Recommandations ESC-ACCA 2018 : tout savoir sur la dissection coronaire spontanée

Publié le 24 May 2022 à 10:57


ESC-ACCA Position Paper on spontaneous coronary artery dissection
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La dissection coronaire spontanée demeure une entité mal connue et dont le diagnostic reste difficile. De nombreuses particularités en termes de prise en charge diagnostique et thérapeutique ont conduit plusieurs experts européens à rédiger un position paper1 sur le sujet, visant ainsi à homogénéiser les pratiques, bien que plusieurs zones d’ombre subsistent encore…

Épidemiologie
Les dissections coronaires spontanées demeurent sous-diagnostiquées puisqu’elles concernent en règle générale, une population avec peu de facteurs de risque cardiovasculaires classiques, hormis l’hypertension (20 à 60 % dans la littérature1).

Elles représenteraient, selon les études, 1,7 à 4 % des syndromes coronariens aigus (SCA), mais jusque 23 à 36 % des SCA chez les femmes âgées de moins de 60 ans, considérées comme étant le terrain à risque. Outre le sexe féminin, qui semble être associé de façon importante à cette pathologie, il semblerait qu’il existe un facteur hormonal non négligeable dans la mesure où cette pathologie représenterait 27 % des SCA chez la femme enceinte, et 50 % chez les femmes en post-partum.

La présence d’anomalies pariétales vasculaires avec en premier plan la fibrodysplasie musculaire semble également jouer un rôle important. Par ailleurs, des facteurs de stress physique (efforts extrêmes isovolumétriques) ou émotionnels semblent également être associés à cette pathologie.

Le lien avec certaines pathologies inflammatoires, avec les connectivités et les formes génétiques d’anomalies vasculaires demeure pour l’instant peu clair.

Focus : la fibrodysplasie musculaire
Il s’agit d’une pathologie vasculaire non inflammatoire touchant 0,4 % de la population générale, avec une atteinte des artères de moyen calibre.

Il en existe différents types selon la structure endothéliale atteinte :

  • La forme médiale étant la plus fréquente, associée à des sténoses multifocales à type de « colliers de perle ».
  • La forme intimale qui se traduit par des sténoses focales.

Toutes les formes peuvent se compliquer d’anévrysmes et de dissections (41 % des cas selon un registre américain récent1).

Les artères préférentiellement atteintes sont les artères rénales, cervicocéphaliques et iliaques, l’atteinte coronaire étant moins fréquente. Cette pathologie représente selon les cohortes 11 à 86 % des dissections coronaires spontanées.

Le diagnostic repose sur les données radiologiques, l’aspect multisténotique de la forme médiale étant considéré comme pathognomonique. Il existe une part génétique non négligeable puisque 7 à 11 % des patients présentent un parent atteint au deuxième degré au moins, et plusieurs gènes en cause ont été identifiés, sans pouvoir pour autant permettre un screening génétique.

Physiopathologie
La dissection coronaire spontanée exclut par définition les dissections sur rupture de plaque d’athérome, bien que cette distinction soit difficile à réaliser en pratique. Cette entité concerne tout de même en général des artères indemnes d’athérome.

Deux mécanismes possiblement intriqués peuvent expliquer la survenue d’une dissection coronaire spontanée avec développement d’une fausse lumière généralement au sein du tiers externe de la média (Figure 1A) :

  • Le phénomène « inside-out » (Figure 1B) : Rupture intimale (flap intimal) créant une extravasation sanguine de l’intima vers la média.
  • Le phénomène « outside-in » (Figure 1C) : Rupture de vasa vasorum localisés au niveau de la média, créant ainsi un hématome intramural sans communication avec la lumière du vaisseau.

Dans ces deux cas, la fausse lumière s’étend et conduit à une compression de la vraie lumière.

Diagnostic
Clinique
La présentation typique de cette pathologie reste le SCA, avec une nette prédominance de SCA avec sus-décalage du segment ST (STEMI) dans les études, mais il peut également s’agir de troubles du rythme ventriculaires (moins de 10 % des cas dans l’étude récente de Saw et al. sur une large cohorte2) voire de mort subite.

Coronarographie
Une coronarographie est donc le plus souvent réalisée en urgence dans ce contexte, et permet dans la plupart des cas d’asseoir le diagnostic à l’aide de critères angiographiques, pouvant cependant être absents ou douteux, et rendant de ce fait dans certains cas la réalisation d’une imagerie endocoronaire nécessaire.

Figure 1 : Schéma explicatif1
A : Dissection coronaire avec création d’une fausse lumière.
B : Dissection par phénomène « inside-out » avec rupture intimale (flap intimal).
C : Dissection par phénomène « outside-in » avec rupture de vasa vasorum.

Classification proposée par Saw et al.3 :
Type 1 : présence d’une double lumière avec stagnation de produit de contraste et flap intimal radio-opaque. Cet aspect est considéré comme quasi pathognomonique et permet dans la plupart des cas de s’affranchir d’imagerie endocoronaire.
• Type 2 (le plus fréquent) : sténose longue et régulière du fait de l’hématome intramural comprimant la vraie lumière. Type 2a = caractérisé par une récupération distale du calibre de l’artère. Type 2b = avec poursuite de la sténose jusqu’en distalité.
Type 3 (rare) : mimant des lésions focales d’athérosclérose.
Type 4 : parfois décrit et correspond à une occlusion totale de l’artère dans sa distalité.

Il s’agit en général de lésions moyennes ou distales, touchant rarement les troncs proximaux, avec une prédominance nette sur l’artère interventriculaire antérieure (IVA).
Plusieurs critères supplémentaires en faveur d’une dissection coronaire spontanée ont été décrits par l’équipe du Pr Motreff à Clermont-Ferrand4, à savoir :

  • Absence d’athérome.
  • Aspect de dissection débutant ou s’interrompant au niveau d’une collatérale.
  • Aspect en phasme ou en queue de radis du fait de la compression de la vraie lumière par l’hématome.
  • Présence de tortuosités.
    Association à des ponts intramyocardiques.

Les lésions de dissection peuvent parfois toucher plusieurs artères de façon concomitante (environ 10 % des cas).


Legen
de : Angiographie de Dissection de type 2A (iconographie B) et de type 2B (iconographie C)

Imagerie endocoronaire
Le recours à une technique d’imagerie endocoronaire est à réserver aux cas pour lesquels le diagnostic n’est pas formel sur les données cliniques et angiographiques, ou si une angioplastie est envisagée, afin de guider la procédure.

Il existe deux techniques : l’IVUS (intravascular ultrasound) et l’OCT (optical coherence tomography).

L’IVUS correspond à une échographie endovasculaire avec une résolution spatiale plus faible que l’OCT mais présentant l’intérêt non négligeable de ne pas nécessiter d’injection de produit de contraste pour l’acquisition des images, et donc de ne pas majorer le risque de dissection secondaire sur une artère fragile.

L’OCT est la technique de référence grâce à une excellente résolution spatiale permettant de visualiser la fausse lumière (FL) et une éventuelle rupture intimale, de guider le passage du guide d’angioplastie dans la bonne lumière si nécessaire, de choisir la taille du stent, et de vérifier sa bonne apposition en fin de procédure, au prix toutefois du risque de dissection secondaire déjà évoqué.

Prise en charge thérapeutique
Conservatrice
Dans la mesure où les lésions de dissection coronaire se résolvent spontanément au bout de plusieurs semaines voire quelques mois, il est recommandé d’effectuer une prise en charge conservatrice à chaque fois que cela est possible, sans angioplastie.

Ainsi, si l’artère présente un flux conservé et qu’il n’existe pas d’argument en faveur d’une ischémie persistante, il est recommandé de proposer un traitement médical seul.

Très peu de données sont disponibles concernant la prise en charge médicamenteuse spécifique des dissections coronaires spontanées, et le traitement repose surtout sur une extrapolation des données des SCA athérosclérotiques. Une anti-agrégation plaquettaire doit être initiée puisque les dissections coronaires spontanées sont parfois associées à la présence de thrombus intraluminal et au vu du contexte de SCA. Cependant, les modalités de cette anti-agrégation plaquettaire sont peu claires avec certains experts préconisant une double anti-agrégation plaquettaire pour une durée pour l’instant non définie et d’autres une simple anti-agrégation plaquettaire.

 Une anticoagulation au-delà de la procédure d’angioplastie si elle a lieu est contre-indiquée, de même que la thrombolyse.

Le traitement par bétabloquant permettrait une diminution des récurrences de dissection dans la dernière étude de l’équipe canadienne de Saw2, résultat qui reste à confirmer par un essai randomisé.

Les statines conservent une indication classique en cas d’athérome ou de dyslipidémie avérée, et les bloqueurs du système rénine angiotensine sont préconisés en cas d’altération de la FEVG.

Enfin, bien qu’il n’existe pas de données sur le sujet, il est préconisé un arrêt de la contraception oestroprogestative devant le rationnel physiopathologique d’un facteur hormonal impliqué dans la maladie, avec un relais possible par un dispositif intra utérin au levonorgestrel préconisé chez la patiente présentant des méno-métrorragies sous double anti-agrégation plaquettaire.

 Angioplastie
Certains critères justifient cependant le recours à l’angioplastie : une occlusion artérielle ou des signes d’ischémie, notamment la persistance des douleurs thoraciques. Il s’agit de procédures à risque, avec dans la littérature seulement 60 % de succès avec rétablissement du flux.

Les risques inhérents à la procédure comportent :

  • Dissections coronaires iatrogènes favorisées par la fragilité de ces artères pathologiques.
  • Extension de l’hématome intramural de part et d’autre du stent par effet « presse-purée », en amont et au niveau des collatérales.
  • Passage du guide dans la fausse lumière avec le risque d’une pose de stent en sous-intimal.
  • Mauvaise apposition du stent du fait d’un diamètre de référence calculé en prenant en compte l’hématome intramural, qui se résorbant avec le temps, laisse une incongruence de calibre entre le stent et l’artère et génère par conséquent un risque de thrombose de stent.

Plusieurs techniques ont été évoquées afin de limiter ces complications, parmi lesquelles un guidage par OCT de l’angioplastie, un stenting très long afin de « piéger » l’hématome intramural, un stenting « en sandwich » de part et d’autre de l’hématome puis au centre afin de limiter son extension en amont et en aval et l’utilisation de cutting balloons afin de fendre l’hématome intramural dans la lumière coronaire et donc d’apposer le stent avec un diamètre correspondant à celui de l’artère sans hématome. Enfin, en cas d’angioplastie coronaire, la mise en place d’un stent actif de dernière génération est à privilégier.

Il est recommandé d’initier une double anti-agrégation plaquettaire pendant 1 an chez les patients traités par stenting, avec poursuite d’un antiagrégant plaquettaire à vie.

Pontage coronaire
Il s’agit d’une thérapeutique de sauvetage en cas d’échec d’angioplastie chez un patient présentant des signes d’ischémie persistants, ou une atteinte des troncs proximaux menaçant une surface myocardique importante. Le pontage demeure risqué dans cette indication, du fait d’un risque d’extension de l’hématome et de la dissection en amont de l’anastomose, et dans la mesure où la viabilité à long terme des ponts semble être assez faible possiblement par involution du fait du flux compétitif de l’artère native après guérison totale de la dissection, comme le suggère une étude récente de la Mayo Clinic.

Suivi et pronostic à court et long terme
Il est préconisé une surveillance initiale en USIC de 5 jours, du fait d’un risque de revascularisation secondaire plus élevé dans les premiers jours chez les patients non revascularisés.

Le suivi ultérieur doit comporter, comme pour tout infarctus du myocarde, une réévaluation de la FEVG par ETT ou IRM à distance afin d’optimiser le traitement de l’insuffisance cardiaque et de permettre la pose d’un défibrillateur automatisé implantable si nécessaire.

Une surveillance de la guérison de la dissection peut être effectuée par coronarographie voire OCT en cas de symptômes récurrents mais est à envisager avec parcimonie devant le risque de dissection coronaire iatrogène.

Une alternative par coroscanner est possible, bien que la résolution spatiale de cette méthode dans cette indication semble suboptimale, ce qui peut toutefois être pertinent si la localisation exacte de la dissection est connue. Les résultats relatifs à cette technique restent cependant à confirmer.

Enfin, une recherche d’anomalies vasculaires extra-coronaires est aujourd’hui préconisée à la recherche d’arguments notamment en faveur d’une fibrodysplasie musculaire, possiblement par angio-TDM cervico-thoraco- abdomino-pelvienne selon un protocole décrit par l’équipe de Liang, à faibles doses de produits de contraste et d’irradiation, ou par angio-IRM, de résolution spatiale moindre mais suffisante5.

Le pronostic des infarctus du myocarde sur dissection coronaire spontanée est plutôt bon, avec une mortalité à 10 ans inférieure à 10 % dans la littérature1, mais est cependant grevé d’un fort risque d’évènement cardiovasculaire (infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, AVC ou revascularisation secondaire) et notamment de récurrence de dissection. Ce risque correspond en effet à 17 % à 4 ans et à 29 % à 10 ans dans une étude de la Mayo Clinic, avec une atteinte prédominante sur les autres artères que celle de l’infarctus initial. La réalisation d’une angioplastie lors de la phase aigüe ne semble pas protéger du risque de récurrence.

La grossesse est contre-indiquée pour certains experts, mais autorisée et à considérer comme à très haut risque pour d’autres, avec nécessité d’une surveillance rapprochée.

Enfin, la réhabilitation cardiaque post-infarctus n’est pas contre-indiquée et est au contraire préconisée mais doit être conduite avec une surveillance particulière et en excluant les efforts extrêmes ou isovolumétriques. Il est par ailleurs conseillé une reprise de l’activité sportive au décours, hors sports extrêmes.

Conclusion
Le diagnostic de dissection coronaire spontanée n’est pas aisé, et il faut savoir évoquer le diagnostic devant un patient présentant un tableau de syndrome coronarien aigu avec peu de facteurs de risque cardiovasculaires.
L’enjeu sera le recours rapide à une coronarographie avec recherche des critères angiographiques évocateurs. Un diagnostic incertain à ce stade justifie un recours à une OCT.
La prise en charge à privilégier reste conservatrice associant une double anti-agrégation plaquettaire, du fait d’un taux de guérison spontané de l’artère élevé.
L’angioplastie, risquée et périlleuse, est justifiée devant une persistance des signes d’ischémie ou une interruption du flux de l’artère, le pontage coronaire restant une solution de sauvetage.
Un screening des artères extra coronaires est préconisé à la recherche d’une fibrodysplasie musculaire.
Le pronostic en termes de mortalité est bon mais il existe un taux élevé de récurrence de dissection, qui pourrait être diminué par la mise en place de traitements bétabloquants.

Références

  • ESC-ACCA SCAD study group : a position paper on spontaneous coronary artery dissection, D Adlam and al, European Heart Journal 2018;0:1-21.
  • Contemporary review on spontaneous coronary artery dissection, Saw and al, JACC 2016;3:297-312.
  • Coronary angiogram classification of spontaneous coronary artery dissection, Saw et al, Catheterization and Cardiovascular Interventions 2014;84:1115–1122.
  • How and when to suspect spontaneous coronary dissection : novel insights from a single center series on prevalence and angiographic appearance, Motreff and al, Eurointervention 2017;12:2236-2243.
  • A novel application of CT angiography to detect extracoronary vascular abnormalities in patients with spontaneous coronary artery dissection. Liang JJ, Prasad M, Tweet MS, Hayes SN, Gulati R, Breen JF, Leng S, Vrtiska TJ. J Cardiovasc . Comput Tomogr 2014;8:189–197.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°4

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