Repenser le dispositif pédagogique de l’UE24 (Santé publique) du 2ème cycle

Publié le 09 Apr 2024 à 17:25
Article paru dans la revue « SNIFMK / L’institulien » / SNIFMK L'Institulien N°14


Suite au décret de septembre 2015 portant réforme des études, la santé publique s’est vue accorder une place transversale sur l’ensemble des 4 ans d’études en IFMK. L’UE1, au premier cycle, éclaire les aspects collectifs et sociétaux, elle devient l’UE24 au deuxième cycle. Elle permet, à ce stade, d’aborder l’intervention du masseur kinésithérapeute (MK) au travers d’une démarche éducative collective ou individuelle. Cette place de la santé publique était d’autant plus nécessaire à développer au sein des études qu’elle est devenue ces dernières années une des priorités affichées du Conseil National de l’Ordre des Masseurs Kinésithérapeutes.

Ajoutons que le législateur a imposé en juin 2018 le Service Sanitaire, destiné à mettre en œuvre une démarche de promotion ou d’éducation à la santé à réaliser par chacun des futurs MK formés en France.

Il a donc fallu créer un dispositif permettant de proposer différentes formes de travaux aux étudiants. Au premier cycle, les travaux sont menés en groupes, dans l’esprit de la réforme des études, au sujet de thématiques de santé publique sociétale comme par exemple la vaccination ou la nutrition. Au deuxième cycle, les travaux de groupe ont été réalisés autour de thématiques concernant des plus petits groupes de population : l’activité physique chez la femme en post cancer du sein ou les troubles musculosquelettiques des coiffeurs par exemple.

Après 3 années de ce format de travaux menés au deuxième cycle, il était nécessaire de repenser le dispositif. En effet, plusieurs constatations étayées par les remarques des étudiants ont émergé : même si le travail proposé était plus ciblé, il restait trop théorique car uniquement basé sur la bibliographie ; toutes les démarches de prévention présentées étaient incomplètes car le diagnostic de santé publique initial n’a jamais pu être mené. Enfin, les démarches finalisées par les étudiants n’ont jamais pu être mises en œuvre et évaluées auprès du public visé.

C’est pourquoi, afin d’insuffler toujours plus la réalité d’un patient singulier et unique auprès des étudiants, nous avons souhaité proposer aux étudiants de l’ILFMK de Nancy un dispositif de formation innovant, déployé sur les 3 premiers semestres du 2ème cycle.

Comme la majorité des futurs professionnels exercera en milieu libéral, il apparaissait essentiel de leur proposer un travail permettant de valider l’UE24 mais aussi et surtout de les amener à inclure une démarche de santé publique auprès de tout patient d’un cabinet, quels que soient son âge, son contexte pathologique et même quelle que soit la durée potentielle de la prise en soin masso-kinésithérapique.

C’est ce qui nous a poussé à faire appel à des confrères MK libéraux afin de leur soumettre l’idée de mettre en lien une personne issue de leur patientèle avec un petit groupe d’étudiants et ce, durant les semestres 3 à 5 du deuxième cycle. Il a été demandé aux MK de choisir plutôt un patient en lien avec les familles d’UE abordées aux semestres 5 et 6 : pathologies respiratoires, musculosquelettiques ou neurologiques. Le patient retenu sait qu’il sera amené à travailler avec les mêmes étudiants au cours de 3 séquences distinctes et différentes au cours de chacun des 3 semestres du dispositif.

Voici tout d’abord les aspects généraux et génériques du dispositif. Ce dernier a été construit afin que les étudiants travaillent par groupes de 7 à 10 au maximum soit un total de 10 patients sollicités pour les 3 premiers semestres du 2ème cycle d’études. Les professionnels communiquent aux étudiants les informations essentielles du patient attribué au groupe : genre, âge, contexte pathologique nécessitant la prise en soin MK ainsi que les éventuelles autres pathologies intercurrentes. Ensuite, c’est à chacun des groupes d’étudiants de se placer dans un contexte de début de prise en soin dans une démarche de type EBP.

Un document support sert de conducteur pour le fond à chacune des séquences. La forme de la présentation est laissée libre à chaque groupe. À chacune de ces 3 étapes, les échanges sont possibles spontanément avec le professionnel mais pas avec le patient. La demande fréquente des étudiants d’utiliser les réseaux sociaux pour les échanges avec le patient a toujours été récusée par choix.

Des objectifs de travail sont précisés et définis ainsi que les modalités de leur restitution et les dates de rendu. Pour chacune des séquences, un document écrit de traçabilité de la répartition du travail prévu ainsi que du travail réellement effectué par chaque étudiant de chaque groupe est à produire.

Les séquences prévues avec le patient ne doivent être réalisées qu’en visioconférence et en présence du MK libéral ou d’un formateur de l’IFMK. À aucun moment, les étudiants ne sont au contact direct en présentiel avec le patient et laissés seuls avec lui en distanciel.

Voici ensuite les 3 différentes étapes chronologiques du dispositif. Pour le semestre 5, une bibliographie précise est à réaliser par écrit suivant les normes de Vancouver, la trame du premier entretien avec le patient est à préparer et à restituer à l’écrit, l’accord du patient est à tracer par écrit. Le premier entretien avec le patient est destiné à établir un BDK mais aussi également destiné au diagnostic de santé publique. Cet entretien est réalisé en visioconférence : tous les étudiants sont présents ainsi que le professionnel qui suit le patient. La synthèse de cet entretien doit être rédigée et proposer les objectifs potentiels de prévention.

Le semestre 6 est consacré à la conception de la démarche de prévention adaptée à ce patient : choix des objectifs opérationnels, choix des supports de la démarche et rédaction du projet. Cette démarche est évaluée et corrigée à la fin de ce semestre.

Au semestre 7, début de la dernière année avant la diplomation des étudiants, le dernier travail qui leur est demandé voit aborder des notions liées à l’UI29 : évaluation et amélioration des pratiques professionnelles. Ainsi, le patient va potentiellement être requestionné afin de refaire le point global de sa situation après 1 an : le diagnostic posé est-il toujours pertinent ? La réponse apportée au travers de la démarche conçue est-elle toujours adaptée ? Faut-il adapter la démarche en fonction de l’évaluation faite au semestre 6 ? Est-il nécessaire de modifier le support destiné à être transmis au patient ?

Une fois retravaillée, les étudiants vont mettre en œuvre leur démarche auprès du patient, toujours en visioconférence, toujours en présence du professionnel.

À la fin de ce dernier entretien, les étudiants doivent remettre au patient un support conçu par leur soin : vidéos, livret d’exercices, flyer voire affiche.

La troisième année de ce dispositif vient d’être débutée avec le même enthousiasme pour chacun des participants.

Le formateur que je suis voit les objectifs définis largement dépassés : intérêt de tous les participants, patients toujours présents après 1 an, étudiants mettant en œuvre des compétences de professionnels telles que le travail collaboratif, le respect d’un timing, les traçabilités, l’esprit de synthèse, l’apprentissage de la conception d’un support (choix du format, graphisme, pertinence du vocabulaire, apports bibliographiques) …

Un autre formateur de l’ILFMK de Nancy, K. MULLER, rapporte son expérience : « J’ai pu accompagner un groupe de huit étudiants sur les deux années du 2e cycle (K3 et K4). La patiente participant à ce projet présentait une BPCO sévère. En K3, les étudiants ont finalisé le recueil des besoins de la patiente en santé publique, suite à un entretien en visioconférence avec la patiente. En K4, ils ont créé un livret interactif personnalisé répondant aux besoins de la patiente. Ce livret abordait une explication sur la BPCO, une sensibilisation à l’activité physique, des conseils hygiéno-diététiques,  des liens vers des associations de patients, un carnet de bord hebdomadaire à compléter par la patiente. Ce livret a pu être lu et rempli par la patiente, directement sur sa tablette, en visioconférence, avec un retour très positif de sa part. Les étudiants ont réussi à finaliser ce projet ».

Quelques patients ayant participé à la démarche ont le sentiment que leur vécu et leur expérience ont pu être utiles à la formation de futurs professionnels de santé et donc à leurs futurs patients. Pour certains patients, la participation à cette expérience a « donné du sens à la maladie ».

Les professionnels extérieurs à l’ILFMK expriment aussi un retour positif. A. DOMINGUEZ, MK libérale partenaire depuis le début du dispositif livre l’analyse de son expérience : "Cette démarche m'a apporté tant sur le plan personnel que professionnel. Malgré le temps passé avec nos patients, nous abordons peu certains aspects du vécu du patient avec leur pathologie : diagnostic difficile, démarche administrative interminable, coût des soins…

Cette expérience est une continuelle remise en question de ma pratique et de mon approche des patients ainsi que de la façon dont j'aborde la kinésithérapie avec les étudiants".

Enfin, dans la droite ligne du service sanitaire, les étudiants apprécient de travailler autour, avec et pour un patient réel. Ils ont également précisé combien ils se rendaient compte de l’évolution du patient au cours de ces 3 semestres : c’est finalement le seul et l’unique patient qu’ils auront été amenés à questionner et à suivre sur la totalité de leur cursus de futurs professionnels, et ce, même de manière épisodique, sur une aussi longue période.

Malgré des contraintes organisationnelles fortes, ce dispositif est un réel succès bâti sur l’étroite collaboration entre confrères extérieurs à l’ILFMK, formateurs de l’ILFMK, patients et étudiants.

Emmanuelle PACI
IFMK Nancy - Mail : [email protected]

 

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1712676317000