Retour de congrés : 18èmes journées nationales de la Société Française d’Onco-gériatrie

Publié le 09 Mar 2023 à 17:02

 

Les 18èmes journées de la SOFOG se sont déroulées à Lyon, pour la seconde fois de leur histoire, les 22-23 et 24 novembre 2022.

Ce congrès a réuni presque 500 participants en présentiel et en distanciel, ce qui est une source de satisfaction et de fierté pour les communautés oncologique et gériatrique.

Ces journées étaient centrées sur 2 thématiques chères à la région lyonnaise :
- Un domaine carcinologique sur les cancers gynécologiques.
- Un domaine gériatrique, la nutrition, un incontournable au sein de la cité de la gastronomie.

Ami(e) gériatre, comme nous le savez, le cancer est la 1ère cause de mortalité chez le sujet âgé. Le soin est amené à évoluer avec le développement d’une multidisciplinarité autour du sujet âgé atteint de cancer.

Différents intervenants seront amenés à travailler ensemble dans le projet de soins et le parcours de soins du patient âgé atteint de cancer (pharmacien, diététicien, enseignant en activité physique adaptée, infirmier de pratiques avancées (IPA). L’enjeu de l’onco-gériatrie est un enjeu de positionnement au travers de notre montée en compétence oncologique et en expertise gériatrique. C’est également et surtout un enjeu de parcours, réfléchir à une sécurisation de l’accès aux soins : accès au diagnostic du cancer (retard diagnostique dans la cadre du cancer colorectal), accès à la décision thérapeutique (sécuriser la qualité de la prise de décision, même si la décision est palliative) et accès à l’innovation thérapeutique.

Voici pêle-mêle les grands thèmes abordés au cours de ce congrès
- Parcours de soins de la femme âgée et cancers gynécologiques : diagnostic précoce, parcours de soins multidisciplinaire et coordonné, prise en charge nutritionnelle en onco-gériatrie avec l’exemple du cancer de l’ovaire.

- Prise en charge du cancer de l’endomètre : types moléculaires de l’endomètre et les techniques chirurgicales (état des lieux et innovation). Cancer avancé de l’endomètre : quelle prise en charge chez la patiente âgée ?

-Nutrition et alimentation : partages d’expériences.

- Inhibiteurs CDK4/6 dans la stratégie de prise en charge de la femme âgée atteinte de cancer du sein métastatique RH+ HER2- : 6 ans de recul.

-Surmortalité des patients âgés en oncologie : une fatalité ou une prise en charge à repenser ?

-Prise en charge des cancers de l’ovaire : prise en charge chirurgicale, traitements médicaux, coordination du parcours de soin.

- Optimisation thérapeutique de la patiente âgée atteinte de cancer (SFPO).

- Prise en charge des cancers du col, du vagin et de la vulve : point de vue du chirurgien et du radiothérapeute.

- Efficacité et gestion des inhibiteurs de PARP chez les parentes âgées atteintes de cancer de l’ovaire

- Dénutrition et alimentation : diagnostic de la dénutrition chez le sujet âgé, dénutrition et cancer, suivi motivationnel en renutrition incitative, gestion de la nutrition entérale et parentérale,

-Communications orales gériatriques et ontologiques en parallèle.

Cet article vous propose un retour sur les points forts du congrès.

Point fort 1 : Conférence introductive grand public concernant la nutrition Alimentation nutrition : comment garder le plaisir alimentaire malgré les traitements ?

Animateur : Pr Gilles Freyer, oncologue médical, Hospices Civils de Lyon.

IMAGYN, association de patientes atteintes de cancer gynécologiques créée en 2014.

Patients en réseau, association numérique créée en 2014, modérée par des patients experts : mon réseau cancer du sein, mon réseau cancer du poumon, mon réseau cancer gynéco, mon réseau cancer colo-rectal.

Christian Têtedoie, chef du restaurant Têtedoie, Lyon - figure de la gastronomie lyonnaise.

Didier Spiteri, directeur de la restauration au Centre anti-cancéreux Léon Bérard, Lyon.

Aux Hospices Civils de Lyon, la cellule qualité a recueilli les verbatim de patients en oncologie : la plainte est essentiellement centrée sur la nourriture et les repas (bien que le plateau-repas semble « mangeable » lors de nos gardes !).

La nourriture est importante pour l’être humain et encore plus pour l’être humain français. L’univers nutritionnel du malade âgé atteint de cancer et son rapport à la nourriture sont déjà profondément modifiés par la maladie (cf. encadré 1), alors voir arriver la nourriture dans des barquettes en plastique à l’hôpital suffit à majorer les nausées !

Alors qu’il existe bien souvent une perte de contrôle sur sa vie liée à la maladie grave et à la dépendance qui en découle, le contenu de l’assiette peut encore être à peu près contrôlé. Certains veulent exercer ce contrôle en se lançant dans des régimes à la mode comme le régime cétogène ou sans sucre. Ils sont présentés comme des traitements anticancéreux potentiels mais les niveaux de preuve scientifiques sont nuls.

Restons aussi vigilants quant à la consommation de soja et de pamplemousse chez nos patients qui peuvent influencer l’efficacité de certains traitements.

Focus 1 : Les répercussions du cancer sur l’état nutritionnel
- Manger devient plus difficile en raison des traitements.
- Avoir moins envie de cuisiner du fait de l’asthénie.
- Amaigrissement / perte de poids.
- Prise de poids (hormonothérapie, immunothérapie, corticothérapie).
-Se poser des questions sur certains régimes qui peuvent être très dangereux. Avoir un bon état nutritionnel est essentiel pour améliorer sa qualité de vie :
- Réduire les complications et les hospitalisations.
- Mieux supporter les traitements, notamment la chimiothérapie.
- Améliorer sa récupération fonctionnelle après une chirurgie carcinologique.
- Maintenir son indépendance et son autonomie, ainsi que son moral.

La prise en charge nutritionnelle fait partie intégrante des soins de support dans un programme personnalisé de soins avant, pendant et après le traitement spécifique. Ainsi, quelques mesures s’imposent (focus 2) !

Focus 2 : Les « luttes nutritionnelles »


Ces mesures ont bien évidemment l’objectif de lutter contre la dénutrition, véritable fléau en onco-gériatrie et même en oncologie générale… Tous cancers confondus, la dénutrition touche environ 40 % des patients.

Elle va plus vite chez le sujet âgé et elle est beaucoup plus délétère que chez le sujet jeune.

C’est un motif d’arrêt des traitements.

Le sujet âgé est parfois isolé et l’aidant principal est alors primordial.

Les effets indésirables des traitements perturbent le plaisir et l’envie de se nourrir : nausées/vomissements, agueusie, goût métallique (viande rouge), aphtes/mucite, sécheresse buccale, diarrhée/constipation. Il existe également d’autres causes qui perturbent le plaisir et l’envie de se nourrir : la dépression à l’annonce initiale de la maladie ou à la progression, une fatigue intense, des douleurs entraînant une diminution de l’activité physique.

Il est fondamental de ne pas culpabiliser les patients qui ne réussissent pas à reprendre du poids malgré leurs efforts. Ces derniers expriment le ressenti d’une pression / maladresse sociale « il faut que tu manges ! » « Ce n’est pas en mangeant aussi peu que tu vas guérir ».

Pour les aider, on peut leur donner quelques astuces et parades pour contrer ces facteurs « perturbateurs de plaisir » :
-Augmenter la production de salive : sucer glaçons ou bonbons, mâcher du chewing-gum.
-Manger tout froid en cas d’aphtes.
-Fractionner l’alimentation et grignoter toutes les 2 heures.
- Cuisiner plusieurs repas les jours sans nausées et les congeler pour les jours avec nausées.
- Favoriser des moments de convivialité avec maintien d’un lien social : se mettre à table, importance des couleurs dans l’assiette et de la  présentation, ne pas manger seul.
-Ne pas hésiter à se faire aider quand cela est possible : solliciter l’entourage pour faire les courses et préparer les repas.

- Déculpabiliser : ne pas se priver, ne pas se restreindre.

La malbouffe dans les hôpitaux n’est pas une fatalité comme en témoigne la collaboration entre le chef Têtedoie et le Centre de Lutte Contre le Cancer Léon Bérard. Depuis 4 ans, leur travail consiste en : une révision de la grille des menus, des interviews de patientes avec cancer du sein pour être au plus près de leurs besoins, la création d’atelier de cuisine pour expliquer comment adapter l’alimentation à la maison (1 recette déclinée en 3 versions), la création de bocaux stérilisés pour laisser aux patients le choix de l’heure du repas en Hôpital De Jour, l'acquisition d’un chariot itinérant réfrigéré. Depuis quelques mois, en Unité de Soins Palliatifs, ils ont pu mettre en place de l’eau gélifiée aromatisée et des mini-plats de 30 grammes pour accompagner les gens jusqu’au bout de leur vie avec une « alimentation plaisir ».

La conclusion du chef est de faire de la vraie cuisine, de la cuisine simple / classique / traditionnelle « comme à la maison ».

Chaque personne a un rapport intime avec la nourriture et il faut le conserver.

ll faut dire et répéter à nos patients de se faire confiance pour retrouver le « goût ». Le sens du mot « goût » prend ici toutes ses valeurs : le goût comme le plaisir, l’appétence et l’élan (le goût de vivre) mais aussi dans un certain sens de l’esthétique (avoir bon goût).

Point fort 2 : « Nutrition et alimentation : Partages d’expériences » Rôle des 5 sens dans le plaisir de manger en onco-gériatrie

Dr Agnès Giboreau, directrice de recherche à l’Institut Paul Bocuse à Lyon.

Le contexte environnemental et social est très important : le lieu (espace/bruit/température), le dressage de la table, le choix de la vaisselle et des couverts et la présentation de la nourriture dans l’assiette (l’audience salivait à la vue d’un poivron farci, même si on n’aime pas le poivron !). Il ne faut pas hésiter à enrichir le goût.

Ce dernier fait appel à la gustation mais aussi à l’olfaction et implique les terminaisons nerveuses du nerf trijumeau.

Plus on aime, plus on mange !

Projet CaNuT (Cancer, Nutrition et goûT)
Mélanie Roche, chargée d’études cliniques, Hospices Civils de Lyon Gauthier Wonner, chef de projet Recherche et Développement, Institut Paul Bocuse, Lyon 30 à 50 % des patients sont dénutris et la dénutrition augmente la mortalité, les complications post-opératoires, les toxicités de la chimiothérapie, la durée et la fréquence des hospitalisations.

Ce projet est à destination des patients sous chimiothérapie avec des perturbations sensorielles (hypo ou hyper-accentuées) qui altèrent la qualité de vie alimentaire.

Ce projet a permis aux chefs de recherche et chefs cuisiniers de trouver des solutions culinaires adaptées aux spécificités sensorielles liées a  l'âge ou au cancer. Trois profils sont disponibles : norme-sensible (recette référence) ; hypersensible (recette adoucie) ; hyposensible (recette accentuée) + dénutrition (recette enrichie). À vos agendas : le guide CaNuT sortira à l’Automne 2023 !

Voici un exemple d’entrée une « Salade au céleri et à l’orange ».

Point de vue du médecin nutritionniste
Dr B Raynard, gastro-entérologue, IGR, Villejuif
On se répète mais c’est tellement essentiel : la dénutrition est prépondérante en oncologie : 25 % au diagnostic, 40 % en situation curative, 70 % en situation palliative. Et elle entraîne une augmentation des complications post-opératoires, des toxicités de grade 3 et 4 de la chimiothérapie, des interruptions de traitement et une augmentation de la mortalité globale. La dénutrition est majorée de 10 à 15 % après 70 ans.

Heureusement, la dénutrition est réversible grâce à une prise en charge précoce, intensive et multimodale.

Toute perte de poids est délétère : l’objectif principal est de ne pas perdre du poids et donc ne pas perdre de masse musculaire. Il faut convaincre les patients de ne pas faire de régime car il diminue les ingesta calorique et protéique et augmente donc le risque de sarcopénie. La restriction alimentaire induit un risque de carence en micro-nutriment et une lassitude alimentaire. À l’opposé, il faut éviter le forcing alimentaire « il faut manger » : ça ne marche pas chez les enfants, ça ne marche pas davantage chez les patients âgés atteints de cancer. Le forcing aggrave l’absence de plaisir à manger l’aliment et perdure, pouvant même conduire à un dégout alimentaire à moyen terme.

En conclusion, nous citerons la dernière diapositive de la session qui résume bien les messages clés à retenir :
- La prise en charge diététique et nutritionnelle durant les traitements anti-cancéreux impose un changement de paradigme : STOP aux interdits !
- La prise en compte des croyances et idées reçues est importante !
- Le conseil diététique est individualisé, précoce et régulier.
- La prise en charge nutritionnelles s’intègre dans une logique multimodale.
- La prévention ou la limitation de la sarcopénie en est l’objectif principal.
- La nutrition artificielle est un outil de prise en charge, pas un but en soi !

Nous vous donnons rendez-vous à Marseille en décembre 2023 pour le 19ème congrès de la SoFOG !!!

Venez nombreux !

Gériatriquement vôtre.

Dr Marie VALERO
Co-présidente du groupe « Jeunes » de la Société Française d’Oncogériatrie

Praticien Hospitalier en Gériatrie, Institut du Vieillissement, Hospices Civils de Lyon
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°32

 

 

 

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