Après un accident, avant tout contentieux dès que vous en pressentez le risque, rédigez un projet de rapport circonstancié. Il doit relater les événements successifs sans subjectivité.
Peu de spécialités médicales sont aussi confrontées à la mise en jeu de leur responsabilité que la gynécologie obstétrique. Tant que l'accouchement a été dangereux et son issue incertaine, l'accoucheur bénéficiait d'une quasi-immunité. Depuis que la médecine a progressé, permettant une régression de la mortalité maternelle et de la morbi-mortalité néonatale, toute grossesse doit être un enchantement, toute naissance difficile est suspecte. Cette évolution des mentalités s’est faite en cinquante ans et nous n'avons pas su tirer toutes les leçons de cette mesaventure collective. Nous nous prêtons dans cet article à l'exercice de dégager 10 déterminants à bien connaître pour nous préparer à ces jours où nous y serons confrontés.
1 - L'information des patients
En cas de sinistre, une insuffisance d'information de la patiente est souvent reprochée. Depuis la loi Kouchner de 2002, nous ne prenons plus en charge chaque patiente selon ce que nous estimons bon pour elle. C'est la patiente qui est juge de ses intérêts médicaux. C'est à elle d'accepter ou de refuser les soins que nous lui détaillons.
Nous sommes donc jugés pour la qualité du partage d'information par notre conversation avec la patiente : son état, les chances et les risques des solutions médicales, à chaque étape. Nous devons rédiger l'équivalent d'un procès-verbal de chacun des entretiens : nos informations, ses réponses, le délai qui lui est laissé pour qu'elle se décide librement. Le courrier au médecin ou la note remise à la patiente sont les meilleurs supports pour prouver la qualité de l'information auquel le patient à toujours droit.
En cas de sinistre, une insuffisance d'information de la patiente est souvent reprochée.
2 - La défense active
Si vos soins peuvent déboucher sur un contentieux, ne faites pas le dos rond en espérant que la providence vous épargnera d'un jugement douloureux voire infamant. Le contentieux est un défi auquel nous devons nous confronter en fourbissant nos arguments et en respectant la scénographie. Dans l'information que vous devez à votre patiente après le constat de complications, montrez de la lucidité et du professionnalisme mais aucune repentance sur ce que vous avez fait ou pas fait. Surtout ne présentez pas d'excuses qui sont un aveu de faute. Votre réponse doit être votre contrariété et votre compassion pour l'état de la patiente. Mais vous n'atténuerez rien par l'expression de sentiments sur vous-même ou votre équipe.
• Dans toutes les situations médicales qui pourraient conduire à un contentieux, faites une copie du dossier médical et infirmier toutes les pièces incluses surtout sans rien en changer. Mettez tout cela en lieu sûr et sur plusieurs supports dont un PDF. Si quelqu'un le perdait au cours de manipulations à venir, vous auriez cette copie pour vous défendre.
• Après un accident, avant tout contentieux dès que vous en pressentez le risque, rédigez un projet de rapport circonstancié. Il doit relater les événements successifs dans un style télégraphique sans subjectivité. Il doit prouver que vous êtes rationnel et respectueux des règles : Une date-heure, un fait, l'explication qui s'impose la plus sobre possible.
• Lorsque vous en venez à votre attitude qui pourrait être critiquée, ne vous fondez pas sur votre seule culture et votre expérience, retrouvez à tout prix les références médicales qui au contraire les justifient objectivement. Un article de revue de dossiers de la complication concernée sera essentiel pour l'expert mais constituera avant, un support lors de l'entretien d'explication que vous devez à votre patiente.
• Si l'accident concerne toute l'équipe de soins, provoquez très tôt une réunion de toute l'équipe avec la direction.
Les arguments de ce support bibliographique vous aideront. C'est un rapport circonstancié d'équipe que vous devez établir et faire signer par tous les participants, signature qui au moins atteste de leur présence. Ce n'est pas la démarche qualité d'une RMM. Confrontez vos points de vue sur l'enchaînement des faits et des données d'examen dans la sobriété pour sortir un document de synthèse. Si malheureusement le rapport ne peut pas être consensuel, mentionnez les différences. L'équipe l'explicite et l'assume. C'est bien plus facile d'accorder vos visions du déroulement des événements et préparer vos arguments face aux contradictions avant d'être sous la pression du contentieux.
* Gynécologue obstétricien, Trésorier du Syngof et expert Gynerisq
3 - La déclaration de sinistre
à l'assureur doit intervenir obligatoirement au moment de l'ouverture du contentieux par la patiente. C’est-à-dire lorsque vous êtes assigné ou lorsque vous recevez de l'ONIAM l'information du début de la procédure. Pour une conciliation au Conseil de l'Ordre, ce n'est pas obligatoire puisqu'il n'y a pas encore de demande d'indemnisation. Mais il n'y a que des avantages à prendre les devants pour envisager les conditions de la défense avec un expert que l'assureur peut financer dès que le contentieux est prévisible. Vous pouvez d'emblée le demander et en apprécier la qualité.
C'est le moment de remettre à l'assureur le rapport circonstancié qu'il est bon de faire relire par un confrère rompu à cet exercice qui contrôlera la logique des attitudes et l'absence de subjectivité. Le syndicat peut vous y aider.
4 - La prime
La confiance avec l'assureur est la règle lors de la défense d'un dossier alors que dans la discussion de la prime d'assurance il faut savoir négocier, éventuellement avec l'aide du syndicat. Chaque fois qu'un professionnel de soins souscrit une assurance en responsabilité c'est pour couvrir les indemnisations d'un préjudice dont il pourrait être responsable et qui excèderait sa capacité financière. De leur côté les assureurs vendent toujours leurs contrats d'assurance pour un montant global le plus élevé possible. Les obstétriciens souffrent de l'absence de concurrence. Ils ne sont qu'un millier à porter les risques spécifiques de l'obstétrique. L’aide du syndicat durant l’étape de négociation peut être précieuse.
5 - Le secret
Si la mutualisation des risques était le seul fondement de l'assurance, tout se ferait dans la transparence. Le métier d'assureur s'exerce au contraire dans le secret comme tout commerce concurrentiel. Secret des traités de réassurance par lesquels les assureurs se déchargent confidentiellement d'une part de leur risque contre une part des primes que vous avez versées. Secret vis-à-vis du client qui doit croire que sa prime est justifiée par ses risques alors que cette prime obéit à la loi du marché. Secret de l'Etat qui profite des assureurs pour financer la dette publique. En effet sous prétexte de garantir la capacité de l'assureur de couvrir les indemnités qu'ils doivent pour le compte de leurs clients, l'Etat impose aux assureurs de garder des fonds propres que les compagnies apportent largement dans les placements d'Etat. C'est pourquoi l'Etat protège les assureurs dans leur relation avec les assurés. Au syndicat de faire partager les informations.
6 - L'aide à l’assurance
Lorsqu'en 2006 par un arrêt d'activité nous avons refusé la croissance inexorable de nos primes, l'Etat a préféré que la sécurité sociale paie 66% de notre assurance en secteur I ou 55% en secteur II plutôt que de passer à une mutualisation des risques par l'ONIAM qui aurait mis hors-jeu les assureurs à moindres frais pour les soignants et la sécurité sociale. L'aide à l'assurance représente une dépense de 30 M€ toutes spécialités confondues et moins de 10 M€ pour les gynécologues obstétriciens. Sont éligibles les GO qui ont un rapport actes à risque/actes CCAM >1/2. Certains obstétriciens font jusqu'à 200 accouchements par an mais en sont privés. C'est absurde, mais nous ne parvenons à faire attribuer l'aide dès lors que le nombre d'accouchements est suffisant pour que l'assureur impose les tarifs de prime de l'obstétrique. Par contre le mode de calcul actuel ouvre les droits à l'aide pour des activités qui ne les justifient pas. Aucune démonstration logique ne s'impose à l'Administration dès lors que le groupe professionnel qui la porte renonce à faire pression sur elle par des mouvements sociaux.
7 - Les trous de garantie
En 2002 les assureurs ont souhaité se refaire financièrement sur notre dos et ont obtenu de l'Etat un changement des règles d'assurance. Nous avons été spoliés de la couverture vis-à-vis des actes passés, Il nous a fallu nous assurer une seconde fois pour les contentieux de ces actes qui seraient ouverts plus tard. Les assureurs ont obtenu que nos garanties soient plafonnées pour des risques financiers imprévisibles du fait du décalage de 20 à 30 ans entre la déclaration du sinistre et la fixation de son indemnisation. Il nous a fallu attendre 2012 pour combler par le FAPDS les trous de garantie ainsi créés, "Fonds de garantie des dommages consécutifs à des Actes de Prévention, de Diagnostic ou de Soins dispensés par des professionnels de santé", un fonds financé par tous les soignants. Mais l'Administration n'a pas pris en compte les dossiers de 2002 à 2011 à partir desquels pourtant le besoin de ce fonds avait été établi. Là encore, quel que soit le gouvernement, faute de volonté d'établir un rapport de force en notre faveur, nous ne parvenons pas à la couverture par le FAPDS de la vingtaine de confrères menacés de ruine.
8 - L'écart entre primes et indemnisations
Les enjeux financiers globaux de l'assurance en responsabilité civile médicale (RCM) sont eux aussi secrets. Les rapports de L'ACPR, "Autorité de contrôle prudentielle et de résolution" ne sont pas publics. Nous savons cependant qu'en 2015, les 657 976 contrats en RCM représentent une collecte de 544 M€ de primes, pour des sinistres provisionnés à 496 M€ toutes charges comprises. Soit un rapport sinistre à prime de 93%. Mais les indemnisations réellement versées par les compagnies privées, pour les sinistres clos, se limitent à 114M€ par an et ce chiffre est stable (Rapport ORM (Observatoire du risque médical) pour les 6 années de 2009 à 2014.) Dans notre spécialité, le rapport sinistre à prime est de 75% en 2015. Mais ce rapport est très volatile car un seul accident grave dans l'année, qui peut atteindre 11 M€, le modifie considérablement. La part réellement déboursée en obstétrique restera longtemps inconnue puisque tout en retarde la connaissance. La consolidation n'intervient pas avant que le nouveau-né n'ait atteint sa majorité. Les indemnisations prennent la forme de rentes dont l'extinction dépend de la durée de vie.
9 - SHAM et BRANCHET
Heureusement nous avons de bonnes relations avec nos deux assureurs exclusifs SHAM et BRANCHET, qui nous permettent d'analyser les sinistres et notamment les plus graves. Actuellement des deux, c'est SHAM qui nous apporte les conditions commerciales de loin les plus acceptables. Il assure les praticiens jusqu'à 70 ans. Il ne pose pas au syndicat de problème de sélection de portefeuille et ses tarifs sont nettement moindres, en dessous du plafond de prise en charge pour l'aide à l'assurance. Rien dans notre expérience ne nous a montré que la couverture de l'établissement et du praticien par SHAM posait un problème. Au contraire, la stratégie de défense globale du dossier l'emporte sur la défausse de l'établissement sur le dos du médecin. La défausse de l'un sur l'autre fait habituellement condamner les deux.
10 - L'expertise
Nous n'avons pas à attendre de progrès seulement de l'Administration. Nous devons intervenir pour réduire les risques des expertises.
Nous serons déjà efficaces en diffusant les derniers travaux de la TASKFORCE sur la paralysie cérébrale qui est la source des sinistres les plus graves. Les conclusions de ces travaux anglo-saxons n'ont pas suffisamment pénétré les références de nos experts : Gynerisq s'emploie à les diffuser.
• Il n'y a pas de paralysie cérébrale d'origine obstétricale sans encéphalopathie néonatale : le dossier médical apporte-t-il ou non la preuve d'une encéphalopathie néonatale ?
• L'encéphalopathie néonatale peut avoir d'autres diagnostics étiologiques que l'anoxie. Ont-ils été suffisamment recherchés par l'équipe pédiatrique ? Est-ce que la prise en charge pédiatrique a été optimale ?
• La cause anoxique n'est pas forcément fautive. La preuve est-elle réellement apportée qu'une anoxie est ici la conséquence d'une faute ?
• Mais on ne fera pas l'économie d'une campagne pour une remise en cause des méthodes d'expertise qui restent amarrées aux principes de la médecine du 19ème siècle.
• Alors qu'aujourd'hui aucune décision stratégique médicale majeure ne peut se prendre sans référence à un protocole et sans concertation pluridisciplinaire pour l'appliquer, l'expertise reste un exercice le plus souvent solitaire d'un expert avec l'autorité que le juge lui a déléguée. Il est anachronique que l'expert n'ait pas à démontrer les sources de son savoir, et que le juge puisse se satisfaire de l'intime conviction de l'expert.
• Alors que la pratique médicale est aujourd'hui contrôlée, ne serait-ce que par le Conseil de l'Ordre, aucun contrôle de la valeur médicale de l'expertise n'existe. Il est juste possible de la contester devant le juge qui n'a lui-même aucune compétence médicale pour l'évaluer. Il n'est pas possible de traduire un expert pour expertise fautive devant la commission de discipline sans l'accord du Conseil de l'Ordre ou des autorités administratives.
• Oui la médecine doit obtenir un renouvellement de l'expertise à l'image de son évolution : Non, ce ne peut être une labellisation des experts qui ne ferait que renforcer la suprématie de l'argument d'autorité alors que l'argument d'autorité est discrédité par l'échelle des niveaux de preuves qui hiérarchise le savoir médical depuis la fin du 20ème siècle.
J. MARTY*
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°111