. Quatre infirmières temps plein y participent. Le programme comporte : une proposition d’adhésion au dispositif par le médecin, une consultation d’adhésion par une infirmière « COACH », puis des consultations téléphoniques associées à un e-suivi. Les entretiens comportent un recueil des données générales (médicales et du mode de vie), la surveillance des bilans biologiques et des constantes, une analyse des effets secondaires avec grading, utilisation d’arbres décisionnels (élaborés par les médecins référents) et avis éventuel auprès de l’oncologue. Des comptes rendus informatisés sont rédigés pour chaque entretien. Une ordonnance type est délivrée au patient au début de la prise en charge afin d’anticiper et prévenir les principaux effets indésirables (syndrome main-pied, mucite, nausées/ vomissements, troubles du transit).
Une fiche d’information sur le médicament est également remise à cette occasion avec des indications sur les interactions médicamenteuses notamment avec la phytothérapie.
Ces dispositifs permettent d’harmoniser les pratiques, de créer des référentiels par spécialité, de développer une expertise collective, de participer à la formation médicale continue, d’assurer un suivi par la pharmacovigilance et de produire des données pour la recherche.
- Focus sur les effets indésirables rénaux, rhumatologiques et endocriniens
Le Pr Rainfray, gériatre au CHU de Bordeaux, nous a présenté la toxicité rénale des inhibiteurs des points de contrôle immunitaire. L’incidence de l’insuffisance rénale aiguë est faible dans les essais cliniques mais augmente au-delà de 65 ans. Il s’agit dans plus de 9 cas sur 10 d’une néphropathie tubulo-interstitielle. Il arrive de devoir dialyser les patients en cas d’anurie dans les tableaux de nécrose tubulaire aiguë. Le taux de mortalité est faible. Les hommes sont 2 fois plus atteints que les femmes. Le traitement de cet effet indésirable consiste en une corticothérapie par prednisone 1mg/kg/j pour les grades 3 et 4 ou par solumedrol IV en cas de dialyse. La corticothérapie n’est efficace que si elle est démarrée tôt (et n’est plus utile une fois que le rein est fibrosé…).
Le Dr Marie KOSTINE, a mis en lumière les effets indésirables rhumatologiques qui sont parfois oubliés. Ces effets étant peu connus, les patients sont peu informés et un retard diagnostic est fréquent. Le fait de présenter des arthralgies ou des arthrites est associé à une meilleure réponse sous inhibiteurs des points de contrôle immunitaire. Ces effets surviennent surtout durant les 3 premiers mois de traitement. Les tableaux les plus fréquents sont des arthrites inflammatoires ou des ténosynovites (tableau similaire au syndrome du canal carpien) avec un bilan immunologique négatif. Le syndrome inflammatoire biologique est variable. Un psoriasis peut y être associé. En cas d’arthrite un traitement par prednisone 10 à 15 mg par jour peut être suffisant. A noter que la prednisone a une meilleure biodisponibilité que la prednisolone et permet une décroissance mg par mg. La réponse est rapide. Ensuite il faut réaliser une décroissance, parfois une faible dose doit être poursuivie jusqu’à l’arrêt de l’immunothérapie. Il ne faut pas oublier les mesures associées chez le sujet âgé : supplémenter en vitamine D, s’assurer des apports calciques, discuter un traitement à visée osseuse en cas de traitement prolongé.
En cas d’échec, il est possible d’utiliser le méthotrexate, l’hydroxychloroquine voire les anti-TNF ou les anti-IL6.
Le Dr Delphine DRUI, endocrinologue au CHU de Nantes, est revenue sur les effets indésirables endocriniens des immunothérapies. Un antécédent endocrinien n’est jamais une contre-indication à l’immunothérapie, néanmoins il faut parfois adapter le traitement substitutif. Il ne faut pas non plus arrêter l’immunothérapie en cas d’effet indésirable endocrinien si elle est efficace. En ce qui concerne les thyroïdites secondaires, si l’on effectue les dosages biologiques l’hypothyroïdie concerne jusqu’à 20 % des patients et l’hyperthyroïdie jusqu’à 11 %. Les dysthyroïdies peuvent survenir avec toutes les immunothérapies. Il faut donc doser la TSH et la T4 (car risque d’hypophysite) avant de débuter le traitement. Il faut redoser ces éléments à chaque cure pendant 6 mois puis tous les 2 mois pendant 6 mois puis si signe évocateur.
Acteurs du parcours de soins en onco-gériatrie
• Une place dédiée de l’infirmière dans la coordination…
La Loi santé de 2019 a permis le développement de la télésanté, regroupant les champs de la téléconsultation, télé-expertise et le télé soins. L’usage des applications numériques et mails favorisent le lien entre les structures professionnelles, permettant d’éviter certains aller-retours inutiles avec un coût de transport diminué. Les patients sont satisfaits de ce mode d’échanges avec une sécurité sur les soins à distance (via caméra). Mais une vigilance est requise quant à l’accès à une connexion et réseau sécurisés sous protocole de collaboration avec encadrement. En comparaison au Canada, l’organisation des soins onco‑g®¶riatriques en France a tardé à élargir le champ de ses compétences à d’autres professionnels de santé. Aujourd’hui, les infirmières se positionnent comme prépondérantes dans la coordination des soins à travers plusieurs exemples.
Au CHU de Nice, le Docteur BOULAHSSASS présente une plateforme numérique utilisée par son équipe paramédicale dans le management du parcours patient pour favoriser le lien ville-hôpital. Il s’agit d’une activité à part entière, de type case-manager, où des contacts téléphoniques réguliers sont réalisés par une infirmière. Elle déclare le suivi clinique des interventions spécifiques pour prédire et anticiper les complications lors du retour à domicile (vécu post-traitements, surveillance des effets indésirables, etc.)
Un autre exemple proposé par Mme NICODEME, infirmière de pratique avancée (IPA) a l’Institut Curie à Paris : la téléconsultation paramédicale est utilisée comme retour d’expérience dans le suivi des patientes présentant un cancer du sein stable sous hormonothérapie avec plaie et cicatrisation. Elle accentue son intervention en rappelant la place de chaque professionnel de santé, se définissant comme partenaire du médecin sans se substituer à celui-ci.
• L’apport du pharmacien hospitalier en bilan pluridisciplinaire mais pas que…
Les résultats d’une étude observationnelle rétrospective conduite au Centre Léon Bérard (Lyon) par le Docteur RUSSO ont été présentés. L'observance thérapeutique chez les personnes âgées atteintes de cancer peut être améliorée en favorisant l’adhésion à la prescription (initiation, observance et persistance de la prise de traitement). Pour cela il faut prendre en compte le traitement oncologique lors d’une consultation pharmaceutique, analyser la gestion du traitement à domicile (46 % d’automédication, 49 % utilisent un pilulier, 33 % ont recours en un aidant ou infirmière pour la gestion thérapeutique) et corriger les erreurs (34 % interactions médicamenteuses, 14 % non-conformités au référentiel, 11 % prescriptions inappropriées et 10 % effets indésirables).
Cependant, très peu d’études ont été réalisées et la majorité se sont focalisées sur « le poly médication » avec une approche quantitative. Peu ont étudié les facteurs déterminants psychologiques comme le suggère Mme FASSE, psychologue clinicienne, lors de son intervention.
Une présentation a ensuite portée sur l’appui méthodologique aux professionnels de santé dans la réalisation de projets visant à améliorer le suivi des patients atteints de cancer (notamment pour faciliter la communication avec les patients âgés porteurs de troubles neurocognitifs) à travers le projet ONCOPL. Il s’agit d’une pédagogie alternative proposée par le Docteur EMPEREUR du CHU de Nantes. Il propose une boite à outils construite par les intervenants selon leurs besoins avec un moyen de communication basé sur la réalisation de courts métrages (3 min) avec des fiches de débriefing sur le vécu, non caricatural d’une situation complexe. Citons l’exemple d’un aidant envahissant lors d’une consultation entre le chirurgien et le patient présentant des troubles neurocognitifs atteint d’un cancer colo-rectal.
• La préparation du retour à domicile, avec préhabilitation et réhabilitation en onco-gériatrie…
Le sujet âgé à risque de dépendance doit faire l’objet d’un accompagnement personnalisé et anticipé avec tous les professionnels. L’étude PROADAPT soutenue par le Professeur FALANDRY (Lyon) évalue la faisabilité et l’efficacité d’un programme individualisé de pré-habilitation et de préparation du retour à domicile avant et après une procédure médico-chirurgicale complexe.
Le Docteur ESTRADA de l’Hôpital Bretonneau (AP-HP), étudie la réduction de la morbi-mortalité et la durée de séjour par l’intervention de l’activité physique (kinésithérapie et moniteur d’activité physique adaptée), diététique et le suivi psychologique avec un programme personnalisé de soin à domicile avec soutien téléphonique hebdomadaire et des outils supports (livret et journal de bord, plaquettes d’infos).
Conclusion
La recherche expérimentale et interventionnelle en onco-gériatrie doit prendre en compte les cofacteurs extra-médicaux en intégrant les sciences humaines et sociales pour corréler les interventions et le contexte, notamment avec les théories explicatives avec la notion d’empowerment, aménagement de l’environnement, éducation sur le comportement, configuration spécifique dans l’offre de soins (stress des soignants) et place des aidants.
Les nouveautés thérapeutiques et leur accessibilité dans ce contexte de pandémie font revoir les modes d’exercices des professionnels de santé avec cette approche innovante
Dr Amélie BOINET
Interne en DES de Gériatrie
CHU de Lille
Dr Cyprien ARLAUD
Gériatre CH Claude Déjean à Villeneuve-de-Berg
Pour l’Association des Jeunes Gériatres
Références
http://www.congres-sofog.com/
https://sofog.org/
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°26
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