Recommandations ESC 2023 sur la prise en charge des complications cardiovasculaires chez les patients diabétiques

Publié le 06 May 2024 à 10:51
Article paru dans la revue « CCF / Journal des Cardiologues en Formation » / CCF N°20


Abréviations

Analogues des récepteurs au glucagon-like peptide-1 (aGLP-1) ; Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 (ARA2) ; Atteinte sévère des organes cibles (ASOC) ; Cardiovasculaire (CV) ; Débit de filtration glomérulaire (DFG) ; Diabète de type 2 (DT2) Echographie transthoracique (ETT) ; Electrocardiogramme (ECG) ; FA (Fibrillation atriale) ; Fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG)  ; Glycémie à jeun (GAJ)  ; Hémoglobine glyquée (HbA1c) ; Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ; Inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase (i-DPP4) ; Inhibiteurs du cotransporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT-2) ; Insuffisance cardiaque (IC) ; Insuffisance rénale chronique (IRC) ; LDL cholestérol (LDL-C) ; Maladie rénale chronique (MRC) ; Radiographie thoracique (RT) ; Rapport albuminurie sur créatinurie (RAC) ; Risque cardiovasculaire (RCV) ; Système rénine angiotensine (SRA).

Introduction

Le diabète multiplie par deux le risque de développer des maladies cardiovasculaires telles que la maladie coronaire, l’insuffisance cardiaque (IC), la fibrillation atriale (FA), l’artériopathie périphérique ainsi que la maladie rénale chronique (MRC). Ces nouvelles recommandations actualisent celles de 2019 en regard des innovations scientifiques et thérapeutiques récentes. Pour rappel, le diagnostic de diabète repose sur une glycémie à jeun (GAJ) > 7 mmol/L (> 1,26 g/L) ou un test de provocation oral à 2h > 11,1 mmol/L (> 2 g/L) ou une hémoglobine glyquée (HbA1c) > 6,5 %.

Évaluation du risque cardiovasculaire global chez le diabétique

En présence de diabète, il est recommandé d’évaluer les antécédents et les signes d’athérosclérose (I/B), d’insuffisance cardiaque (I/C) et de dépister la maladie rénale chronique (MRC) grâce à une évaluation du DFG et du rapport albuminurie/créatinurie (RAC) (I/B). Inversement, en cas de maladie cardiovasculaire, un dépistage du diabète est préconisé grâce à une glycémie à jeun (GAJ) et/ou une HbA1c (I/A) ; et en cas de doute diagnostique persistant par un test de provocation oral (I/B).

Les guidelines 2023 affinent l’évaluation du risque cardiovasculaire global chez le patient diabétique puisqu’elles introduisent le SCORE2-DIABETE. Ce nouveau score est une déclinaison du SCORE2 déjà existant de risque d’évènement cardiovasculaire à 10 ans recalibré dans la population diabétique avec une adaptation géographique selon le niveau de risque de chaque pays. Il est validé chez les patients de plus de 40 ans et intègre l’âge, le tabagisme, la pression artérielle systolique et le cholestérol mais aussi des facteurs spécifiques comme l’ancienneté du diabète, l’HbA1c et le DFG.

Bas risque CV Risque CV modéré  Haut risque CV  Très haut risque CV
SCORE2-DIABETE < 5 % sans critère de très haut risque  SCORE2-DIABETE 5-10 % sans critère de très haut risque SCORE2-DIABETE 10-20 % sans critère de très haut risque SCORE2-DIABETE >20 % ou atteinte sévère des organes cibles ou atteinte CV d’athérosclérose 

Tableau 1 : Évaluation du risque cardiovasculaire (CV) chez le patient diabétique

Ce score est utilisable en l’absence d’atteinte cardiovasculaire d’athérosclérose ou d’atteinte sévère des organes cibles (ASOC) définie comme :

  • DFG < 45 mL/min/1,73m²
  • Protéinurie > 300 mg/g
  • Micro-albuminurie 30-300 mg/g et DFG entre 45 et 59 mL/min/1,73m²
  • Micro-albuminurie 30-300 mg/g et atteinte microvasculaire d’un autre territoire (rétinopathie, neuropathie…) ou une protéinurie > 300 mg/g


Table 2 : Évaluation du risque rénal selon le DFG et l’albuminurie grâce à la classification KDIGO. Le très haut risque et le haut risque rénal constituent la situation d’atteinte sévère des organes cibles

 La recherche d’une ASOC et en particulier d’une atteinte rénale a un rôle majeur dans l’évaluation du risque cardiovasculaire avec des implications thérapeutiques pour le traitement du diabète et de la maladie coronaire. Cette évaluation comprend l’évaluation habituelle de la fonction rénale grâce au DFG mais aussi grâce à l’évaluation du rapport albuminurie / créatinurie (RAC) avec lequel le cardiologue doit se familiariser désormais.

Le SCORE2-Diabète chez les patients diabétiques permet également de définir la cible de LDL-C et de manière secondaire la cible de non-HDL cholestérol :

  • Risque modéré : LDL-C < 1 g/L (I/A) ;
  • Risque élevé : LDL-C < 0,7 g/L avec une diminution d’au moins 50 % (I/A) et de manière secondaire non-HDL cholestérol < 1 g/L (I/B) ;
  • Risque très élevé : LDL-C < 0,55 g/L avec une diminution d’au moins 50 % (I/A) et et de manière secondaire non-HDL cholestérol < 0,85 g/L(I/B).

Chez les patients diabétiques, l’aspirine (75-100 mg/j) peut être envisagée en l’absence d’athérosclérose cardiovasculaire ou de revascularisation s’il n’existe pas de contre-indication (IIb/A) (risque hémorragique élevée associé à des saignements gastro-intestinaux ou des ulcères gastro-intestinaux de moins de 6 mois, une hépatopathie active ou une allergie à l’aspirine).

Diabète de type 2 et maladie coronaire

Figure 1 : Stratégie anti-diabétique dans le diabète type 2 selon le risque cardiovasculaire, la présence d’athérosclérose cardiovasculaire et d’atteinte sévère des organes cibles

En prévention secondaire, il faut privilégier les médicaments ayant démontré un bénéfice CV puis ceux ayant démontré une sécurité CV par rapport à ceux n’ayant démontré ni bénéfice ni sécurité CV (I/C). Les inhibiteurs du cotransporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT-2) ainsi que les analogues des récepteurs au glucagon-like peptide-1 (aGLP-1) ont démontré un bénéfice cardiovasculaire et sont recommandés afin de réduire les évènements cardiovasculaires chez les patients diabétiques avec atteinte cardiovasculaire d’athérosclérose indépendamment du taux d’HbA1c initial, de la cible d’HbA1c ou des autres traitements antidiabétiques concomitamment utilisés (I/A). Si malgré cela, un meilleur contrôle glycémique est nécessaire ; la metformine doit être considérée (IIa/C) et en deuxième intention le recours à la pioglitazone peut être envisagée en l’absence d’IC en raison de son risque de rétention hydrosodée (IIb/B).

Chez les patients à haut ou très haut risque CV (DIABETES-Score > 10 %), un traitement par iSGLT2 et/ou aGLP-1 et/ou par metformine peut être envisagé afin de réduire le risque CV (IIb/C) avec cette fois un moins haut niveau de preuve pour les iSGLT-2 et aGLP-1 qui sont dans cette indication au même rang que la metformine.

Chez les patients à risque faible ou modéré en l’absence d’ASOC, c’est la metformine qui est recommandée en première intention (IIa/C) pour réduire le risque CV.

Figure 2 : Stratégie antidiabétique dans le diabète 2 en cas de maladie coronaire (A) et d’insuffisance cardiaque (B). NB : La pioglitazone ne doit pas être utilisée en cas d’IC et avec précaution en cas de MRC. Les iDPP4 ne doivent pas être utilisés en association avec les a-GLP1. En cas de diabète et d’ IC (Algorithme B) avec nécessité d’un meilleur contrôle glycémique malgré les iSGLT2, il faut privilégier les a-GLP1 en cas de maladie coronaire associée ou en cas de surcharge pondérale.

Diabète de type 2 et insuffisance cardiaque

Ces nouvelles guidelines insistent sur l’importance du dépistage de l’IC et la de MRC chez les patients diabétiques. Le dépistage de l’IC comprend la recherche systématique des signes d’IC à chaque consultation (I/C) et le dosage du peptide natriurétique (BNP/NTpro-BNP) en cas de suspicion d’IC (I/B). En cas d’IC, ce bilan doit comprendre une ETT, un ECG et une RT et une évaluation biologique incluant un bilan martial (I/C). Le dépistage de la MRC comprend la recherche du DFG et d’un bilan urinaire avec recherche de la protéinurie avec mesure du RAC (I/B).

Dans l’IC à FEVG altérée (<40 %), les iSGLT2 (dapagliflozine, empagliflozine) ou la sotagliflozine (qui est un inhibiteur mixte des SGLT1 et SGLT2) sont indiqués chez les patients insuffisants cardiaques indépendamment de l’HBA1c afin de réduire le risque d’hospitalisation pour IC et la mortalité CV (I/A). Dans l’IC à FEVG modérément altérée ou préservée (>40 %), les iSGLT2 sont également recommandés pour réduire le risque d’hospitalisation pour IC et la mortalité CV (I/A).

En cas de nécessité d’un meilleur contrôle glycémique, il est recommandé de privilégier les médicaments ayant démontré un bénéfice CV (cf. supra), puis ceux ayant démontré leur sécurité CV (I/A) tels que les aGLP-1 (IIa/A), les iDPP-4 que sont la sitagliptine et la linagliptine (Ia/A), les insulines (IIa/B) et la metformine (IIa/B) en privilégiant les aGLP-1 en cas de maladie coronaire associée parmi ces 4 molécules. En revanche, les médicaments associés à une augmentation du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque tels que la pioglitazone et la saxogliptine (iDPP4) sont contre-indiqués.

Diabète de type 2 et maladie rénale chronique

La maladie rénale chronique est associée à une élévation du risque cardiovasculaire qui croît de manière inversement proportionnelle à la baisse du DFG. De plus, une réduction de l’effet des statines sur le taux de LDL est observée avec la baisse du DFG.

Un contrôle intensif du LDL-cholestérol est donc recommandé chez les patients avec diabète et MRC grâce à des statines ou une bithérapie statine et ézetimibe d’emblée (I/A) pour réduire le risque cardiovasculaire. Le contrôle tensionnel est également un enjeu majeur avec un objectif de pression artérielle < 130/80 mmHg puisqu’il a également une action double sur la diminution du risque cardiovasculaire et le ralentissement de la progression de la MRC.

En parallèle, l’introduction d’un bloqueur du système rénine angiotensine (SRA) par IEC ou ARA2 à dose maximale tolérée est recommandée (I/A). Grâce à leur action double sur la diminution du risque cardiovasculaire et le ralentissement de la progression de la MRC, les i-SGLT2 (dapagliflozine, empagliflozine ou canagliflozine) sont recommandés en première intention (si DFG > 20 mL/min/1,73m²) (I/A) ainsi que la finérénone (I/A). La finérénone est un antagoniste non stéroïdien du récepteur des minéralocorticoïdes recommandé en complément d’un bloqueur du SRA chez les patients présentant un diabète de type 2 si :

  • DFG > 60 mL/min/1,73m² et un RAC > 30 mg/mmol (> 300 mg/g) ;
  • DFG 26-60 mL/min/1,73m² et un RAC > 3 mg/mmol (> 30 mg/g).

S’il est nécessaire d’obtenir un meilleur contrôle glycémique malgré les iSGLT-2, les aGLP-1 seront recommandés en 2ème intention si le DFG est supérieur à 15 mL/min/1,73m² (I/A) et n’interviennent qu’en 3ème ligne la metformine (si DFG > 30 mL/min/1,73 m²), les iDPP-4 et les insulines.

Il faut considérer l’orientation vers un néphrologue en cas d’hyperphosphatémie d’anémie, de trouble de la minéralisation osseuse secondaire à la MRC (IIb/C).

Figure 3 : Stratégie anti-diabétique dans le diabète 2 dans la situation de maladie rénale chronique

Les 10 messages-clés

  1. Le SCORE2-Diabète est un nouveau score de risque cardiovasculaire chez les diabétiques en prévention primaire prenant en compte des facteurs habituels mais aussi spécifiques à la maladie diabétique.
  2. Les patients présentant une atteinte sévère des organes cible (ASOC) ou un SCORE2-Diabète >20 % sont considérés à très haut risque et requièrent une prise en charge intensive.
  3. L’atteinte sévère des organes cibles implique une évaluation du DFG et du rapport albuminurie/créatinurie (RAC) est définie par un haut risque ou un très haut risque rénal (DFG < 45 mL/min/1,73m2 OU Protéinurie > 300 mg/J OU l’association DFG entre 45 et 59 mL/min/1,73m2 et d’une microalbuminurie entre 30 et 300 mg/ OU d’une micro-albuminurie associée à une atteinte microvasculaire d’un autre territoire (rétinopathie, neuropathie…).
  4. Un dépistage de l’insuffisance cardiaque et de la maladie rénale chronique doivent être réalisés de manière systématique chez tous les patients diabétiques.
  5. Le traitement du diabète de type 2 doit désormais privilégier les antidiabétiques qui diminuent le risque cardiovasculaire ou de progression de la maladie rénale sur les antidiabétiques de contrôle glycémique sans bénéfice clinique démontré.
  6. En prévention secondaire, il faut privilégier les iSGL2 et les aGLP-1 qui doivent être utilisés indépendamment du contrôle glycémique sur la metformine qui est reléguée en 2ème intention en cas de contrôle glycémique insuffisant.
  7. Chez le patient à haut risque ou très haut risque CV, les iGLT2, aGLP-1 et la metformine sont mis sur un pied d’égalité et peuvent tous les 3 être utilisés en 1ère intention mais la metformine reste la molécule privilégiée en 1ère intention chez les patients à risque faible ou modérée.
  8. En cas d’IC, le traitement antidiabétique doit comprendre en 1ère intention des iSGLT2 indépendamment de la cible glycémique et en 2ème intention si un meilleur contrôle glycémique est nécessaire des aGLP-1, de la metformine, des iDPP-4 ou de l’insuline. Parmi ces 4 molécules, les aGLP-1 seront à privilégier en cas de maladie coronaire associée.
  9. Dans la maladie rénale chronique chez le patient diabétique, un contrôle intensif de la dyslipidémie pouvant comprendre d’emblée une bithérapie à base statine et d’ézetimibe et un contrôle tensionnel strict (objectif de PA <130/80 mmHg) afin de réduire le risque cardiovasculaire et le risque d’insuffisance rénale chronique.
  10. Dans la maladie rénale chronique chez le patient diabétique, il est recommandé d’associer dans la mesure du possible un bloqueur du SRA à dose maximale tolérée, un iSGLT2 (si DFG > 20 mL/min/1,73m2) et de la finérénone (si DFG entre 25 et 60 mL/min/1,73m2 ou en cas d’anomalie du RAC).

Auteur

Nabil BOUALI
CCF, Poitiers

Relecteur

Dr Benoit LEQUEUX
GICC, SFHTA, CJH, Poitiers

 

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Publié le 1714985505000