Réforme des retraites Pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant de mépris ? Pourquoi tant de mensonges ?

Publié le 10 May 2023 à 06:26

Alain CLAVEL-MOROT, Président de caisse de retraite

Alors que la très grande majorité des français n’est pas convaincue de la nécessité d’une réforme de nos régimes de retraites, nos dirigeants faisant fi des désirs du peuple (La défense de ses choix est pourtant la marque d’une vraie démocratie) n’ont de cesse depuis maintenant une bonne trentaine d’années de détruire par touches successives l’oeuvre de nos anciens en matière de protection sociale avec une haine toute particulière vis-à-vis de la retraite des salariés.

Pourtant, tout cela n’avait pas si mal commencé.

C’est Colbert qui semble-t-il lança le premier en France le principe d’une retraite à vie (Dans la Marine Royale). Bien plus tard en 1910 les retraites ouvrières et paysannes verront le jour.

Puis en 1930, nos anciens mettront en place les ‘Assurances Sociales’ pour aboutir en 1941 à la création de l’Allocation aux Vieux Travailleurs salariés (AVTS).

Mais il fallut attendre 1945 et l’action du Conseil National de la Résistance au lendemain de la seconde guerre mondiale pour voir la création du Régime Général de la Sécurité Sociale et de notre système actuel de retraite par répartition. Enfin en 1947 sera institué le principe de retraites complémentaires avec l’élaboration de l’AGIRC (Association Générale des Institutions de Retraites des Cadres) puis de l’ARRCO (Association des Régimes de Retraites Complémentaires) en 1961.

Tout cela relevant d’une intelligence désireuse de vouloir assurer de manière pérenne des jours heureux et mérités aux vieux travailleurs et à leurs familles.

Mais aujourd’hui, le vieillissement inéluctable de la population, la crise économique et financière presque sans précédent dans notre histoire et l’activité professionnelle en berne réalisent des défi s majeurs pour notre système par répartition. Système qui tout en faisant partie intégrante du pacte républicain est d’abord un pacte entre les générations où chacun est convié à recevoir de ses enfants ce qu’il a offert à ses parents. On parle ici d’équité entre les générations.

Près d’un siècle plus tard, donc, il nous faut poursuivre cette tâche et surtout ne pas remettre en question un principe démocratique de haute tenue et ne pas laisser de place à ceux qui, trop nombreux ne souhaitent qu’une seule chose : revenir à une doctrine purement capitaliste (même s’ils s’en défendent) qui casserait d’un coup le contrat passé entre les travailleurs et les institutions assurant la pérennité d’une solidarité inter générationnelle qui nous honorent aujourd’hui. Car ne nous y trompons pas, la réforme proposée actuellement n’est qu’un préalable à la capitalisation.

À ce sujet, la loi Balladur de 1993 va commencer un long travail de destruction sur lequel nous sommes encore aujourd’hui puisque dans la foulée viendront les lois Juppé (1995), Fillon (2003), Sarkozy (2010) et maintenant Borne (2003). À suivre car si nous n’y prenons garde les modifications risquent encore de se succéder afin de nous amener vers des horizons obscurs pour le commun des mortels mais bien clairs pour les tenants des retraites par capitalisation actuellement tapis dans l’ombre.

C’est que le mensonge, la désinformation et la manipulation sont maintenant aux ‘manettes’. On entend çà et là régulièrement cette même rengaine voulant nous insuffler l’idée que la retraite de papa c’est fi ni, qu’il faut passer à autre chose, qu’il faut travailler plus longtemps, qu’il faut travailler plus pour gagner moins… C’est que les temps sont durs vous savez ! La démographie s’effondre, les finances de nos retraites sont au plus mal… Cette manière de créer une fausse évidence est manipulatoire et largement mise à mal par de nombreux économistes.

Voyons cela dans le détail :

  • La démographie

La France fait moins de bébés. C’est vrai. Donc moins de travailleurs salariés à venir. C’est vrai. Donc moins de cotisations sociales à venir ? On peut en discuter (Mais moins de retraités à rémunérer dans l’avenir…).

On peut réfléchir à tout cela car le financement de nos retraites n’est pas calculé sur le nombre de salariés en activité mais bien sur la masse salariale globale versée aux travailleurs. Augmentation des salaires = augmentation des cotisations sociales. Le véritable objectif n’est donc pas d’équilibrer le nombre d’actifs avec le nombre de pensionnés mais bien d’équilibrer les cotisations et les retraites versées.

  • Le financement de nos retraites

Il faut tout d’abord rappeler que le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) avait prédit un fort déficit de nos régimes pour le début des années 2020. Il s’est largement trompé : + 900 millions d’euros en 2021 et près de 3 milliards d’euros en 2023. Dans ce contexte que croire de ses prévisions catastrophiques pour 2030 ?

Nous devons maintenant nous souvenir que le gouvernement Jospin a créé au début des années 2000 le FRR (Fonds de Réserve pour les Retraites). En 2021, ce sont environ 30 à 35 milliards d’euros qui sont bloqués pour les éventuels problèmes à venir. Il est à noter à ce sujet que ce fonds était censé être constitué d’environ 150 milliards d’euros à l’horizon 2020. Mais nos dirigeants ont ‘tapé’ dans la caisse pour bien d’autres offices !

Il faut savoir également que nos Caisses de retraites complémentaires ont de leur côté un ‘trésor de guerre’ d’environ 116 milliards (BFM). Manne sur laquelle les pouvoirs publics lorgnent avec assiduité. Et si le projet de recouvrement des cotisations de ces caisses par le biais de l’URSSAFF est pour l’instant retiré il galope toujours dans les méandres tortueux de nos dirigeants. Ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails ?

Bien entendu, nous n’oublierons pas de surcroît la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale) créée en 1996 pour ‘éponger’ les dettes du régime générale de la Sécurité Sociale et qui dégagera en 2024 (date prévue pour sa fermeture) pas loin de 24 milliards d’Euros d’excédent après avoir rendu les services pour lesquels elle avait été créée. Jean Louis REY lui-même, son Président déclarant

« Qu’aucun gouvernement n’a eu à arbitrer une telle manne en la matière ».

Tout ceci nous amène donc à plus de 150 milliards d’euros de réserve pour nos retraites. (Certains experts parlent même de 180 milliards toutes caisses confondues). Fort de ce constat, quand j’entends déficit, je pense mensonge et je dis à nos mentors : vous mentez !

À une époque où sont portées aux nues les vertus de l’éthique et de la transparence, je suis toujours étonné de constater que l’on nous ment sans cesse en matière sociale comme en matière d’économie. Nos dirigeants ne font plus que dans la communication créant là encore par leurs désirs outranciers la défiance contre la confiance. La raison avouée à mots couverts par nos gouvernants c’est qu’une telle réforme des retraites pourrait servir à financer toute une série de déficits comme la transition écologique, le système de santé ou encore l’école. Et ces mêmes gouvernants veulent de ce fait faire payer les dérives de leur gestion par les travailleurs du public comme du privé en sabordant une grande partie de leur protection sociale.

Après avoir abandonné le principe de la retraite par points pour le régime général, il est clair qu’avec le recul de l’âge de départ à la retraite les préalables à la capitalisation se mettent en place.

Nous sommes fermement opposés à ce type de gestion de nos retraites qui ne pourrait que nuire pour ne pas dire faire disparaitre la solidarité intergénérationnelle qui existe au sein de notre pacte républicain.

Cette régression sociale permanente à laquelle nous assistons et que nous subissons aujourd’hui est devenue insupportable. La vision du monde à venir qui nous est proposée n’est pas la nôtre. Il n’y a pas de problème de financement de nos retraites.

Nous avons vu que notre système est tout à fait soutenable et pérenne.

On nous dit que l’espérance de vie augmente. C’est faux ! Elle n’augmente plus depuis dix ans.

Partir (beaucoup) plus tard à la retraite ? Après 55 ans les salariés n’ont majoritairement plus de place dans les entreprises. Les femmes avec enfants seront particulièrement touchées.

Dans le système actuel, elles peuvent prétendre à une pension complète à 62 ans ou 63 ans. Demain, elles devront attendre 65 ans ! Cette injustice est inacceptable. Ceci étant dit, il est de notre devoir de nous projeter dans notre avenir et dans celui de nos enfants. Il nous revient de fabriquer notre bonheur et le leur sans confi er à d’autres le soin de s’en occuper. Ne laissons pas aux bonimenteurs de toutes sortes le pouvoir de décider de ce qu’ils veulent être bon (pour nous ou pour eux ?).

« Que l’autorité se borne (sans jeu de mot) à être juste, nous nous chargerons d’être heureux » nous disait Benjamin CONSTANT au début du 19ème siècle. Nous ne sommes pas dupes de ce que disent les maîtres de la manipulation en voulant nous imposer leur façon de faire. Nous ne sommes ni naïfs ni bêtes. Simplement clairvoyants.

Qu’il est difficile de créer la confiance dans de telles conditions alors que les sages la considèrent comme le facteur clé des développements économiques et sociologiques ! Je m’interroge toujours sur ce qui pousse tant de nos dirigeants politiques, économiques à vouloir nous tromper et à nous mentir effrontément afin de vouloir faire notre ‘bonheur’ contre notre gré. Cela relèverait-il d’un désir ancestral de domination sans aucun respect ?

Nous n’avons pas le droit de laisser à nos enfants un système social qu’ils ne pourraient maitriser sauf à passer régulièrement chez leur banquier. Il nous revient donc de nous projeter dans notre avenir et non pas dans celui de ceux qui veulent tout diriger à notre place.

Il va nous falloir contrôler plus sérieusement les actions de nos élus qui sont, au terme de la Constitution, nos serviteurs et non nos maitres !

Se projeter dans l’avenir c’est vouloir améliorer l’existant et non le détruire. Pour ce faire la CFE CGC fait comme toujours des propositions simples, pragmatiques, acceptables par tous.

Nous devons donc revoir en priorité le travail des seniors en :

  • Incitant les entreprises à négocier davantage des dispositifs de conditions de travail aménagées en fi n de carrière : télétravail, congés ou RTT supplémentaires, semaine de 4 jours…
  • Intégrer la place des seniors dans la négociation annuelle obligatoire (NAO) en entreprise.
  • Prévoir l’âge d’embauche ou de rupture de contrat dans le cadre d’un bonus-malus applicable à la cotisation d’assurance chômage. Nous devons revoir les modes de transitions emploi-retraite et pour ce faire :
  • Rendre opposable l’activité partielle dans le cadre d’une demande de retraite progressive.
  • Rendre plus attrayant financièrement le dispositif de cumul retraite-emploi en acquérant des nouveaux droits.
  • Favoriser le cumul retraite-emploi pour les bénéficiaires de pension de réversion. Nous devons de surcroît :
  • Revoir la masse salariale globale à la hausse. Déjà par exemple, en égalisant les salaires des hommes et des femmes (toutes qualifications équivalentes bien entendu) nous aurions des rentrées de cotisations sociales fort honorables. La Fondation Concorde n’estime-t-elle pas à environ 24 milliards d’euros le montant des cotisations supplémentaires versées résultant d’une telle régularisation ? (Avec en prime un effet sur la croissance de 0,16 sur une année complète. Non négligeable sur le moyen et le long terme).
  • Revoir la fiscalité de la participation et de l’intéressement serait une piste intelligente pour augmenter les contributions de notre protection sociale en matière de retraite par exemple.

Nous devons encore prévenir l’usure professionnelle :

  • Reconnaître les facteurs de risques psychosociaux (RPS) et rétablir les facteurs de pénibilité.
  • Développer les négociations sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

Nous devons encore revoir le lourd problème des fraudes en matière de retraite. (67,1 millions d’habitants en France et 75,3 millions d’assurés sociaux…).

Si le problème principal et primordial qui se présente à nous tous est effectivement l’équilibre de nos systèmes de retraites par répartition il nous faut gérer ces systèmes sans dogmatisme et ne pas en faire un objet politique. Dans son rapport de juin 2021, Le COR a été formel : les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteront sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070. Dès la prochaine décennie leur poids baissera naturellement, l’évolution démographique se traduisant par une baisse du nombre des ‘papy boomer’ à cet horizon. Il n’y a pas de fatalité.

Quant à repousser l’âge de départ à la retraite sans considération du taux d’emploi des seniors (un tiers des chômeurs de longue durée est justement constitué de séniors), ni de l’accroissement du chômage qui en découle relève de l’imposture voire de la tromperie. Faire travailler les gens plus longtemps plutôt que d’augmenter leurs salaires relève une approche étriquée du problème avec au bout une régression sociale sans précédent. Personne n’est trompé par le discours qui nous est distillé chaque jour, à chaque instant, par des médias aux ordres d’un gouvernement lui-même asservi par un patronat dirigé par les groupes financiers. Ces derniers ne veulent plus de notre système de retraite. Ils n’y gagnent pas assez.

 

Bibliographie

  • Fondation Concorde
  • Conseil d’Orientation des Retraites
  • La Cour des Comptes
  • BFM

Article paru dans la revue « Espace santé au travail  » / CFE CGC N° 69

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