Recherche en imagerie prénatale

Publié le 14 May 2022 à 08:29

L’imagerie foetale est transversale et elle est une part importante du champ d’investigation plus général de la médecine foetale, qui comprend également les tests génétiques, métaboliques, sérologiques. Elle se situe ainsi sur le versant phénotypique de la génétique, diagnostique et pronostique pour la chirurgie, les maladies métaboliques et l’infectiologie. Pour essayer de mieux cerner la recherche en imagerie prénatale, nous avons interrogé trois radiologues investies dans le champ de l’imagerie prénatale en France : le Dr Eléonore Blondiaux, membre du CERF, le Dr Chantal Durand, présidente du GRRIF (Groupe de Recherche Radiopédiatrique en Imagerie Foetale) et le Pr Marianne Alison, Chef de Service du service d’imagerie de l’hôpital Robert Debré.

Est-ce qu’il existe de la recherche en imagerie prénatale ?
EB : Non seulement la recherche en imagerie foetale et obstétricale existe, mais elle est même en plein essor. Notamment grâce aux innovations technologiques majeures des dernières années qui ont permis l’émergence de techniques ultra rapides ou peu dosantes, qui garantissent une plus grande innocuité pour le foetus et la femme enceinte. De façon plus globale, il y a aussi l’idée que les conditions d’une bonne santé pour toute la vie dépendent de ce qui s’est passé avant la naissance. Cette idée s’est ancrée dans nos sociétés avec des investissements conséquents en ce sens. Il s’agit néanmoins d’un champ de recherche encore relativement jeune, pour plusieurs raisons. 

Lesquelles ?
EB : Tout d’abord l’application des techniques avancées que ce soit en échographie, en IRM ou en TDM a souvent lieu en seconde main en imagerie foetale, lorsque les techniques ont été prouvées et éprouvées chez l’adulte ou chez l’enfant. On conçoit aisément que les concepts de sécurité des soins, de protection des personnes et d’éthique s’appliquent encore plus drastiquement chez le foetus et que l’on ne saurait « tester » en première main des séquences, des produits de contraste, de nouveaux protocoles d’acquisition sur un organisme en développement [1]. Par exemple, le service de l’hôpital Robert Debré s’est récemment équipé d’une IRM 3T. Si ce type d’IRM est utilisé depuis de nombreuses années en imagerie adulte et pédiatrique, la validation de son innocuité chez le foetus et par conséquent son utilisation chez le foetus sont plus récentes. La seconde raison tient probablement à l’intérêt relativement récent des sciences médicales pour la vie foetale.

D’ailleurs, est-ce que c’est légal et légitime de faire de l’imagerie prénatale, est-ce qu’il n’y a pas des questions éthiques ?
EB : Quand on nous oppose qu’il n’est pas éthique de faire de la recherche chez le foetus, j’aime rappeler que de toutes les populations et tranches d’âge, c’est pourtant au foetus que la recherche profite le plus, du fait de son espérance de vie maximale. La recherche, qu’il s’agisse d’essais cliniques, de recherche biomédicale ou interventionnelle et tout protocole de recherche chez la femme enceinte et le foetus est extrêmement encadrée par le droit international, européen et national (Loi Jardé). La recherche en prénatal chez l’homme se situe évidemment en dehors de toute expérimentation : il n’est pas envisageable de tester chez la femme enceinte de nouvelles molécules, de nouvelles techniques chirurgicales, de nouvelles séquences qui n’auraient pas prouvé une innocuité totale chez l’adulte, l’enfant ou les modèles animaux.
MA : C’est d’ailleurs une des difficultés que nous rencontrons pour l’établissement de normes foetales. Si celles-ci sont relativement faciles à obtenir en échographie qui est un examen de dépistage, elles sont beaucoup plus difficiles à obtenir en IRM voir en scanner puisqu’il est difficile (en IRM) voire impossible (en scanner) de faire passer ces examens à des femmes enceintes « témoins ».

La recherche en imagerie foetale est non seulement légale et éthique car extrêmement contrôlée, mais légitime et indispensable car nous avons le devoir de progresser dans les informations qui sont actuellement données aux couples.

EB : Au-delà des aspects juridiques, il est très important d’être en mesure de dire aux parents d’un foetus porteur d’une anomalie découverte in utero : votre foetus présente telle pathologie, nous savons grâce aux études que les enfants porteurs de ce type d’anomalie ont par exemple un risque de X % de présenter ou de développer un handicap. Le plus dangereux, c’est de ne pas être en mesure de proposer à des parents qui sont le plus souvent dans une très grande détresse un diagnostic et un pronostic basés sur des études fiables. Il faut leur donner les moyens de se situer et de se projeter ou non dans l’avenir quand on découvre une anomalie chez leur enfant. En s’appuyant sur des données scientifiques, les informations délivrées aux parents sont plus objectives, ce qui permet au médecin d’être plus neutre, sans délivrer d’impressions personnelles, et sans faire intervenir ses convictions, puisque seul doit compter l’avis des parents. Je ne sais pas s’il y a d'autres domaines en médecine où les conséquences d’un faux positif ou d’un faux négatif sont plus désastreuses.

Est-ce que ça ne suffit pas de transposer les avancées scientifiques découvertes en postnatal au foetus ?

EB : S’il est vrai que la sémiologie médicale est décrite depuis des millénaires, il faut resituer le contexte de la médecine foetale. L’examen in vivo, in utero du foetus n’est une réalité que depuis une trentaine d’années et sa fiabilité nécessite encore parfois d’être éprouvée. Même s’il existe un continuum entre l’imagerie pré et postnatale, toutes les descriptions postnatales ne s’appliquent pas en prénatal et surtout la valeur prédictive des anomalies détectées n’est pas la même selon que l’on se situe avant ou après la naissance. Pour diagnostiquer de façon fiable une pathologie et le cas échéant parvenir à la traiter in utero, comprendre les capacités d’adaptation à une pathologie donnée du foetus, organisme en développement, pouvoir envisager et anticiper avec les futurs parents la naissance, les accompagner dans leurs choix, l’imagerie foetale et obstétricale doit se doter d’une recherche forte et cohérente.

Comment s’organise actuellement la recherche en imagerie prénatale ?
CD : Les pathologies foetales sont heureusement rares, la plupart des grossesses se passant très bien. C’est donc une des difficultés de la recherche en imagerie prénatale : on a rarement des cohortes de 3000 patients et il faut mettre en commun les dossiers. Pour ces raisons, la recherche en imagerie prénatale repose beaucoup sur les études de cohorte, rétrospectives, permettant de faire le lien entre des cas souvent rares et épars et le devenir postnatal des enfants ou si la pathologie était d’une particulière gravité, sur l’examen foetopathologique. C’est l’une des vocations du GRRIF (Groupe de Recherche Radiopédiatrique en Imagerie Foetale), groupe de travail de la SFIPP (Société Francophone d’Imagerie Pédiatrique et Prénatale) d’offrir à ses membres la mise en commun de dossiers pour permettre des publications scientifiques, par exemple sur les anomalies de la fosse postérieure [2], les anomalies hépatiques [3], les malformations des sinus duraux [4] ou le pronostic des hernies diaphragmatiques congénitales [5], mais également des publications didactiques de très haut niveau [6].

Est-ce qu’on peut quand même faire des études prospectives ?
MA : Aujourd’hui, la recherche en imagerie foetale passe également par les études prospectives, faisant l’objet de PHRC, voire par des études interventionnelles. Ainsi, l’étude REDIFF, PHRC en cours d’analyse, a pour but de montrer l’intérêt de la séquence de diffusion pour la prédiction des anomalies cérébrales des foetus présentant un retard de croissance intra utérin sévère. L’étude BOLD a pour but d’étudier l’oxygénation placentaire et cérébrale foetale des foetus en retard de croissance. L’étude PLACENTIMAGE, proposée aux patientes avant interruption médicale de grossesse, actuellement en cours d’analyse, va permettre d’étudier la pharmacocinétique placentaire et foetale du chelate de gadolinium. De même l’étude PRIUM, a pour but de montrer l’intérêt pronostique de la chirurgie in utero des myéloméningocèles. Ces études se font en étroite collaboration avec les gynécologues obstétriciens. Concernant la recherche fondamentale en imagerie foetale en France, elle est axée essentiellement sur l’imagerie du placenta et du cerveau foetal. La prochaine étape est probablement l’agrégation des larges données, permettant, grâce à l’intelligence artificielle, de pouvoir avancer dans la médecine prédictive et personnalisée.

Est-ce qu’il existe des modèles animaux ?
MA : Les modèles animaux les plus fréquemment étudiés sont les modèles de retard de croissance intra utérin, soit par ligature mécanique d’une artère utérine (Figure 1), soit par restriction alimentaire, par hypoxie maternelle ou par administration de substances médicamenteuses.


Figure 1 : Image T2 (A) et diffusion (B) d’une rate gestante avec ligature de l’artère utérine gauche. Les placentas situés à droite sont normaux, les placentas situés à gauche sont anormaux et les foetus présentent un retard de croissance (d’après [8])

Les modèles animaux de pathologies foetales sont plus complexes à mettre en oeuvre : modèles d’infection materno-foetale par inoculation, modèles de malformation foetale génétiques, chirurgicaux ou médicamenteux.

Un interne ou un CCA de radio peut-il faire un M2 ou une thèse en imagerie prénatale ? 
MA : Oui bien sûr et les champs d’investigation sont larges. Il n’y a pas que la recherche fondamentale, la recherche clinique est extrêmement importante, que ce soit pour évaluer l’apport d’une nouvelle technique d’imagerie ou pour mettre en évidence des éléments diagnostiques ou pronostiques dans le cadre de suivi de cohortes [7]. Les progrès de l’imagerie et du post traitement permettent d’envisager l’obtention de paramètres quantitatifs, dans le but d’affiner les informations données au couple.

CD : La SFIPP, le CERF et la SFR soutiennent particulièrement les projets de recherche en imagerie prénatale. Ainsi, la SFIPP offre de nombreuses bourses pour permettre aux plus jeunes de présenter leurs travaux au niveau national (Congrès de médecine foetale, Congrès de la SFIPP et de la SFP) et international (Congrès de l’European Society for Pediatric Radiology). Et il y a les bourses de recherche de la Société Française de Radiologie qui permettent chaque année de financer des internes qui s’interrompent un an dans leur cursus pour faire un M2 ou une thèse.

Bibliographie

  • Arthurs OJ, Rega A, Guimiot F, et al. Diffusion-weighted magnetic resonance imaging of the fetal brain in intrauterine growth restriction. Ultrasound Obstet Gynecol. 2017 Jul;50(1):79-87.
  • Teixeira SR, Blondiaux E, Cassart M, et al. Association of periventricular nodular heterotopia with posterior fossa cyst: a prenatal case series. Prenat Diagn. 2015 Apr;35(4):337-41.
  • Franchi-Abella S, Gorincour G, Avni F, et al. Hepatic haemangioma-prenatal imaging findings, complications and perinatal outcome in a case series. Pediatr Radiol. 2012 Mar;42(3):298-307.
  • Merzoug V, Flunker S, Drissi C, et al. Dural sinus malformation (DSM) in fetuses. Diagnostic value of prenatal MRI and follow-up. European radiology. 2008 Apr;18(4):692-9.
  • Gorincour G, Bouvenot J, Mourot MG, et al. Prenatal prognosis of congenital diaphragmatic hernia using magnetic resonance imaging measurement of fetal lung volume. Ultrasound Obstet Gynecol. 2005 Dec;26(7):738-44.
  • Garel C, Cassart M. Imagerie du foetus au nouveau-né. Imagerie du foetus au nouveauné: Lavoisier/Médecine Sciences; 2016.
  • Blondiaux E, Chougar L, Gelot A, et al. Developmental patterns of fetal fat and corresponding signal on T1-weighted magnetic resonance imaging. Pediatr Radiol. 2018 Mar;48(3):317-24.
  • Alison M, Chalouhi GE, Autret G, et al. Use of intravoxel incoherent motion MR imaging to assess placental perfusion in a murine model of placental insufficiency. Investigative radiology. 2013 Jan;48(1):17-23.
  • Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°32

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